Archives des Culture - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/artsculture/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Sat, 13 Apr 2024 23:27:43 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.4.4 Être libraire, ça consiste en quoi? https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/etre-libraire-ca-consiste-en-quoi/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55310 Entrevue avec Mario Laframboise, libraire à la librairie Gallimard de Montréal.

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Cette semaine, Le Délit a pu s’entretenir avec Mario Laframboise, libraire à la librairie Gallimard de Montréal. Il a répondu à nos questions sur son parcours, les responsabilités de son métier et les défis du quotidien auxquels il doit faire face.

Le Délit (LD) : Tout d’abord, peux-tu me parler un peu de toi et de ton parcours en tant que libraire?

Mario Laframboise (ML) : J’ai commencé par faire des études de théâtre à l’École Nationale de Théâtre du Canada (ENT) en écriture dramatique. J’ai obtenu mon diplôme en 2016. Dans le contexte de la pandémie, le théâtre, ça devenait compliqué pour moi, mais j’avais besoin de sortir de chez moi. J’avais déjà de l’expérience en vente, et lorsque j’ai eu l’opportunité de travailler pour la librairie Monet, j’ai sauté sur l’occasion. Je lisais beaucoup, j’ai toujours été un littéraire. Cet intérêt pour les arts m’a poussé à travailler chez eux. J’ai commencé dans l’entrepôt, avant de devenir libraire. Dès lors, j’ai commencé à avoir un gros coup de cœur pour ce métier. Alors que j’étais très intimidé par les libraires à l’époque, travailler dans ce domaine m’a incité à poursuivre sur cette voie. Après près d’un an et demi, un poste s’est libéré à Gallimard et j’ai postulé. C’est chez Gallimard que je me suis retrouvé comme à la maison. C’est là où je me suis dit : « Je veux faire carrière ». Cela fait maintenant trois ans et demi que je suis libraire.

« On est constamment confronté à nos angles morts de nos savoirs en tant que libraire. Plus on en sait, plus on se rend compte qu’on ne sait rien »

Mario Laframboise, libraire chez Gallimard à Montréal

LD : Qu’est ce qui te plait le plus dans ton métier?

ML : Le rapport aux clients, mais pas que. On a tendance à réduire le métier à ça, mais ce n’est pas seulement le cas. Ce que j’aime, c’est pouvoir apprendre quotidiennement sur la littérature et le monde de l’édition. On se rend compte qu’on ne peut jamais tout lire, car la quantité de livres publiés chaque jour est immense. Malgré cela, on rencontre des auteurs, des lecteurs, des éditeurs. Je suis baigné dans cette culture et c’est très enrichissant humainement. En plus, j’aime les tâches quotidiennes que nous devons effectuer, comme réceptionner les livres, les répertorier, les emballer… Le métier de libraire est riche.

LD : Quel est le plus gros défi auquel tu es confronté?

ML : La chose principale sur laquelle je travaille, c’est ma confiance en moi. On est constamment confronté aux angles morts de nos savoirs en tant que libraire. Plus on en sait, plus on se rend compte qu’on ne sait rien. Ça demande beaucoup d’humilité de dire à un client qu’on ne sait pas, mais qu’on va se renseigner. C’est une opportunité pour apprendre, mais gagner en confiance en soi, c’est le plus dur. Ça ne me diminue pas en tant que personne de ne pas savoir quelque chose. Je suis aussi épaulé par des co-directeurs qui m’aident à me développer, tout comme mes collègues. Il y a souvent des clients qui sont étonnés qu’on ne connaisse pas tel auteur ou tel livre. La beauté de la chose, c’est qu’on en apprend tous les jours !

LD : En quoi consiste la journée type d’un libraire? Quelles sont les tâches que tu dois effectuer?

ML : Ce n’est pas pareil dans toutes les librairies, mais chez Gallimard, on s’occupe de tout. La journée type varie, car on a des rotations. Généralement, le matin, quelqu’un s’occupe de réceptionner les livres que nous recevons. Il y a aussi une personne qui traite les commandes en ligne. En plus, nous devons répondre quotidiennement aux courriels que l’on reçoit. Durant la journée, on doit également répertorier les livres et aider les clients, évidemment. Enfin, nous sommes aussi chargés de créer du contenu pour nos réseaux sociaux, d’écrire des notes de lecture, de gérer les stocks, et de s’informer de l’actualité pour être au courant de ce qui se passe dans le monde littéraire. Les gens ne s’en rendent pas toujours compte, mais en réalité, le métier de libraire c’est à peu près 15% de service à la clientèle et 85% de gestion de stock.

LD : Plus spécifiquement par rapport à Gallimard, pourquoi avoir choisi d’y travailler? Qu’est ce qui rend cette librairie unique?

ML : Je dirais que c’est leur vision. La librairie Gallimard forme une toute petite équipe par rapport à d’autres. Ils ont un désir de former des libraires de carrière et la volonté d’offrir une formation à long terme avec des libraires qui connaissent leur métier en profondeur. C’est dans cette vision que je me suis reconnu. Je veux viser l’excellence, pas du jour au lendemain, mais petit à petit essayer de devenir meilleur. Chez Gallimard, je suis entouré de personnes qui m’inspirent, notamment mes co-directeurs, et qui ont beaucoup d’expérience. De plus, il y a évidemment le prestige associé avec la maison d’édition Gallimard, comme avec les collection « la Pléiade », « la Blanche », « Du monde entier », « Folio ». C’est une maison d’édition qui contribue depuis plus de cent ans au rayonnement de la littérature. Beaucoup de personnes viennent nous voir pour acheter des classiques parce que nous sommes une librairie qui travaille sur le fond. On propose aussi de la nouveauté, mais ce fond, c’est important de le connaître. Enfin, quelque chose que je trouve important de souligner, c’est la proximité avec les universités et les milieux culturels. Chaque jour, je fais face à une clientèle qui me pousse intellectuellement et me stimule malgré les difficultés que je rencontre. C’est une clientèle très variée : certains viennent pour me parler d’actualités, d’autres sont très cultivés et ont besoin de recommandations précises.

« Les gens ne s’en rendent pas toujours compte, mais en réalité, le métier de libraire c’est à peu près 15% de service à la clientèle et 85% de gestion de stock »

Mario Laframboise, libraire chez Gallimard à Montréal

LD : Quels genres de livres proposez-vous à la librairie?

ML : On ne travaille pas seulement avec Gallimard, mais aussi avec d’autres maisons d’édition. On propose vraiment de tout à la librairie et on essaie de mettre la littérature québécoise en avant. En littérature du monde, on classe les livres par groupe linguistique ou par pays. Chaque librairie va proposer un classement un peu différent. Ce que j’apprécie dans cette façon de faire, c’est que ça met de l’avant la diversité littéraire. Ce n’est pas « la » littérature, mais « les » littératures du monde. Cette catégorisation nous invite à apprécier la langue et les cultures différemment.

LD : Peux-tu me parler du rapport avec le client? As-tu des anecdotes?

MD : Les clients ont beacoup d’attentes lorsqu’ils viennent chez Gallimard. Ils sont parfois intimidés par les libraires – d’autres fois, c’est nous qui le sommes par eux – mais aussi par le prestige de la maison d’édition. Pourtant, plus les gens nous parlent, plus ils sont surpris de voir que nous sommes des gens faciles d’accès et que notre métier est simplement de promouvoir la lecture. Ils constatent que l’on peut parler de tout et qu’on est ouvert d’esprit. Il nous arrive de ne pas viser juste lorsqu’on fait des recommandations, mais les clients reviennent nous voir pour en parler, et nous arrivons à mieux les comprendre. Le métier de libraire nous demande de faire preuve de beaucoup d’humilité et d’accepter le fait qu’un livre ne peut pas plaire à tout le monde. On lit toujours avec subjectivité. Même lorsqu’on essaie de créer une connexion avec le client, la lecture reste un voyage solitaire. J’ai deux anecdotes que j’aime partager. Je me souviens d’un client qui m’a demandé des conseils pour trouver un roman policier. Je lui avais conseillé un livre et il m’a avoué par la suite que ça allait être son premier livre en tant qu’adulte. Je lui ai dit de ne pas être gêné et j’espérais que ma recommandation allait lui donner l’envie de lire. Je trouve ça beau comme histoire, surtout le fait qu’il ait eu le courage de venir à la librairie. La deuxième, c’était un professeur au cégep qui a été forcé d’arrêter de lire après un problème de santé. Il m’avait expliqué qu’il n’arrivait plus à lire de longs chapitres. Je lui ai donc conseillé un livre avec de courts chapitres, en espérant qu’il puisse l’apprécier. Il est revenu me voir deux semaines après pour me dire qu’il avait pu le lire au complet et que ça l’avait complètement reconnecté à la lecture. C’est ce genre de situations qui valorisent notre métier.

Portrait de Mario Laframboise par Dominika Grand’Maison | Le Délit

LD : Quels sont les événements ou les activités que vous organisez régulièrement à la librairie pour engager la communauté?

ML : Au sein même de notre librairie, on a une personne chargée de la coordination des évènements. Parfois, les éditeurs que nous recevons nous proposent des lancements, parfois la diffusion, ou parfois c’est nous qui les approchons. Il n’y a pas vraiment de règles. Les lancements et les autres événements promotionnels, ça permet aussi aux éditeurs de connaître le goût, le style des différentes librairies. On organise aussi régulièrement des causeries avec des auteurs étrangers, ou des discussions autour des thématiques du livre. Cela permet en quelque sorte d’abattre les barrières entre l’auteur et les lecteurs, de les démystifier. Les lecteurs sont toujours surpris de pouvoir discuter librement avec des écrivains. Enfin, on organise des événements en collaboration avec les festivals (par exemple FIKA(S) ou Métropolis Bleu) ou d’autres événements autour de la littérature, comme notre participation cette année à la Nuit Blanche avec des lectures à la librairie. Nous communiquons de trois façons : sur nos réseaux sociaux (Facebook et Instagram), notre site Internet, ainsi que notre infolettre. Il est possible de s’inscrire à cette dernière sur notre site afin de recevoir les informations concernant les événements à venir.

« Le métier de libraire nous demande de faire preuve de beaucoup d’humilité et d’accepter le fait qu’un livre ne peut pas plaire à tout le monde. On lit toujours avec subjectivité. Même lorsqu’on essaie de créer une connexion avec le client, la lecture reste un voyage solitaire »

Mario Laframboise, libraire à la librairie Gallimard de Montréal.

LD : Enfin, je suis curieuse de connaître tes goûts personnels. As-tu un livre à me recommander?

ML : Au niveau de mes lectures personnelles, je lis de tout pour apprendre davantage, mais j’aime beaucoup les polars et la littérature étrangère, plus largement. Je suis également attiré par la science-fiction. Même si, pour moi, c’est très important d’acheter de la littérature québécoise, je trouve que la littérature étrangère nous permet de continuer à aiguiser notre empathie sur le monde. Je promouvoie beaucoup cette catégorie. Enfin, si je devais recommander un livre, ce serait Fungus : Le Roi des Pyrénées d’Albert Sánchez Piñol. C’est l’histoire d’un petit diable alcoolique qui se réfugie dans une grotte et qui réveille par accident d’énormes champignons. Il décide de créer une cellule révolutionnaire anarchiste avec eux et tient des discours sur la classe prolétaire, mais agit en réalité comme despote. Ce que j’aime, c’est le décalage entre le ton épique et la situation niaiseuse. C’est aussi une réflexion intéressante sur les enjeux de pouvoir. Je ne peux que le conseiller, c’est mon livre préféré!

La librairie Gallimard se situe au 3700 Boul. Saint-Laurent, Montréal. Plus d’informations sur leur site https://www.gallimardmontreal.com/

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« La seule chose que j’ai toujours su, c’est que l’appareil ment » https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/la-seule-chose-que-jai-toujours-su-cest-que-lappareil-ment/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55347 L’héritage artistique de Cindy Sherman.

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Sur cet autoportrait vous voyez mon corps, mais je suis introuvable. Car je ne m’incarne pas moi, Harantxa, mais deux femmes représentées dans l’art visuel au fil des ans. Pour réaliser Contrapposto, je me suis inspirée de Cindy Sherman, une artiste ayant révolutionné le médium du portrait. S’il y a bien quelqu’un qui soit maître de cette approche, soit celle de réaliser des autoportraits sans se représenter en tant que sujet, c’est bien elle.

En sachant qu’à l’accoutumée, « faire un autoportrait, c’est se représenter soi-même », Sherman, par son génie artistique, a lancé un défi audacieux à cette norme. Son œuvre révolutionnaire a déclenché un débat enflammé au sein de la communauté artistique : ses compositions peuvent-elles vraiment être considérées comme des autoportraits, et quelles sont les limites de cette définition? Examinons en détail l’ascension fulgurante de cette icône et son héritage artistique.

