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Être libraire, ça consiste en quoi ?

Entrevue avec Mario Laframboise, libraire à la librairie Gallimard de Montréal.

Dominika Grand'Maison | Le Délit

Cette semaine, Le Délit a pu s’entretenir avec Mario Laframboise, libraire à la librairie Gallimard de Montréal. Il a répondu à nos questions sur son parcours, les responsabilités de son métier et les défis du quotidien auxquels il doit faire face.

Le Délit (LD) : Tout d’abord, peux-tu me parler un peu de toi et de ton parcours en tant que libraire ?

Mario Laframboise (ML) : J’ai commencé par faire des études de théâtre à l’École Nationale de Théâtre du Canada (ENT) en écriture dramatique. J’ai obtenu mon diplôme en 2016. Dans le contexte de la pandémie, le théâtre, ça devenait compliqué pour moi, mais j’avais besoin de sortir de chez moi. J’avais déjà de l’expérience en vente, et lorsque j’ai eu l’opportunité de travailler pour la librairie Monet, j’ai sauté sur l’occasion. Je lisais beaucoup, j’ai toujours été un littéraire. Cet intérêt pour les arts m’a poussé à travailler chez eux. J’ai commencé dans l’entrepôt, avant de devenir libraire. Dès lors, j’ai commencé à avoir un gros coup de cœur pour ce métier. Alors que j’étais très intimidé par les libraires à l’époque, travailler dans ce domaine m’a incité à poursuivre sur cette voie. Après près d’un an et demi, un poste s’est libéré à Gallimard et j’ai postulé. C’est chez Gallimard que je me suis retrouvé comme à la maison. C’est là où je me suis dit : « Je veux faire carrière ». Cela fait maintenant trois ans et demi que je suis libraire.

« On est constamment confronté à nos angles morts de nos savoirs en tant que libraire. Plus on en sait, plus on se rend compte qu’on ne sait rien »

Mario Laframboise, libraire chez Gallimard à Montréal

LD : Qu’est ce qui te plait le plus dans ton métier ?

ML : Le rapport aux clients, mais pas que. On a tendance à réduire le métier à ça, mais ce n’est pas seulement le cas. Ce que j’aime, c’est pouvoir apprendre quotidiennement sur la littérature et le monde de l’édition. On se rend compte qu’on ne peut jamais tout lire, car la quantité de livres publiés chaque jour est immense. Malgré cela, on rencontre des auteurs, des lecteurs, des éditeurs. Je suis baigné dans cette culture et c’est très enrichissant humainement. En plus, j’aime les tâches quotidiennes que nous devons effectuer, comme réceptionner les livres, les répertorier, les emballer… Le métier de libraire est riche.

LD : Quel est le plus gros défi auquel tu es confronté ?

ML : La chose principale sur laquelle je travaille, c’est ma confiance en moi. On est constamment confronté aux angles morts de nos savoirs en tant que libraire. Plus on en sait, plus on se rend compte qu’on ne sait rien. Ça demande beaucoup d’humilité de dire à un client qu’on ne sait pas, mais qu’on va se renseigner. C’est une opportunité pour apprendre, mais gagner en confiance en soi, c’est le plus dur. Ça ne me diminue pas en tant que personne de ne pas savoir quelque chose. Je suis aussi épaulé par des co-directeurs qui m’aident à me développer, tout comme mes collègues. Il y a souvent des clients qui sont étonnés qu’on ne connaisse pas tel auteur ou tel livre. La beauté de la chose, c’est qu’on en apprend tous les jours !

LD : En quoi consiste la journée type d’un libraire ? Quelles sont les tâches que tu dois effectuer ?

