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Renouveau instrumental pour Daniel Bélanger

Travelling ou voyage au cœur des univers filmiques et éclectiques d’un grand musicien.

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Avec Travelling, album paru le 2 octobre dernier, Daniel Bélanger délaisse la chanson et fait le saut vers la musique instrumentale. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un terrain inconnu pour le musicien qui a déjà composé la bande sonore de plusieurs films et qui incorpore fréquemment quelques pistes sans paroles à ses disques, Travelling est son premier album entièrement instrumental. Il faut dire que les disques instrumentaux néo-classiques ont la cote ces temps-ci : on peut penser notamment à l’ascension fulgurante d’Alexandra Stréliski au Québec ou au succès de musiciens comme Ludovico Einaudi à l’international. Les amateur·rice·s de ce style musical pour qui le piano solo peut toutefois devenir lassant trouveront sans doute leur compte dans Travelling, album dans lequel Bélanger joue sa carte de multi-instrumentiste en superposant entre autres guitares acoustiques et électriques, banjo, sifflet, voix, saxophone, percussions et flûte. Il est accompagné de quelques collaborateur·rice·s dont plusieurs violonistes et altistes ainsi que par la trompette de l’excellent Jacques Kuba Séguin. Le tout résulte en une panoplie de sonorités et de couleurs qui se rencontrent pour plonger l’auditeur·rice au cœur de divers tableaux imaginaires.

Travelling emprunte beaucoup au monde de la musique de film

En fait, Travelling emprunte beaucoup au monde de la musique de film, comme l’indique son nom qui évoque à la fois le voyage et le mouvement de caméra éponyme. Dès les premières notes du morceau « Apertura »courte pièce lyrique qui ouvre l’album, on a l’impression d’écouter le générique d’ouverture d’un film monochrome de l’âge d’or hollywoodien. S’ensuit « Froide était la gâchette », trame sonore qui siérait parfaitement à une scène de cowboy solitaire arpentant les grands espaces de l’Ouest américain dans un film de Sergio Leone. Bélanger semble ici s’inspirer d’Ennio Morricone, compositeur généralement associé aux films de Leone, en reprenant des traits musicaux caractéristiques du western spaghetti : de la voix soprano surplombant l’arrangement orchestral au banjo en passant par le sifflet. Toutefois, Bélanger teinte résolument le style d’une touche moderne bien à lui. On pourrait tout à fait retrouver « Froide était la gâchette » au sein de la bande sonore d’un néo-western réalisé par les frères Coen.

Bélanger teinte résolument le style d’une touche moderne bien à lui

On rencontre ces touches morriconesques à plusieurs reprises dans l’album, notamment au début de la piste « Le triomphe d’une perruche » qui, après quelques mesures, adopte toutefois son style et sa personnalité bien à elle. Il faut souligner que jamais dans l’histoire de la musique une perruche n’aura évoqué quelque chose d’aussi grandiose chez un·e auditeur·rice. Dans « Un grillon au parc national », Bélanger joue avec les codes musicaux du film noir et du thriller d’espionnage. On imagine bien ce James Bond des locustes en périlleuse mission secrète à travers la biodiversité d’une prairie de la Sépaq. La pièce culmine avec une conclusion épique alliant percussions dynamiques, chorale solennelle ainsi que trompette victorieuse : mission accomplie pour notre héroïque grillon.

Sans que l’on puisse reconnaître un style cinématographique dans chacun des morceaux de Travelling, ceux-ci incarnent sans conteste des scénarios que l’auditeur·rice pourra mettre en scène à sa manière. Piano et voix mélancolique font souffler un vent endeuillé sur « Rupture élastique en milieu propice », alors que la légèreté de « La flûte atomique » suggère une ambiance détendue et même comique digne d’un jeu vidéo d’arcade des années 1990. Dans l’éclectique « Chanter », on a l’impression de découvrir une nouvelle pièce toutes les vingt secondes. Le morceau, qui, au départ, n’a rien d’extraordinaire, évolue dans toutes sortes de directions en ayant recours notamment à des voix d’enfants et à une flûte traversière disjonctée.  Il appartiendra cependant à chacun·e d’apposer l’étiquette qu’il ou elle voudra sur les fenêtres vers les mondes imaginaires du compositeur que constituent les pistes de l’album. À chacun de se faire son cinéma.

La forme purement instrumentale du style musical caractéristique de Bélanger constitue un filon que l’artiste gagnerait résolument à exploiter davantage

Travelling est une œuvre qui survient au moment le plus opportun, alors que le Québec se reconfine tranquillement pour une période indéterminée. Il s’agit d’un album réussi et original aux couleurs variées qui mérite une écoute attentive. La forme purement instrumentale du style musical caractéristique de Bélanger constitue un filon que l’artiste gagnerait résolument à exploiter davantage. Ceux et celles qui s’ennuient de la poésie que l’on retrouve généralement dans les paroles de ses chansons pourront patienter en lisant les titres saugrenus des morceaux musicaux de Travelling. Avec son dernier opus, Daniel Bélanger nous permet de nous évader et réitère son statut de musicien de grand talent ainsi que de figure phare de la scène musicale québécoise. 


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