Exploration de l’énigme de l’autoportrait chez Cindy Sherman
Il faut d’abord comprendre son œuvre : contrairement aux autoportraits classiques ayant pour objectif de se représenter de manière réaliste et fidèle (pensons à Frida Khalo ou Van Gogh par exemple), Cindy Sherman s’affranchit du statu quo en créant des oeuvres qui défient les conventions. Elle est une artiste protéiforme : elle joue le rôle de photographe, mannequin, maquilleuse, coiffeuse, styliste et plus encore. Son œuvre globale est marquée par sa capacité à incarner différents personnages et identités dans ses photographies, en utilisant son corps et son visage comme support artistique pour créer des mises en scène.

Alors qu’elle commence les autoportraits au début de sa vingtaine, le désir de modeler son identité n’est pas anodin : depuis son enfance, elle adore se déguiser. « J’essayais de ressembler à quelqu’un d’autre – même à des vieilles dames… Je me maquillais en monstre, des choses comme ça. […] (tdlr) », dit-elle. Malgré sa volonté de ressembler à quelqu’un d’autre, ses déguisements avaient pour but de montrer une autre version d’elle-même, et non un personnage à part entière. Lorsqu’on lui a demandé si se déguiser était pour elle un moyen d’évasion, elle a répondu que « pour être vraiment psychologique à ce sujet, [c’est] en partie, si tu ne m’aimes pas de telle manière, m’aimeras-tu de cette manière? » Malgré ses différentes apparences, Sherman s’associe aux personnages qu’elle incarne en montrant différentes facettes d’elle-même lorsqu’elle se déguise. Cette habitude continue jusqu’à l’université et lorsque son entourage lui dit de faire de ce passe-temps un art, une autoportraitiste naît en elle.

Issue de la première génération d’Américains ayant grandi avec la télévision, elle est largement
influencée par la culture de masse. Elle atteint donc un large public en utilisant et en se référant à des codes esthétiques qui lui sont familiers. Tantôt critiques, tantôt satiriques, Sherman explore les thèmes du genre, de l’identité, de la sexualité et de la classe sociale, en remettant en question les normes établies par la société contemporaine à travers ses photographies.

« Tantôt critique, tantôt satirique, Sherman explore les thèmes du genre, de l’identité, de la sexualité et de la classe sociale, en remettant en question les normes établies par la société contemporaine à travers ses photographies »

La série emblématique Untitled Film Stills (1977–1980) catapulte Sherman sur la scène artistique internationale. Dans ses clichés évocateurs, elle se glisse dans la peau de personnages féminins, défiant les clichés et les stéréotypes de genre véhiculés par le cinéma hollywoodien des années 50 et 60. Ces images intemporelles évoquent un sentiment d’aliénation et de désillusion, et questionnent les attentes sociétales imposées aux femmes. Un autre exemple poignant est Centerfolds (1981), une série dans laquelle Sherman incarne des mannequins exposés sur une couverture de magazine. Les femmes sont représentées dans diverses poses, comme on peut l’observer dans Untitled #96, où Sherman est couchée par terre, vêtue d’une jupe d’écolière légèrement relevée. Cette série confronte le regard masculin (le male gaze) qui influençait la manière dont les femmes étaient représentées dans les magazines érotiques du style Playboy, « en amenant les spectateurs à remettre en question leurs hypothèses et leurs impulsions conscientes ou inconscientes lorsqu’ils regardaient une page centrale pornographique », (sachant que la photo était le médium pornographique principal dans les années 80), explique Gwen Allen, une historienne d’art contemporain.

Bien que Sherman ne donne pas de titre à ses œuvres pour ne pas influencer notre jugement de celles-ci, elle a admis, des années après sa création, que le but d’Untitled #96 était de choquer : « Je voulais qu’un homme ouvrant le magazine le regarde soudainement dans l’attente de quelque chose de lascif et se sente ensuite comme [l’agresseur] qu’il serait, en regardant cette femme qui est peut-être une victime… »

On peut donc voir que les œuvres de Sherman, bien qu’elles soient visuellement attrayantes, dépassent le domaine de l’esthétisme en dénonçant certaines normes et conventions. Mais où est Cindy dans tout ça?

« Bien que Sherman apparaisse dans la plupart de ses photographies, ce ne sont jamais des autoportraits. Elle a le parfait visage de ‘‘madame tout le monde’’ – et parfois de ‘‘monsieur tout le monde’’ – un visage qui absorbe tous nos désirs. »
— Auteur et journaliste américain Craig Burnett

Pour certains critiques, ses autoportraits sont davantage une performance ou un acte d’imagination qu’un véritable reflet de son identité personnelle. En revanche, elle se défend en disant qu’il n’est pas question de devenir un personnage : « Quand je [pose], je n’ai pas l’impression d’être le personnage. C’est l’image reflétée dans le miroir qui devient le personnage – l’image que l’appareil fixe sur la pellicule. Et la seule chose que j’ai toujours su, c’est que l’appareil ment. »

Pour Sherman, ses œuvres représentent une partie d’elle-même. Lorsque l’appareil photo prend le cliché, il cristallise le personnage, sans que celle qui l’incarne ne devienne personnage pour autant. Elle redéfinit l’autoportrait à même son corps : à partir du moment où elle figure dans la photo, c’est un auto-portrait. Pas besoin de se montrer sans artifices, car « au bout du compte, plus elle se cache derrière ses portraits, plus elle se révèle en tant qu’artiste », et être artiste, c’est le noyau de son identité. Nous ne la voyons peut être pas elle, sans maquillage, mais il reste que Cindy Sherman a toujours fait de son apparence protéiforme une part de son identité. La limite des autoportraits de Sherman semble alors se restreindre à l’usage de son corps dans ses photographies. Cela dit, une œuvre comme Untitled #263 (1992) où elle utilise des prothèses en plastique d’un sexe masculin et féminin pour recréer L’Origine du monde (1866) de Courbet semble être une exception à la règle franchie, car elle troque son corps pour des objets.

En redéfinissant le genre à l’usage de son corps et non de son apparence à nu, l’influence de Sherman sur l’art contemporain perdure. Son approche de l’autoportrait a été adoptée par une nouvelle génération d’artistes explorant les questions d’identité et de représentation. Son œuvre est la raison pour laquelle ma série d’autoportraits, voire celle de Nadia Lee Cohen, HELLO My Name Is (2021) , peuvent se faire qualifier comme tels aujourd’hui. Comme l’a noté l’artiste Laurie Simmons, «le travail de Cindy a ouvert beaucoup de territoire que […] beaucoup de femmes artistes en particulier ont exploré depuis ».

Entre costumes, maquillage et décors élaborés, Cindy Sherman émerge comme figure pionnière en surpassant les limites de l’art avec une audace et une créativité inégalées. Son approche novatrice perdure jusqu’à maintenant, façonnant ainsi un héritage dans le monde artistique. Merci, Cindy.

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Notre Père https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/notre-pere/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55352 Lorsque la vieillesse s’invite dans notre intimité.

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Jeudi dernier avait lieu la première représentation de la plus récente création du Théâtre du Nouveau Monde : Le Père. Annoncée par une campagne publicitaire inondant le métro, cette pièce écrite par Florian Zeller débarque de ce côté de l’Atlantique en réponse à l’appel de la société québécoise ; les nombreux baby boomers vieillissants, les affiches luxuriantes qui invitent aux résidences privées pour aînés, et le traumatisme des centres d’hébergement et de soins de longues durées (CHSLD) dont nous venons tout juste de sortir témoignent de la force de la vieillesse au Québec. Le Père est une invitation à cette dernière : on l’invite simultanément chez soi et sur scène, pour lui parler et en parler, pour en rire et la craindre, pour en discuter et la comprendre.

Ingénieur à la retraite, vivant seul dans son appartement, André reçoit des visites quotidiennes de sa fille Anne. Voilà le premier tableau qui nous est dressé : un salon bien décoré, une peinture impressionniste au mur, des étagères garnies de romans et une armoire à alcool à envier. Comme tous ceux qui rencontrent André pour la première fois, l’auditoire ne peut qu’être charmé par le personnage de Marc Messier. C’est avec une aimable courtoisie et un humour auto-dérisoire qu’André gagne la bienveillance du public : beau parleur qui ne manque pas l’occasion de complimenter, il n’hésite pas non plus à frôler le ridicule lorsqu’il commence à danser les claquettes. Comme il le dit lui même, André n’est pas de ces vieux qui sont tous ramollis, incapables de parler, de marcher ou de se nourrir seuls. Lui est encore en forme, est assez autonome pour vivre seul et n’a besoin de personne. C’est la subtile ironie de paroles comme celles-là qui font le tragique de cette farce.

Anne nous révèle bientôt qu’une nouvelle proche aidante sera engagée, décision qu’elle a prise au vu du fardeau trop imposant pour elle seule qu’était le soin de son père. La nature de l’incapacité d’André, à l’inverse du préjugé qu’il porte sur ceux de son âge, n’est pas physique, mais bien mentale. Oublis, pertes, changements de décors et d’apparence des personnages : la neurodégénérescence d’André se témoigne d’abord et avant tout par la décadence du temps. Symbolisé par sa montre disparaissante, et représentée dans l’enchaînement asynchrone des tableaux, l’oubli du temps est l’élément déclencheur de la manie névrosée qui se propage autant à l’intérieur d’André que dans les décors et chez l’auditoire. Nous suivons le père dans l’étourdissement temporel provoqué par les dialogues qui se contredisent d’une scène à l’autre : Anne n’avait-elle pas déménagé avec son mari? N’avons-nous pas déjà préparé le poulet du souper? Suis-je chez moi, chez ma fille ou dans une résidence? La finesse d’Édith Patenaude et l’habileté de la distribution artistique est à louer pour l’immersion dans laquelle sont plongés les spectateurs. Alors qu’on témoigne d’Anne qui change de visage et de cheveux, et de son ami Pierre, qui change de nom et de couleur de peau ; les manières, les attitudes, la diction et la contenance sont révélateurs d’une identité qui ne change pas. Le spectateur se pose les mêmes questions qu’André : est-ce ma mémoire ou mes yeux qui me trahissent? S’ajoute à ce jeu d’acteur envoûtant une scène qui se transforme discrètement et se vide. L’image de ses deux filles devient une peinture morne et abstraite, la table à manger devient une petite table basse, et l’étage du duplex tombe au sous-sol. Autant de détails qui mènent à la confusion et la frustration partagée entre tous dans la salle. Tout au long de la représentation, l’auditoire est plongé dans l’intimité d’André. À la fin de l’heure et demie, ce ne sont pas les médecins, la travailleuse sociale, ni même sa fille qui connaissent le mieux André, mais bien le public, qui a vécu ses tourments avec lui. Par sympathie, les spectateurs commencent à ressentir, comme André, qu’il y a quelque chose qui leur échappe, qu’on leur cache : une vérité qui est connue de tous sauf nous. Sur des scènes qui s’éteignent abruptement à leur climax, Florian Zeller construit le suspens de la révélation tragique.

Le Père tel qu’il a été mis en scène par Édith Patenaude est un ressuscitation du rôle de catharsis qu’a le théâtre. Alors que d’autres Québécois font danser des ombres sur les grands écrans à travers le monde, l’équipe du Théâtre du Nouveau Monde saisit les passions qui animent notre société et les incarne, leur donne vie et les fait mourir afin que nous puissions en rire, en pleurer, pour les comprendre dans l’espoir d’ultimement les aimer.

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Superposition multiculturelle https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/superposition-multiculturelle/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55394 Hybrid Condition par Tam Khoa Vu au centre MAI.

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Dès que le visiteur pénètre dans la salle de l’exposition du MAI (Montréal, arts interculturels), il est immédiatement plongé dans l’obscurité, accueilli par une odeur d’encens, une musique entraînante et un imposant cube lumineux au centre de la pièce. Cette première exposition individuelle de l’artiste Tam Khoa
Vu, basé à Tio’tia:ke/Montréal, explore de manière saisissante l’hybridité culturelle vietnamo-canadienne à travers une installation unique. L’artiste cherche à mettre en lumière les images qui évoquent les identités et la diaspora vietnamiennes, permettant ainsi une plongée dans les racines culturelles et ethniques des identités nationales pour remettre en question l’hégémonie occidentale et son impact sur le Vietnam, ses habitants et l’identité vietnamo-canadienne. Cela l’amène à naviguer dans un « tiers espace » entre le Vietnam et le Canada.

« Nous sommes absorbés par le cube, mais les vidéos elles-mêmes essaient d’en sortir et occupent l’espace au complet »

L’installation se présente sous forme d’un cube sur lequel sont projetées diverses vidéos. Ce cube est réalisé dans un tissu transparent, qui permet une projection nette des images, mais également une superposition de chacune de ses faces. Nous sommes invités à l’observer sous tous ses angles.

La première face, celle par laquelle nous sommes accueillis dès l’entrée, est chaotique. C’est une superposition de clips tirés des réseaux sociaux, notamment Instagram, qui représente l’identité vietnamienne (et asiatique en
général) à travers Internet. Les vidéos s’enchaînent très rapidement, nous sommes absorbés par ces images. La plupart ont pour but de nous faire rire. C’est une vision certes positive de la culture asiatique, mais pourtant, pas réellement représentative. Bien que les vidéos soient réalisées par la communauté elle-même, elles ne reflètent qu’un aspect divertissant et humoristique du Vietnam.

