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Oléoducs : Trudeau dit oui

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a donné son feu vert pour deux des trois oléoducs à propos desquels il devait se prononcer avant la mi-décembre.

Hannah Raffin | Le Délit

Lors d’une conférence de presse tenue après son retour du sommet de la Francophonie, Justin Trudeau a annoncé que son gouvernement avait décidé d’appuyer la construction des oléoducs Kinder Morgan et Line 3. Il a cependant bloqué la construction du projet Northern Gateway.

Trudeau a commencé sa conférence en rappelant un des principes sur lesquels il a été élu : faire le lien entre l’économie et l’environnement. « Les électeurs ont rejeté la vieille mentalité qui dictait que ce qui est bon pour l’économie ne l’est pas pour l’environnement » a‑t-il expliqué. La formule est maligne : elle permet de poursuivre les politiques actuelles, et de se dédouaner de toute responsabilité écologique.

Bien qu’il essayait de projeter la confiance, Trudeau était toutefois bien sur la défensive. Il a rappelé qu’il avait mis un prix au carbone et a souligné qu’il avait l’accord de la Première Ministre Albertaine. Il a également mis l’emphase sur les 15 000 nouveaux emplois présumés, et a évoqué les moments qu’il a passés sur la côte ouest dans son enfance.

 

De quoi parle-t-on ?

Kinder Morgan, de loin l’oléoduc le plus polémique et médiatisé, vise à augmenter les capacités actuelles des transports de pétrole. Ce projet coûte quelques 6,8 milliards de dollars, et fera circuler l’or noir sur 1 150 kilomètres entre Edmonton en Alberta et la ville portuaire de Burnaby en Colombie Britannique. L’oléoduc ferait croître la capacité de transport actuelle de 300 000 à 890 000 barils de pétroles quotidiens. L’agence canadienne d’évaluation environnementale projette que Kinder Morgan causerait entre 13,5 et 17 mégatonnes d’émissions de gazes à effet de serre par an.

Line 3 est un projet organisé par la société pétrolière Enbridge Pipelines. S’il a été moins médiatisé, cet oléoduc a néanmoins des proportions bien comparables à son cousin de l’Ouest. Il vise à déplacer 760 000 barils quotidiennement entre Hardisty en Alberta jusqu’à Superior au Wisconsin ; un trajet 1 659 kilomètres. Le projet coûte 7,5 milliards de dollars.

Quant au Northern Gateway, l’oléoduc rejeté par le gouvernement fédéral, il s’agissait d’un projet de 7,9 milliards de dollars, qui aurait fait passer 525 000 barils tous les jours entre les 1 177 kilomètres qui séparent Bruderheim en Alberta et Kitimat en Colombie Britannique.

 

« C’est extrêmement, extrêmement décevant »

L’annonce n’a pas plu aux militants de Divest McGill, une organisation étudiante mcgilloise qui a pour objectif notoire de demander à l’Université de se séparer de ses investissements dans les énergies fossiles. Ceux-ci s’étaient d’ailleurs déplacés par dizaines à Ottawa le 24 octobre pour manifester contre le projet Kinder Morgan. Ils avaient fait parti des 99 étudiants arrêtés pour avoir franchi un barrage policier devant le Parlement fédéral.

« C’est n’importe quoi de dire que l’on protège l’économie et l’environnement quand on donne son accord pour trois oléoducs en un an » s’exclame Nicolas Protetch, militant de l’organisation. « Dire que le gouvernement lie écologie et économie est illusoire » ajoute Julia Epstein, « il ne fait qu’appuyer l’économie et ne se soucie pas des personnes réelles qui vont être affectés par cette décision. […] C’est extrêmement, extrêmement décevant ».

 

Indignations autochtones

Parmi les « personnes réelles » dont parle Epstein, il y a notamment les communautés autochtones, qui se sont largement positionnées contre les oléoducs.

Plusieurs communautés autochtones se sont en effet fermement opposées au projet Kinder Morgan ces dernières années. Entre autres, la nation Tsleil-Waututh, une communauté Salish de la côte, lutte contre l’agrandissement de l’oléoduc depuis mai 2014. Selon la cheffe Maureen Thomas, le projet est une violation de leurs droits territoriaux. Son accroissement représente également de nombreux risques environnementaux pour les conditions de vie de ses membres, qui vivent à proximité du terminal pétrolier de Burnaby. La communauté craint particulièrement les fuites de pétrole pouvant être occasionnées par le développement des capacités de l’oléoduc. Ces dites fuites sont susceptibles de détruire l’environnement marin dont les activités halieutiques de la communauté dépendent.

La nation Squamish s’était également opposée au projet « au nom des générations à venir ». En juin dernier, son équipe légale avait lancé une action en justice et demandé une révision judiciaire du rapport de l’Office National de l’Énergie. Cette dernière avait approuvé l’agrandissement du réseau de Trans Mountain, sous réserve du respect de 157 conditions.

Selon le chef Ian Campbell, les recommandations de l’Office National de l’Énergie ne faisaient pas assez cas des préoccupations et des intérêts de la nation Squamish. Ce rapport avait également été dénoncé par la nation Tsleil-Waututh. Le 28 novembre, la cheffe Maureen Thomas expliquait que l’approbation du projet allait à l’encontre des promesses de Justin Trudeau relatives aux affaires autochtones lors de sa campagne en 2015. Ce dernier s’était en effet engagé à bâtir une relation « de nation à nation », fondée sur la consultation, et à prendre en compte les revendications des Autochtones dans le processus de prise de décision.

 

Le revers de la médaille

Quelques personnes et organisations se sont toutefois félicitées de la position prise par le gouvernement. C’est notamment le cas de nombreux Albertains, qui, dû à la chute du cours du pétrole, vivent une crise économique assez grave. « Notre province a été brutalement affectée par la chute des prix des commodités », a expliqué Rachel Notely, la première ministre de l’Alberta qui est allée rencontrer Trudeau à Ottawa dès que l’annonce a été faite. Notely a expliqué que cela était la « lumière du jour » après une « longue nuit ». Même analyse pour Gary Leach, président de l’association canadienne des explorateurs et producteurs, qui a parlé d’« un grand jour pour l’industrie canadienne ».

Au delà des réjouissances pour les nouveaux oléoducs, certains ont aussi salué les interdictions. Sven Biggs de l’ONG Stand Earth par exemple, a expliqué que la proposition Northern Gateway était « dangereuse » et que le gouvernement avait bien fait de la bloquer. Il a néanmoins souligné son désaccord avec le reste de la ligne gouvernementale.

Ce qui est en tout cas clair, est que cette position vient encore affaiblir la lune-de-miel que s’est octroyée le gouvernement libéral, depuis son élection il y a un an. Si l’administration reste encore appréciée du grand public, sa prise de position vient, au fur et à mesure, miner sa base de sympathisants. Les membres de Divest McGill expliquaient par exemple en parlant du Trudeau il y a quelques semaines, que « s’il est pour les oléoducs, nous ne serons pas pour lui lors des prochaines élections ». Reste donc à savoir combien de temps le gouvernement pourra surfer sur sa vague de popularité avant qu’elle ne s’écrase.


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