Philippe Granger - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/philippe-granger/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 05 Apr 2022 22:30:22 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Machiavel, un homme machiavélique? https://www.delitfrancais.com/2022/04/06/machiavel-un-homme-machiavelique/ Wed, 06 Apr 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48392 Brève introduction à la philosophie politique du penseur florentin.

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Vous ne connaissez peut-être pas Machiavel, mais vous connaissiez certainement le terme «machiavélique». On le sait bien, une personne «machiavélique» est non seulement méchante, mais carrément sans merci, sans vergogne et sans cœur. Mais qui est l’homme derrière ce qualificatif?

Niccolò di Bernardo dei Machiavelli, dit Nicolas Machiavel, est un incontournable de la philosophie politique. Vivant dans la Florence de la fin du 15e siècle, Machiavel portera, à l’instar de plusieurs intellectuel·le·s de son époque, plusieurs chapeaux: on le trouvera ainsi comme politologue, comme artiste, mais aussi comme fonctionnaire au sein de la République florentine. C’est par l’inspiration et les constats tirés de ces expériences que Machiavel rédigera, en 1513, son plus célèbre ouvrage: Le Prince. Ce traité politique, publié posthumément en 1532, se veut un manuel pour quiconque voulant devenir «prince» (c’est-à-dire un chef d’État, un souverain) et le rester.

« La soif de dominer est celle qui s’éteint la dernière dans le coeur de l’homme »

Nicolas Machiavel

Si Machiavel est un pilier de la science politique, c’est parce qu’il est considéré comme étant derrière une des théories politiques les plus importantes dans le domaine des relations internationales: le réalisme. Ce courant, encore bien ancré dans notre monde, se résume par le constat selon lequel le système international est anarchique, et par le postulat que les États sont égoïstes, ne cherchant qu’à assurer leur sécurité, leur survie et leur puissance.

La guerre, la guerre… une bonne raison pour se faire mal?

L’adage dit «un mal pour un bien». Pour Nicolas Machiavel, le bien ou le mal importent peu: après tout, «la fin justifie les moyens», écrit-il. Nonobstant les actions et subterfuges effectués pour atteindre un objectif, ce sont les résultats qui importent le plus. Dans ce contexte, il est entendu que le principal résultat recherché par un souverain est de rester au pouvoir. Ce genre de raisonnement peut conséquemment expliquer les actions effectuées pour arriver à sa fin, telles que la violence: «une guerre est juste quand elle est nécessaire», lance ainsi le politologue.

« Nonobstant les actions et subterfuges effectués pour atteindre un objectif, ce sont les résultats qui importent le plus »

Cette froideur et cette intransigeance expliquent la fameuse épithète lui étant associée, et auront mené à d’autres citations – moins connues – du penseur florentin, telles que : «Jamais les hommes ne font le bien que par nécessité», «La soif de dominer est celle qui s’éteint la dernière dans le coeur de l’homme» et «On s’attire la haine en faisant le bien comme en faisant le mal».

Or, prenez garde! Si le désir vous vient un jour de qualifier quelque chose de «machiavélique», sachez que, bien que le terme soit évidemment associé étymologiquement au penseur de la Renaissance, il ne peut pas être utilisé pour qualifier sa pensée. On qualifiera plutôt cette dernière de «machiavélienne».

Dans ce cas, pouvons-nous quand même dire que Machiavel était… machiavélique? Pas vraiment. Plus pragmatique qu’indubitablement insensible et méchant, Machiavel prescrit parfois la violence, mais toujours dans un cadre théorique, et non pas par gaieté de cœur ou par passion pour la souffrance. Ce fameux cas de différenciation entre l’homme et son œuvre transparaît notamment lorsqu’on tient compte du fait que le deuxième ouvrage le plus populaire du penseur, Discours sur la première décade de Tite-Live, détonne significativement du Prince. Ceci mènera même à une hypothèse selon laquelle Le Prince ne serait pas un manuel de science politique, mais plutôt une satire. 

Le Prince, moins fantaisiste que celui de Saint-Exupéry

Le Prince est une lecture facile et très accessible, et ce, même de nos jours. L’ouvrage est divisé en chapitres aux titres assez explicites, permettant de bien suivre la structure logique du penseur. On y trouve ainsi des chapitres tels que «De la cruauté et de la clémence, et s’il vaut mieux être aimé que craint» ou «Comment doit se conduire un prince pour acquérir de la réputation».

Certes, Machiavel utilise parfois des termes comme «Prince» ou «principauté», et certains contextes peuvent parfois sembler anachroniques, mais l’ensemble de l’œuvre reste assurément compréhensible et reflète sans aucun doute une réalité encore bien présente dans le monde de la politique. La dynamique égocentrique des États est encore bien ancrée dans le système international, qui fait plus preuve de désir de survie que de solidarité, ce qui semble être directement hérité de la pensée de Machiavel.

« Jamais les hommes ne font le bien que par nécessité »

Nicolas Machiavel

La dynamique décrite par Nicolas Machiavel transpire dans d’innombrables œuvres des derniers siècles, autant dans des essais que dans la fiction, aussi bien dans la littérature que dans le cinéma et la télévision. Les œuvres Royal (de Jean-Philippe Baril-Guérard), la série Succession, le film Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb (de Stanley Kubrick) ainsi que la filmographie d’Adam McKay et de Denys Arcand ne représentent ainsi qu’une infime partie de l’univers d’œuvres héritées de la pensée de Machiavel.

Il va sans dire que la pensée de Machiavel ne se retrouve pas uniquement dans l’art. Des parallèles entre Pierre Elliott Trudeau et la pensée machiavélienne sont effectués depuis de nombreuses décennies: ces parallèles sont notamment au cœur du documentaire Le confort et l’indifférence de Denys Arcand. Ainsi, de son attitude paradoxalement incisive mais fringante, notamment lors des évènements de la crise d’Octobre, certains ont diagnostiqué auprès du premier ministre une obstination et un contrôle machiavéliens. À cet effet, il n’est pas surprenant de constater que Pierre Elliott Trudeau lise de la philosophie politique depuis sa plus tendre adolescence, et que «le Prince» figure parmi ses surnoms.

Toutefois, nul besoin d’aller chercher aussi loin dans le passé pour trouver des disciples de Machiavel. Le président Vladimir Poutine prouve depuis des années qu’il est prêt aux pires atrocités afin de pouvoir atteindre ses objectifs. Ainsi, si Poutine est probablement machiavélien, il est assurément… machiavélique.

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Élections américaines : Des réponses à vos dernières questions https://www.delitfrancais.com/2020/10/27/elections-americaines-des-reponses-a-vos-dernieres-questions/ Tue, 27 Oct 2020 13:12:45 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38631 Dans cette série d’articles sur les élections américaines, Philippe Granger et Emmanuel Prince-Thauvette apportent des réponses à vos questions.