La deuxième face entre directement en contraste avec la première. Les vidéos sont cette fois-ci tirées majoritairement de films et de séries occidentales qui représentent les asiatiques sous un regard « blanc ». Les extraits sont profondément racistes et stéréotypés. Il y a également de nombreuses vidéos provenant de films américains, qui mettent en scène la guerre du Vietnam. Nous voyons le pays se faire injustement bombarder tandis qu’un épisode des Simpsons, dans lequel un personnage laotien se fait humilier, est projeté juste à côté. C’est la seule face du cube qui est accompagnée d’une bande sonore, nous permettant d’entendre les acteurs et leurs commentaires racistes. Cela a pour effet de nous attirer vers cette face et d’être confronté à la réalité que vit Tam Khoa Vu en tant qu’immigrant vietnamien.

Les deux autres faces présentent des scènes du Vietnam sous deux angles différents. Les vidéos sont beaucoup plus lentes et calmes. La troisième face présente des moments en famille et des scènes du quotidien vietnamien. La vidéo d’une trentaine de minutes est la plus longue, elle nous invite à prendre le temps de la regarder. C’est touchant, accueillant et intime. On pénètre dans des instants doux, réalistes de la vie au Vietnam. Cette face représente les racines de l’artiste et un retour aux traditions. Elle est directement superposée avec les vidéos racistes ou stéréotypées, à la fois par le montage et par la transparence du cube, permettant une représentation intéressante de la « condition hybride » de Vu. Enfin, la dernière face représente elle aussi le Vietnam, mais d’une façon idéalisée, romancée. Ce sont des images de drônes survolant les rizières et la côte vietnamienne. Bien que
ces vidéos soient belles à regarder, ce n’est que l’idée que s’en font la plupart des occidentaux.

Dans une seconde salle, se trouve une sculpture réalisée par Nguyen Vu Tru et Dennis Nguyen du collectif d’art VUTRU. Cette sculpture, mise en valeur sous un éclairage rouge, est un autel traditionnel composé d’un miroir, d’un cadre en bois orange et de deux pots dans lesquels des grains de riz permettent de maintenir des bâtons d’encens qui brûlent doucement. Tam Khoa Vu a voulu, à travers son exposition personnelle, donner l’opportunité à ces deux jeunes artistes de présenter leur création, qui elle-aussi, est un hommage à la culture vietnamienne. L’inspiration principale (qui explique notamment la couleur orange utilisée) vient des baumes et des huiles Siang pure, des remèdes à base de plantes populaires en Asie. Cet autel est volontairement placé juste au-dessus d’une fontaine à eau, mise à la disposition des visiteurs. Ainsi, ces derniers sont forcés de se pencher pour boire, tout comme certaines personnes le feraient lors de prières. Inconsciemment, par le simple fait de boire, nous faisons preuve de respect et reproduisons des rituels religieux.

Dominika Grand’Maison | Le Délit

« Le cube attire et rejette. Le cube choque et apaise. Le cube est chaos, peu importe l’angle, peu importe la face
que l’on regarde. Le cube est une représentation d’une condition hybride »

L’exposition est particulièrement réfléchie. Différents endroits pour s’assoir sont prévus : des fauteuils au sol, un banc peint en jaune et blanc (symbole de ce mélange d’identités), et même des tabourets en plastique rouge que l’on retrouve notamment dans des scènes de street food au Vietnam. Ainsi, nous sommes invités à observer le cube sous tous ses angles. Chaque façon de s’asseoir nous offre une perspective différente sur l’installation. Cette
idée de perspective est importante pour comprendre le message de l’artiste et son hybridité culturelle. Des poutres en béton se dressent d’ailleurs à travers la pièce, nous forçant à se rapprocher, à tourner autour du cube
et à mieux le regarder. Le choix d’avoir positionné le cube avec un angle et non une surface plane dès que l’on pénètre la pièce a aussi pour but de créer cette impression de chaos et d’ajouter à la superposition. Enfin, les images semblent sortir de la boîte, car les couleurs sont projetées au sol et sur les poutres. Nous sommes absorbés par le cube, mais les vidéos elles-mêmes essaient d’en sortir et occupent l’espace au complet. C’est la réalité que vit un immigrant asiatique au Canada : simultanément accepté et rejeté. L’exposition a pour but d’être un endroit sûr, un refuge pour chaque immigrant asiatique, qui peut entrevoir son expérience à travers celle de Vu. C’est
presque comme si l’espace était conçu pour rendre inconfortable les personnes blanches, forçant ces dernières à se mettre dans la peau d’un asiatique constamment exclu au sein d’une communauté canadienne. Le cube attire et rejette. Le cube choque et apaise. Le cube est chaos, peu importe l’angle, peu importe la face que l’on regarde. Le cube est une représentation d’une condition hybride.

L’exposition est présentée jusqu’au 30 mars à MAI (Montréal, arts interculturels) au 3680 rue Jeanne-Mance. L’entrée est gratuite.

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Le Mont Analogue : épopée à l’Espace Go https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/le-mont-analogue-epopee-a-lespace-go/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55208 Une exploration interdisciplinaire du conte de René Daumal.

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Le Mont Analogue, spectacle faisant partie de la dernière programmation de Ginette Noiseux, était présentée à l’Espace Go – théâtre contemporain et féministe au coeur de Montréal, du 27 février au 10 mars.

Tirée du roman d’aventures alpines du français René Daumal, adaptée pour la scène par l’artiste et chorégraphe canadienne Wynn Holmes, cette pièce a su captiver le public par son mélange de danse, de musique et de théâtre, offrant une exploration envoûtante de thèmes philosophiques et mystiques.

Écrite entre 1939 et 1944, en pleine seconde guerre mondiale, l’histoire fictive raconte l’ascension du Mont Analogue, une montagne mythique et symbolique, censée être la plus haute au monde et ne pouvant être aperçue que par ceux prêts à la voir. Ce mont est inspiré par plusieurs montagnes sacrées de différentes mythologies comme le mont Kailash, le mont Fuji ou le mont Olympe ; et abriterait des animaux étranges et symboliques tels que les griffons ou les sphynx. La gravir constituerait un voyage initiatique, capable de nous transformer spirituellement.

La pièce de théâtre se déroule trois mois après la publication d’un article sur le Mont Analogue dans la Revue des Fossiles. Malgré la difficulté de son ascension, les écrits suggèrent que son escalade révélera les secrets spirituels les plus profonds de l’humanité. Motivés par cette promesse ou par l’envie d’éprouver le mythe, une équipe hétéroclite d’alpinistes, composée de scientifiques, de linguistes et d’artistes, se lance dans une expédition vers cette montagne légendaire à bord du navire L’Impossible. Situé quelque part au coeur du Pacifique, le Mont Analogue est invisible, caché derrière une coque d’espace courbe – un phénomène physique inventé qui courbe l’espace autour du Mont Analogue pour le rendre invisible à tous ceux qui ne sont pas conscients de sa présence. Cependant, le soleil crée à son lever et son coucher l’ouverture d’un passage, grâce auxquels le groupe va pouvoir entrer.

Pour atteindre leur objectif d’ascension de la montagne, les membres de l’équipage doivent se défaire de leurs
doutes et idées préconçues pour se laisser guider par leur intuition et leur imagination. Cette quête vers le sommet mystérieux promet une aventure poétique dont la magie peut nous rappeler les mondes imaginaires de l’enfance.

Cette production est le fruit d’une collaboration entre BOP Ballet Opéra Pantomime, LFDT Lo-Fi Dance Theory – une troupe de danse performative – et Espace Go. La pièce est à la croisée de plusieurs disciplines artistiques, offrant une expérience immersive où musique, danse et théâtre s’entremêlent pour créer un univers captivant. La direction artistique est prodigieuse, les jeux de lumière et d’ombre permettent au public de vivre pleinement avec les personnages ce voyage initiatique. Au vu de l’ovation debout qui a salué le spectacle, le Mont Analogue a été chaleureusement accueilli par le public. Ce qui rend ce spectacle émouvant c’est avant tout le portrait très juste
qu’il fait de notre relation à l’absolu, et la manière dont cela impacte nos relations interpersonnelles. Les relations se font et se défont au cours du périple, ce qui pose les questions de la place des quêtes individuelles au sein d’un groupe ou plus largement de la nature humaine confrontée aux mystères de l’univers et de la conscience. À travers cette exploration théâtrale, Wynn Holmes et son équipe ont réussi à capturer l’essence du roman de René Daumal. Ils ont offert au public une expérience artistique inoubliable, témoignant du pouvoir de l’art pour éveiller nos questionnements existentiels et notre imagination.

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Face à la danse https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/face-a-la-danse/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55202 Une nouvelle série documentaire à découvrir sur Télé-Québec.

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Disponible sur la plateforme web et l’application de Télé-Québec, la nouvelle série documentaire Face à la danse propose une exploration des coulisses du monde de la danse à Montréal. J’ai eu la chance d’être assistante à la production lors du tournage de la série.

Il est bien connu que la ville de Montréal est un pôle culturel. Des artistes de tout genre s’y rencontrent et reflètent par leur art la richesse de la métropole. Il n’en est pas moins pour les danseur·euse·s professionnel·le·s, qui sont nombreux·euses à évoluer dans les programmes de danse de l’Université Concordia, l’UQAM, ou dans les écoles de formations professionnelles dont regorge Montréal.

Mais qu’en est-il de ce qu’on appelle le street dance, ce style de danse qui s’est développé à l’extérieur des studios? Produite par Picbois Productions, la docu-série Face à la danse lève le voile sur le parcours des street dancers de Montréal. À travers cinq protagonistes : Maude, Waldo, Axelle, Destiny et DKC et leurs styles de danse différents, la série nous fait découvrir une communauté qui, malgré le peu de reconnaissance institutionnelle qu’elle reçoit – et qu’elle rejette, car perçue comme contradictoire au street dance – est vibrante et soudée.

« On s’attache à eux·elles, et en découvrant leur univers, on voudrait en apprendre toujours plus »

Composée de six épisodes de vingt minutes, Face à la danse est parfaite pour une session de binge-watching. Chaque épisode se termine sur un suspense, ce qui rend l’envie de cliquer sur le prochain épisode encore plus irrésistible. En tant qu’étudiante en cinéma, je me dois de mentionner qu’esthétiquement, les images sont sensationnelles. C’est peut-être parce qu’il a réalisé Drags – Les reines de la pop!, que Christian Lalumière, le réalisateur de la série, sait faire briller les stars de la scène.

En plus de la bonne dose d’action que nous font vivre les battles auxquelles prennent part tous les protagonistes de Montréal à New York, ceux·celles-ci nous ouvrent la porte aux moments plus intimes de leurs vies. On y découvre la belle complicité père-fille de DKC et Destiny et le rôle de mentor que joue Axelle pour Maude. On en vient à admirer la bienveillance et l’entraide qui caractérisent les relations entre les cinq danseur·euse·s. Tous·tes en sont à un stade différent dans leurs battles, autant comme danseur·euse·s que comme personnes. On s’attache à eux·elles, et en découvrant leur univers, on voudrait en apprendre toujours plus. D’ailleurs, la série nous laisse un peu sur notre faim : on a l’impression de quitter les personnages trop tôt dans leur parcours. Pour le téléspectateur qui ne connait pas grand-chose au milieu du street dance, la série est extrêmement pertinente, parce qu’à travers la découverte du waacking, popping, break et hip hop, Face à la danse s’impose comme un cours d’histoire. Derrière ce projet créatif, il y a une réelle intention d’être fidèle à la réalité et de faire honneur aux communautés qu’elle met à l’écran. Axelle Munezero, l’une des protagonistes, a joué un rôle clé comme productrice de contenu et directrice artistique, tandis qu’Alexe Lebelle-Faille, l’une des danseuses de waacking qu’on aperçoit sous le pseudonyme « Lex » a également endossé le rôle de monteuse en post-production.

Léa Villalba, à l’origine de l’idée de la série, danse depuis qu’elle a quatre ans. Après avoir découvert 100Lux, l’organisme à but non lucratif co-fondé par Axelle, qui oeuvre pour donner de la visibilité au street dance et offre un lieu où les danseur·euse·s peuvent perfectionner leur art, elle a décidé d’écrire son mémoire de maîtrise à l’UQAM, sur les communautés du street dance. « J’ai compris que le hip hop était bien plus qu’un style de danse, mais une culture à part entière, avec son histoire et ses valeurs », m’a‑telle confié dans une entrevue. Bien que Léa ne danse pas dans la série, son attachement à la communauté de la danse est pertinent parce que lorsque l’on s’infiltre dans un milieu qui n’a pas l’habitude de recevoir des visiteur·euse·s, le respect et l’écoute doivent régner.

