Archives des 2020-10-20 - Le Délit https://www.delitfrancais.com/edition_categorie/2020-10-20/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Fri, 12 Feb 2021 19:51:08 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Quel avenir pour l’université? https://www.delitfrancais.com/2020/10/20/quel-avenir-pour-luniversite/ Tue, 20 Oct 2020 13:21:30 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38573 Le 29 septembre dernier, McGill annonçait que la session d’hiver 2021 se tiendrait essentiellement en ligne. Bien qu’il soit impossible de prévoir quand surviendra un «retour à la normale», la pandémie représente peut-être une occasion de repenser notre rapport à l’université et les déclinaisons de son rôle dans une société (hyper)modernisée. En mars dernier, nous… Lire la suite »Quel avenir pour l’université?

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Le 29 septembre dernier, McGill annonçait que la session d’hiver 2021 se tiendrait essentiellement en ligne. Bien qu’il soit impossible de prévoir quand surviendra un «retour à la normale», la pandémie représente peut-être une occasion de repenser notre rapport à l’université et les déclinaisons de son rôle dans une société (hyper)modernisée.

En mars dernier, nous avons toutes et tous été confiné·e·s. Ont alors été remis en question des aspects devenus banals de notre quotidien: se rendre à l’école, être en classe, écouter un cours. S’il va sans dire que la tenue des cours en ligne requiert une panoplie de ressources qui ne sont pas accessibles à toutes et à tous – une connexion Internet stable, un endroit calme pour se concentrer, un environnement de travail adéquat, pour ne nommer que celles-là – il semble toutefois évident que ce tournant virtuel s’inscrit dans le propre même de notre ère; la jeune génération étant constamment connectée. Que chacun·e puisse assister, dans le confort ou le chaos de leur chez-soi, à cette université globalisée, n’est-ce pas là une invitation à la repenser?

Une mission essentielle

Repenser l’université requiert de s’intéresser à ses fonctions premières: la transmission et la conservation de la connaissance, qui serviraient à l’enseignement et à la recherche désintéressée. Mais alors que «le savoir» est aujourd’hui accessible car internetéisé, en quoi l’université peut-elle représenter une plus-value, si ce n’est que pour la quête ultime du diplôme, garant, dans beaucoup de cas, de plus grandes possibilités d’emploi? Car force est d’admettre que nombre d’étudiant·e·s sont bien indifférent·e·s au «pèlerinage du savoir» que représentait initialement l’éducation supérieure – ils et elles assimilent plutôt un certain nombre de connaissances afin d’obtenir sans trop d’efforts un diplôme. Que les étudiant·e·s subissent leurs études plutôt que de s’investir et de s’émanciper à travers celles-ci, voilà peut-être la plus grande menace pour les universités d’aujourd’hui.

Un savoir instrumentalisé

Si l’éducation universitaire devrait être émancipatrice, celle-ci peut-elle être réduite à une seule dimension: celle de l’institution? McGill n’est-elle qu’un nom? Qu’une marque? Si l’université devient une fin en soi, elle en perd alors son essence: une possibilité de changement, individuel et social, grâce à la connaissance. En investissant des fonds dans la construction de bâtiments, dans «l’espace universitaire», sommes-nous en train de nous éloigner du but premier d’un savoir, qui devrait représenter en lui-même une finalité?

L’instrumentalisation du savoir s’inscrit d’ailleurs dans le cadre même de notre système éducationnel: cette idée qu’il faut atteindre le A à tout prix renforce la culture de la performance qui gangrène déjà nos sociétés. Cette idée que la réussite puisse être quantifiée, comptabilisée et surtout, notée, devient alors symptomatique d’un mode de vie qui ne se satisfait plus de l’instant, de la recherche, mais qui préfère la finalité au processus. La dimension d’une connaissance émancipatrice se perd, et avec elle l’idée d’une exploration des possibles.

Décentraliser pour mieux globaliser

Réfléchir, remettre en question, être en mesure d’exercer nos connaissances dans un monde changeant requiert un engagement certain avec notre propre apprentissage. Peut-être alors que seul·e·s devant nos écrans, nous nous rapprochons davantage d’un pèlerinage éducatif où ne compte plus que notre propre apprentissage, connecté·e·s à Zoom et à ceux et celles qui veulent bien s’y intéresser?

La pandémie, parce qu’elle est un temps d’exception, nous offre l’opportunité de remettre en question ce que nous espérons pour l’avenir des universités. Bien plus que de simples bâtiments, ce sont des institutions qui peuvent permettre la création de réseaux globalisés, où l’échange de compétences et de connaissances doit demeurer central. Le savoir se doit d’être universel, accessible et échangeable dans un contexte où sont érigées le moins de barrières possibles. Cultivons‑y nos esprits, investissons-nous dans nos apprentissages, et tentons, par la connaissance, de trouver des solutions créatives aux grands problèmes de notre ère.

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Populisme : au-delà du clivage gauche-droite https://www.delitfrancais.com/2020/10/20/populisme-au-dela-du-clivage-gauche-droite/ Tue, 20 Oct 2020 13:20:44 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38398 Véritable OVNI de la science politique contemporaine, le populisme croît en popularité aux quatre coins du globe.

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Définir le populisme est une chose difficile: les politologues s’entendent tous·tes pour dire qu’il·elle·s ne s’entendent pas sur la question. Alors que certain·e·s affirment qu’il s’agit d’un type de discours, donc des pratiques sociales qui permettent de rendre les idéologies observables, d’autres le qualifient d’idéologie, soit une conception du monde et un système d’idée ancré autour de valeurs. Ce flou autour de ce qu’on pourrait appeler la «nébuleuse populiste» nous offre toutefois certains indices qui devraient nous permettre de mieux comprendre ce dont il s’agit. Quelle que soit la forme qu’il prend aux yeux des théoricien·ne·s, on peut constater qu’il a toujours pour objectif de mettre le peuple au centre du débat politique. Cela peut se faire par des propositions, des mesures concrètes ou bien encore par le discours. Nous faisons ici la différence entre le discours et les propositions, car nous pouvons supposer que les propositions mèneront à des mesures concrètes alors que le discours n’offre rien de concret. Le but du populisme serait donc de repolitiser le peuple, un acteur qui, selon les populistes, a été trop souvent oublié par le passé au bénéfice des élites.

La plupart des politologues s’entendent pourtant pour dire qu’un parti remettant le peuple au centre du discours n’est pas nécessairement populiste. Vouloir plaire au peuple est au centre des priorités de n’importe quel·le politicien·ne qui cherche à être élu·e. Selon Jan-Werner Müller, professeur de sciences politiques à l’Université de Princeton et auteur du livre Qu’est-ce que le populisme? (2016), un·e politicien·ne est considéré·e comme populiste lorsqu’il ou elle cherche à se représenter comme étant l’unique porte-parole de l’unique conception légitime de la nation. Le populisme aura donc forcément une connotation exclusive: «Soit vous êtes comme nous et donc avec nous, soit vous n’êtes pas comme nous et donc contre nous». Soutenir le·la leader populiste reviendrait donc à faire partie du «vrai peuple» et à vouloir son bien. Au contraire, rejeter son leadership reviendrait davantage à élever sa voix contre celle du peuple, et donc à devenir son ennemi·e.

Y‑a-t-il deux populismes?

Un discours aussi exclusif nous mène à réfléchir à l’existence du populisme de droite et du populisme de gauche. Il existerait, selon certain·e·s politologues, une différence fondamentale entre le populisme dit «de droite» et celui dit «de gauche». Pour Chantal Mouffe, éminente philosophe politique post-marxiste belge, la principale différence entre les populismes de gauche et de droite serait la façon dont est construite la frontière entre le «nous» et le «eux». Il faut noter que ces identités collectives sont construites et non pas innées ou considérées de façon essentialiste. Ainsi, la façon de conceptualiser l’ennemi serait la différence entre les deux populismes.

Ce n’est pas un sens dans lequel j’abonde: selon moi, le populisme est à l’heure actuelle l’une des principales raisons de la désuétude du clivage gauche-droite. En effet, il n’est pas idéologiquement fixé, et on pourrait le considérer comme une approche politique avec des thèmes auxquels n’importe qui peut s’accrocher. Malgré les apparences, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont plusieurs points en commun dans leur discours bien qu’ils soient classés aux antipodes du spectre politique. Le cœur de leur discours est avant tout de nature «antisystème», et l’anti-systémisme peut être de droite comme de gauche. 

Ce sont les idées qui seront articulées autour de cet anti-systémisme qui pourront être qualifiées de droite ou de gauche. Ainsi, sans pour autant prétendre que cela soit vrai dans l’absolu, je serais porté à dire qu’il n’y a ni populisme de droite ni populisme de gauche, car le populisme peut prendre ses idées de ces deux traditions politiques.