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Après avoir répondu à vos questions sur les rouages du processus électoral et sur les enjeux amenés dans le tourbillon électoral par la pandémie, nous terminons cette série spéciale sur les élections américaines de 2020 en abordant le cas du candidat démocrate Joe Biden. À ce moment de la campagne, Donald Trump tire assez solidement de l’arrière dans les sondages. En dehors de leurs différends sur les politiques publiques à mettre en place, qu’est-ce qui pourrait désavantager Joe Biden le 3 novembre prochain?


Qu’est-ce qui joue en la défaveur de Joe Biden?

La réponse très (très) courte

Beaucoup de choses que l’on reproche aussi à Donald Trump.

La réponse courte

Pour ses rivaux, Biden est considéré comme trop vieux et trop désarçonné pour devenir président. De surcroît, des scandales de racisme, d’agression sexuelle et de népotisme ont refait surface durant la campagne.

La réponse longue

Les élections américaines, et plus particulièrement celles de cette année, reposent énormément sur les apparences. Ainsi, cette réponse ne cherchera pas à approfondir les failles des promesses du politicien Biden, mais se concentrera plutôt sur les défauts les plus partagés et ostentatoires du candidat Biden. Il faut aussi noter que l’issue d’une élection aux États-Unis est le résultat de nombreuses stratégies géographiques, comme le découpage électoral partisan (gerrymandering), qui permet aux législatures des États américains de redécouper les circonscriptions électorales.

Il est vieux, bègue et maladroit. 

Surnommé «Sleepy Joe» par son rival, Joe Biden deviendrait le plus vieux président de l’histoire des États-Unis s’il était élu le 3 novembre, atteignant les 78 ans lors de son investiture.

Tweet du Président Trump datant du 13 octobre.
On peut y lire «BIDEN COMME PRÉSIDENT».

De plus, Joe Biden a souffert toute sa vie de bégaiement, ayant même été surnommé «tête de bègue» («Stutterhead») durant son enfance. Le président Trump, par son attitude intimidatrice lors des débats présidentiels et sur les réseaux sociaux, semble montrer peu d’indulgence face à cette situation. En 2019, l’ancienne porte-parole de la Maison-Blanche Sarah Huckabee Sanders s’était moquée du bégaiement de Biden sur Twitter, mais s’est ensuite excusée et a retiré la publication. Aujourd’hui, le bégaiement commence graduellement à être souligné comme une force et une preuve de la persévérance du candidat. 

Tweet de Joe Biden datant du 11 octobre.
On peut y lire « Brayden – tu as du coeur, du courage et de la maturité qui dépasse ton âge. Tu as un potentiel illimité – et j’attend avec impatience de voir ce que ton futur te réserve. »

De surcroît, l’aspect maladroit de Joe Biden, remarqué depuis de nombreuses années, n’aide pas la situation. Entre autres gaffes, Joe Biden a déjà invité en 2008 un sénateur à se lever afin que la foule puisse le voir. Seul problème: le sénateur est paraplégique. En 2010, en racontant une anecdote en présence du premier ministre irlandais, Biden a confondu lequel des parents du premier ministre est mort, adressant un «Dieu bénisse son âme» par rapport à sa mère, alors que le défunt était le père. 

Joe Biden se considère lui-même comme une «machine à gaffes», mais affirme que c’est une «une chose incroyable comparativement à un gars qui ne peut pas dire la vérité». Or, il va sans dire que l’addition de l’âge, de la situation de bègue et de la maladresse de Joe Biden multiplie les attaques qu’effectuent les rivaux du candidat à son égard.

Tweet du Prédisent Trump datant du 12 octobre.
On peut y lire : «Le maladroit Joe Biden a eu une journée particulièrement mauvais aujourd’hui. Il ne pouvait plus se rappeler du nom de Mitt Romney, a annoncé qu’il se présentait de nouveau au Sénat américain et a oublié dans quel État il était. Si j’avais fait cela, ce serait disqualifiant. Avec lui, c’est juste Joe le maladroit!»

Biden, un «idiot raciste»?

Le long passé politique de Joe Biden, et plus particulièrement sa vice-présidence de 2008 à 2016 sous Obama, peut à certains égards être considéré comme un grand avantage pour sa candidature. Or, ce long passé se voit miné par des déclarations et prises de position pouvant affecter sa candidature aujourd’hui, notamment en ce qui a trait à l’avortement et à la guerre d’Irak. De toutes ses déclarations controversées, ce sont celles sur la question du racisme anti-noir qui hantent le plus Joe Biden.

Il y a une cinquantaine d’années, Biden s’est exprimé en faveur, puis en défaveur du «busing», une méthode de «déségrégation raciale» qui consiste à intégrer des élèves noirs dans les écoles publiques urbaines afin de trouver une «balance raciale» dans les classes. Cette mesure s’est avérée inefficace et sa logique largement critiquée, les parents blancs décidant d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées ou déménageant dans les banlieues, qui à cette époque étaient en grand développement.

En s’opposant finalement au busing, Biden s’est joint à deux sénateurs connus pour leurs positions ségrégationnistes. Lors des débats à la chefferie démocrate, ce revirement a été critiqué par la candidate démocrate Kamala Harris, qui a vécu le processus de busing lors de son enfance. Il faut croire que cette attaque a porté fruit pour Harris, qui est désormais candidate à la vice-présidence. 

La déclaration à laquelle se colle le camp Trump est plutôt celle en lien avec la soumission d’une loi anti-criminalité en 1994. Trump prétend que Biden aurait qualifié les Américains noirs de «superprédateurs».

Tweet du Président Trump datant du 16 octobre.
On peut y lire : «Biden a commis une autre grosse erreur. Il a totalement mélangé deux projets de loi sur la criminalité. Il n’avait aucune idée (comme d’habitude!). En outre, il a librement utilisé le terme SUPER PRÉDATEUR!!!»

Selon de nombreux médias, le terme «superprédateurs» est attribuable à Hillary Clinton, candidate aux présidentielles de 2016, et ne désignait pas explicitement les Américains noirs. Biden aurait plutôt utilisé le terme «prédateurs», encore une fois sans viser spécifiquement un groupe sociodémographique.

Cette loi est une fierté pour Biden, qui souligne qu’elle a permis de remettre de l’ordre dans les zones urbaines. Or, elle se voit largement critiquée aujourd’hui, puisqu’elle aurait permis l’incarcération de masse aux États-Unis, et plus particulièrement à l’égard des Américains noirs.

