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McGill paye-t-elle ses professeur·e·s équitablement ?

McGill est l’université québécoise qui accorde le plus de primes méritocratiques à son personnel académique.

Magali Thouvenin | Le Délit

Comparée aux autres universités québécoises, McGill a tendance à rémunérer ses professeur·e·s de manière beaucoup plus méritocratique. En effet, chaque année, McGill accorde à ses professeur·e·s des augmentations salariales basées sur la performance et le mérite (performance-based merit increase). Cette année, en raison de la COVID-19, l’administration n’évaluera pas ses employé·e·s selon leur performance actuelle, mais décernera tout de même des augmentations reliées au mérite. 

Lors de la révision annuelle des salaires, les employé·e·s sont classé·e·s sur une échelle de 1 à 5, selon leur performance académique (articles et livres publiés ; conférences, cours et séminaires donnés ; mémoires de maîtrise et thèses de doctorat appuyés ; etc.) de l’année. À chaque palier de cette échelle est associée une certaine augmentation. Le montant que représente chaque palier varie d’année en année, exception faite de la catégorie 5, plus faible performance possible, qui est fixée à 0$. Par exemple, pour l’année fiscale 2020, une performance de catégorie 1 correspond à une augmentation de 4 400$, alors qu’en 2015, le montant pour cette même catégorie était de 7 150$. 

Adaptation pour la COVID-19

Cette année, afin de remédier aux inconvénients occasionnés par la COVID-19, l’administration a temporairement modifié sa méthode de calcul. Ce n’est pas la performance académique de l’année 2020 qui déterminera le classement des professeur·e·s, mais plutôt la moyenne de leurs performances pour les années fiscales 2018 et 2019. Ainsi, un·e professeur·e ayant été classé·e dans la catégorie 2 en 2018 et dans la catégorie 4 en 2019 recevra l’augmentation relative à la catégorie 3 en 2020. 

Gali Bonin | Le Délit Traduction du tableau des augmentations selon les catégories, tiré des Lignes directrices de l’établissement de la Politique salariale académique (Academic salary policy implementation guidelines) de l’Université McGill.

Un système qui date

Au cours des quinze dernières années, il n’est arrivé qu’une seule fois que McGill n’octroie pas ce genre d’augmentation, soit en 2013. Malgré ce gel de salaires, l’administration a tout de même accordé aux professeur·e·s adjoint·e·s une augmentation générale de 1%, afin de « préserver la compétitivité avec les pairs des autres universités ».

Sur cette même période, la valeur des primes a énormément varié. C’est en 2016 que les augmentations de catégorie 1 ont atteint leur sommet, correspondant à un montant de 7 850$, et en 2019 qu’elles sont tombées au plus bas, avec un montant de 2 015$. 

Performance et congés parentaux

Depuis sa mise en place, ce système n’a cessé d’évoluer. Une des importantes modifications faites dans les dernières années est la création des catégories 6 à 8 pour rendre compte de « circonstances particulières ». La catégorie 6 est associée à un montant fixe de 0$ et regroupe les personnes non-éligibles aux augmentations par le mérite, notamment les professeur·e·s adjoint·e·s ainsi que ceux et celles en congé de maladie prolongé. Le montant de la catégorie 7 varie d’année en année et fait office de prime individuelle accordée aux nouveaux·elles employé·e·s.

« Les personnes – surtout les femmes – qui prenaient un congé parental étaient pénalisées : elles allaient accuser un retard sur leurs collègues pour le restant de leur carrière » 

La catégorie 8 a été implantée en 2017 afin de remédier aux lacunes du système en ce qui à trait aux congés parentaux des employé·e·s. Avant 2017, le personnel en congé parental était classé dans la catégorie 6, avec une augmentation de 0$. Puisque les augmentations sont décernées en fonction de la performance, les personnes – surtout les femmes – qui prenaient un congé parental étaient pénalisées. De plus, comme il s’agit d’une augmentation permanente de salaire et non d’une simple prime ponctuelle, ces professeur·e·s allaient accuser un retard sur leurs collègues pour le restant de leur carrière. 

Ainsi, afin de pallier ces inégalités, l’administration a créé une huitième catégorie qui fonctionne sur le même mode que le système en vigueur pour l’année 2020. Selon la politique salariale académique en vigueur : « Pour les employé·e·s en congés associés à la naissance ou l’adoption d’un·e enfant durant la période de référence, peu importe la durée de ce congé, l’augmentation salariale attribuée au mérite sera calculé selon la moyenne des deux plus récentes performances au mérite..»

Un système largement critiqué

Un rapport de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) publié en 2018 met en lumière l’iniquité qu’occasionnent ces systèmes méritocratiques, insistant sur le « déséquilibre hommes-femmes, notamment dans l’attribution des salaires ». En 2016, au sein du personnel d’enseignement québécois, l’écart entre les salaires médians selon les genres était de 12%. À McGill, ce débalancement salarial peut être attribué au traitement longtemps réservé aux congés parentaux. Toutes les professeures ayant pris, avant 2017, au moins un congé de maternité durant leur carrière accusent encore aujourd’hui un retard sur leurs collègues. Dépendamment des années, ce déficit peut varier entre 550$ et 7 850$.

« L’année où on n’est pas là, on ne recrute pas [d’étudiant·e·s pour la maîtrise]. Alors quand on revient, on repart à zéro ! »

Une professeure de McGill

Selon des professeur·e·s rencontré·e·s par Le Délit, ce désavantage se fait aussi ressentir dans le contact avec les étudiant·e·s. Puisque les maîtrises et doctorats soutenus par les professeur·e·s sont comptabilisés dans le calcul de performance, le contact avec les étudiant·e·s au baccalauréat est très important. « L’année où on n’est pas là, on ne recrute pas, a souligné une professeure rejointe par Le Délit. Alors quand on revient, on repart à zéro. Donc, dans un an ou deux, quand on va évaluer le nombre de maîtrises que j’ai fait soutenir, je vais encore traîner ce moment où je n’ai pas été en contact avec les étudiant·e·s. »

De plus, puisque les montants associés aux catégories varient selon les années, McGill ne récompense pas de manière stable et cohérente des efforts similaires à travers le temps. Par exemple, si une professeure a eu une excellente année sur le plan académique en 2016 et a été classée dans la catégorie 1, elle aura reçu une augmentation de 7 850$. Si, trois ans plus tard, un de ses collègues a eu à son tour une année faste et a été classé dans la catégorie 1, son augmentation aura été de 2 015$. Ainsi, pour une performance jugée similaire, la récompense varie de manière plus ou moins équitable selon les années.

McGill, un cas unique au Québec

Cette méritocratie est plus importante à McGill que partout ailleurs au Québec. Les sommes que cette université réserve aux primes pour la performance dépassent largement le budget de toutes les autres universités. Selon la FQPPU, McGill aurait versé près de 25 millions de dollars en primes salariales à 1 448 professeur·e·s en 2017–2018. Avec cette première place, McGill est loin devant les deuxième et troisième positions, soit l’Université de Montréal (plus de 11 millions de dollars en primes) et Concordia (un peu plus de 5 millions de dollars en primes). 

Il en va de même pour les primes salariales de direction qui « regroupent les montants alloués à des professeurs qui occupent temporairement des fonctions de direction ». Toujours selon le rapport de la FQPPU, McGill aurait versé plus de 14 millions de dollars en 2016–2017 pour ces primes. Ce montant représente environ 75% de ce que toutes les universités québécoises réunies ont accordé à ce genre de primes, pour un total de plus de 18 millions. Le système méritocratique mcgillois forme donc un cas unique au Québec.


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