On pourrait distinguer, il est vrai, le populisme de gauche et de droite en fonction du peuple que l’on construit et donc de l’ennemi que l’on cherche à présenter. Les populistes de gauche, comme Mélenchon, ont tendance à mettre en scène un peuple social contre un ennemi économique, alors que les populistes de droite, comme Marine Le Pen ou Donald Trump, présentent un peuple identitaire contre un ennemi identitaire. La ligne entre les deux demeure toutefois bien plus floue en pratique. Certaines formations politiques, comme le Mouvement 5 étoiles en Italie, vont chercher à gauche comme à droite leurs idées. 

La désuétude du clivage

De manière générale, les populistes viennent donc brouiller le clivage gauche-droite. Citons comme exemple Marine Le Pen, qui, malgré ses positions fortement anti-immigration, favorise les référendums d’initiative populaire généralement considérés comme une mesure de gauche. De nombreux autres partis populistes de droite prônent aussi cela. C’est une mesure simple : on répond oui ou non à une question, et c’est la volonté populaire qui l’emporte. Difficile de trouver quelque chose de plus populiste, quoique soutenir une telle mesure ne fait pas nécessairement de quelqu’un un·e populiste.

Geert Wildeers, qui est le chef du Parti pour la liberté néerlandais, défend les droits de la communauté LGBTQ+ et le référendum d’initiative populaire, deux positions progressistes qui contrastent ses positions identitaires xénophobes. Les leaders populistes sortent donc plus souvent qu’autrement du clivage gauche-droite classique, car iels s’intéressent davantage à ce qui peut séduire l’électorat. Ce n’est pas le cas de tous les partis populistes mais d’un certain nombre. En tête de liste, nous pouvons penser aux Italiens du Mouvement 5 étoiles qui combine xénophobie, écologisme radical et keynésianisme dans une plateforme politique d’un syncrétisme plutôt farfelu.

De nouveaux modèles d’analyse politique

Non seulement les populistes viennent démontrer la désuétude de l’axe gauche-droite, mais aussi celle du fameux quadrant politique censé nous aider à analyser la politique contemporaine. Celui-ci représente la politique en deux axes. L’axe vertical représente la pensée sociale et est, somme toute, plutôt claire dans ses intentions. Plus vous êtes vers le haut, plus vous croyez en l’autorité plus vous êtes vers le bas, plus vous croyez en la liberté individuelle. L’axe horizontal, quant à lui, incarne la fameuse «droite politique»: plus vous êtes à gauche, plus vous croyez en un modèle économique communautaire et coopératif et plus vous êtes à droite, plus vous croyez au libre-marché et à la concurrence. Ce modèle est toutefois très réducteur. L’orientation politique ne doit pas être vue comme une simple opération mathématique, mais comme quelque chose de fluide, de mouvant et de nuancé. Il serait alors intéressant de se pencher sur une nouvelle manière de voir les orientations politiques. 

On peut donc argumenter que l’axe vertical représentant les libertés individuelles devrait être déconstruit en deux plans, l’un concernant les enjeux sociaux et l’autre les enjeux identitaires. On se retrouverait alors avec une conception de la politique en trois dimensions: un cube politique incluant les aspects identitaires, sociaux et économiques. Séparer les aspects identitaires et sociaux est pertinent puisqu’il est possible d’être à «gauche» socialement et à «droite» sur des questions identitaires. Le Mouvement 5 étoiles en Italie est assurément le meilleur exemple. Pourtant, dans l’état actuel des choses, on dit qu’il est centriste, faute d’avoir une meilleure définition. 

Des ennemis flous et nombreux

Pour revenir à notre sujet initial, essayer de faire la distinction entre le populisme de gauche et de droite pourrait même mener à brouiller les pistes par rapport à ce qu’est le populisme, déjà difficile à identifier. Deux partis peuvent en effet se présenter avec le même programme; l’un peut être populiste et l’autre, non. Pour l’être, l’un d’eux doit ériger un ennemi qui priverait le peuple d’avoir accès à sa totale souveraineté. 

Les populismes de gauche et de droite partagent souvent un ennemi commun: le système néo-libéral et ses élites. Aux yeux des populistes, cette élite néo-libérale empêche le peuple (et donc l’État) d’accéder à sa pleine souveraineté. Elle se divise en une triade d’ennemis : 1) l’establishment politique; 2) les élites économiques; et 3) les grands phénomènes internationaux, qu’ils soient migratoires, institutionnels ou médiatiques. Cette triade comploterait pour permettre aux élites de demeurer en place. En évoquant un tel ennemi, le populisme chercherait à s’édifier en rempart au service du «vrai» peuple.

Plus souvent qu’autrement, toutefois, le populisme de droite identifiera des ennemis supplémentaires, en s’attaquant aux membres des minorités. Ces minorités peuvent être ethniques, religieuses, sexuelles, etc. Bref, tout ce qu’il est possible de distinguer de la majorité et de pointer du doigt. 

C’est ici qu’on voit une des distinctions entre les populismes de droite et de gauche. En bref, le populisme de droite ajouterait au récit populiste une conception de pureté identitaire à la conception de classes, et le populisme de gauche se contenterait de cette conception de classe opposant les élites aux petits peuples. Le populisme de droite semble identifier des ennemis qui sont bien sûr beaucoup plus visibles et beaucoup plus concrets que ceux proposés par le populisme de gauche. Effectivement, ce n’est pas tous les jours que l’on peut constater ce que fait l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou les grosses banques, ce qui en fait des ennemis plus abstraits que ceux du populisme de droite. Au contraire, si l’on dit que l’ONU favorise l’immigration qui, elle, vient corrompre l’homogénéité du peuple, on a alors deux ennemis bien identifiés.

Sachant qu’il y a aussi peu de différences entre le populisme de droite et le populisme de gauche, comment pouvons-nous expliquer le fait qu’en Occident le populisme de droite semble plus populaire que le populisme de gauche? Quand l’on regarde le résultat des élections dans beaucoup de pays, comme aux États-Unis avec Bernie Sanders et Donald Trump, ou en Italie avec la soi-disant «Coalition de centre-droit» qui flirte véritablement avec l’extrême-droite et le populisme, on peut constater que les populistes de droite connaissent un plus grand succès, mais cela reste à nuancer. 

Est-ce que le populisme de droite est réellement plus attirant pour l’électorat que le populisme de gauche, ou serait-ce que ses politiques identitaires et anti-migratoires sont désormais plus populaires que les politiques d’inclusion sociale? 

La réponse est en partie incluse dans cette question, mais aussi dans le fait que le terme «populiste» est aujourd’hui utilisé à toutes les sauces au point où l’on oublie fondamentalement ce qu’est le populisme. Le mot «populisme» est un mot tellement péjoratif dans l’imaginaire collectif qu’il ne représente plus une réalité du discours politique, mais plutôt une insulte servant à disqualifier un adversaire.

L’équipe du Délit

Un populisme québécois

Au Québec, on a un excellent exemple: la CAQ. Est-ce que la CAQ est réellement et hors de tout doute un parti populiste? Non! Du moins, il serait de mauvaise foi de qualifier sans nuance la CAQ d’être populiste. Il arrive effectivement à la CAQ de faire fi de l’opinion des expert·e·s, qui, dans le discours populiste, font partie de l’élite intellectuelle. On peut notamment citer les exemples du «troisième lien» et de la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), qui permet aux diplômé·e·s de s’établir plus facilement au Québec, pour lequel le premier ministre a accusé les directions d’établissements de n’y être opposé que parce qu’ils veulent continuer de recevoir l’argent des étudiant·e·s étranger·ère·s. Le premier ministre a souvent déclaré qu’il agissait au nom du peuple, au nom des vrais gens qui eux savent ce qui est le mieux pour eux. Legault aura aussi dit par exemple que le milieu des affaires a créé artificiellement la pénurie de main‑d’œuvre pour maintenir les salaires bas. Ces déclarations tiennent toutes, de près ou de loin, du populisme.

Pourtant, est-ce que qualifier la CAQ d’être populiste est justifié? Difficile à dire, car ces déclarations ont toutes été faites à la suite de l’opposition des milieux concernés au sujet de certaines mesures caquistes. Le cœur du discours caquiste n’est pas populiste, mais certains éléments de discours populistes seront repris épisodiquement, car ceux-ci sont relativement efficaces auprès de certaines tranches de la population. Pourtant, il n’est pas rare de voir la CAQ qualifiée de populiste. 