Biden s’est longtemps vu assez confiant d’obtenir les faveurs de l’électorat noir, ayant même déjà déclaré cette année que les Noirs votant pour Trump «ne sont pas noirs», une déclaration pour laquelle il s’est plus tard excusé. Ironiquement, cette situation a joué en sa défaveur et a mené à une dépréciation de sa candidature.

La revue The Economist se questionne ainsi en 2007: «Joe Biden: idiot raciste, ou médiocrement retranscrit?»

Des relations entre l’Ukraine et son fils?

Dans l’horizon politique depuis de nombreuses décennies, Joe Biden est fustigé par de nombreux rivaux pour de supposées actions népotiques, et plus particulièrement envers son fils Hunter Biden. Une histoire révélée il y a quelques semaines est au cœur des attaques des Républicains.

À la mi-octobre, le tabloïd The New York Post dévoile avoir mis la main sur des courriels et documents appartenant à Hunter Biden. Dans son article sur le sujet, le New York Post avance notamment qu’un cadre de Burisma, une compagnie pétrolière et gazière basée en Ukraine, aurait remercié Hunter Biden de l’avoir invité à une rencontre à Washington en présence de son père. Le Post aurait mis la main sur ces documents par le truchement de l’avocat de Trump, Rudolph W. Giuliani, qui aurait reçu une copie du disque dur de Hunter Biden par un réparateur d’ordinateur s’étant occupé de l’ordinateur de Hunter. 

Cet article se voit critiqué pour de nombreuses raisons. Il n’est pas du tout clair selon le reportage du Post si la rencontre a bel et bien eu lieu et, si oui, quand. De surcroît, des employés du Post remettent eux-mêmes en question l’authenticité des documents, selon le New York Times. Le camp Biden rejette le fait qu’une rencontre ait eu lieu tel que mentionné par le journal et rappelle par ailleurs que deux comités sénatoriaux (dirigés majoritairement par des Républicains) ont évalué qu’il n’y avait pas eu de manipulations de Joe Biden à l’égard de l’Ukraine. Finalement, Giuliani est peu reconnu pour son honnêteté et sa rigueur intellectuelle et a été accusé à de nombreuses reprises par le passé d’avoir menti aux médias.

Allégation d’agression sexuelle et attouchements inappropriés 

Plus d’une fois, Joe Biden a effectué de manière publique des attouchements inappropriés envers des femmes de tous âges de manière publique, parfois accompagnés de «blagues de mononc’» souvent reçues avec un rire jaune.

Or, il est allégué qu’il soit allé encore plus loin en 1993: une ancienne employée du bureau sénatorial de Biden accuse le candidat de l’avoir agressée sexuellement.

Biden, qui a pourtant longtemps témoigné de son soutien aux dénonciations d’inconduite sexuelle, nie ces allégations. Souvent perçu comme possible colistière de Biden, la représentante Stacey Abrams a, à l’instar de plusieurs démocrates, défendu Joe Biden. Une étude plus approfondie de la situation a été effectuée par le New York Times. Puisque le sujet est épineux, nous vous suggérons la lecture de cet article, afin que vous puissiez vous faire votre propre idée.

Accusé lui aussi de nombreuses agressions sexuelles, Donald Trump s’est avéré assez silencieux sur le sujet. Or, l’histoire a largement fait écho sur les réseaux sociaux et à l’international.

Pour en savoir encore plus sur les élections américaines du 3 novembre, nous vous invitons vivement à consulter ce document récapitulatif effectué par l’équipe de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. Nous vous invitons également à, si ce n’est pas déjà fait, aller consulter nos deux premiers articles sur les élections américaines parus les 29 septembre et 6 octobre derniers. Vous y trouverez, on l’espère, de plus amples réponses à vos questions!

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Élections américaines – Encore plus de réponses à vos questions https://www.delitfrancais.com/2020/10/06/elections-americaines-encore-plus-de-reponses-a-vos-questions/ Tue, 06 Oct 2020 13:58:20 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=37863 Les campagnes présidentielles américaines nous réservent toujours des surprises inattendues. Cette année, la pandémie de COVID-19 vient encore plus brasser les cartes : les discussions de coulisses deviennent des appels téléphoniques, la course effrénée aux quatre coins du pays est réduite à son strict minimum et plusieurs électeurs et électrices voteront depuis le confort de leur… Lire la suite »Élections américaines – Encore plus de réponses à vos questions

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Les campagnes présidentielles américaines nous réservent toujours des surprises inattendues. Cette année, la pandémie de COVID-19 vient encore plus brasser les cartes : les discussions de coulisses deviennent des appels téléphoniques, la course effrénée aux quatre coins du pays est réduite à son strict minimum et plusieurs électeurs et électrices voteront depuis le confort de leur foyer. Dans cet article, nous aborderons les effets de cette pandémie sur le processus électoral américain.  

Question 1 : Quelles ont été les répercussions de la pandémie sur les rassemblements politiques ?

Un homme manifeste seul et masqué devant l’hôtel de ville de San Francisco (Ken Walton – Wikimedia)

Lors d’une élection normale, les candidat·e·s, accompagné·e·s d’une armée d’employé·e·s politiques et de journalistes, parcourent les États-Unis pour parler devant des foules compactes et pour serrer la main des électeurs et des électrices. Vous comprendrez que cette année, c’est un peu différent.

À partir du 10 mars, le candidat démocrate Joe Biden s’est isolé dans son domicile de Wilmington, au Delaware, pour suivre les consignes sanitaires et donner l’exemple. Jusqu’à la convention démocrate de la mi-août, il s’est adressé aux Américain·e·s et a critiqué au quotidien la gestion de la crise de la COVID-19 de Trump, depuis un studio improvisé dans son sous-sol. Malgré tout, il peinait à se faire remarquer à travers l’éclipse médiatique du coronavirus. Depuis, il semble être sorti de sa torpeur et a voyagé dans quelques États à la fin de l’été, notamment à Houston, dans la foulée des funérailles de Georges Floyd, à Kenosha, en marge des soulèvements suivants l’affaire Jacob Blake. Depuis la mi-septembre, il multiplie les voyages dans les États clés pour l’élection, comme celui qu’il a fait à Cleveland, en Ohio, dans le cadre du premier débat présidentiel. 

De son côté, Donald Trump a été, comme tous les dirigeants et dirigeantes de la planète au cours des derniers mois, à l’avant-scène, car il devait informer sa population de l’évolution de la pandémie. Malgré les mesures sanitaires et l’interdiction des rassemblements dans plusieurs États, le clan Trump a décidé d’organiser des rallies politiques, semblables aux événements précédant la pandémie. On peut penser notamment au rassemblement du 20 juin à Tulsa (Oklahoma) où il s’est présenté devant un auditorium aux deux tiers vide, probablement à la suite d’une ruse de milliers d’utilisateurs et d’utilisatrices de TikTok, qui ont réservé des billets (gratuits) sans jamais avoir eu l’intention de s’y présenter. Après avoir pris une pause pendant l’été, les rassemblements partisans se multiplient depuis la convention républicaine de la fin août. Souvent, les mesures sanitaires y ont été quasi-absentes, et le président ne semble pas s’en soucier. 

