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Le consentement : montrer l’horreur

Clément Veysset

Le titre du roman de Vanessa Spingola, Le consentement, a donné à son récit une résonance particulière, lorsqu’il est publié en 2020. Il ne s’agit pas seulement d’une histoire horrible, d’une révélation atroce, mais aussi d’une preuve que l’emprise prend un bien long chemin avant de se dévoiler à la conscience de sa détenue. Vanessa Spingola, en couchant ces mots si essentiels sur papier, nous rappelle qu’il faut bien du temps à un cerveau manipulé pour se défaire de ses chaînes, et bien plus encore quand il s’agit du cerveau d’une enfant. Avec un tel titre, le roman incarne un plaidoyer pour la protection des victimes d’abus sexuels, et nous offre une réflexion puissante sur la manipulation du consentement, qui ne peut être abordé sans la prise en compte des relations de pouvoir. Le livre porte les mots de son autrice, il est l’emblème de son émancipation et permet aux lecteur·rice·s de comprendre avec effroi, la violence, tandis que Vanessa Spingola se livre à une introspection. Elle y raconte la relation qu’elle a entretenue avec le célèbre écrivain Gabriel Matzneff, alors qu’elle n’avait que 14 ans, et qu’il en avait 50. Ses mots nous permettent d’effleurer son expérience, tandis que les images du film éponyme Le consentement, sorti récemment au cinéma, nous place dans la position voyeuriste d’une caméra qui saisit l’horreur sans jamais l’incarner.

Fétichisation de la violence

Dans le long-métrage réalisé par Vanessa Filho, Jean-Paul Rouve incarne le terrifiant Gabriel Matzneff, et Kim Higelin la jeune Vanessa Spingola. Le duo met en scène le monstre et sa victime dans leur intimité, et propose les images fictionnelles de la jeune fille de 14 ans, qui découvre la sexualité, avec violence, aux côtés de l’écrivain connu, pervers, qui la manipule. Or, les images de violence offrent toujours à ceux et celles qui les regardent la possibilité d’une fétichisation des actes, là est le pouvoir dangereux des images. Le livre raconte bien les souvenirs d’une adulte, capable de percevoir avec le recul, l’horreur de ces mains immondes sur son corps d’adolescente. Le film ne représente pas réellement cela, car il rapporte les événements au présent, lorsque Vanessa Spingola est encore adolescente, et sous l’emprise de l’écrivain. Ces images sont-elles alors en accord avec le propos originel du récit ? Avec le livre, le lecteur se tient aux côtés de l’autrice, il accompagne ses réflexions. Le film, quant à lui, place le spectateur dans une position tierce, extérieure. Et l’existence graphique de l’horreur, ne fait que perpétuer, à mes yeux, la possibilité d’une fétichisation de la violence sexuelle. De plus, les mots laissent place à plus de subtilité et d’expression personnelle, tandis que le film présente avec brutalité
l’immobilisme de la mère, filmée comme une « dépravée ». La représentation des personnages et des événements oscille entre l’objectivité de la caméra et la nature subjective du récit de Vanessa Spingola, que le film est censé
retracer. Les mots de la jeune fille de 14 ans dans le film, sont ainsi parfois ceux de l’adulte éclairée du récit, et sonnent faux. Il est aussi presque étrange de voir Matzneff si présent à l’écran, tandis que Spingola nous en distance par le retrait de son nom, se référant à lui par « G. » ou « G.M. »

Récit émancipateur, film vain

Le livre incarnait avant tout l’émancipation de son autrice. Elle décide en l’écrivant de le prendre à son propre piège, en se servant de ses mots pour l’enfermer, à son tour, dans une cage. Là est la nature du roman Le consentement. En l’adaptant au cinéma pour seulement représenter les événements, on lui enlève ainsi cet aspect central. Matzneff est un écrivain, autrefois en partie admonesté pour sa pédophilie, Spingola est une écrivaine, maintenant adulée pour sa force et la beauté de ses mots. Il y a, dans toute cette affaire, aussi une question de mots. Les mots permettent une émancipation que le film ne parvient pas à retranscrire. Il démontre l’horreur vécue par Vanessa Spingola, la douleur avec laquelle elle a dû survivre, mais il soustrait au récit la réflexion sur le temps, le temps nécessaire pour se défaire d’une emprise et approcher un discours sur le consentement, un discours adulte. Dans le film, la jeune fille reste prisonnière de sa cage et nous oblige douloureusement à l’observer, impuissante. Le livre, quant à lui, incarne aussi un discours sur la sortie du silence.

Mon questionnement final serait sur l’existence même du film. Pourquoi faire vivre à l’écran l’horreur sans contrôle, tandis que les mots de Spingola s’approprient une histoire qui lui appartient, pour s’émanciper enfin ? Je préfère plutôt la force libératrice que ses mots ont originellement donnée au discours sur le consentement.


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