Maintenant ce détour par la politique québécoise fait, il faut répondre à la question: est-ce que le populisme de droite est réellement plus attirant pour l’électorat que le populisme de gauche? À mon sens, oui. Comme nous l’avons dit précédemment, le populisme cherche des réponses simples à des problèmes complexes et le populisme de droite identifie des ennemis clairs et très faciles à identifier. Mais pourquoi cela est-il efficace? Selon moi, sachant que nous sommes en transition d’un monde unipolaire où les États-Unis règnent en maître vers un monde multipolaire dans lequel de nouveaux acteurs, comme la Chine et l’Union Européenne, disputent le leadership mondial aux États-Unis, il n’est pas surprenant que l’identité occidentale se fracture. Ces acteurs étant auparavant unifiés autour de l’influence américaine, la dislocation de celle-ci apporte des doutes autour de l’identité commune occidentale. Il est donc plus facile de se réfugier vers ce que l’on connaît mieux, soit les identités nationales. Un boulevard s’ouvre donc pour le populisme, qui, mentionnons-le, n’est pas exclusif à l’Occident. Cette crise identitaire de l’Occident met de l’avant des questions pour lesquelles on cherche des réponses. Le populisme offre des réponses simples et efficaces, mais pas nécessairement réalisables ni souhaitables, pour plaire à l’électorat. Tous les éléments sont donc réunis pour une nouvelle ère des populismes.

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Renouveau instrumental pour Daniel Bélanger https://www.delitfrancais.com/2020/10/20/renouveau-instrumental-pour-daniel-belanger/ Tue, 20 Oct 2020 13:18:33 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38456 Travelling ou voyage au cœur des univers filmiques et éclectiques d’un grand musicien.

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Avec Travelling, album paru le 2 octobre dernier, Daniel Bélanger délaisse la chanson et fait le saut vers la musique instrumentale. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un terrain inconnu pour le musicien qui a déjà composé la bande sonore de plusieurs films et qui incorpore fréquemment quelques pistes sans paroles à ses disques, Travelling est son premier album entièrement instrumental. Il faut dire que les disques instrumentaux néo-classiques ont la cote ces temps-ci: on peut penser notamment à l’ascension fulgurante d’Alexandra Stréliski au Québec ou au succès de musiciens comme Ludovico Einaudi à l’international. Les amateur·rice·s de ce style musical pour qui le piano solo peut toutefois devenir lassant trouveront sans doute leur compte dans Travelling, album dans lequel Bélanger joue sa carte de multi-instrumentiste en superposant entre autres guitares acoustiques et électriques, banjo, sifflet, voix, saxophone, percussions et flûte. Il est accompagné de quelques collaborateur·rice·s dont plusieurs violonistes et altistes ainsi que par la trompette de l’excellent Jacques Kuba Séguin. Le tout résulte en une panoplie de sonorités et de couleurs qui se rencontrent pour plonger l’auditeur·rice au cœur de divers tableaux imaginaires.

Travelling emprunte beaucoup au monde de la musique de film

En fait, Travelling emprunte beaucoup au monde de la musique de film, comme l’indique son nom qui évoque à la fois le voyage et le mouvement de caméra éponyme. Dès les premières notes du morceau «Apertura»courte pièce lyrique qui ouvre l’album, on a l’impression d’écouter le générique d’ouverture d’un film monochrome de l’âge d’or hollywoodien. S’ensuit «Froide était la gâchette», trame sonore qui siérait parfaitement à une scène de cowboy solitaire arpentant les grands espaces de l’Ouest américain dans un film de Sergio Leone. Bélanger semble ici s’inspirer d’Ennio Morricone, compositeur généralement associé aux films de Leone, en reprenant des traits musicaux caractéristiques du western spaghetti: de la voix soprano surplombant l’arrangement orchestral au banjo en passant par le sifflet. Toutefois, Bélanger teinte résolument le style d’une touche moderne bien à lui. On pourrait tout à fait retrouver «Froide était la gâchette» au sein de la bande sonore d’un néo-western réalisé par les frères Coen.

Bélanger teinte résolument le style d’une touche moderne bien à lui

On rencontre ces touches morriconesques à plusieurs reprises dans l’album, notamment au début de la piste «Le triomphe d’une perruche» qui, après quelques mesures, adopte toutefois son style et sa personnalité bien à elle. Il faut souligner que jamais dans l’histoire de la musique une perruche n’aura évoqué quelque chose d’aussi grandiose chez un·e auditeur·rice. Dans «Un grillon au parc national», Bélanger joue avec les codes musicaux du film noir et du thriller d’espionnage. On imagine bien ce James Bond des locustes en périlleuse mission secrète à travers la biodiversité d’une prairie de la Sépaq. La pièce culmine avec une conclusion épique alliant percussions dynamiques, chorale solennelle ainsi que trompette victorieuse: mission accomplie pour notre héroïque grillon.

Sans que l’on puisse reconnaître un style cinématographique dans chacun des morceaux de Travelling, ceux-ci incarnent sans conteste des scénarios que l’auditeur·rice pourra mettre en scène à sa manière. Piano et voix mélancolique font souffler un vent endeuillé sur «Rupture élastique en milieu propice», alors que la légèreté de «La flûte atomique» suggère une ambiance détendue et même comique digne d’un jeu vidéo d’arcade des années 1990. Dans l’éclectique «Chanter», on a l’impression de découvrir une nouvelle pièce toutes les vingt secondes. Le morceau, qui, au départ, n’a rien d’extraordinaire, évolue dans toutes sortes de directions en ayant recours notamment à des voix d’enfants et à une flûte traversière disjonctée.  Il appartiendra cependant à chacun·e d’apposer l’étiquette qu’il ou elle voudra sur les fenêtres vers les mondes imaginaires du compositeur que constituent les pistes de l’album. À chacun de se faire son cinéma.

La forme purement instrumentale du style musical caractéristique de Bélanger constitue un filon que l’artiste gagnerait résolument à exploiter davantage

Travelling est une œuvre qui survient au moment le plus opportun, alors que le Québec se reconfine tranquillement pour une période indéterminée. Il s’agit d’un album réussi et original aux couleurs variées qui mérite une écoute attentive. La forme purement instrumentale du style musical caractéristique de Bélanger constitue un filon que l’artiste gagnerait résolument à exploiter davantage. Ceux et celles qui s’ennuient de la poésie que l’on retrouve généralement dans les paroles de ses chansons pourront patienter en lisant les titres saugrenus des morceaux musicaux de Travelling. Avec son dernier opus, Daniel Bélanger nous permet de nous évader et réitère son statut de musicien de grand talent ainsi que de figure phare de la scène musicale québécoise. 

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GNL Québec, vu par un Saguenéen https://www.delitfrancais.com/2020/10/20/gnl-quebec-vu-par-un-sagueneen/ Tue, 20 Oct 2020 13:17:31 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38416 Le Saguenay-Lac-Saint-Jean fait face à des incertitudes économiques et à la transition environnementale.

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Chicoutimi, la ville d’où je viens, ressemble à certains égards à Montréal… en bien plus petite évidemment. Tout comme Montréal, c’est une ville universitaire. Marcher dans certaines rues de la ville donne l’impression de déambuler dans Villeray ou bien sur Le Plateau. On a de beaux autobus hybrides qui sillonnent nos rues et de nouvelles infrastructures pour les usagers et usagères du transport collectif. Nous avons un Vieux-Port, un nombre démesuré de clochers, des destinations culturelles incontournables, etc. Chicoutimi a même son propre studio d’Ubisoft, c’est pour dire! Toutefois, les comparaisons doivent s’arrêter ici. Montréal, c’est la métropole du Québec et Chicoutimi, c’est le cœur du Saguenay-Lac-Saint-Jean, une région à l’image de tant d’autres, c’est-à-dire ces territoires immenses où l’on regarde la transition économique comme un obstacle difficilement surmontable pour bien des raisons, notamment à cause du manque de volonté gouvernementale.

En février dernier, un peu avant le début de la pandémie, quelques moralisateurs et moralisatrices estampillé·e·s Québec Solidaire (QS) se sont transporté·e·s directement à Chicoutimi pour apprendre en grande primeur à la population la plus concernée par GNL Québec qu’elle s’opposait au projet. Ce n’est pas une surprise, me direz-vous. Pour des yeux extérieurs, Énergie Saguenay n’est qu’un projet comme un autre dans la grande lignée des initiatives pétrogazières auxquelles s’opposaient majoritairement les Québécois·es, comme les gaz de schiste dans les années 2000 et le gazoduc Énergie Est plus récemment. Comme toujours, la réalité est un peu plus nuancée. 