D’ailleurs le président Trump et de nombreu·ses·x membres de son entourage ont reçu un résultat positif à des tests de dépistage de la COVID-19 dans les derniers jours. L’absence du port du masque et le non-respect des mesures de distanciation sociale sont dénoncés par plusieurs experts et expertes de santé publique comme un facteur peut-être déterminant dans cette éclosion à la Maison-Blanche.

Question 2 : Qu’est-ce que le vote par la poste ?

Trinity Nguyen – Unsplash Le petit fourgon blanc du United States Postal Service est omniprésent dans l’imaginaire collectif américain (Trinity Nguyen – Unsplash)

La réponse très (très) courte

On vote par la poste.

La réponse courte

Le vote par la poste, pratique effectuée dans quelques États américains depuis plusieurs années, se voit favorisé en raison de la pandémie actuelle.

La réponse plus longue

La pandémie actuelle a mis sur la touche le processus de vote traditionnel, jugé trop dangereux et pouvant conséquemment mener à un haut taux d’abstention. Le vote à distance est ainsi promu, même si le vote en personne est toujours possible dans tous les États.

Le concept est très facile et assez explicite : tu pratiques ton droit de vote à partir de chez toi, grâce à un formulaire fourni à l’avance, que tu soumets ensuite à la poste ou dans une boîte spéciale prévue à cet effet. Le processus d’identification passe par différents critères selon chaque État, mais la personne votant a toujours, au minimum, besoin de donner son nom complet et ses coordonnées, en plus de signer son bulletin de vote. D’autres précautions sont parfois ajoutées. Par exemple, certains États demandent une copie d’une pièce d’identification, d’autres les derniers chiffres de l’assurance sociale.

Cette mesure présente de nombreux avantages, le principal étant de favoriser l’exercice du droit de vote et donc d’augmenter le taux de participation. L’électeur ou l’électrice peut prendre le temps de voter et n’a pas le stress que peut engendrer le vote en personne. Rappelons que dans près de la moitié des États, aucune loi n’oblige les employeurs et les employeuses à accorder du temps à leurs salarié·e·s pour aller voter le jour de l’élection. 

Le vote postal permet de prendre le temps de réfléchir et de faire tes recherches dans le confort de ta maison. Tu n’as pas à faire la file et attendre sous la pluie ou à te perdre en cherchant le bureau de scrutin. Pour les ainé·e·s et personnes à mobilité réduite, cela représente un coup de pouce considérable. Bref, cette mesure est vue comme un moyen de contrer de nombreux problèmes liés à l’abstention.

Alors que la majorité des États se prépare à effectuer à la fois des élections en présentiel et à distance, certains vont effectuer majoritairement leurs élections à distance, alors que d’autres vont interdire le vote à distance (sauf pour des raisons exceptionnelles).

Le vote par la poste a déjà été adopté par une multitude d’états, tandis que d’autres sont toujours réticents (Infographie par Emmanuel Prince-Thauvette)

Les Américain·e·s accueillent de manière mitigée le vote à distance, comme le montre ces données de juillet dernier.

Les Américain·e·s accueillent de manière mitigée le vote à distance, comme le montre ces données de juillet dernier — (Infographie par David Lazer – Wikimedia)

Évidemment, puisque l’on parle de politique américaine, il n’y a rien d’uniforme et donc rien de facile à comprendre. Afin de vous éviter toute sortie dangereuse et inutile pour vous procurer du Tylenol, sachez seulement que des méthodes de vote à distance différentes sont déployées selon l’État.


Aux États-Unis, le service postal est ancré dans le quotidien des Américain·e·s. L’histoire du United States Postal Service est intrinsèquement liée au développement de la nation et à la conquête de l’Ouest. Une étude du Pew Research Center en avril dernier annonçait un taux d’approbation de 91 % pour le USPS, plus que toute autre agence gouvernementale. Malgré cela, dans les dernières années, les coupes budgétaires ont été nombreuses, ce qui a bien sûr fragilisé le système de gestion du courrier et ralenti la distribution de celui-ci. Ce phénomène a fait en sorte que de nombreux États ont annoncé qu’ils allaient accepter les bulletins reçus en retard, ce qui pourra retarder conséquemment les résultats du vote.

Question 3 : Pourquoi les élections sont-elles déjà contestées ?

La réponse courte

Le président a répété à de nombreuses reprises qu’il n’acceptera pas les résultats des élections, à cause d’une supposée fraude généralisée du vote postal.

La réponse longue

La pandémie, le contexte politique et social particulièrement tendu et l’impossibilité de prédire les résultats ne sont que trois exemples qui font que l’élection de 2020 est différente des précédentes.

Tout d’abord, il est certain que le contexte de la pandémie de COVID-19 transformera le processus démocratique. Tel qu’expliqué dans la question précédente, le vote postal est privilégié par plusieurs en cette ère de minimisation des contacts physiques. Cette (pas si) nouvelle façon de voter compte plusieurs détracteurs aux États-Unis, au premier chef le président Trump lui-même, qui n’a pas hésité à qualifier cette élection de frauduleuse, avant même qu’elle ne commence. Déjà en mai, il partageait ses craintes sur Twitter, en disant que cela mènerait à « la plus grande fraude électorale de l’histoire » et que l’on « utilisait la COVID comme prétexte pour cette arnaque ». Ainsi, Trump a fait du vote postal une question partisane et un enjeu électoral de premier plan. Or, cela fait abstraction du fait que le vote postal est déjà en place dans plusieurs États depuis des années déjà. De plus, les déclarations de Trump sur une fraude massive du vote sont généralement considérées comme infondées. D’ailleurs, contrairement à la croyance populaire, le vote par la poste ne favorise pas un parti en particulier.

Ce que le vote postal risque aussi de transformer est le processus de dévoilement des résultats. Normalement, à la fermeture des bureaux de vote, on ouvre les boîtes de scrutin et on commence à compter, puis à transmettre les résultats. Très souvent, on connaît l’identité du gagnant en cours de soirée, alors que des États de l’Ouest sont encore en train de voter, décalage horaire oblige. Bien entendu, tous les grands réseaux de télévision en profitent pour analyser à chaud les résultats avec un joyeux panel de journalistes, de chroniqueu·r·se·s et d’ex-politicien·ne·s.