À mon sens, c’est le double rôle des gens qui ont travaillé sur le projet qui a rendu Face à la danse aussi unique. Ça a fait en sorte que ce qui aurait pu être le portrait flou d’une communauté observée de loin s’est avéré être
une réelle immersion dans un monde riche et éclectique. J’étais dans la salle lorsque les protagonistes et certain·e·s de leurs ami·e·s danseur·euse·s ont visionné les épisodes pour la première fois, et je peux confirmer, par les applaudissements et rires qui retentissaient, que l’effort d’être authentique (des deux côtés de la caméra) a porté fruit.

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Effort et solitude https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/effort-et-solitude/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55222 La randonnée comme philosophie.

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Cinq heure du matin. La montagne commence à s’embraser et des bruits résonnent dans le refuge. L’ascension se prépare. Les sacs sont soigneusement pliés et les corps encore fourbus de la veille peinent à effectuer les étirements matinaux. Le matériel maintes fois vérifié subit une ultime inspection : crampons, piolets, lunettes de glacier, couverture de survie, chaque oubli pouvant mettre en péril le randonneur et son groupe. À travers la petite fenêtre du dortoir, une bande de lumière se déploie derrière la montagne.

Silencieux, cheveux ébouriffés et lunettes sur la tête, les premiers prêts font leur apparition dans le réfectoire. Pendant le petit-déjeuner, pas un mot n’est échangé. Tous les regards sont dirigés vers l’immense fenêtre centrale, à travers laquelle le sommet tant craint mais tant désiré se dessine. À mesure que le soleil se lève, le flanc est de la montagne s’illumine, et le pic se teinte de rose. Le glacier reflète alors les premiers rayons du soleil et brille de mille feux. Surplombant la vallée toujours baignée dans l’obscurité, la montagne rayonne comme un phare. Patiemment, les marcheurs se redessinent le chemin dans leurs pensées tout en sirotant leur café. Certains se lèvent même pour inspecter la carte du massif affichée au fond de la salle, mais ceux-là sont rares. Peu échappent au pouvoir d’attraction ressenti à la vue de la montagne. Pour l’avoir étudiée, tous connaissent la voie : aujourd’hui la longue marche d’approche et le bivouac au pied de la montagne, demain l’escalade de l’arête sud- ouest, le sommet, puis la descente dans le glacier et la marche du retour vers la vallée. Deux journées d’efforts, coupées du monde. Deux journées simples, avec une seule idée en tête : le sommet. En dehors de ça, plus rien. La vie semble s’arrêter une fois la porte du refuge franchie. Il faut marcher, courir, grimper. L’esprit se concentre sur chaque pas, sur chaque inspiration. Le reste n’existe plus. Seule préoccupation, comme une véritable obsession, la masse écrasante et immortelle qui se dresse devant le randonneur.

Dans nos villes, peu de choses subsistent de la nature. Nos sociétés combattent inlassablement l’effort et la souffrance et détestent l’imprévu. Fini la nuit, le froid et la faim. Sous la lumière des lampadaires, dans des salles climatisées ou chauffées, la nature a disparu, le danger aussi. C’est tout ce que le randonneur recherche au contact de la montagne. Il épouse l’effort comme une rédemption, aime la faim, le froid et la pluie, comme autant d’épreuves qui le rapprochent de cette masse rocheuse qui l’ensorcelle et lui octroie le droit de gravir le sommet. Passé la porte du refuge, après le premier virage du chemin, le randonneur quitte la civilisation à la recherche de l’imprévu. La montagne a des odeurs, des bruits, elle vit et le randonneur vit avec elle. Couché à 21h avec les étoiles et levé à 7h avec le soleil, il renoue avec le cycle naturel, avec lui-même.

Face à l’effort et au danger, il est seul. Sur la paroi, seul un nœud sur son baudrier et un piton dans la roche le rattache à la vie. Dans son ascension, chaque geste compte, chaque erreur aussi. Seules sa propre dextérité et une force mystérieuse le séparent du vide. Alors qu’il s’approche du sommet de l’arête, une roche dégringole et le frôle. L’incident lui rappelle son impuissance et pourtant il n’a pas peur, il faut avancer vers le sommet, toujours plus haut. Son ascension est comme un condensé de sa vie, il se bat contre quelque chose d’imprévisible, de plus fort. Il se dépasse pour voir au-delà, pour pénétrer au plus profond de lui-même, pour atteindre le sommet.

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Dune : deuxième partie – une odyssée visuelle https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/dune-deuxieme-partie-une-odyssee-visuelle/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55237 Critique du nouveau chef d’oeuvre cinématographique de Denis Villeneuve.

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Le 1er mars dernier, Dune : deuxième partie a pris l’affiche, deux ans et demi après la parution de la première partie. Alors que le premier opus réalisé par le réalisateur québécois Denis Villeneuve avait fait un carton en remportant six Oscars [notamment pour les aspects techniques comme la photographie, le son ou encore les décors, ndlr], la sortie du deuxième film était plus qu’attendue.

Tout comme la première partie, le casting ne déçoit pas. On y compte évidemment Timothée Chalamet et Zendaya ; mais on retrouve aussi des acteur·ice·s de renom comme Florence Pugh, Léa Seydoux, Javier Bardem, ou encore l’excellente Rebecca Ferguson… Vous l’aurez compris, impossible de tous·tes les lister.

Synopsis
Au cas où vous n’auriez pas encore entendu parler de ce film (peut-être vivez-vous vous aussi dans les souterrains d’Arrakis?) Dune est une série de six romans de science-fiction, parus entre 1965 et 1985, et écrits par l’auteur américain Frank Herbert. En 1986, alors que la saga n’est pas terminée, l’auteur décède, et son fils décide de reprendre le flambeau. Brian Herbert écrira plus d’une dizaine de livres poursuivant la saga. Cette série renferme une histoire longue et complexe, mêlant romance, politique, drame et action. Dune est le surnom de la planète Arrakis, caractérisée par sa chaleur, son sable, et sa population native : les Fremen. Paul Atréides est le personnage principal, qui va devoir affronter son destin pour rétablir la paix dans la galaxie. À la fin de Dune : première partie, Paul et sa mère sont parvenus à rejoindre les Fremens après qu’une attaque orchestrée par les Harkonnens ait décimé l’entièreté des Atréides, leur « maison » [qui s’apparente d’ailleurs davantage à une « lignée », ndlr]. Dune : deuxième partie correspond à la suite linéaire du premier opus.

Chef d’œuvre cinématographique ?
Denis Villeneuve a encore su impressionner : visuellement, le film est un chef‑d’œuvre. Que ce soit pour représenter l’immensité et l’hostilité du désert, la cruauté des Harkonnen ou la violence des combats, le cadrage et le jeu de lumières transforment le visionnement du film en une réelle immersion dans le monde fictionnel de Herbert. Aux plans saisissants s’ajoutent les costumes majestueux et resplendissants des personnages, qui donnent vraiment à l’univers de Dune son intemporalité poétique, mêlant éléments technologiques du futur, et reliques du passé.

Si une chose peut décevoir, c’est l’utilisation un peu limitée de la musique. Alors que la musique du premier opus berçait les plans de paysages et rythmait l’entièreté du film – ce qui contribue d’ailleurs beaucoup à sa qualité – ce deuxième opus laisse nettement moins de place à la bande sonore composée par Hans Zimmer, ce qui est regrettable. En revanche, ne nous désolons pas, le peu de musique que nous pouvons entendre reste tout à fait superbe.

En profondeur
Lors du visionnement, impossible de rester indifférent face à la place prépondérante qu’occupe la religion dans le film. Alors que la première partie s’intéressait davantage à l’environnement de d’Arrakis, le scénario du film est cette fois-ci davantage rythmé par sa culture et particulièrement par la religion. Tout au long du film, la « prophétie » pousse Paul, inévitablement, à devenir le meneur d’une guerre sainte, d’un jihad armé [Herbert utilise cette expression dans son livre, alors qu’elle n’avait pas le même poids qu’aujourd’hui, ndlr]. Ce film nous montre l’établissement d’un radicalisme religieux fondé autour de la figure de Paul. Ce film dresse d’ailleurs une très bonne critique du radicalisme et des croisades, entre autres grâce au personnage de Chani, interprété par Zendaya. Tout au long du film, c’est elle qui questionne la réelle nature de cette « prophétie », et fait le constat de l’impact de cette dernière sur ses pairs.

Enfin, impossible de ne pas être époustouflé par les scènes de combats – dont les chorégraphies sont particulièrement réussies – qui transmettent la tension jusque dans l’estomac du téléspectateur.

Pour nuancer, l’adaptation de Denis Villeneuve est dans l’ensemble très, voire trop, fidèle au livre original de Frank Herbert, et c’est justement ce qui rend le film un peu déséquilibré. Dans le livre, les personnages changent assez rapidement en fonction des évènements, mais dans le film ces évolutions drastiques sont exacerbées, ce qui rend la compréhension parfois un peu complexe, lorsqu’on observe des personnages faire l’inverse de ce qu’ils prétendaient quelques minutes plus tôt. On pardonnera Villeneuve, puisque dans un film d’un peu moins de trois heures, ce sont plusieurs centaines de pages qui sont condensées en quelques minutes : l’évolution des personnages est donc naturellement accélérée.

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Capturer le dynamisme https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/capturer-le-dynamisme/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55243 Entrevue avec Siphan Lê, photographe sportif.

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Pour cette édition spéciale sur le sport, Le Délit a eu la chance de discuter avec Siphan Lê, un photographe passionné qui s’est spécialisé dans la photographie sportive en parallèle de son métier d’ingénieur. Il a pu répondre à nos questions et nous a également partagé certains de ses clichés favoris.

Le Délit (LD) : Tout d’abord, d’où te vient cet intérêt pour la photographie?

Siphan Lê (SL) : Cette passion me vient principalement de mon père, qui amenait toujours avec lui son appareil photo Nikon FE ainsi que deux ou trois objectifs. Lorsque j’ai commencé mes études, je me suis inscrit au club de photographie de mon école. C’est là que j’ai appris à manipuler ce boîtier ainsi que les techniques de développement argentique en salle noire. J’ai alors fait mes premiers pas en photographiant la ville dans laquelle j’étudiais, ainsi qu’en documentant les événements qui avaient lieu dans mon école d’ingénieur à Angers. À cette époque, j’étais l’un des rares étudiants à posséder un appareil photo et j’étais donc celui qui documentait les événements du quotidien universitaire, dont de nombreux événements sportifs. Cet intérêt pour la photographie ne m’a jamais quitté et j’ai continué ce hobby après mes études.

LD : Pourquoi le sport en particulier?

SL : Pratiquant moi-même de nombreux sports, comme le triathlon – discipline mêlant course à pied, vélo, et natation – j’ai été amené à photographier les différentes activités et compétitions auxquelles participait mon club. D’amateur, je suis passé au statut de professionnel, bien que cela reste une pratique que j’effectue en parallèle à mon travail principal. Mon réseau de connaissances m’a amené à être souvent sollicité pour photographier des événements sportifs. Ce même réseau m’a aussi permis d’obtenir les accréditations nécessaires pour accéder à des compétitions plus prestigieuses

LD : En quoi la photographie sportive est-elle un exercice différent de la photographie de paysages ou de portraits? Comment arrives-tu à capturer le dynamisme de tes sujets?

SL: La particularité de la photographie sportive vient du fait que nous ne pouvons pas répéter les poses. Les photos sont prises au 1/1000 de secondes : nous pouvons considérer que nous disposons d’un millième de secondes pour pour prendre le cliché qu’il nous faut. Pour ce faire, la partie repérage est essentielle. Il faut savoir anticiper quels seront les mouvements des athlètes, où ils passeront, et aussi prédire la lumière à ce moment-là. Il faut aussi parvenir à se placer en conséquence pour les épreuves de course à pied, qui sont parfois étendues sur plusieurs kilomètres, pour avoir un maximum de photos exploitables. Bien entendu, les réglages de l’appareil doivent être prêts et je dois pouvoir me fier entièrement sur les capacités du focus automatique, bien plus efficace que l’œil humain.

LD : Quelles sont les difficultés particulières associées au fait de photographier des athlètes?

SL : Il faut garder à l’esprit que les athlètes gagnent leur vie en partie grâce au Prize-Money (primes) de la compétition, mais aussi beaucoup grâce à leur image. Ces derniers sont donc très pointilleux sur les clichés que l’on publie d’eux et demandent souvent un droit de regard. Par ailleurs, il faut savoir gérer avec les commanditaires et leur club, qui veulent souvent pouvoir gérer la communication autour des athlètes et embauchent parfois un photographe officiel avec qui on se retrouve parfois en compétition indirecte.

LD : Enfin, peux-tu me parler des projets sur lesquels tu as travaillé ces dernières années?