Un projet controversé

Pour ceux et celles qui ne savent pas ce qu’est GNL Québec, il s’agit d’un projet d’usine de liquéfaction au Saguenay alimentée par un gazoduc en provenance de l’Ouest pour l’exportation du gaz naturel liquéfié (GNL) sur les marchés internationaux via la voie maritime du Saguenay-Saint-Laurent. Si le projet bénéficie d’un préjugé positif chez la population et certaines élites locales, ce n’est pas uniquement parce que le holding américain derrière Énergie Saguenay achète à gros prix de l’acceptabilité sociale en payant de la publicité massive à la radio, à la télé, dans les journaux, etc., ou bien parce que l’entreprise présente son projet comme étant écoresponsable, vert et instigateur de transition (ce qu’il n’est évidemment pas), ce qui préoccupe les gens du Saguenay-Lac-Saint-Jean comme partout ailleurs au Québec.

Si une partie de la population a un préjugé favorable à GNL Québec, c’est tout simplement parce qu’il y a des promesses d’emplois au bout du compte

Au niveau économique, notre région est à la croisée des chemins. De nouveaux créneaux apparaissent, comme Ubisoft, que je mentionnais plus haut. Le secteur tertiaire occupe la place prépondérante comme dans une majorité de régions, mais le Saguenay Lac-Saint-Jean demeure fortement dépendant de quelques gros monopoles industriels, comme Rio Tinto, qui sont encore parmi les plus gros employeurs de la région, autant pour les emplois directs que pour la sous-traitance dans des entreprises aux vocations connexes. C’est louable de souhaiter des emplois verts dans des secteurs où nous aurions le contrôle ainsi que dans une économie québécoise intégrée entre chaque région, mais si une partie de la population a un préjugé favorable à GNL Québec, c’est tout simplement parce qu’il y a des promesses d’emplois au bout du compte. Le besoin urgent de diversification de l’économie, de nouveaux emplois et de transition fait croire à beaucoup de personnes que GNL Québec est une solution alors qu’elle ne l’est pas.

Ce que les parachuté·e·s de QS n’ont probablement pas encore saisi de manière nuancée, c’est que bien que ce soit joli, l’observation du béluga sur un bateau et la détente sur les plages sablonneuses du Lac-Saint-Jean, ça ne fait pas vivre son monde. GNL Québec est un projet exécrable dont le seul débouché serait une altération considérable des milieux de vie humains et naturels.

C’est une nécessité de s’opposer aux projets polluants comme GNL. Faut-il pour autant faire fi de la réalité socio-économique vécue par les travailleurs et travailleuses? Non. La gauche se coupe les ailes en agissant ainsi. Les propos marketing tels que «des emplois verts» ne donnent rien s’ils ne sont qu’une arrière-pensée visant à se donner bonne conscience auprès des «gens de région». La volonté de transition doit se traduire par une posture d’écoute et non pas par une négation de la réalité. Mais bon, c’est vrai qu’une image d’un mignon béluga fera lever les foules forcément plus que celle d’un travailleur exploité et soumis à l’entreprise internationale dans son propre pays du Québec.

Quelles alternatives?

Alors, que faire? Existe-t-il des alternatives réelles à GNL Québec qui pourraient générer de l’emploi? Déjà, il faut démystifier une chose: le développement de l’économie ne se réalise pas sous la forme d’un tout inclus comme on mange une table d’hôte au restaurant. En ce sens, il ne faut pas attendre de gros projets qui joueraient le rôle d’un messie. 

Nombreux sont les créneaux qui permettraient de faire prospérer l’économie du Saguenay-Lac-Saint-Jean dans le bon sens: les microbrasseries qui sont déjà bien présentes dans la région, le secteur vidéoludique qui ne cesse de croître un peu partout au Québec tout comme l’économie collaborative. Nous sommes toutefois encore face à des problèmes structurels persistants dans l’économie québécoise. Nous devons nous défaire graduellement de notre immense dépendance aux capitaux étrangers, représentés par des projets d’investissements de la trempe de GNL. Il doit exister une réelle intégration de l’économie entre les régions, qui ne seraient plus simplement des pôles isolés spécialisés dans un secteur particulier et avec comme seul possibilité d’échange des marchés pour les bienfaits du secteur secondaire américain. Lorsque le gouvernement ne sera plus dirigé par les amis de l’institut économique de Montréal et qu’il redeviendra friand de l’investissement payant pour la société québécoise, nous pourrons briser les barrières qui nous empêchent de moderniser notre économie pour que les projets polluants comme GNL Québec n’apparaissent plus comme la seule solution pour plusieurs personnes. 

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Mesures d’urgence: quelles limites pour les gouvernements? https://www.delitfrancais.com/2020/10/20/mesures-durgence-quelles-limites-pour-les-gouvernements/ Tue, 20 Oct 2020 13:16:15 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38404 Dr Ryan Alford discute des pouvoirs des États en temps de crise.

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Le 14 octobre dernier, la société Runnymede a organisé un webinaire portant sur les limites des pouvoirs accordés aux gouvernements par les mesures d’urgence lors de crises comme l’urgence sanitaire actuelle. La société Runneymede est une organisation pancanadienne qui promeut des discussions portant sur la Constitution canadienne au sein d’établissements universitaires. Professeur de droit constitutionnel à l’Université Lakehead, en Ontario, Dr Ryan Alford a affirmé dans le webinaire qu’il présidait que les gouvernements doivent justifier l’acquisition de nouveaux pouvoirs, malgré l’urgence d’une crise, et que certains droits demeurent toujours à l’abri de restrictions gouvernementales.

Les mesures d’urgence

Ce n’est pas de la crise que proviennent les pouvoirs extraordinaires, a affirmé Dr Alford, mais bien des textes législatifs de l’État. Si un gouvernement souhaite établir des mesures d’urgences, il doit justifier cette décision devant l’assemblée législative compétente. Il doit alors démontrer qu’il s’agit bel et bien d’une situation nécessitant de franchir les limites usuelles du pouvoir et que les pouvoirs additionnels sont tous absolument nécessaires. Il doit aussi prouver que le gouvernement s’est attaqué à la crise avec tous les moyens dont il disposait avant les mesures d’urgence.

Selon Dr Alford, un gouvernement pourrait tirer profit de mettre en place des mesures d’urgence. Cela aurait pour effet potentiel de projeter l’image d’un gouvernement qui fait tout ce qui est possible en son pouvoir et au-delà afin de protéger la population. Le retrait de certains freins quant à la gestion des finances du gouvernement pourrait aussi avantager le parti au pouvoir en ce qui a trait aux dépenses étatiques. 

Dans le contexte de la COVID-19, a affirmé Dr Alford, le gouvernement canadien aurait eu bien du mal à obtenir les mesures d’urgences qu’il souhaitait, c’est-à-dire de faciliter les dépenses de l’État en obtenant du Parlement carte blanche pour une durée de 21 mois. Cette décision aurait été difficile à justifier, car le gouvernement n’avait pas utilisé tous les pouvoirs qu’il possédait déjà afin de limiter la propagation du virus. Par exemple, il n’avait pas interdit tout vol entre la Chine et le Canada. Approuver cette mesure d’urgence aurait aussi demandé aux parlementaires d’accorder leur confiance totale au gouvernement pour la gestion des finances; or, le gouvernement actuel a trempé à plusieurs reprises dans des scandales liés à la gestion des finances publiques, comme celui de SNC Lavalin. Le ministre des Finances, Bill Morneau, a quant à lui eu à plusieurs reprises des problèmes avec la commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique. Toutefois, même si l’on considère que le gouvernement est de bonne foi, certaines dépenses exagérées pourraient être effectuées à cause du manque de vérification. Cette mesure d’urgence n’a finalement jamais été proposée aux parlementaires.

Droits fondamentaux

Si le gouvernement doit fournir une justification solide pour obtenir des pouvoirs extraordinaires, aucune ne serait suffisante pour violer les droits inaliénables des individus, comme le droit à la vie et à la sécurité selon Dr Alford. Ces droits ne reposeraient pas sur les législations et constitutions nationales, mais bien sur les droits humains fondamentaux. 

Selon lui, certaines situations pourraient pousser certaines personnes à remettre en question l’inviolabilité de ces droits, comme le scénario de la «bombe à retardement». Si les autorités mettaient la main sur un·e terroriste qui aurait caché une bombe à retardement, certain·e·s affirmeraient peut-être qu’il serait justifié d’employer la torture dans le but de prévenir l’attentat, malgré l’atteinte aux droits fondamentaux de la personne détenue. Selon Dr Alford, l’argument avancé serait utilitariste: il consisterait à affirmer que le droit à la sécurité de la personne détenue serait moins important que le droit à la vie des futures victimes de l’attentat, et cette inégalité justifierait de violer l’un pour protéger l’autre. 