Or, cette année, la pandémie vient encore une fois changer les choses. En effet, puisqu’on attend une quantité astronomique de bulletins postaux, et que les nombreuses petites administrations locales ne sont pas habituées à un si haut volume de courrier, on ne saura probablement pas qui de Biden ou de Trump remporte l’élection que plusieurs jours, voire semaines, plus tard. C’est que dans plusieurs États, on accepte que les bulletins soient postés jusqu’au 3 novembre, la date du vote en personne, ce qui veut donc dire qu’on ne les recevra probablement que quelques jours plus tard. De plus, dans certains États, on ne peut commencer à ouvrir les enveloppes contenant les bulletins de vote que le jour même des élections, peu importe la quantité reçue.

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Le dépouillement du vote postal risque de ralentir le dévoilement des résultats (Tiffany Tertipes – Unsplash)

Si les résultats électoraux tardent à sortir, il n’est pas garanti que le président calmera le jeu. Trump s’est fait demander à de nombreuses reprises s’il allait accepter sans rechigner les résultats électoraux du 3 novembre prochain, mais est resté évasif sur sa réponse. Au débat de la semaine dernière, il a encore une fois refusé de répondre à la question, en expliquant que de « mauvaises choses » se préparent. Bien sûr, nul ne sait comment Trump agira en cas de défaite, mais le rapprochement, volontaire ou non, entre le clan Trump et des groupuscules armés d’extrême droite nous laisse craindre le pire. 

Pour les constitutionnalistes, ce scénario est de la pure science-fiction, tellement il semble impossible que le « leader du monde libre » conteste des élections démocratiques, mais dans les faits, personne ne sait réellement où cette histoire nous mènera. Rappelons qu’à sa dernière élection, en 2016, qu’il avait pourtant remportée aux dépens d’Hillary Clinton, il avait tout de même contesté les résultats. En effet, malgré le fait qu’il ait gagné le collège électoral, il a perdu le vote populaire par plus de 2,5 millions de votes. À la suite de cela, il a déclaré avoir en fait gagné le vote populaire, « si l’on déduit les millions de personnes qui ont voté illégalement ». Dans les faits, tous les experts et expertes s’entendent sur le fait qu’il n’y a pas eu d’irrégularités lors de ce scrutin. Un rapport du Brennan Center for Justice démontre que la fraude électorale est si rare aux États-Unis que l’Américain·e moyen·ne est plus à risque de se faire frapper par la foudre que de commettre une fraude le jour du scrutin.

Un candidat déchu pourrait aussi se tourner vers des contestations judiciaires. La compétition s’annonce très serrée dans certains États clés, ce qui amènera fort probablement des demandes de recomptage électoral devant les tribunaux. Un cas d’école en la matière, le jugement Bush v. Gore peuvent nous éclairer sur ce qui est peut-être à venir. Lors des élections de 2000, de nombreuses irrégularités dans l’État de la Floride avaient amené une requête de ce type devant la Cour Suprême. Les résultats officiels ne furent connus que plus d’un mois après l’élection générale, et firent pencher la balance du côté du républicain George W. Bush plutôt que du côté du démocrate Al Gore. Bush remporta les 25 grands électeurs associés à cet État à l’époque, ce qui l’amènera à un cumul total de 271, soit un de plus que requis pour remporter la présidence. Au final, on estime qu’environ 500 votes séparaient les deux candidats, et que c’est donc cette poignée d’électeurs et d’électrices qui a influencé la direction que la nation a prise pour les années suivantes.

Nul besoin de dire que si un scénario semblable se répétait en 2020, peut-être dans plusieurs États en simultané, en plus du fait que le vote postal risque de ralentir le dépouillement des bulletins, et que la Cour suprême penche majoritairement du côté républicain avec les trois nominations de Trump, nous avons un cocktail explosif pour la démocratie américaine et son unité nationale. Ces délais pourraient enflammer les complotistes, plus bruyant·e·s que jamais dans l’espace public, et ainsi compromettre l’intégrité des élections. Tout cela n’est que spéculation, mais l’on comprend bien comment le résultat de ces élections pourrait être déterminant pour le futur de la plus puissante démocratie au monde.

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Élections américaines – Des réponses à vos questions https://www.delitfrancais.com/2020/09/29/elections-americaines-des-reponses-a-vos-questions/ Tue, 29 Sep 2020 13:17:21 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=37615 Dans cette série d'articles sur les élections américaines, Philippe Granger et Emmanuel Prince-Thauvette apportent des réponses à vos questions.

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Le premier débat présidentiel opposant Joe Biden à Donald Trump aura lieu ce mardi 29 septembre. Dans le cadre de cette étape importante de la campagne électorale américaine, nous avons demandé aux lecteurs du Délit de nous soumettre leurs questions sur le fonctionnement des élections, par le biais de notre compte Instagram. Dans cette série de trois articles, nous tenterons de répondre à vos questions sur les éléments rudimentaires du processus électoral américain. Au menu aujourd’hui : collège électoral, swing states (États pivots) et bipartisme. 


Question 1 : Comment fonctionnent les élections américaines?

La réponse très (très) courte

Les Américains votent pour dire à 538 personnes qui choisir comme président. 

La réponse courte

On attribue un nombre de « grands électeurs » à chaque État, en fonction de sa population (par exemple, la Californie en compte 55 pour 39,5 millions d’habitants, alors que le Wyoming en compte 3 pour environ 600 000 habitants). En tout, il y a 538 grands électeurs. Lorsqu’un candidat obtient le plus grand nombre de votes dans un État, il récolte TOUS les grands électeurs associés à cet État. Le premier qui en obtient 270 (soit la moitié de 538 + 1) devient président des États-Unis.

La réponse longue

Attachez vos tuques parce que c’est un peu compliqué tout ça!

Le 3 novembre prochain, lorsque les électeurs se rendront aux urnes (ou, plus vraisemblablement, enverront leurs bulletins de vote par la poste), ils choisiront certes leur président, mais aussi leurs représentants et certains sénateurs au Congrès de Washington, D.C. La même journée, ils éliront aussi plusieurs autres élus locaux, tels que des gouverneurs, des représentants au Capitole de leur État, des maires et même des juges.

Les élections les plus couvertes par les grands médias nationaux sont celles concernant les élus au Congrès (Chambre des représentants et Sénat) et à la Maison-Blanche, et c’est donc sur celles-ci que nous nous concentrerons ici.