ML : Ce n’est pas pareil dans toutes les librairies, mais chez Gallimard, on s’occupe de tout. La journée type varie, car on a des rotations. Généralement, le matin, quelqu’un s’occupe de réceptionner les livres que nous recevons. Il y a aussi une personne qui traite les commandes en ligne. En plus, nous devons répondre quotidiennement aux courriels que l’on reçoit. Durant la journée, on doit également répertorier les livres et aider les clients, évidemment. Enfin, nous sommes aussi chargés de créer du contenu pour nos réseaux sociaux, d’écrire des notes de lecture, de gérer les stocks, et de s’informer de l’actualité pour être au courant de ce qui se passe dans le monde littéraire. Les gens ne s’en rendent pas toujours compte, mais en réalité, le métier de libraire c’est à peu près 15% de service à la clientèle et 85% de gestion de stock.

LD : Plus spécifiquement par rapport à Gallimard, pourquoi avoir choisi d’y travailler ? Qu’est ce qui rend cette librairie unique ?

ML : Je dirais que c’est leur vision. La librairie Gallimard forme une toute petite équipe par rapport à d’autres. Ils ont un désir de former des libraires de carrière et la volonté d’offrir une formation à long terme avec des libraires qui connaissent leur métier en profondeur. C’est dans cette vision que je me suis reconnu. Je veux viser l’excellence, pas du jour au lendemain, mais petit à petit essayer de devenir meilleur. Chez Gallimard, je suis entouré de personnes qui m’inspirent, notamment mes co-directeurs, et qui ont beaucoup d’expérience. De plus, il y a évidemment le prestige associé avec la maison d’édition Gallimard, comme avec les collection « la Pléiade », « la Blanche », « Du monde entier », « Folio ». C’est une maison d’édition qui contribue depuis plus de cent ans au rayonnement de la littérature. Beaucoup de personnes viennent nous voir pour acheter des classiques parce que nous sommes une librairie qui travaille sur le fond. On propose aussi de la nouveauté, mais ce fond, c’est important de le connaître. Enfin, quelque chose que je trouve important de souligner, c’est la proximité avec les universités et les milieux culturels. Chaque jour, je fais face à une clientèle qui me pousse intellectuellement et me stimule malgré les difficultés que je rencontre. C’est une clientèle très variée : certains viennent pour me parler d’actualités, d’autres sont très cultivés et ont besoin de recommandations précises.

« Les gens ne s’en rendent pas toujours compte, mais en réalité, le métier de libraire c’est à peu près 15% de service à la clientèle et 85% de gestion de stock »

Mario Laframboise, libraire chez Gallimard à Montréal

LD : Quels genres de livres proposez-vous à la librairie ?

ML : On ne travaille pas seulement avec Gallimard, mais aussi avec d’autres maisons d’édition. On propose vraiment de tout à la librairie et on essaie de mettre la littérature québécoise en avant. En littérature du monde, on classe les livres par groupe linguistique ou par pays. Chaque librairie va proposer un classement un peu différent. Ce que j’apprécie dans cette façon de faire, c’est que ça met de l’avant la diversité littéraire. Ce n’est pas « la » littérature, mais « les » littératures du monde. Cette catégorisation nous invite à apprécier la langue et les cultures différemment.

LD : Peux-tu me parler du rapport avec le client ? As-tu des anecdotes ?

MD : Les clients ont beacoup d’attentes lorsqu’ils viennent chez Gallimard. Ils sont parfois intimidés par les libraires – d’autres fois, c’est nous qui le sommes par eux – mais aussi par le prestige de la maison d’édition. Pourtant, plus les gens nous parlent, plus ils sont surpris de voir que nous sommes des gens faciles d’accès et que notre métier est simplement de promouvoir la lecture. Ils constatent que l’on peut parler de tout et qu’on est ouvert d’esprit. Il nous arrive de ne pas viser juste lorsqu’on fait des recommandations, mais les clients reviennent nous voir pour en parler, et nous arrivons à mieux les comprendre. Le métier de libraire nous demande de faire preuve de beaucoup d’humilité et d’accepter le fait qu’un livre ne peut pas plaire à tout le monde. On lit toujours avec subjectivité. Même lorsqu’on essaie de créer une connexion avec le client, la lecture reste un voyage solitaire. J’ai deux anecdotes que j’aime partager. Je me souviens d’un client qui m’a demandé des conseils pour trouver un roman policier. Je lui avais conseillé un livre et il m’a avoué par la suite que ça allait être son premier livre en tant qu’adulte. Je lui ai dit de ne pas être gêné et j’espérais que ma recommandation allait lui donner l’envie de lire. Je trouve ça beau comme histoire, surtout le fait qu’il ait eu le courage de venir à la librairie. La deuxième, c’était un professeur au cégep qui a été forcé d’arrêter de lire après un problème de santé. Il m’avait expliqué qu’il n’arrivait plus à lire de longs chapitres. Je lui ai donc conseillé un livre avec de courts chapitres, en espérant qu’il puisse l’apprécier. Il est revenu me voir deux semaines après pour me dire qu’il avait pu le lire au complet et que ça l’avait complètement reconnecté à la lecture. C’est ce genre de situations qui valorisent notre métier.