SL: Récemment, j’ai découvert de nombreuses courses à pied et autres compétitions de natation. Plus particulièrement, j’ai travaillé sur un projet qui me tenait à cœur : la composition d’un ouvrage documenté regroupant une vingtaine d’athlètes et d’entrevues, dont l’objectif était de mettre en avant l’intégration des communautés LGBTQ+ dans le sport. Dans le cas de ce livre, nous avons non seulement fait des entrevues avec des athlètes homosexuels, mais un ensemble d’athlètes de haut niveau, quelle que soit leur orientation sexuelle, afin de leur demander quel était leur regard sur la difficulté d’être queer dans le monde sportif. L’ancienne ministre des sports, Roxana Maracineanu (voir photo 5), a également pris part à ce projet et était très enthousiaste à l’idée de contribuer à cet ouvrage et de communiquer à ce sujet. L’ensemble des photos prises a ensuite été exposé dans le hall de la mairie de Paris ainsi que dans le cadre d’ une exposition itinérante. Cet ouvrage était la commande de la fondation FIER, qui organise notamment les Gay Games à Paris.

Siphan Lê | Le Délit Paris Eiffel jumping 2018
Sandra Dodet (triathlète française) s’échauffant avant le triathlon de Paris 2018
Siphan Lê | Le Délit
Siphan Lê Tiger Woods lors de la Ryder Cup 2018 au Golf national de Saint-Quentin-en-Yvelines (France)
Siphan Lê | Le Délit Roxana Maracineanu (médaillée d’argent aux Jeux olympiques de Sydney et ancienne ministre des Sports en France) posant pour la cause LGBTQ+ dans le monde sportif

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Une pyramide au cœur de Montréal https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/une-pyramide-au-coeur-de-montreal/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55046 Visite de l’Horizon de Khéops au Centre des sciences de Montréal.

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Depuis le 16 février, le centre des Sciences de Montréal, musée scientifique, est devenu le théâtre d’une aventure hors du commun. l’Horizon de Khéops, une expérience de réalité virtuelle conçue par Excurio, branche d’Emissive, une société française spécialisée dans la production de réalité virtuelle, invite ses participants à s’immerger dans l’Égypte antique et à découvrir la majestueuse pyramide de Khéops.

Dès le début de l’expérience, les visiteurs sont transportés dans un monde où la magie de l’ancienne Égypte prend vie sous leurs yeux. Une égyptologue maladroite, Mona – acronyme d’Amon, une des principales divinités du panthéon égyptien – nous guide sur plusieurs centaines de mètres afin de nous faire découvrir les secrets de la dernière merveille du monde antique. C’est une expérience absolument extraordinaire, avec des décors précis et fidèles qui nous font presque oublier qu’il s’agit d’une expérience de réalité virtuelle. La visite de l’exposition 10 culture n’a duré que 45 minutes pourtant nous avions tous l’impression d’avoir fait un grand voyage, d’avoir vécu quelque chose d’incroyable. Nous sommes sortis de l’exposition émerveillés, en se disant qu’il fallait absolument faire une visite en Égypte pour retrouver l’essence de ce que nous venions de vivre.

Derrière cette réalisation technologique et artistique, deux ans de production et près de six mois de pré-production ont été nécessaires afin de se familiariser pleinement avec la culture et de concevoir un projet scénaristique et une direction artistique qui répondent à l’ambition du projet. Pour rendre l’expérience la plus complète possible, Excurio a réuni pour ce projet une équipe pluridisciplinaire, composée de graphistes spécialisés dans l’environnement, de programmeurs et d’experts en scénario et direction artistique, qui ont travaillé ensemble pour créer cette expérience immersive et authentique. Beaucoup de travail a également été fait afin de guider correctement le spectateur dans l’espace, à l’aide du son, des images, et de la lumière. En effet, cette véritable recherche sur les sensations permet de rendre le parcours le plus réaliste possible.

L’aspect éducatif de l’Horizon de Khéops est également notable. Toutes les reconstitutions de la pyramide antique et du plateau de Gizeh ont été réalisées après des recherches approfondies. Les informations présentées ont été validées par des experts en archéologie, tout comme les personnages, leurs habits ou le fond sonore du Caire. La collaboration avec Peter de Manuelian, archéologue et professeur à Harvard, a été cruciale dans le développement de ce projet : « Il fournit beaucoup de documentations et nous réfléchissons et soumettons des idées pour arriver à créer un scénario », nous explique Fabien Barati. « On crée la pyramide, les temples, les personnages, et on lui soumet les visuels. S’ensuit beaucoup d’aller-retours pour valider les différents éléments ». Il s’agit ainsi d’un véritable parcours didactique qui permet d’en savoir plus sur les traditions et la culture de l’Égypte antique.

Le succès de l’exposition ne se limite pas à Montréal. L’Horizon de Khéops est également disponible en France, à Londres et en Chine. À chaque étape, des améliorations sont apportées, comme l’ajout de langues pour rendre l’expérience plus accessible.

Selon Fabien Barati, l’Horizon de Khéops , ce n’est que le début. « Les technologies immersives vont continuer à se développer et continuer de partager la culture de manière de plus en plus efficace et engageante grâce aux développement des nouvelles technologies. » Il semblerait donc que nous puissions nous attendre à voir ce format se démocratiser dans le futur, nous offrant de nouvelles perspectives pour l’exploration du patrimoine culturel mondial.

L’exposition l’Horizon de Khéops est disponible jusqu’au 31 mai au 2 rue de la Commune Ouest. Les places sont limitées.

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Étudier hors-campus : où aller ? https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/etudier-hors-campus-ou-aller/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55050 Mes endroits préférés à Montréal.

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Tu en as marre de devoir choisir entre McLennan et Redpath? Voici une liste de six endroits pour étudier à Montréal, assez diversifiée pour satisfaire tous les goûts! Parfois, c’est important de changer d’air, surtout lors d’une période d’examen stressante. Il n’y a pas à dire, on étudie mieux avec un bon café!

Café Ambrose

Commençons par un classique : Café Ambrose. Situé à deux pas du campus sur la rue Stanley, il
est idéal si tu as quelques heures de pause entre tes cours. Leur spécialité : des pâtisseries (brioche garnies, cinnamon rolls et croissants…) et des repas faits maison. L’atmosphère est très agréable avec un aménagement simple mais chaleureux ; il y a du wifi et des prises pour travailler confortablement. La musique n’est pas trop forte, et j’admets adorer leur playlist indie pop. Je recommande vivement leur chai latte et leur muffin aux bleuets.

Prix d’un latte classique : $4.50
3422 Rue Stanley

Jade Lê | Le Délit
Jade Lê | Le Délit

Café Chato

Énorme coup de cœur! Il se situe un peu plus loin que les autres, mais il suffit de prendre la ligne verte jusqu’à Verdun pour y être en quelques stations. Contrairement à son jumeau, situé sur la rue Duluth dans le Plateau, il y a moins de monde et les tables sont plus grandes. Travailler entouré d’adorables chatons, c’est l’environnement parfait (sauf si tu es allergique) et je ne peux que te le recommander. C’est l’endroit idéal pour prendre des pauses entre deux essais : plutôt que de scroller sur Insta, joue avec un chat! Je te suggère d’essayer leur panini tomates, pesto et mozzarella, ainsi que leur brownie au chocolat qui est excellent.

Prix d’un latte classique : $4.25
4833 Rue de Verdun

Jade Lê | Le Délit

Crew Collective & Café

Situé dans l’ancien bâtiment de la Banque Royale du Canada datant de 1928, le Crew Collective & Cafe est loin d’être un café ordinaire! Bien que le prix des boissons soit assez élevé, l’architecture en vaut le détour. Cela ne deviendra peut-être pas l’endroit où tu passeras tes semaines pour réviser, mais de temps en temps, changer de décor aide à se changer les idées. L’avantage, c’est qu’il y a de nombreuses tables pour s’installer. De plus, ils proposent des stations de coworking pour $20 la journée.

Prix d’un latte classique : $5.75
360 Rue Saint-Jacques

Colombus Café

Si tu cherches un endroit pratique pour t’installer, le Colombus Café est toujours une bonne adresse. Ce n’est peut-être pas le meilleur café de Montréal, mais ils offrent un large choix de nourriture : brownies, muffins, sandwiches, wraps… À défaut de bien boire, tu trouveras de quoi bien manger. Wifi accessible pour tous et des tables assez larges pour travailler, c’est un bon endroit si tu veux être efficace. Attention cependant, par rapport aux autres endroits sur la liste, c’est le plus bruyant, avec beaucoup de circulation. Il y a également de la musique de fond. Si tu préfères le silence, ce café n’est sûrement pas pour toi.

Prix d’un latte classique : $4.75
2020 Blvd Robert-Bourassa ou 2153 Rue Sainte-Catherine

Grande Bibliothèque de BAnQ

Pas un café cette fois-ci (même s’il est possible d’en acheter a l’entrée), mais ma bibliothèque préférée! Idéal si tu préfères le silence à un café un peu bruyant. Il est parfois difficile de trouver un endroit pour s’asseoir durant la fin de semaine, mais avec un peu de patience tu pourras prendre place sur l’une des grandes tables en bois du 3e étage de la Grande Bibliothèque. Mon point préféré : la lumière naturelle qui pénètre depuis les grandes fenêtres du bâtiment. Tu peux également créer ta carte d’abonnement gratuitement et emprunter des livres lorsque tu le souhaites. Un autre atout : des instruments de musique disponibles pour tout le monde au dernier étage de la librairie. Piano, guitares, ukulele… il y a de quoi t’entrainer.

Métro Berri-UQAM
475 Boul. de Maisonneuve E

Bibliothèque Webster, Concordia

Enfin, un incontournable des étudiants : la bibliothèque universitaire de Concordia. Alors oui, c’est aussi une bibliothèque universitaire, comme McLennan, mais je peux vous garantir que – pour une raison que j’ignore – je suis toujours plus productive là-bas. Accessible au public de 7h à 23h, elle s’étend sur plusieurs étages. De nombreux espaces sont disponibles pour étudier individuellement ou en groupe. Les étudiants de McGill peuvent accéder gratuitement au wifi de Concordia afin de travailler confortablement. Enfin, l’esthétique est vraiment propice au travail : loin de l’architecture brutaliste de McLennan, le bâtiment est ouvert et lumineux, possédant de larges fenêtres.

Métro Guy-Concordia
400 Maisonneuve Blvd West

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Aux oubliées de l’histoire https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/aux-oubliees-de-lhistoire/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55072 Ça aurait pu être être un film, le dernier livre de Martine Delveaux.

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Paru le 20 septembre 2023 dernier aux éditions Héliotrope, le dernier roman de l’autrice québécoise Martine Delvaux, Ça aurait pu être être un film, plonge le lecteur dans l’enquête passionnée du triangle amoureux formé par les deux artistes Joan Mitchell, figure du mouvement expressionniste américain et Jean Paul Riopelle, peintre canadien vedette, avec la jeune américaine Hollis Jeffcoat. Habituellement, dans les documentaires sur le couple que forment Joan et Jean Paul, Hollis est à peine mentionnée. Les seules traces de son existence sont une note de bas de page dans une biographie de Jean Paul, et une phrase de Joan lancée lors d’une entrevue, « Jean Paul est parti avec la dogsitter [Hollis, ndlr] ». Pourtant, lorsque Martine Delvaux se voit proposer un scénario sur le couple d’artistes, c’est le personnage d’Hollis qui obsèdera l’autrice et qu’elle placera au centre de son roman.

« Beaucoup étaient célèbres mais on ne parle pas des seconds »

L’enquête commence par l’arrivée de Hollis Jeffcoat dans le Paris des années 70 en tant qu’administratrice de la New York Studio School, et sa rencontre avec le couple Joan et Jean Paul. Hébergée dans la Tour, la propriété de Joan, à partir de l’été 76 en échange de la garde de ses chiens, Hollis peint avec elle jusqu’au petit matin. Jumelles, mère-fille, amantes, leur relation s’affranchit de toute étiquette. Comme autant d’ébauches d’un même tableau, Martine Delvaux réécrit plusieurs fois au fil des pages une même histoire qui tiendrait dans un paragraphe : la rencontre de Hollis et Joan, leur amitié, l’arrivée de Jean Paul, et son départ avec la dogsitter. Autant de regards étrangers sur une relation dont l’autrice cherche à percer les mystères à travers l’exploration des archives, les plongées dans les œuvres des trois artistes, et les rencontres avec leurs proches. Martine Delvaux s’immisce dans leur vie, jusqu’à en faire partie.

« C’est finalement cette lutte pour la postérité d’Hollis qui forme le corps du roman, ce lien post-mortem entre l’autrice et son personnage, qu’elle appelle sa jumelle »

Ce roman est un questionnement permanent. Pourquoi pas elle? Pourquoi pas Hollis? Pourquoi l’avoir condamnée à l’oubli? Figée pour la postérité dans le rôle de l’étudiante séductrice qui part avec le compagnon de celle qui l’a accueillie, Hollis aurait pu jouir du même succès que Jean Paul et Joan. Hollis est une artiste, dont le talent a été immédiatement reconnu par Joan et Jean Paul, qui sollicitent tous deux son avis sur leurs peintures. Pourquoi alors a‑t-elle été cantonnée à cette note de bas de page, elle qui a occupé une place si importante dans l’œuvre des deux? Muse, amie ou amante, la femme est systématiquement mise au second plan de l’oeuvre, rapportée à une figure masculine dont elle ne peut se détacher. Comme Martha Gellhorn et Hemingway, Hollis n’existe que dans le sillage de Jean Paul. Véritable anthologie féministe de l’art, le roman de Martine Delveaux met l’histoire d’Hollis en perspective avec d’autres similaires, d’artistes et de leurs muses, elles-mêmes créatrices, et pourtant reléguées au second plan.