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Le Congrès

Les 435 représentants à la Chambre (l’équivalent des députés au Québec et au Canada) ont des mandats d’une durée de deux ans et tous les sièges feront l’objet d’une élection en 2020. Les États se voient attribuer un nombre de représentants relatif à leur population. Par exemple, la Californie et le Texas, les deux États les plus populeux, ont respectivement 53 et 36 représentants, alors que les six États les moins populeux, soit l’Alaska, le Dakota du Nord, le Dakota du Sud, le Delaware, le Montana, le Vermont et le Wyoming, n’ont chacun qu’un seul représentant à la Chambre.

Les représentants sont élus dans leurs districts lors de courses locales, de la même manière que les députés sont élus dans des circonscriptions lors des élections canadiennes et québécoises. À ce jour, les démocrates contrôlent cette Chambre, avec 232 sièges, contre 198 pour leurs adversaires républicains. Vous remarquerez qu’il manque cinq sièges pour arriver au total de 435. De ces cinq sièges manquants, quatre sont vacants et l’autre est tenu par un ex-républicain du Michigan devenu libertarien qui ne se représentera pas aux prochaines élections. Pour obtenir une majorité à la Chambre des représentants, un parti doit donc être élu dans 218 districts électoraux.

Les sénateurs, eux, ont des mandats de six ans, avec des élections intercalées tous les deux ans ; le tiers des sièges seront donc en jeu en 2020. Chacun des 50 États compte deux sénateurs, peu importe la taille de sa population. 35 sièges seront en jeu en novembre, dont 23 qui étaient précédemment tenus par des républicains et 12 par des démocrates. Les républicains contrôlent présentement le Sénat, avec 53 sièges, alors que les démocrates en détiennent 45. La différence est comblée par deux sénateurs indépendants, qui appuient généralement les démocrates, dont un certain Bernie Sanders du Vermont. Pour obtenir une majorité des sièges en 2020, et donc le contrôle du Sénat, les démocrates se doivent donc de remporter trois ou quatre sièges supplémentaires, en plus de conserver ceux qu’ils ont déjà.

La présidence et le collège électoral

Les présidents sont choisis tous les quatre ans. 2020 est une année d’élection présidentielle. Joe Biden, candidat démocrate, a été sénateur du Delaware pendant 36 ans, puis vice-président sous Barack Obama pendant l’entièreté de ses 8 ans au pouvoir. Il sera opposé à Donald Trump, magnat de l’immobilier new-yorkais, vedette télévisuelle et plus récemment 45e président des États-Unis d’Amérique (en avez-vous entendu parler ?). Il est candidat républicain pour une deuxième élection consécutive.

Aux États-Unis, le système pour élire le président est construit autour du « collège électoral ». Essentiellement, les électeurs (monsieur et madame Tout-le-Monde) ne votent pas directement pour le président, mais indiquent plutôt à des « grands électeurs » comment ils devront voter lors du scrutin « officiel », qui se tient quelques jours plus tard à Washington, D.C. Le « collège électoral » désigne de ce fait l’ensemble des grands électeurs. Généralement, ce protocole n’est qu’une formalité administrative et relève plus de la relique historique que de la vraie prise de décision.

Ce système remonte à la fondation du pays, au 18e siècle, alors que les moyens de transport et de communication étaient pour le moins rudimentaires. Ainsi, il était plus facile de tenir des élections locales, puis d’envoyer un représentant à cheval vers la capitale pour transmettre le résultat. Malgré les progrès technologiques accomplis depuis cette époque lointaine, cette façon rocambolesque et ardue de procéder persiste à ce jour.

Les grands électeurs sont au nombre de 538, et sont répartis selon les sièges qu’un État compte au Congrès. Par exemple, la Californie, qui cumule 53 représentants et deux sénateurs, a donc 55 votes pour choisir le prochain président. À l’opposé, un État comme le Wyoming obtient trois grands électeurs, car il a deux sénateurs, comme tous les autres États, mais un seul représentant à la Chambre. Autrement dit, pour obtenir les 55 votes associés à la Californie, il faut être la personne ayant récolté le plus de votes dans l’État.

À noter qu’il arrive souvent que le gagnant de l’État n’ait même pas obtenu la majorité des votes. Par exemple, lors de la dernière élection présidentielle, en 2016, Trump a obtenu 47,50% des votes au Michigan, alors que Hillary Clinton en a récolté 47,27%, une différence de moins de 11 000 électeurs. Le Parti libertarien (environ 3,6%), le Parti vert (environ 1%) et certains indépendants se sont séparés le reste des votes. Malgré tout, Donald Trump a remporté l’entièreté des 16 grands électeurs de cet État, ce qui a contribué à sa victoire.

Si vous additionnez le nombre de sièges à la Chambre des représentants (435) et au Sénat (100), vous remarquez qu’il nous manque trois pour arriver au nombre de 538 cité plus haut. C’est que, depuis 1964, le District de Columbia, où est située la capitale Washington, compte trois grands électeurs. En conclusion, vous comprendrez que pour gagner la présidence, un candidat doit obtenir le vote de la moitié de ces 538, soit  270, chiffre magique à retenir tout au long de la course.


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Question 2 : Pourquoi est-ce que les élections américaines sont aussi compliquées? 

La réponse courte

Chez notre voisin du Sud, chaque État est libre de choisir comment se déroulent les élections sur son territoire. Les élections de novembre sont donc en fait de multiples petites élections simultanées. 

La réponse un peu plus longue

Organiser une élection à la grandeur des États-Unis est une tâche colossale, qui nécessite des milliers d’espaces de vote, d’employés et de bénévoles, ainsi qu’une orchestration logistique incroyable. Contrairement à la situation au Québec ou au Canada, où une seule organisation centrale gère le processus électoral, ce sont près de 8000 organisations qui gèrent les élections en suivant des lois différentes dans les 50 États américains. 

C’est que chaque État a le pouvoir de légiférer sur la façon dont se déroule le vote sur son territoire, par exemple sur l’admissibilité des électeurs, la façon d’attribuer les grands électeurs pour l’élection présidentielle, la façon de désigner le candidat d’un parti (lors de ce que l’on appelle les « primaires »), le financement des partis politiques, etc. Forcément, toutes ces règles différentes, adoptées par des États qui ne se concertent pas, complexifient grandement le processus électoral.


Question 3 : On entend souvent parler des swing states, c’est quoi?

La réponse très (très) courte

C’est des États pour lesquels l’issue du vote est plus imprévisible.

La réponse un peu plus longue

Maintenant que vous savez comment fonctionne le système électoral américain, il est plus simple de vous expliquer ce qu’est un swing state (plusieurs préfèrent les termes « État clé » ou « État pivot » en français).