Portrait de Mario Laframboise par Dominika Grand’Maison | Le Délit

LD : Quels sont les événements ou les activités que vous organisez régulièrement à la librairie pour engager la communauté ?

ML : Au sein même de notre librairie, on a une personne chargée de la coordination des évènements. Parfois, les éditeurs que nous recevons nous proposent des lancements, parfois la diffusion, ou parfois c’est nous qui les approchons. Il n’y a pas vraiment de règles. Les lancements et les autres événements promotionnels, ça permet aussi aux éditeurs de connaître le goût, le style des différentes librairies. On organise aussi régulièrement des causeries avec des auteurs étrangers, ou des discussions autour des thématiques du livre. Cela permet en quelque sorte d’abattre les barrières entre l’auteur et les lecteurs, de les démystifier. Les lecteurs sont toujours surpris de pouvoir discuter librement avec des écrivains. Enfin, on organise des événements en collaboration avec les festivals (par exemple FIKA(S) ou Métropolis Bleu) ou d’autres événements autour de la littérature, comme notre participation cette année à la Nuit Blanche avec des lectures à la librairie. Nous communiquons de trois façons : sur nos réseaux sociaux (Facebook et Instagram), notre site Internet, ainsi que notre infolettre. Il est possible de s’inscrire à cette dernière sur notre site afin de recevoir les informations concernant les événements à venir.

« Le métier de libraire nous demande de faire preuve de beaucoup d’humilité et d’accepter le fait qu’un livre ne peut pas plaire à tout le monde. On lit toujours avec subjectivité. Même lorsqu’on essaie de créer une connexion avec le client, la lecture reste un voyage solitaire »

Mario Laframboise, libraire à la librairie Gallimard de Montréal.

LD : Enfin, je suis curieuse de connaître tes goûts personnels. As-tu un livre à me recommander ?

ML : Au niveau de mes lectures personnelles, je lis de tout pour apprendre davantage, mais j’aime beaucoup les polars et la littérature étrangère, plus largement. Je suis également attiré par la science-fiction. Même si, pour moi, c’est très important d’acheter de la littérature québécoise, je trouve que la littérature étrangère nous permet de continuer à aiguiser notre empathie sur le monde. Je promouvoie beaucoup cette catégorie. Enfin, si je devais recommander un livre, ce serait Fungus : Le Roi des Pyrénées d’Albert Sánchez Piñol. C’est l’histoire d’un petit diable alcoolique qui se réfugie dans une grotte et qui réveille par accident d’énormes champignons. Il décide de créer une cellule révolutionnaire anarchiste avec eux et tient des discours sur la classe prolétaire, mais agit en réalité comme despote. Ce que j’aime, c’est le décalage entre le ton épique et la situation niaiseuse. C’est aussi une réflexion intéressante sur les enjeux de pouvoir. Je ne peux que le conseiller, c’est mon livre préféré !

La librairie Gallimard se situe au 3700 Boul. Saint-Laurent, Montréal. Plus d’informations sur leur site https://​www​.gallimardmontreal​.com/


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