Toutefois, a affirmé le professeur, cette façon de penser est non seulement problématique d’un point de vue moral, mais aussi d’un point de vue juridique. Le problème moral se trouve dans la confrontation entre le potentiel et le réel: alors que l’attentat ne se serait pas encore déroulé et demeurerait dans l’hypothétique (aussi élevées en soient les probabilités), la violation des droits de la personne détenue serait une certitude. Juridiquement, cette conception est aussi problématique. La cour qui autoriserait cette torture ne pourrait pas se prononcer sur le sujet uniquement à partir des lois, aucun code juridique canadien ne permettant la violation des droits fondamentaux. Le tribunal serait alors obligé d’effectuer un jugement de valeur. Ces droits étant affirmés comme inaliénables au-delà des limites de la loi dans la Charte canadienne des droits et libertés, il serait impossible d’autoriser leur violation. Selon Dr Alford, ce serait une preuve que les fondements juridiques du Canada reposent sur une conception absolue des droits humains.

Un exemple concret avancé par le Dr Alford est celui de la crise d’Octobre. Le gouvernement fédéral, qui craignait une insurrection à l’échelle du Québec, a mis en vigueur la Loi sur les mesures de guerre (l’ancêtre de la Loi sur les mesures d’urgence) qui permettait notamment aux forces de l’État d’arrêter des individus sans mandat et de les enfermer pour une période de 90 jours. Cette loi a aussi été appliquée au cours des Première et Seconde Guerres mondiales afin d’emprisonner les immigrant·e·s en provenance des pays ennemis. Ces personnes ont été envoyées dans des camps d’internement où elles ont travaillé sur des chantiers publics, et leurs biens, confisqués au moment de leur arrestation, ne leur ont pas été restitués à leur libération.

Selon Dr Alford, c’est à travers l’histoire et les crises liées à l’abus des pouvoirs conférés par les mesures d’urgence que les cours ont pris conscience des abus potentiels et que les limites à ces pouvoirs ont été établies.

La conférence en anglais a été enregistrée et est disponible sur le site de la société Runnymede.

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Les algues https://www.delitfrancais.com/2020/10/20/les-algues/ Tue, 20 Oct 2020 13:15:13 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38389 Le poème acéré.

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C’est dangereux les chalets les fusils tu disais va à gauche Jack on peut les contourner oui Jack je disais j’allais à droite ça me faisait rire pas toi c’est sérieux la guerre je te rétrograde c’est sérieux les fusils ça peut tuer de magnifiques fusils une magnifique chaine fraternelle invincible et nous nous fusillions à qui mieux mieux comme des bonshommes Lego jusqu’à ce que.

L’un d’entre nous t’es mort sinon je joue pu

Dans le nœud coulant des lacs le fusil reculé au chien


Le larynx se cristallise en boule d’algues c’est dur parler de chalet de carabine à un homme-chaise rembourré qui bourre de pilules qui croise ses jambes croisées comme des jambes croisées de psychologue parler du frère sa carabine de stries visqueuses qui enrobent.

La langue comme un lasso

Et la tire vers l’arrière

C’est dur le muet parler les fusils


Rire les poumons le ciel c’est dur l’élan de mémoire saccadé des balançoires il me poussait je n’aurais jamais pensé aimer autant un lampadaire les arbres le parc au nom d’oiseau mains sur les chaines lustrées et douces comme des chaines lustrées et douces invincible il était là devant moi souriant de dos fraternel c’est de la magie il disait disparaitre sous mes pieds mes yeux c’était un magnifique parc au nom d’oiseau de splendides lampadaires une chaine invincible de merveilleuses journées bleues mais la chaine.

Est coupée par le fusil le lac

Et la rouille ronge l’oiseau le noie.

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L’existence entre les pôles https://www.delitfrancais.com/2020/10/20/lexistence-entre-les-poles/ Tue, 20 Oct 2020 13:14:44 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38387 Réflexion existentialiste sur le radicalisme culturel.

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Avec le film Mignonnes, disponible sur Netflix, la réalisatrice franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré donne à voir le mal-être existentiel d’une jeune fille de onze ans, Amy, qui est violemment attirée, en vertu de schèmes sociaux et familiaux, vers les pôles radicaux de l’hypersexualisation moderne et de la répression sexuelle religieuse. L’œuvre dépeint avant tout une quête identitaire; le scénario est une sorte de Bildungsroman décrivant le passage de l’enfance à l’adolescence dans une société codifiée tout en guidant l’auditoire vers une réflexion dialectique sur les mœurs, l’immigration, la religion et les idéologies sociales.

La jeune Amy fait face à une dichotomie identitaire qui habite sans l’ombre d’un doute les nouveaux arrivants sur une terre d’accueil: une scission entre les traditions culturelles que l’on tente de conserver et les nouvelles réalités qu’il faut assimiler. Dans cet esprit de paradoxe, l’auditoire assiste à la beauté comme à la laideur; l’on peut y voir une relation mère-fille poignante tout comme on peut y observer un radicalisme idéologique occidental en ce qui a trait à la représentation féminine. À travers le regard d’Amy, incarnant l’archétype de l’immigrante, la réalisatrice Maïmouna Doucouré nous donne savamment à voir les faiblesses des mœurs occidentales en même temps qu’elle donne à voir les défaillances des mœurs traditionnelles, propres à la culture d’origine de sa protagoniste. Il s’agit presque d’un concept interactif, en ce sens que le regard du public pose un jugement critique sur les comportements culturels d’Amy et sa famille, tandis que le regard d’Amy appose un jugement critique sur la société occidentale. Car on ne se connait jamais vraiment que par le regard d’autrui et, en mettant en scène cette dualité du double regard de l’autre en une seule et même expérience cinématographique, la réalisatrice franco-sénégalaise met de l’avant ce constat: la compréhension de soi-même et l’introspection, lorsqu’elles se font sans intersubjectivité, ne mènent que très rarement vers une dialectique féconde.

Premier pôle

La scission identitaire qui s’opère à l’intérieur d’Amy passe avant tout par le sentiment qu’elle n’est pas à sa place dans le monde. En effet, elle cherche, à bouchées doubles, un sentiment d’appartenance identitaire, en ce sens qu’elle évolue dans un univers social où les constructions identitaires l’encouragent à adopter certaines mœurs et son milieu familial la pousse à en adopter d’autres. Le film met en lumière de façon brillante les schèmes malsains auxquels une personne peut être confrontée lorsqu’elle est jetée dans la fosse aux lions qu’est le monde social. Dans ce cas précis, cet univers social se trouve à être l’environnement scolaire dans lequel évolue la jeune fille.

Le thème de l’adaptation, en filigrane de l’œuvre, se laisse contempler par le public dans ce milieu académique où la protagoniste se trouve projetée et qui ne pardonne que très peu à celui ou celle qui tenterait d’échapper à ce microcosme de réalités sociales. Amy y rencontre ses nouvelles amies qui ont déjà internalisé les constructions sociales occidentales ou, pour employer le lexique philosophique existentialiste, la facticité.

Cette facticité, représentant tout ce qui forme l’identité et ce qui nous construit socialement, est au centre de ce désir d’adaptation chez la protagoniste. Amy tente d’aligner la facticité de ses amies avec la sienne par souci d’intégration; c’est-à-dire qu’elle cherche à émuler les comportements sociaux et identitaires de celles-ci. Le public assiste à une internalisation en temps réel de la facticité occidentale par la protagoniste. Il s’agit, à mon sens, d’un grand accomplissement pour Doucouré d’avoir mis en scène ce concept. Elle y arrive, encore une fois, par le regard. Le public observe cette internalisation à chaque regard envieux d’Amy envers ses amies qui forment un groupe duquel elle est résolument exclue, faute de pratiquer les mêmes mœurs qu’elles. Petit à petit, elle arrive à se joindre au groupe en intégrant leur manière d’être, et, plus précisément, leur façon de danser.

Le film a récolté sa part de critiques et même de procès en ce qui concerne les chorégraphies exécutées par les jeunes actrices, jugées par certains comme étant de la pornographie juvénile. Le Texas a d’ailleurs entrepris des démarches judiciaires contre Netflix à ce sujet. Malgré ces images choquantes, de telles critiques sont, selon moi, infondées. Le public ne devrait pas adhérer à ce puritanisme irréfléchi pour la simple et bonne raison qu’un des buts de ce film était de peindre une critique de l’hypersexualisation de la jeune femme occidentale. C’est d’ailleurs ce que font ces scènes de danse avec justesse; elles provoquent un malaise qui doit aussi aller de pair avec une dysphorie en rapport avec l’objectification sexuelle de la jeune femme qui participe à la néantisation de sa subjectivité dès ce très jeune âge. L’hypersexualisation, étant déjà une concept d’objectification de la femme pour‑l’homme, devient encore plus malsaine dans ce contexte, car elle se trouve à être émulée par des jeunes filles qui ne sont pas encore des femmes.