Élection après élection, la plupart des États votent toujours pour le même parti. Or, certains États votent parfois bleu (démocrate) et parfois rouge (républicain), d’où une autre appellation : purple state. La course présidentielle se joue dans cette poignée d’États clés, car les résultats électoraux de ceux-ci déterminent de quel côté penchera la balance. Or, puisque la course présidentielle est généralement très serrée, c’est dans ces États que se joue toute l’élection. Pour 2020, on mentionne généralement l’Arizona, la Caroline du Nord, la Floride, le Michigan, l’Ohio, la Pennsylvanie, et le Wisconsin. Il faudra aussi surveiller la Géorgie et le Texas, deux États avec une forte tradition républicaine, mais que le démocrate Joe Biden, présentement en avance dans les sondages nationaux, a dans sa mire.

Il va sans dire que la campagne sera concentrée dans cette poignée d’États clés, d’autant plus que la pandémie limite le nombre de rassemblements et les déplacements. Plus que jamais, les swing states seront l’objet de convoitise.


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Question 4 : Pourquoi y a‑t-il seulement deux partis? Pourquoi n’y en a‑t-il pas plus?

La réponse très (très) courte

Parce que le système politique américain pousse naturellement vers la formule du bipartisme.

La réponse courte

Puisqu’il serait très difficile, voire impossible, pour un candidat issu d’un troisième parti de remporter la présidence, les électeurs se rabattent nécessairement sur un des deux partis principaux pour que leur vote ne soit pas « gaspillé ». Les tentatives de mise en place d’un tiers parti solide et crédible ont été nombreuses au fil des ans, mais ont toujours fini par être infructueuses.

La réponse longue

En vérité, aucune loi n’oblige quiconque à voter pour un des deux grands partis, soit le Parti républicain et le Parti démocrate. Il existe d’ailleurs plusieurs tiers partis, nommément le Parti libertarien et le Parti vert, mais tous les deux ne peuvent pas se comparer, autant en nombre de membres qu’en votes exprimés, aux deux géants.

C’est en fait la nature du système électoral américain qui favorise la mise en place de deux grands partis. Aux États-Unis, ce sont les États qui choisissent individuellement les modalités du vote sur leur territoire. Ainsi, 48 des 50 États ont adopté un système dit winner-take-all, c’est-à-dire qu’un candidat qui obtient la majorité (plus de 50%) des votes exprimés gagne en pratique la totalité des grands électeurs associés. 

Ainsi, pour qu’un tiers parti remporte un État, il faudrait qu’il dépasse à la fois les démocrates et les républicains, ce qui ne semblera pas arriver de sitôt. Puis, il faudrait répéter ce scénario dans plus d’une dizaine d’autres États pour avoir ne serait-ce qu’une mince chance de remporter la présidence. Autant dire que les embûches seraient nombreuses sur la route de la victoire.

De plus, les élections américaines sont un grand cirque et le billet de participation est très dispendieux. Aussi bien dire que seuls les deux grands partis, avec des centaines de milliers de petits et grands donateurs, une machine électorale bien huilée dans toutes les régions du pays et des milliers de bénévoles, peuvent envisager de mener à bien cette course.

Le jour du vote, un électeur se dit probablement qu’il vaut mieux se rallier à un des deux grands partis, même si aucun ne partage ses positions sur tous les enjeux, plutôt que d’appuyer un candidat émergent qui le représente sous tous les aspects, car ce dernier n’a aucune chance d’être élu. Les détracteurs diront que l’on vote donc souvent par dépit, en choisissant le moins pire parmi les candidats, alors que les apologistes diront que cela démontre la force du compromis qui caractérise l’Amérique.


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C’est à Cleveland, en Ohio, sur le campus de la Case Western Reserve University que se déroulera le premier débat présidentiel. L’Ohio est un swing state: en 2016, Trump avait remporté l’État par une marge plus de 8%, et a donc récolté les 18 votes de grands électeurs associés à cet État, alors que cette année, les deux candidats sont à égalité statistique. - Image par Stephen Leonardi sur Unsplash


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10 ans du film Incendies : Un grand millésime https://www.delitfrancais.com/2020/09/29/10-ans-du-film-incendies-un-grand-millesime/ Tue, 29 Sep 2020 13:14:04 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=37563 Retour sur le phénomène cinématographique signé Denis Villeneuve avec des commentaires d'artisans et de fans du film.

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En septembre 2010 était présenté en première mondiale à la 67e Mostra de Venise le film Incendies, du réalisateur québécois Denis Villeneuve. L’œuvre, mettant en scène Lubna Azabal, Mélissa Désormeaux-Poulin, Maxim Gaudette et Rémy Girard, suivait le succès du film Polytechnique, sorti un an auparavant.

À Venise, c’est par le feu nourri des applaudissements d’une foule debout que le film est reçu par ses premiers spectateurs. C’est une expérience que la co-scénariste du film, Valérie Beaugrand-Champagne, n’est pas près d’oublier: «C’est très émouvant de voir une salle silencieuse qui dans une spontanéité se lève […] et t’applaudit», me confie-t-elle, fascinée par cet écho liant son travail à la réaction du public.

1 + 1 = 2

Ce film, qui a si bien touché le public, trouve son origine dans la pièce de l’homme de théâtre et auteur libano-franco-québécois Wajdi Mouawad, présentée pour la première fois en 2003 et publiée au Québec aux éditions Leméac. C’est après avoir vu la pièce à Montréal que Denis Villeneuve a voulu l’adapter au cinéma, y voyant un récit qui devait absolument être partagé.

La co-scénariste du film, Valérie Beaugrand-Champagne, a été une pierre angulaire dans l’élaboration du projet. En entrevue à Ciné-Bulles, Villeneuve la qualifie d’ «indispensable»: «C’est quelqu’un qui a de grandes qualités pour épauler un scénariste. C’est une lectrice redoutable qui n’a pas d’égal pour décortiquer une scène» lance-t-il, soulignant du même coup le sens de la concision de Beaugrand-Champagne, ayant permis de réduire l’idée de quatre scènes en une seule.

Villeneuve ne voulait pas faire cavalier seul en termes d’écriture de scénario. «Denis s’est comme désaffranchi de cette théorie qu’un film qui est écrit et réalisé par la même personne a plus de valeur qu’un film qui est écrit par quelqu’un d’autre», précise Beaugrand-Champagne, qui trouve que cela prouve du même coup l’humilité, la lucidité et l’intelligence du réalisateur. 

«Denis s’est comme désaffranchi de cette théorie qu’un film qui est écrit et réalisé par la même personne a plus de valeur qu’un film qui est écrit par quelqu’un d’autre»

- Valérie Beaugrand-Champagne au journal Le Délit

C’est pour cela que Villeneuve a décidé de lui faire appel. Alors qu’ils se sont côtoyés derrière les bancs de l’UQAM, Villeneuve a rapidement pensé à Beaugrand-Champagne pour honorer la pièce de Wajdi Mouawad, duquel est complètement inspiré le film, à juste titre.