Le récit est décousu, organisé comme le carnet de notes de l’autrice, sautant d’une période, d’un personnage à un autre au gré des comptes rendus de ses entrevues et de ses recherches, agrémenté de ses commentaires, de digressions féministes sur la peinture ou le cinéma. Comme un passant observant un peintre à l’œuvre, le lecteur suit deux trames : l’ébauche de la vie de Hollis et du couple Jean Paul et Joan ; et le cheminement de l’autrice, son travail, ses passions et ses doutes. Perdu dans les détails décousus et les digressions, le lecteur voit apparaître une vie complexe et libre, et découvre une personne centrale aux deux artistes, mais ignorée du grand public. Ce roman raconte aussi le combat de l’autrice, luttant contre le magnétisme de Jean Paul et Joan pour écrire l’histoire de Hollis, le récit que personne n’a écrit. Face à la myopie de l’histoire officielle, qui, pour un nom sauvé de l’oubli en condamne tant d’autres, Martine Delvaux replace Hollis au centre du triangle amoureux, et place les deux artistes dans son orbite. C’est finalement cette lutte pour la postérité d’Hollis qui forme le corps du roman, ce lien post-mortem entre l’autrice et son personnage, qu’elle appelle sa jumelle. C’est l’histoire d’un rendez-vous manqué, Martine Delvaux s’emparant du sujet un mois après la mort d’Hollis Jeffcoat. Ça aurait pu être un film…

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Identité et tragédie collective https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/identite-et-tragedie-collective/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55097 Critique de la pièce Because of The Mud.

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La pièce Because of The Mud, présentée au théâtre La Chapelle du 19 au 22 février, raconte l’histoire de quatre trembles, un type de peuplier, faisant partie du même petit bois. Leurs identités se confondent dans ce bosquet commun et elles portent toutes le même prénom : Roberta. À leurs côtés, deux roches : l’une en granit et l’autre en quartz. Ils vivent tous sous une pluie incessante, symbole des conséquences du changement climatique. Cette mise en scène, orchestrée par le chorégraphe Nate Yaffe, marque la première représentation du texte éponyme écrit par Corinne Donly. La pièce est jouée en anglais avec des sous-titres français.

L’idée au coeur de la représentation est belle et originale. Le scénario pose des questions cruciales sur la manière dont les identités se fondent lors de catastrophes qui touchent tout un groupe, et la difficulté d’exprimer son besoin de se singulariser dans ce contexte. La pièce touche à des sujets très actuels, qui font échos à la crise climatique comme à de nombreuses tragédies collectives. Le choix de la métaphore du bosquet et des roches qui dépérissent sous la pluie incessante est très poétique et imagé.

Cependant, j’ai trouvé que certains éléments intéressants manquaient parfois quelque peu de développement, qui aurait été nécessaire afin d’avoir l’impact désiré. Par exemple, à la fin de la pièce, l’un des trembles choisit de s’appeler Robert plutôt que Roberta. Je pense qu’il est très intéressant d’avoir voulu aborder le sujet de la transidentité mais que la pièce aurait gagné à développer un peu plus là-dessus. Le discours de Robert sur son mal être de faire partie des Robertas était un peu trop général. Ce mal-être s’est perdu dans celui de toutes les Robertas, accablées de faire partie d’un bosquet qui dépérit sous la pluie, sans pouvoir exprimer leurs identités individuelles. J’ai parfois eu l’impression que la pièce essayait de dire trop de choses en trop peu de temps.La force de certaines propositions était atténuée par leur juxtaposition avec d’autres idées fortes, ce qui faisait que certains sujets pouvaient parfois sembler être amenés maladroitement.

De plus, bien que les acteurs portaient le texte avec un enthousiasme certain, j’ai trouvé que leur jeu sonnait parfois un peu faux. Leur ton et leurs expressions m’ont semblé parfois un peu exagérés, dans un style qui aurait pu tout à fait convenir à un public jeunesse, mais qui apparaissait surjoué pour le public adulte qu’il veut cibler. J’ai trouvé que le manque d’authenticité et de sincérité des personnages rendait assez difficile la tâche de s’attacher à eux, ce qui empêche de ressentir pleinement les enjeux du texte. De plus, certaines blagues manquaient un peu de subtilité et étaient un peu convenues. Quelques spectateurs riaient, mais ce n’est définitivement pas le genre d’humour qui pourrait plaire à tout le monde.

En revanche, la direction artistique était remarquable. L’obscurité constante, interrompue par de brèves éclaircies, plonge les spectateurs dans le même désespoir que les protagonistes qui attendent et espèrent l’arrivée du soleil. Au centre de la salle coule un filet d’eau incessant qui rend l’atmosphère humide.

Si certains acteurs manquent parfois un peu de justesse, ils compensent largement par leur corporalité. Leur manière de danser et d’occuper l’espace est des plus intéressantes. Alexis O’Hara a fait une belle prestation musicale sur scène, très particulière et appropriée à la pièce.

Certains éléments étaient très touchants. La relation entre la Roberta plus âgée et la Roberta plus jeune reflétait bien l’écart intergénérationnel qu’il peut parfois y avoir entre une mère et sa fille. Il y avait beaucoup de justesse dans la représentation de cette relation, avec ses silences, ses paroles, son manque de compréhension mutuelle et sa culpabilité. C’était une facette très juste et sincère, qui fut pour moi la lumière de la pièce.

Because of The Mud possède tous les éléments d’une bonne pièce de théâtre. Bien que j’aie regretté le manque de développement sur certains aspects, la pièce a su aborder un sujet profond et actuel de manière très originale, et l’exploiter avec une direction artistique qui lui a rendu honneur.

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Le consentement : montrer l’horreur https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/le-consentement-montrer-lhorreur/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55102 Le titre du roman de Vanessa Spingola, Le consentement, a donné à son récit une résonance particulière, lorsqu’il est publié en 2020. Il ne s’agit pas seulement d’une histoire horrible, d’une révélation atroce, mais aussi d’une preuve que l’emprise prend un bien long chemin avant de se dévoiler à la conscience de sa détenue. Vanessa… Lire la suite »Le consentement : montrer l’horreur

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Le titre du roman de Vanessa Spingola, Le consentement, a donné à son récit une résonance particulière, lorsqu’il est publié en 2020. Il ne s’agit pas seulement d’une histoire horrible, d’une révélation atroce, mais aussi d’une preuve que l’emprise prend un bien long chemin avant de se dévoiler à la conscience de sa détenue. Vanessa Spingola, en couchant ces mots si essentiels sur papier, nous rappelle qu’il faut bien du temps à un cerveau manipulé pour se défaire de ses chaînes, et bien plus encore quand il s’agit du cerveau d’une enfant. Avec un tel titre, le roman incarne un plaidoyer pour la protection des victimes d’abus sexuels, et nous offre une réflexion puissante sur la manipulation du consentement, qui ne peut être abordé sans la prise en compte des relations de pouvoir. Le livre porte les mots de son autrice, il est l’emblème de son émancipation et permet aux lecteur·rice·s de comprendre avec effroi, la violence, tandis que Vanessa Spingola se livre à une introspection. Elle y raconte la relation qu’elle a entretenue avec le célèbre écrivain Gabriel Matzneff, alors qu’elle n’avait que 14 ans, et qu’il en avait 50. Ses mots nous permettent d’effleurer son expérience, tandis que les images du film éponyme Le consentement, sorti récemment au cinéma, nous place dans la position voyeuriste d’une caméra qui saisit l’horreur sans jamais l’incarner.

Fétichisation de la violence

Dans le long-métrage réalisé par Vanessa Filho, Jean-Paul Rouve incarne le terrifiant Gabriel Matzneff, et Kim Higelin la jeune Vanessa Spingola. Le duo met en scène le monstre et sa victime dans leur intimité, et propose les images fictionnelles de la jeune fille de 14 ans, qui découvre la sexualité, avec violence, aux côtés de l’écrivain connu, pervers, qui la manipule. Or, les images de violence offrent toujours à ceux et celles qui les regardent la possibilité d’une fétichisation des actes, là est le pouvoir dangereux des images. Le livre raconte bien les souvenirs d’une adulte, capable de percevoir avec le recul, l’horreur de ces mains immondes sur son corps d’adolescente. Le film ne représente pas réellement cela, car il rapporte les événements au présent, lorsque Vanessa Spingola est encore adolescente, et sous l’emprise de l’écrivain. Ces images sont-elles alors en accord avec le propos originel du récit? Avec le livre, le lecteur se tient aux côtés de l’autrice, il accompagne ses réflexions. Le film, quant à lui, place le spectateur dans une position tierce, extérieure. Et l’existence graphique de l’horreur, ne fait que perpétuer, à mes yeux, la possibilité d’une fétichisation de la violence sexuelle. De plus, les mots laissent place à plus de subtilité et d’expression personnelle, tandis que le film présente avec brutalité
l’immobilisme de la mère, filmée comme une « dépravée ». La représentation des personnages et des événements oscille entre l’objectivité de la caméra et la nature subjective du récit de Vanessa Spingola, que le film est censé
retracer. Les mots de la jeune fille de 14 ans dans le film, sont ainsi parfois ceux de l’adulte éclairée du récit, et sonnent faux. Il est aussi presque étrange de voir Matzneff si présent à l’écran, tandis que Spingola nous en distance par le retrait de son nom, se référant à lui par « G. » ou « G.M. »

Récit émancipateur, film vain

Le livre incarnait avant tout l’émancipation de son autrice. Elle décide en l’écrivant de le prendre à son propre piège, en se servant de ses mots pour l’enfermer, à son tour, dans une cage. Là est la nature du roman Le consentement. En l’adaptant au cinéma pour seulement représenter les événements, on lui enlève ainsi cet aspect central. Matzneff est un écrivain, autrefois en partie admonesté pour sa pédophilie, Spingola est une écrivaine, maintenant adulée pour sa force et la beauté de ses mots. Il y a, dans toute cette affaire, aussi une question de mots. Les mots permettent une émancipation que le film ne parvient pas à retranscrire. Il démontre l’horreur vécue par Vanessa Spingola, la douleur avec laquelle elle a dû survivre, mais il soustrait au récit la réflexion sur le temps, le temps nécessaire pour se défaire d’une emprise et approcher un discours sur le consentement, un discours adulte. Dans le film, la jeune fille reste prisonnière de sa cage et nous oblige douloureusement à l’observer, impuissante. Le livre, quant à lui, incarne aussi un discours sur la sortie du silence.

Mon questionnement final serait sur l’existence même du film. Pourquoi faire vivre à l’écran l’horreur sans contrôle, tandis que les mots de Spingola s’approprient une histoire qui lui appartient, pour s’émanciper enfin? Je préfère plutôt la force libératrice que ses mots ont originellement donnée au discours sur le consentement.

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O’Keeffe et Moore au MBAM https://www.delitfrancais.com/2024/02/21/okeeffe-et-moore-au-mbam/ Wed, 21 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54976 La nature au cœur des œuvres des deux artistes modernistes.

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Le Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) accueille du 10 février au 2 juin 2024 une exposition rétrospective sur la vie de deux des artistes les plus influents du mouvement moderniste ; Georgia O’Keeffe et Henry Moore. D’une part, O’Keeffe est connue pour ses peintures, de l’autre, Moore l’est pour ses sculptures. O’Keeffe, géante de l’art moderne américain, et Moore, reconnu comme l’un des artistes britanniques les plus importants de sa génération, se rencontrent pour une valse harmonieuse au MBAM. De salle en salle, le visiteur est plongé au cœur même de leurs mondes, presque écrasé par l’omniprésence grandiose de la nature et du vivant dans leurs œuvres. Malgré le fait que les deux artistes ne se soient croisés qu’une seule fois durant leur vivant, leurs œuvres se marient harmonieusement grâce à leur amour commun pour la nature environnante, leur servant de source majeure d’inspiration. Passant des fleurs bien connues d’O’Keeffe aux ossements méticuleusement sculptés par Moore, l’exposition nous transporte au cœur de leurs vies, au cœur de leurs arts.

La juxtaposition de leurs œuvres permet de déceler les similitudes existantes entre leurs arts : on remarque plusieurs ressemblances dans leurs démarches artistiques, donnant un sens plus clair au jumelage de leurs entreprises. Un autre point commun relevé lors de l’exposition est que les deux artistes ont notamment expérimenté avec le style surréaliste. Là où O’Keeffe jouait sur les limites de l’abstraction avec ses fleurs, Moore optait pour des techniques de sculpture rappelant des formes humaines, tout en explorant les frontières du figuratif. Ainsi, on se retrouve en pleine immersion dans un monde de coquillages et de fleurs, qui brouille la frontière entre l’abstrait et le réel. De plus, les techniques de juxtaposition en peinture ont été exploitées
autant par O’Keeffe que par Moore, et ajoutent à l’aspect surréaliste de leurs arts. Plusieurs peintures, de Moore comme d’O’Keeffe, représentaient la perspective d’un os ou d’un coquillage devant le ciel ou encore devant un paysage désertique néo-mexicain, offrant des panoramas surréalistes fascinants. La mise en dialogue de leurs œuvres force le visiteur à constater la grande similarité entre leurs travaux : dans une marée de roches, de coquillages, d’ossements et de fleurs, leur passion pour la nature est indéniable.