Chercher à censurer ce film, c’est chercher à censurer la réalité sociale qu’il dénonce. C’est se mettre la tête dans le sable et échouer à analyser sa propre société et ses comportements. Cependant, il est vrai que les scènes de danse ont tendance à prendre un peu trop de place dans le film et qu’il s’agit peut-être d’une maladresse de la part de la réalisatrice d’avoir accordé trop d’importance à celles-ci par rapport à d’autres scènes plus subtiles qui auraient pu véhiculer le même propos. À trop vouloir montrer ce qu’elle voulait dénoncer, la réalisatrice s’est peut-être piégée elle-même en laissant la porte grande ouverte à une herméneutique non désirée de glorification de tels comportements.

Deuxième pôle

Cette façon d’être pour-autrui, comme Jean-Paul Sartre ou Frantz Fanon l’évoquaient respectivement dans L’Être et le Néant et Peau noire, masques blancs, ne se réduit pas simplement au contexte social dans lequel grandit Amy, mais est également présente dans sa situation familiale et les traditions de sa culture d’origine. C’est la cause principale du déchirement de son être. À plusieurs reprises, la grand-mère d’Amy lui répète qu’elle doit apprendre à être une vraie femme. L’épitome de cette « vie » de femme semble être le mariage, l’obéissance au mari et la procréation. Absolument tout semble être en fonction du mari et pour-le-mari. Ce qui incarne le mieux ce propos est que le père d’Amy est complètement absent du film et, pourtant, il y occupe une place centrale malgré le fait qu’il se trouve au Sénégal. L’œuvre de Doucouré donne à voir que la mère d’Amy est également forcée par la tradition culturelle à adhérer à cette dynamique du pour-autrui. Elle va même jusqu’à préparer une chambre pour son mari et sa deuxième épouse, qui restera inoccupée pour l’intégralité du film et dont l’accès est interdit. Plusieurs autres scènes montrent au public la profonde tristesse de la mère d’Amy en ce qui concerne cette situation de polygamie, mais également dans le fait qu’elle ne semble pas être en mesure de faire de choix existentiels pour-elle-même.

Doucouré met également l’accent sur une métaphore filée qui renchérit cette dichotomie entre mœurs traditionnelles et mœurs occidentales: le motif récurent de la robe africaine d’Amy constamment mise en contraste avec les vêtements inappropriés qu’elle porte lorsqu’elle danse avec ses amies. Par exemple, la scène où Amy hallucine du sang qui coule le long de la robe qu’elle était censée porter pour le deuxième mariage de son père incarnerait peut-être le sacrifice et la douleur qu’elle devra endurer si elle venait à choisir la facticité traditionnelle.

Le public observe donc la protagoniste être tour à tour sous le joug des pressions de ces pôles radicaux du pour-autrui. Tous les deux représentent les antithèses de la pensée féministe existentielle de Simone de Beauvoir. Le féminisme de ce film se trouve dans le fait de transcender ces deux pôles, et c’est ce que semble faire ultimement Amy en choisissant d’adhérer ni à l’un ni à l’autre. Ce faisant, elle se trouve dans l’existence pure, dans le pour-soi. Son choix final de ne pas porter la robe traditionnelle ni les vêtements inappropriés pour son âge et plutôt de choisir des vêtements de type « neutre » tend vers l’idée qu’elle a choisi consciemment de transcender les deux types de facticité pour en arriver à un état existentiel où elle créerait son propre sens dans le monde plutôt que de se le voir imposer. Les dernières images du film montrent une héroïne existentielle en paix avec son identité et prête à affronter le monde en créant du sens pour-elle-même.

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Antiracisme à McGill: des explications de l’administration https://www.delitfrancais.com/2020/10/20/antiracisme-a-mcgill-des-explications-de-ladministration/ Tue, 20 Oct 2020 13:13:25 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38433 En conférence de presse, des membres de l’administration mcgilloise ont discuté de leur Plan de lutte contre le racisme anti-noir.

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Le 14 octobre dernier, l’administration de l’Université McGill a convié les médias étudiants à une conférence de presse au sujet de son Plan de lutte contre le racisme anti-noir, dévoilé le 30 septembre dernier. Les journalistes du Bull & Bear, du Délit et du Daily ont pu poser leurs questions à la Pre Angela Campbell (vice-principale adjointe à l’équité et aux politiques académiques) et au Pr Christopher Manfredi (vice-principal exécutif et vice-principal aux études). 

Iconographie et toponymie

En ce qui a trait à la statue de James McGill sur le campus du centre-ville, la Pre Campbell a expliqué que l’administration universitaire a choisi d’installer une plaque de contextualisation historique avant la fin de la session d’automne 2020. Cette plaque, qui sera conçue par des expert·e·s en histoire, mettra en lumière les liens entre le fondateur de l’Université, le colonialisme et la traite transatlantique des esclaves. La décision d’installer la plaque était un geste urgent en réponse à la polémique récente entourant la statue, a affirmé la Pre Campbell. Une décision quant au lieu le plus adéquat pour la statue – le lieu actuel n’est d’ailleurs pas exclu d’emblée – devrait être atteinte avant la fin de l’année bicentenaire de l’Université McGill, qui s’entamera en mars 2021. Cette décision serait le résultat de consultations à grande échelle avec la communauté mcgilloise, a expliqué le Pr Manfredi.

Interrogée sur la possibilité de renommer des bourses mcgilloises en l’honneur des personnes contraintes à l’esclavage par James McGill, la Pre Campbell a affirmé qu’aucune décision n’avait été prise à ce sujet. Le Pr Mandredi a quant à lui rappelé, comme il l’a fait à plusieurs reprise durant la conférence de presse, certaines conclusions du rapport final (en anglais seulement) du Groupe de travail sur les principes régissant la commémoration et les changements de nom. Ce rapport publié en décembre 2018 affirmait entre autres que renommer des lieux ne devrait pas être la première option et qu’il fallait contextualiser l’histoire plutôt que l’effacer. 

Cette réponse, conjuguée à une affirmation de la bonne foi de l’Université, a également été offerte par le Pr Manfredi à la suite d’une question portant sur la possibilité d’excuses officielles de McGill envers ses communautés noires et autochtones, une demande de la lettre ouverte «Enough Is Enough: Take James McGill Down». Les médias étudiants mcgillois n’ont pas obtenu de réponse officielle de l’administration à ce sujet lors de la conférence de presse.

Responsabilité étudiante, facultaire et universitaire

Les médias étudiants de McGill ont pu interroger les professeur·e·s Manfredi et Campbell sur les mécanismes qu’emploierait l’Université pour s’assurer de la mise en oeuvre du Plan de lutte par ses membres et institutions responsables. 

La Pre Campbell a affirmé que, comme pour le module «Ça nous concerne toutes et tous» (It Takes All of Us), un refus de compléter le module d’apprentissage en ligne sur le racisme systémique restreindrait l’accès des étudiant·e·s à leur relevé de notes. Quant aux comportements racistes perpétrés par des étudiant·e·s qui menaceraient le climat de respect de l’Université, le Pr Manfredi a souligné que ces comportements étaient susceptibles de sanctions disciplinaires conformément au Code de conduite de l’étudiant·e et procédures disciplinaires

En ce qui a trait au corps professoral, les professeur·e·s Campbell et Mandredi ont répondu aux questions soulevées par les médias étudiants sur le cinquième élément d’action du volet «expérience étudiante» du Plan de lutte, appelant à développer l’inclusion et la diversité dans les contenus de cours. La Pre Campbell a d’abord clarifié qu’il ne serait pas question de vérifier les plans de cours pour s’assurer de leur niveau d’inclusion. L’objectif serait plutôt d’offrir les ressources nécessaires aux professeur·e·s souhaitant assurer un curriculum inclusif et respectueux, notamment grâce aux services du Soutien à l’enseignement et à l’apprentissage (Teaching and Learning Services). Questionnée davantage sur la nature volontaire de cette mesure, la Pre Campbell a affirmé que favoriser l’inclusion au sein de l’environnement de classe serait vu d’un bon oeil par les directeur·rice·s de département lors de l’attribution de prix d’excellence en enseignement: ce renforcement positif agirait à titre de mécanisme de responsabilité pour les professeur·e·s. Il ne serait pas question d’appliquer des sanctions disciplinaires en raison d’un curriculum insuffisamment inclusif, a ajouté la Pre Campbell, qui a également tenu à souligner que bon nombre de professeur·e·s souhaitaient savoir comment faire mieux et comment en faire plus pour favoriser l’inclusion et la diversité. 

Je crois qu’il est important que nous nous tenions toutes et tous responsables afin d’assurer que le racisme anti-noir diminue au sein de notre communauté

Pr Christopher Manfredi

L’Université s’est quant à elle engagée à être transparente dans la réalisation des éléments d’action du Plan de lutte en publiant son progrès sur un site web et en continuant à dialoguer avec des membres de la communauté noire mcgilloise, a expliqué le Pr Manfredi. Elle planifie aussi engager une personne qui s’occuperait exclusivement de la mise en oeuvre du Plan. Au-delà des mécanismes officiels de responsabilité, le Pr Manfredi a souligné que l’Université n’est pas qu’une administration: elle est composée de ses étudiant·e·s et ses employé·e·s. «Je crois qu’il est important que nous nous tenions toutes et tous responsables afin d’assurer que le racisme anti-noir diminue au sein de notre communauté. Nous devons toutes et tous nous assurer que nous faisons notre part», a‑t-il dit. 

Expérience personnelle

Les médias étudiants de l’Université McGill ont ensuite pu entendre les professeur·e·s Campbell et Manfredi partager leur expérience personnelle en lien avec l’élaboration du Plan de lutte. Le Pr Manfredi a tenu à souligner que le tout avait été une expérience enrichissante lui ayant permis d’en apprendre davantage sur la spécificité de l’expérience du racisme anti-noir tout en travaillant avec des gens qu’il connaissait de longue date – notamment des membres du Comité professoral noir Dr Kenneth Melville – sur quelque chose qui leur était cher. La Pre Campbell a quant à elle souligné l’importance d’avoir un moment où les voix et les expériences noires de McGill étaient à l’avant-plan. Selon elle, c’était quelque chose qui aurait dû arriver depuis longtemps, et il est triste qu’une tragédie planétaire ait été nécessaire pour y arriver, a‑t-elle affirmé, faisant référence à la répression du mouvement «La vie des Noir·e·s compte» (Black Lives Matter) au cours des derniers mois. 

En conclusion, le Pr Manfredi a tenu à souligner deux aspects du Plan de lutte. Selon lui, ce dernier aurait à la fois une valeur pratique en tant que moteur d’action contre le racisme anti-noir, mais également une valeur pédagogique, en éduquant la communauté mcgilloise sur l’importance d’agir, surtout en ce moment. Enfin, le Plan de lutte ne serait pas qu’une politique ou une régulation, selon lui, mais plutôt un document vivant et dynamique, modelé par les conversations continues entre l’administration universitaire et les communautés mcgilloises noires. 

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La philosophie comme mode de vie https://www.delitfrancais.com/2020/10/20/la-philosophie-comme-mode-de-vie/ Tue, 20 Oct 2020 13:12:13 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38392 Pierre Hadot et l’authenticité de la philosophie vécue.

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Quelle est la mission de la philosophie en tant que discipline? C’est à cette question fondamentale que le philosophe français Pierre Hadot tente de répondre dans son livre, Qu’est-ce que la philosophie antique?

La thèse principale de Hadot est que la philosophie antique, qui est à ses yeux la philosophie authentique puisque c’est la philosophie originale, est d’abord et avant tout le choix d’un mode de vie destiné à atteindre la sagesse. Ce choix de mode de vie est plus important que les conceptions théoriques qui l’accompagnent, car ces conceptions ont pour but premier de justifier ledit choix. La façon dont Hadot conçoit la philosophie est radicale, car elle implique que la théorie philosophique seule, peu importe sa qualité, ne puisse jamais être de la philosophie authentique. Toutefois, même si Hadot donne la priorité au choix du mode de vie philosophique, il croit aussi que faire un choix de vie qui ne serait appuyé sur aucune conception philosophique théorique ne pourrait pas être considéré comme de la philosophie authentique.

Pour comprendre de manière plus intuitive le caractère radical de la position de Hadot, considérons une personne végétalienne. Si le choix de mode de vie de cette personne est motivé par des considérations éthiques définies, elle mériterait alors d’être appelée «philosophe», davantage qu’un professeur de philosophie qui connaîtrait tout sur les différentes doctrines philosophiques, mais qui mènerait un mode de vie sans mesures particulières destinées à atteindre la sagesse.

Les écoles philosophiques, d’hier à aujourd’hui

En effet, la philosophie scolaire occidentale contemporaine est le contre-exemple type contre lequel Hadot érige son idéal de philosophie comme mode de vie. La différence entre la philosophie scolaire actuelle et la philosophie antique se ressent beaucoup dans l’expérience du novice qui veut s’initier à la philosophie, selon Hadot: «C’est le hasard qui décidera si [l’élève de philosophie contemporain] rencontre un professeur appartenant à “l’école” phénoménologique ou existentialiste ou déconstructionniste ou structuraliste ou marxiste. Peut-être adhérera-t-il un jour intellectuellement à l’un de ces ismes. Quoi qu’il en soit, il s’agira d’une adhésion intellectuelle, qui n’engagera pas sa manière de vivre, sauf peut-être dans le cas du marxisme. Pour nous autres modernes, la notion d’école philosophique évoque uniquement l’idée d’une tendance doctrinale, d’une position théorique.»

Dans l’Antiquité, au contraire, c’est en fonction du mode de vie pratiqué dans chaque école philosophique que l’étudiant décide des cours auxquels assister – et ultimement, de l’école à laquelle adhérer. Dans son œuvre, Hadot revient sur chacun des modes de vie qui étaient pratiqués dans les principales écoles de philosophie antique: l’Académie de Platon, le Lycée d’Aristote, le Jardin d’Épicure et la Stoa de Zénon, ainsi que ceux pratiqués dans les courants philosophiques moins populaires de l’époque, le cynisme et le scepticisme. Le point commun de tous ces modes de vie est leur but – ce but même de la philosophie selon Hadot: vivre en tendant le plus possible vers la sagesse. Résumer tous ces modes de vie ne répondrait pas à l’objectif de cet article, mais il peut être tout de même pertinent d’utiliser l’exemple du mode de vie cynique pour illustrer la manière dont Hadot conçoit la priorité du mode de vie sur la théorie philosophique.

Le point commun de tous ces modes de vie est leur but – ce but même de la philosophie selon Hadot: vivre en tendant le plus possible vers la sagesse

Diogène le cynique, de loin la figure la plus connue de ce mouvement, aurait été décrit par Platon comme un «Socrate devenu fou». Cette description frappante provient du fait que Diogène vit un mode de vie hors de l’ordinaire, autant pour les non-philosophes que pour les autres philosophes: il vit au jour le jour, sans toit, il méprise l’argent et ne recherche aucune position stable dans la Cité. Il lui arrive même de se masturber en public. Quand il fait très froid, il reste dehors, déterminé à braver une telle épreuve. Bref, Diogène ne se préoccupe absolument pas des normes sociales qui règnent autour de lui.

À première vue, on pourrait penser que Diogène n’est en effet qu’un Socrate fou, et donc considérer qu’il n’est pas digne d’une attention philosophique. Pourtant, Hadot fait valoir que son mode de vie radical est éminemment philosophique. En effet, la philosophie cynique est basée sur la notion théorique selon laquelle «l’état de nature», que l’on reconnaît chez les animaux ou les enfants, est supérieur aux «conventions» de la civilisation. Ainsi, sans cesse défier les conventions permet au cynique de vivre selon son état de nature et de développer une indépendance et une force de caractère extraordinaires. Cette indépendance est synonyme de liberté et de sagesse pour lui. Endurer la faim et les intempéries est ainsi un exercice spirituel pour les cyniques, qui recherchent la tranquillité d’une âme pouvant s’adapter à toutes les circonstances.

Le cas des cyniques est très révélateur pour la conception philosophique de Hadot, et ce, pour deux raisons. D’abord, ce cas démontre que, sans théorie soutenant le mode de vie cynique, celui-ci n’aurait rien de philosophique. Ensuite, il révèle que l’on peut vivre un mode de vie philosophique basé sur une théorie simple et très minimale. Ainsi, l’exemple des cyniques soutient la thèse de Hadot selon laquelle la philosophie antique est d’abord et avant tout un mode de vie orienté vers la sagesse.

Hadot fait aussi valoir que certaines écoles antiques aux dogmes très différents proposent toutefois les mêmes exercices spirituels à leurs disciples, ce qui porte à croire à la primauté du mode de vie sur la théorie. Par exemple, les stoïciens et les épicuriens, bien qu’ils valorisent deux notions différentes en tant que valeur suprême (l’intention morale et le plaisir), vont tous deux recommander à leurs disciples de vivre chaque jour comme si c’était leur dernier.