Pour ce qui est de l’expérience lors de la visite, l’exposition est plutôt courte, ne regroupant que trois salles, mais comprenant tout de même plus d’une centaine d’œuvres des deux artistes. Les murs ont subi un traitement leur donnant un aspect plus organique et fluide afin de créer un univers susceptible d’accueillir et de mettre en valeur les œuvres des artistes. La pièce la plus marquante est probablement celle qui nous permet d’observer une reconstruction des ateliers d’O’Keeffe et de Moore : le visiteur est alors invité à s’immiscer dans l’intimité des artistes, en des lieux teintés par l’individualité de ces derniers, mais qui partagent plusieurs similitudes. On note qu’ils avaient tous deux des collections extensives de roches, d’os et de coquillages. L’éclairage était relativement tamisé, mais sans pour autant enlever au dynamisme des salles. En général, la scénographie de l’exposition a été réalisée avec beaucoup de finesse, permettant une visite agréable.

Bien que son œuvre puisse sembler redondante, il aurait été intéressant qu’on dédie à O’Keeffe une exposition lui étant entièrement consacrée, où l’on aurait pu explorer avec plus de profondeur la complexité de son travail et sa place de pionnière au sein du mouvement moderniste. Malgré le fait qu’elle et Moore aient été des icônes du milieu artistique de façon concomitante, le lien entre leurs œuvres se limite à l’importance accordée par chacun à la nature comme source d’inspiration. Ainsi, j’aurais aimé voir une telle exposition – joignant l’œuvre de deux artistes d’envergure – regrouper des artistes ayant partagé plus qu’une passion, ou encore ayant travaillé ensemble. Malgré tout, l’exposition vaut la peine par le simple fait qu’elle offre une mise en dialogue inédite entre les œuvres d’O’Keeffe et de Moore, permettant de jeter un regard nouveau sur leurs entreprises respectives.

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Magie, féérie et nostalgie https://www.delitfrancais.com/2024/02/21/magie-feerie-et-nostalgie/ Wed, 21 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54922 Concert Candlelight des musiques de Joe Hisaishi.

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Après New York et Londres, les concerts à la bougie sont enfin offerts à Montréal. Ces concerts Candlelight sont une expérience musicale magique qui nous invite à écouter et à redécouvrir la musique dans des lieux inédits. À partir de classiques comme Vivaldi en passant par des artistes contemporains comme Coldplay, leurs répertoires sont très variés, attirant un public diversifié. Les représentations se déroulent à Montréal, dans différents lieux sacrés comme la cathédrale Christ Church, l’église Saint-Jean-Baptiste et la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours. D’innombrables bougies illuminent les scènes féériques, permettant une parenthèse musicale sublime dans une ambiance intime et douce. 

« L’idée derrière ces concerts est de démocratiser la musique classique, surtout pour les étudiants, en la mariant avec la culture populaire »

La vente des billets se déroule sur le site de Fever, qui propose maintenant de nombreuses dates à Montréal. Les concerts proposés sont d’ailleurs adaptés à la métropole québécoise. En effet, nous pouvons y retrouver les chansons de Céline Dion ainsi que de Leonard Cohen, deux artistes majeurs de la province francophone. L’idée derrière ces concerts, me partage Fever, est de démocratiser la musique classique, surtout pour les étudiants, en la mariant avec la culture populaire. Les expériences proposées par Fever varient en termes de prix, mais celle à laquelle j’ai assisté coûtait 30$, soit moins cher qu’un ballet classique ou qu’un opéra. 

Ce vendredi 16 février, je m’apprête de ma plus jolie robe pour assister à la représentation des musiques de Joe Hisaishi, connu principalement parce qu’il est le compositeur derrière la plupart des musiques iconiques des films de Hayao Myazaki. Cet événement se déroule dans un endroit exceptionnel : la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, soit la plus vieille chapelle à Montréal. Au programme, plus d’une dizaine de musiques provenant des films des studios Ghibli, tels que Mon Voisin Totoro, Princesse Mononoke, Le Château dans le Ciel, et bien évidemment Le Château Ambulant, mon préféré. Dès que franchis le seuil de la porte de la chapelle au bras de mon partenaire, le temps semble se suspendre. Éclairé par des centaines de chandelles, ce lieu merveilleux respire le calme et la sérénité. Les gens, pour la plupart habillés très chic, s’installent peu à peu sur les bancs en bois et se préparent pour le spectacle. Je regarde autour de moi. Les âges varient.  Il y a des personnes plus âgées, mais aussi des jeunes couples, comme nous, et des enfants. C’est alors au tour du Quatuor à Cordes Listeso de faire son entrée. Composé de deux violons, d’un alto et d’un violoncelle, ils prennent place sur scène, sous la lumière douce et chaude des bougies. Les premières notes retentissent et je ferme les yeux. Tout au long de la soirée, je suis transportée dans un univers féérique, retombant en enfance en entendant la bande sonore de mes films d’animation préférés. De temps en temps, un des musiciens s’interrompt pour nous en dire plus sur les musiques qu’ils interprètent. Cela nous permet d’en savoir un peu plus sur la vie de Joe Hisaishi et de sa collaboration avec Myazaki. On comprend également la philosophie de ce dernier et le message qu’il cherche à faire passer à travers ses films. Chacune de ses réalisations est un questionnement moral sur l’humain et ses technologies face à une nature sacrée, que l’on se doit de préserver. Bien souvent, c’est d’ailleurs la nature qui l’emporte. 

Enfin, tout le monde se lève et applaudit. Nous revenons dans l’espace temporel, tirés de notre rêve éveillé. Même si le concert fût une expérience remarquable, il n’y a pas à dire, c’est le fait d’avoir passé un moment plaisant avec une personne qui m’est chère que j’ai préféré. Je ne peux que vous inviter à en faire vous-même l’expérience. 

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Plongée dans une librairie indépendante : De Stiil https://www.delitfrancais.com/2024/02/21/plongee-dans-une-librairie-independante-de-stiil/ Wed, 21 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54931 Entretien particulier avec Aude Le Dubé.

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Au cœur du Plateau Mont-Royal, nichée dans la rue Duluth, se trouve la librairie De Stiil. Une véritable oasis littéraire au milieu du tumulte urbain, cette boutique d’angle, baignée dans un vernis blanc, évoque l’atmosphère des quartiers bohèmes de Notthing Hill ou de Brooklyn. J’ai eu la chance de m’entretenir avec Aude Le Dubé, la fondatrice de la boutique. Installées près d’une des nombreuses fenêtres qui encadrent la boutique, un rayon de soleil timide nous réchauffait, nous faisant momentanément oublier la température glaciale de l’extérieur. Nous nous sommes alors plongées dans une conversation envoûtante sur la littérature, l’art et l’importance des librairies indépendantes dans notre société.

« Véritable oasis littéraire au milieu du tumulte urbain, cette boutique d’angle, baignée dans un vernis blanc, évoque l’atmosphère des quartiers bohèmes de Notthing Hill ou de Brooklyn »

L’entretien a été édité dans un souci de clarté et de concision.

Philippine : Est ce que vous pouvez vous présenter?

Aude Le Dubé (ALD) : Je m’appelle Aude, je suis née en France, j’ai déménagé au États-Unis où j’ai vécu 16 ans, pour ensuite partir en Suisse pour dix années. Ça fait maintenant 12 ans que j’habite à Montréal.

Philippine : D’où vient cette passion pour la lecture et l’écriture? Comment en êtes-vous arrivée à ouvrir une librairie?

ALD : Je dirais que ma fascination pour la littérature a débuté dès mon enfance avec Agatha Christie et s’est approfondie avec Marguerite Duras, que j’admire notamment pour Le Ravissement de Lol V. Stein. J’aime son style d’écriture faussement simple, qui va au cœur des choses. Sartre disait « J’ai pas le temps de faire court », et bien, je dirais que Duras avait le temps de faire court. Alors j’ai décidé de poursuivre une carrière en tant qu’autrice et traductrice. L’aventure De Stiil a donc émergé de mon histoire dans le monde de l’édition. En arrivant à Montréal en 2018, j’ai ouvert une boutique qui vendait initialement ce qu’on peut appeler des beaux livres et des objets d’art. C’est lors du premier confinement que j’ai constaté que les clients s’intéressaient principalement aux romans. J’ai donc rapidement élargi notre assortiment pour répondre à cette demande croissante.

Philippine : Pourquoi ce choix de vous tourner vers de la littérature anglophone en tant que française?

ALD : Ça fait maintenant 45 ans que je lis de la littérature anglophone. Je trouve que c’est plus vivant, avec davantage de place pour les voix féminines, différents genres et styles, que je trouve moins dans d’autres langues. Nous vendons surtout des livres traduits. Les livres traduits de langues étrangères en anglais représentent seulement 3% de la production dans le monde de l’édition. Alors, en tant que francophone, si on veut lire beaucoup, la production de littérature en français pourrait ne plus être adéquate pour répondre à nos besoins. Moi, j’ai simplement reproduit ce qui m’attire. Je suis particulièrement attirée par la littérature allemande, donc j’en ai beaucoup, mais il y aussi des traductions du japonais, de l’hébreu, de l’italien, de l’arabe, du français, ça voyage beaucoup.

Philippine d’Halleine

Philippine : Comment décririez-vous le concept de votre boutique? L’esthétique de vos livres joue-t-elle un rôle dans vos ventes? Et quel type de clientèle vous cherchez?

ALD : Évidemment que l’esthétique joue un rôle important pour moi, mais aussi pour les clients. Les livres qu’on ne propose pas, c’est-à-dire, les romances, les livres young adult, sont généralement laids, mais de toute manière ils ne m’intéressent pas, donc le choix n’est pas difficile. À l’inverse, il m’est déjà arrivé de commander des livres passionnants, mais la couverture était si hideuse qu’il m’a été impossible de les vendre ; les consommateurs ne sont pas réceptifs. La clientèle est très jeune. Il y a des préjugés sur le fait que les jeunes ne lisent plus la littérature papier à cause des nouvelles technologies, mais moi je pense que ce sont surtout les personnes âgées qui sont concernées par ce déclin.

Philippine : Vous ne constatez donc pas de baisse de lecture chez les jeunes? En tout cas au niveau papier?

ALD : Au contraire! Maintenant, plus rien ne nous appartient. On n’achète plus de disques, on stream la musique, et c’est pareil pour les livres ; on achète en ligne ou sur Kindle. Donc je pense que les gens constatent cela et préfèrent posséder un livre papier. Souvent, ils lisent en bibliothèque, et après, ils viennent acheter ici, parce que c’est important de pouvoir échanger, de pouvoir prêter, donner et partager ses livres. Tandis que les clients qui viennent, savent ce qu’ils veulent et savent qu’ils peuvent le trouver ici. On fonctionne beaucoup par thème. On a une table appelée Uplifting Reads [lecture édifiante, ndlr] parce que le monde est déprimant en ce moment. J’achète comme une lectrice, pas comme une libraire. C’est donc ça la différence.

« La fiction, la littérature, ce n’est pas pour nous aider à vivre, c’est pour nous aider à sortir de nos vies. C’est pour nous aider à ne pas vivre. »

Philippine : Des conseils pour parvenir à se mettre à la lecture pour le plaisir, pour sortir des cours?

ALD : Les gens qui veulent lire, c’est très simple, mais ça peut être difficile de le faire naturellement, notamment pour les étudiants qui lisent pour les cours toute la journée. J’ai un seul conseil : se débarrasser de son téléphone. Seulement 15 minutes pour commencer ; se mettre dans une autre pièce silencieuse pour quelques minutes de lecture. Le lendemain 20 minutes, puis 30. Il faut laisser la magie opérer. La fiction, la littérature, ce n’est pas pour nous aider à vivre, c’est pour nous aider à sortir de nos vies. C’est pour nous aider à ne pas vivre.

Philippine : Vous me parliez de la littérature expérimentale comme un style de lecture qu’on peut trouver ici, auriez-vous des conseils de livres pour débuter?

ALD : En fait, la littérature expérimentale, ce n’est pas un narratif littéraire, ce n’est pas nécessairement une histoire, ça prend diverses formes. Huysmans, George Perec ou Prévert étaient de cette littérature. C’est de l’art facile à lire, qui sort des sentiers battus, d’une l’histoire avec une introduction et un développement et une conclusion. C’est peut-être plus original. Encore plus moderne, je conseillerais Wild Milk de Sabrina Orah Mark.

Philippine : Pour conclure, deux livres à acheter chez De Stiil ce mois-ci?

ALD : Le Prophet’s Song de Paul Lynch, je pense qu’il deviendra un grand classique contemporain. Et Kairos par Jenny Erpenbeck, tout simplement brillant.

Retrouvez la librairie au 351 Avenue Duluth E, Montréal, et suivez la page instagram pour vous tenir au courant des événements organisés par l’équipe De Stiil, qui réserve régulièrement de jolis moments à partager entre passionnés et débutants.

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La Transparence, au-delà des apparences https://www.delitfrancais.com/2024/02/21/la-transparence-au-dela-des-apparences/ Wed, 21 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54948 Critique de Panorama de Lilia Hassaine

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Panorama, paru en août 2023, est le troisième livre de l’écrivaine et
journaliste française Lilia Hassaine. Lauréat de deux des prestigieux prix littéraires français, le Prix Renaudot et le Prix des Lycéens, ce roman se situe à la frontière entre utopie et dystopie et plonge le lecteur dans une enquête policière dans une société française futuriste de 2049, à l’ère de la Transparence.

Rien à cacher


Le roman s’ouvre sur le procès de la justice française. En 2029, un influenceur célèbre victime d’inceste par
son oncle plusieurs dizaines d’années auparavant décide de faire justice lui-même face à l’irrecevabilité de sa plainte. Le meurtre est filmé et diffusé sur les réseaux sociaux, lançant la revenge week. Partout en France, les victimes se soulèvent et se vengent de leurs agresseurs. Le flic pourri, le patron d’une entreprise pétrolière, le voisin qui bat sa femme, tous y passent. Face à l’ampleur du mouvement et aux manifestations appelant à la réforme de la justice, le gouvernement tente de réprimer sans succès, plie et finit par s’effondrer. Après sept jours de terreur, c’est la révolution, le début de l’ère de la Transparence. Les institutions sont démantelées, les lois abolies et toute décision est désormais passée par référendum sur internet, et rendue publique. Mais la Transparence n’est pas seulement politique, elle est aussi individuelle et architecturale. Au nom de la paix civile, pour combattre les violences du passé commises dans la discrétion des espaces clos, les murs doivent tomber. L’intimité devient un luxe égoïste auquel la population renonce en réformant l’architecture. Les maisons, bureaux, lieux de culte sont abattus et remplacés par des édifices en verre. Exposés constamment à la vue de tous, les criminels entrent dans les rangs, les violences domestiques diminuent jusqu’à disparaître grâce à la surveillance constante des voisins suspicieux qui n’hésitent pas à appeler les gardiens de protection au moindre soupçon.

« À l’ère de la Transparence, l’exemplarité est de mise. L’intimité est égoïste puisque personne n’a rien à cacher, et pourtant, un couple et son enfant disparaissent »

Après avoir plongé le lecteur dans cette société utopique, Lilia Hassaine nous emmène dans une trame policière qui passionne la population de 2049. Au cœur d’un quartier huppé, dans un bloc de verre exposé à la vue de tous, une famille disparaît. L’enquête révèle quelques gouttes de sang, identifie des suspects potentiels, mais faute de pistes tangibles et sous la pression du chef de police, elle est classée sans suite, jusqu’à la découverte des corps un an plus tard. Avec cette enquête, l’autrice interroge les mécanismes dystopiques de cette société futuriste : son rapport à l’éducation avec l’abolition du risque transformant les enfants en clones idéaux pas si parfaits, la marchandisation de l’intimité, et la violence symbolique et réelle d’une population qui se veut assainie.

Au-delà de la fiction


Le style de prédilection de Lilia Hassaine n’est pas la science-fiction. Ses deux romans précédents, Soleil Amer, et L’Oeil du Paon traitent respectivement de l’intégration d’une famille d’immigrés dans la France des années 80 et de la dangereuse ivresse d’une jeune croate qui intègre la jeunesse aisée parisienne. Dans son dernier roman, Panorama, l’autrice dresse avec succès le portrait d’une société qui nous ressemble, où les murs transparents interdisent les secrets, où la pénétration dans l’intimité d’autrui ne se fait plus seulement par nos téléphones, mais par l’architecture même de la société. Reclues derrière des murs de verre, les personnes sont prisonnières du regard des voisins, des passants qui les scrutent en permanence et leur imposent une image. À l’ère de la Transparence, l’exemplarité est de mise. L’intimité est égoïste puisque personne n’a rien à cacher, et pourtant, un couple et son enfant disparaissent. Dans une société fictive qui nous invite à réfléchir sur notre rapport à la liberté, à la démocratie, Lilia Hassaine nous plonge dans une trame policière dont l’on peine à sortir.

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Déclarations d’amour https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/declaration-damour/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54749 Soif d’ambroisie mon visage plongéentre deux moelleux oreillers,mon être respire ta présence Profondeur, douceur rafraîchissante des nuits agitées accompagnéesde brouillards déprimants, l’eauà qui j’envie d’avoir eu ton corps Complètement enfoui dans sa matière pensées et schémas fatals,mon style d’écriture me paraît méconnaissable,tandis que j’observe naturellement tes pétales De loin, les gouttes de nectar les colorent… Lire la suite »Déclarations d’amour

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Soif d’ambroisie

mon visage plongé
entre deux moelleux oreillers,
mon être respire ta présence


Profondeur, douceur rafraîchissante


des nuits agitées accompagnées
de brouillards déprimants, l’eau
à qui j’envie d’avoir eu ton corps


Complètement enfoui dans sa matière


pensées et schémas fatals,
mon style d’écriture me paraît méconnaissable,
tandis que j’observe naturellement tes pétales


De loin, les gouttes de nectar les colorent


plante tentante, je suis une abeille
tournant autour de ton champ,
volant avec hésitation de haut en bas


Craignant de sucer tes larmes d’ambroisie


et de me retrouver incapable de supporter
un pollen immortel, un papillon étouffant
dans le ventre, une superficialité


Et éventuellement, la chaleur diminue


je pleure l’océan simple d’esprit,
aux saisons qui passent
et aux fleurs les plus proches,


Empreintes des fragrances que tu déposes

- Ilias Lahlou

Hélix

Nue, elle serait,
de la manière la plus complète
frottant son dos et hanches
sur mes draps blancs en lin
tandis qu’elle les imprègne
de ses vers rimés


Zieutant amoureusement
un pot de fleur sur le chevet
où les jasmins fleurissent
pour libérer dans l’hélix percé
de ses oreilles des mouvements
et un fourmillement de sous-entendus


une poésie sans but, parfois même creuse
tente de dépeindre les désirs persistants,
emplis d’excitation et d’anxiété à la fois,
le sang coule sans cesse en moi


et remplit massivement mon cerveau droit
alors que son goût visuel entre dans mes veines
une muse, vivifiante à elle seule,
dont les images adoucissent mon ton
et je me vois la caresser,
les doigts autour du lobe de ses oreilles

- Ilias Lahlou

Spleen hivernal

De toute part assiégée par le blizzard,
Je cherche mon chemin au hasard.
En proie aux flèches de l’obscurité meurtrière,
Oh, qu’elle semble lointaine la Ville Lumière!


Pas après pas, jour après jour
Impossible d’oublier cette divine nuit d’amour.
Comment empêcher, dans le brouillard de janvier,
Que s’échappe la promesse d’une idylle partagée?


Seule une année-lumière nous sépare de la foule en liesse
Mais à quand la prochaine caresse?
Et voilà que les douze coups de minuit ont sonné ;
Oh, que j’aurais aimé posséder le don d’ubiquité!


Comme un cadeau céleste, je te laisse m’enlacer
À présent, c’est certain : j’ai tout inventé.
Et voilà que le carrosse s’est transformé,
Une telle félicité, longtemps je l’ai espérée.


Entre tes doigts, mes cheveux se délectent avec délice
Depuis le pays de l’orignal, des frissons parcourent encore mon clitoris
Il me tarde de recevoir ce baiser
Et si tout n’était qu’un songe d’une nuit d’été?


Oh, impitoyable tempête des souvenirs
Qui sans le génie de Klapisch aura su me faire périr
Toi, qui chaque nuit attise mes insomnies
Dans cet hiver rude où nous consume la nostalgie.


Oui, attendre il me le faut
Car à l’aube du printemps nouveau,
Résonnera le timbre de ta voix
Et à l’oreille nue me chuchotera : non, tu ne rêves pas!

- Adèle Doat

Elle

Sur les pavés du vieux quartier,
humides et luisants,
ce mardi matin d’automne.
Te voici te voila
revenant de loin,
que tu te faufiles entre les colombages.
Accompagnée de ton parfum,
de ta brise jouant avec les odeurs des commerces
voisins
Emmitouflée dans ton épais manteau de douceur
et de ce sentiment d’insouciance :
tu danses.
À la torpeur d’un rayon de soleil,
à l’aube d’une vie innocente,
s’élançant à la tombée de l’asphalte :
tournoyante, vacillante,
d’une chaleur lente,
tu te tords.
Voici qu’un halo de lumière
se perd dans le fond de tes mèches
que le soleil réverbère.

-Jade Lê

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Ulster American : identité et célébrité https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/ulster-american-identite-et-celebrite/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54703 Critique de la pièce Ulster American présentée au théâtre La Licorne.

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Le 6 février dernier, Le Délit a assisté à la pièce Ulster American, écrite par le dramaturge anglais David Ireland et présentée au théâtre La Licorne. Cette comédie noire interprétée par Frédéric Blanchette, Lauren Hartley et Vincent Leclerc, met en scène Ruth, une dramaturge d’Irlande du Nord, Jay, acteur hollywoodien oscarisé, et Leigh, metteur en scène londonien, dans le salon de ce dernier. À la veille de la première répétition, Leigh introduit Ruth et Jay qui ne se sont encore jamais rencontrés.

Un conflit identitaire

Ulster American se présente au premier abord comme un conflit identitaire entre les trois protagonistes. Leurs identités se cristallisent et s’opposent autour du thème de la pièce. L’autrice, Ruth, originaire d’Irlande du Nord, s’identifie comme British, exaspérant le metteur en scène londonien, qui lui explique que tout son succès tient du caractère irlandais de la pièce, et que sans cela, sa pièce et elle-même ne seraient rien. De son côté, Jay, l’américain d’origine irlandaise est perdu dans des subtilités qu’il ne saisit pas : pourquoi Ruth, née en Irlande du Nord, serait British? Est-elle protestante? La tension monte, le ton hausse, et soudain, les masques tombent, et chacun se campe dans son identité respective. Jay, qui vantait les louanges de la pièce à Ruth comme la meilleure qu’il ait lue depuis dix ans, révèle sa profonde ignorance des dynamiques historiques du conflit. Son personnage, qu’il imaginait fervent catholique et pro-indépendance est en réalité un protestant schizophrène pro-Union, qui parcourt les rues de Belfast à la recherche de catholiques à tuer. Impossible pour lui de jouer ce rôle en opposition avec le sang irlandais de ses ancêtres qui coule dans ses veines, alors même qu’il n’y a jamais mis les pieds… Ruth se révèle elle aussi être bien différente des attentes du spectateur et des personnages. Interrogée sur la signification de la violence de sa pièce, la jeune autrice ne cache plus ses idées. Oui, la violence des protestants est regrettable, mais pas injustifiable selon elle. Que faire face à l’armée surentrainée, et suréquipée de l’IRA [Irish Revolutionary Army, ndlr] ? Malgré tous ses efforts, Leigh ne parvient pas à les réconcilier et sombre lui aussi dans le conflit lorsqu’il apprend que son amie est une Torie [électrice des conservateurs, ndlr], et par-dessus tout, pro-Brexit.

Avancer sans se renier

Bien que la pièce traite officiellement de l’identité, la réelle histoire qui se déroule en filigrane est celle de la célébrité. Comment accéder à la célébrité sans se renier soi-même? Chacun des personnages incarne une caricature de sa propre personne ; Jay, l’acteur oscarisé tente sans succès de se donner de la substance mais finit par se ranger derrière sa célébrité mondiale, dernier rempart face aux critiques de Ruth. Leigh tente coûte que coûte de sauver sa pièce qui bat de l’aile, n’hésitant pas à trahir ou à mentir, pour arriver à ses fins. Derrière sa façade lisse de bien-pensance, la colère laisse entrevoir sa vraie nature, sa misogynie latente. Ruth quant à elle est la jeune carriériste qui ne reculera devant rien pour parvenir au succès, prête à faire du chantage, et même à laisser sa propre mère seule à l’hôpital après un accident de voiture.

« Bien que la pièce traite officiellement de l’identité, la réelle histoire qui se déroule en filigrane est celle de la célébrité »

Une fin qui déçoit

Si le spectateur est conquis dès les premières minutes par les dialogues décomplexés, aux contresens aussi drôles que flagrants sur le féminisme ainsi que le racisme systémique, il peine à voir une porte de sortie se dessiner alors que les protagonistes s’enferment dans un conflit identitaire. Comment finir la pièce alors qu’à chaque réplique la réconciliation semble s’éloigner un peu plus? Finalement, et de manière abrupte, la fin s’impose au spectateur, violente, et déplacée, presque trop facile.

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