La plus grande différence entre les écoles antiques et contemporaines est l’aspect communautaire et ascétique du mode de vie des premières. En effet, les écoles antiques ont plus en commun avec les monastères chrétiens qu’avec les écoles contemporaines: les élèves et les maîtres de l’Antiquité vivent ensemble chaque jour, mangent ensemble, apprennent ensemble et font leurs exercices spirituels ensemble dans l’espoir de contrôler leurs passions et de se rapprocher de la sagesse. Dans un climat autant axé vers le mode de vie philosophique quotidien, il n’est pas surprenant que celui-ci soit plus important que la théorie quand vient le temps pour les étudiants de choisir l’école dans laquelle ils vivront leur apprentissage ou même la majeure partie de leur vie.

Le christianisme et la philosophie théorique

Si l’on accepte la thèse de Hadot et que l’on considère la philosophie authentique comme un mode de vie vers la sagesse, deux questions importantes demeurent: comment cette conception de la philosophie s’est-elle autant marginalisée avec le temps et, néanmoins, pourquoi perdure-t-elle?

Pour Hadot, il n’y a pas d’hésitation quant à la cause du déclin de la philosophie antique telle qu’il la conçoit: la montée en puissance du christianisme en est le facteur premier. Il en est ainsi parce que le christianisme s’est d’abord présenté comme une philosophie aussi, c’est-à-dire comme un mode de vie basé sur une conception théorique, la théologie. Toutefois, la domination du christianisme crée une diffusion du mode de vie chrétien, qui vient à ne plus être considéré comme une philosophie, mais plutôt comme le mode de vie capable de sauver notre âme. À partir du 3e siècle, seul le néoplatonisme (que l’on peut considérer comme une fusion du platonisme et de l’aristotélisme) subsiste en tant qu’école philosophique. Or, le discours néoplatonicien sera utilisé par les Pères de l’Église afin de développer la théologie chrétienne. C’est à ce moment-là que la philosophie, qui fut un mode de vie vers la sagesse, devient plutôt l’esclave de la théologie. Les modes de vie antiques sont dès lors perçus comme superflus, maintenant que la philosophie révélée (le christianisme) propose le seul mode de vie salvateur. Ainsi, seul le discours philosophique théorique est maintenu.

Ce que Hadot déplore de la philosophie scolaire contemporaine, c’est qu’elle a comme unique but d’informer ses élèves, tandis que la philosophie antique telle qu’il la conçoit avait plutôt pour but de les former en tant que personnes sages et même de les transformer via leurs habitudes de vie

Au Moyen Âge, la création des universités et la diffusion des textes traduits d’Aristote renforcent l’aspect purement théorique de la philosophie. «La philosophie» devient synonyme de la théorie aristotélicienne, tandis que le métier de professeur de philosophie devient celui de commenter les œuvres d’Aristote et de résoudre les problèmes d’interprétation qui en découlent. Cette conception de la philosophie, la scolastique, est l’ancêtre de celle qui domine dans les universités aujourd’hui, c’est-à-dire la conception de la philosophie comme un système de connaissances. Selon Hadot, une autre grande vague dans ce sens a été l’idéalisme allemand: «La domination de l’idéalisme sur toute la philosophie universitaire, depuis Hegel jusqu’à l’avènement de l’existentialisme, puis la vogue du structuralisme, ont contribué largement à répandre l’idée selon laquelle il n’y a de vraie philosophie que théorique et systématique.»

La résurgence intermittente de la conception antique

Même si l’enseignement de la philosophie occidentale devient purement théorique avec le christianisme, Hadot nomme plusieurs exemples de penseurs qui ont ressuscité la conception antique de la philosophie pendant l’ère chrétienne. Entre autres, au 14e siècle, le poète Pétrarque rejette l’idée d’une éthique purement théorique après avoir remarqué que lire et commenter les traités d’Aristote n’avait pas fait de lui une meilleure personne. Il écrit alors une formule qui est tout à fait alignée avec ce que Hadot revendique: «Il est plus important de vouloir le bien que de connaître la vérité.»

Les autres exemples de philosophes restituant la conception antique de la philosophie que donnent Hadot comprennent Érasme, Montaigne, Kant, Wittgenstein et bien d’autres. Toutefois, la philosophie scolaire, elle, semble vouée à continuer sur sa voie théorique.

Qu’en est-il de la philosophie antique de nos jours?

Ce que Hadot déplore de la philosophie scolaire contemporaine, c’est qu’elle a comme unique but d’informer ses élèves, tandis que la philosophie antique telle qu’il la conçoit avait plutôt pour but de les former en tant que personnes sages et même de les transformer via leurs habitudes de vie. Malgré la disparition de la conception antique dans l’enseignement, Hadot considère que la présence de penseurs comme Kant et Wittgenstein donne espoir quant à la possible réactualisation de la philosophie antique de nos jours. Mais pourquoi donc survit cette conception de la philosophie, telle un village d’irréductibles Gaulois?

La réponse que nous fournit Hadot va droit au but: c’est parce que les modes de vie des écoles philosophiques antiques correspondent à des attitudes permanentes et fondamentales qui s’imposent à tout être humain lorsqu’il recherche la sagesse. Hadot remarque par exemple, en faisant appel à la philosophie comparée, que plusieurs sages chinois présentent des pratiques et des attitudes semblables à celles des stoïciens. Autrement dit, peu importe l’endroit ou l’époque où nous vivons, Hadot considère que tant que nous aurons le désir de devenir sages, nous nous efforcerons d’abord de modifier notre mode de vie afin de devenir davantage maîtres de nous-mêmes, plus vertueux, cela avant même d’entreprendre une recherche de la vérité.

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Photoreportage https://www.delitfrancais.com/2020/10/20/photoreportage-7/ Tue, 20 Oct 2020 13:10:19 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38410 50 ans après la crise d’Octobre, le Mouvement des Jeunes Souverainistes avance des revendications.

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Le 16 octobre dernier à 19h, des centaines de militant·e·s indépendantistes québécois·es se sont rassemblé·e·s devant la statue de George-Étienne Cartier afin de commémorer les 50 ans de la crise d’Octobre. En octobre 1970, à la suite de l’enlèvement du diplomate britannique James Richard Cross et du ministre provincial du Travail Pierre Laporte par le Front de Libération du Québec (FLQ), Ottawa a mis en vigueur la Loi sur les mesures de guerre et a fait arrêter des centaines de militant·e·s nationalistes québécois·es. Cet événement a profondément marqué le Québec.

Les revendications de cette manifestation organisée par le Mouvement des Jeunes Souverainistes (MJS), un groupe qui s’est formé à la suite des dernières élections fédérales et qui regroupe aujourd’hui plus de 2 300 membres, se résumaient en quatre points: 

  1. Retirer la statue de John A. Macdonald, premier premier ministre canadien et figure controversée en raison de ses liens à l’esclavage et au racisme;
  2. Remplacer cette statue par une statue de Louis Riel, militant métis et anti-colonialiste du 19e siècle;
  3. Adopter le français comme langue dans les milieux de travail;
  4. Obtenir qu’Ottawa cautionne la libération des prisonniers politiques en Catalogne.

Après les discours de certain·e·s militant·e·s, dont Émile Bilodeau, auteur-compositeur-interprète québécois, la manifestation s’est déplacée à travers les rues de Montréal. Notre photographe Magali Thouvenin raconte en images.

«Aujourd’hui, on marche en l’honneur de tous ceux et celles qui ont marqué notre histoire collective. Nos demandes sont claires: nous voulons un pays libre, inclusif et […] à part entière.» – Extrait du discours d’un organisateur.

À 4h00 du matin le 16 octobre 1970, le gouvernement fédéral met en vigueur la Loi sur les mesures de guerre, qui permet aux forces policières d’arrêter et de détenir pendant 90 jours n’importe quel individu, avec ou sans mandat ou justification. Au cours de cette seule journée, environ 450 personnes ont été arrêtées, dont Gérald Godin, poète indépendantiste et futur député du Parti Québécois et Pauline Julien, autrice-compositrice engagée.

«Le FLQ, pour moi, c’est un mouvement social avant toute chose. C’est un mouvement féministe, syndicaliste […]. C’est un mouvement contre la division des classes. […] On est ici pour affirmer notre identité et pour montrer qu’un Québec libre, c’est ce qu’on veut.» – Une organisatrice de la manifestation.

Ce manifestant brandit un drapeau tricolore, une référence aux Patriotes. Ce groupe politique a soulevé deux rébellions populaires contre le pouvoir britannique en 1837 et 1838. Bien que les révoltes aient été réprimées en peu de temps, ce drapeau demeure encore aujourd’hui un symbole des aspirations nationalistes québécoises.

Certain·e·s manifestant·e·s arboraient le drapeau de la Catalogne, un geste de solidarité envers la lutte souverainiste de cette région de l’Espagne. «Le MJS est un mouvement pour les luttes d’autodétermination de tous les peuples: je parle de la Catalogne, de la Palestine, d’Écosse, des Premiers Peuples», a affirmé une membre du MJS.

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