«La seule chose qu’on avait à faire, c’était de respecter l’œuvre de Wajdi, parce que c’est une œuvre magistrale», souligne humblement Beaugrand-Champagne, qui a vu cette opportunité d’écriture comme un «privilège».

Du Liban au Québec, du théâtre au cinéma

Il reste que la transposition de l’œuvre en scénario avait son lot de défis: «On est dans la mythologie» autant dans la pièce que dans le langage, selon la co-scénariste, «il fallait rendre ces personnages-là avec un ancrage réaliste.»

Il fallait aussi transposer la structure très complexe de la pièce sur le grand écran sans perdre l’intérêt du spectateur.rice. Ce défi s’est notamment imposé aux scénaristes lors de la première scène, soit la lecture du testament, qui se devait d’être dynamique et concise tout en respectant les mots de Mouawad, sans toutefois entrer dans la lapalissade, l’évidence ou la caricature.

L’Un des plus grands défis du film fut également de poursuivre le caractère apolitique, agéographique et presque areligieux de l’œuvre originale. Incendies, qui est pourtant ancrée dans une dynamique géographique, politique et religieuse intense, est une pièce remarquablement élaborée, faisant en sorte que le public porte peu attention aux indices spécifiques lui permettant d’établir précisément le cadre de l’histoire. De cette manière, non seulement l’œuvre évite toute sorte de malentendus géopolitiques ou historiques, mais elle permet aussi de renforcer son caractère universel et humaniste. Il reste que, dans l’œuvre de Mouawad, on peut indubitablement dénombrer plusieurs références bibliques, héritées du vécu de chrétien maronite du dramaturge d’origine libanaise. On peut même y trouver des références historiques très personnelles pour l’auteur, comme l’attaque d’un bus palestinien dans la banlieue de Beyrouth le 13 avril 1975, qui rappelle étrangement l’une des scènes phares du film. 

Carte blanche pour une histoire sombre

Le plus beau cadeau qu’aura fait Mouawad à Villeneuve aura été de lui donner carte blanche en ce qui a trait à l’adaptation. «Wajdi a été exemplaire comme auteur», se rappelle Beaugrand-Champagne. «Il a dit à Denis “moi j’ai souffert pendant des années pour écrire cette pièce-là, maintenant je te donne le flambeau et tu vas probablement souffrir.”» Ce «don d’un artiste à l’autre» a profondément touché Valérie Beaugrand-Champagne, qui a tout de même ressenti une pression à rester, d’une certaine manière, fidèle à l’œuvre originale.

Malgré ce privilège en main, Villeneuve a su conserver sa vision unique de l’œuvre. Il explique alors à La Presse : «Je voulais faire le film le moins bavard possible, voir comment on peut traduire ces mots en images.»  Ainsi, Villeneuve expulse les nombreux élans poétiques de l’œuvre originale pour aboutir à quelque chose de plus brut dans ses propres dialogues. Cette vision brute est d’autant plus remarquée lorsque l’on sait que Villeneuve et Beaugrand-Champagne ont exploré la réalisation du cinéaste Lars Von Trier (et plus précisément de son film Dogville) qui possède une vision similaire et qui a, sans doute, inspiré Villeneuve.

« Si Valérie Beaugrand-Champagne éprouve tout de même un regret face à sa participation au film Incendies, il est lié à son sentiment d’avoir trahi la pensée de Wajdi Mouawad »

Si Valérie Beaugrand-Champagne éprouve tout de même un regret face à sa participation au film Incendies, il est lié à son sentiment d’avoir trahi la pensée de Wajdi Mouawad. Par souci d’efficacité et par souci stylistique, il fut décidé qu’une partie de la pièce originale, celle qui donne à voir le pardon du bourreau, soit écartée. Or, aux yeux de la co-scénariste, l’importance du jugement, rédigé dans l’œuvre originale sous une lunette biblique, était essentielle à l’œuvre de Mouawad. À ce sujet, Valérie Beaugrand-Champagne, visiblement émotive, pense que cela fait en sorte que la fin de l’histoire n’est pas à la hauteur de celle de Wajdi Mouawad.

Néanmoins, l’expérience auprès d’Incendies a confirmé à Valérie Beaugrand-Champagne, alors en questionnement professionnel, son désir de poursuivre ses ambitions scénaristiques et littéraires. Passant ainsi de la production à la scénarisation, elle considère avoir appris beaucoup, en plus de s’être ancrée dans cette nouvelle fonction. Cette expérience marque du même coup une longue et fructueuse collaboration avec la boîte de production micro_scope, avec qui elle a travaillé notamment pour les films Inch’AllahGabrielle et Tu dors NicoleIncendies marque également le début d’une collaboration professionnelle avec Denis Villeneuve, puisqu’elle a été appelée, de manière officielle ou non, à aider le réalisateur auprès d’autres films comme EnemySicario et Arrival.

Un réalisateur à l’image d’un chef d’orchestre

Valérie Beaugrand-Champagne n’est pas la seule personne avec qui Denis Villeneuve a pu cimenter une relation fructueuse. La magie de Villeneuve semble résider dans sa capacité à entretenir une relation créative sincère, dynamique et bilatérale avec ses nombreux collaborateurs qui, pour certains d’entre eux, le suivent depuis ses débuts.

Parmi eux se trouve le directeur de la photographie André Turpin. Reconnu pour son travail avec Xavier Dolan (sur les films Mommy et Juste la fin du monde, ainsi que le clip Hello d’Adele), André Turpin a collaboré avec Villeneuve pour de très nombreux films (dont Cosmos et Maelström) et voue une confiance artistique remarquable au réalisateur. 

«Denis a toujours été super précis dans la communication de sa vision», explique Turpin au bout du fil, établissant toutefois qu’il est primordial pour le réalisateur (le «chef d’orchestre») d’établir un dialogue constructif avec son équipe (ses «interprètes»). Par exemple, Turpin note que le film Incendies devait d’abord être filmé à l’épaule, mais que les premiers jours d’essai ont provoqué un dialogue entre Villeneuve et son directeur de la photographie, le tournage à l’épaule n’adhérant pas à l’image désirée. 

Le directeur de la photographie garde un très bon souvenir d’Incendies, un projet qui constitue selon lui l’un des trois points importants de sa carrière, avec les films Cosmos et Mommy. Il se rappelle un tournage en Jordanie posant de nombreux défis, sans qu’il y ait toutefois de drame majeur. Parmi les nombreux défis de Turpin, la scène d’incendie de l’autobus l’a particulièrement marqué. Le tournage de cette scène a été étalonné sur trois jours, même si la scène ne représente qu’un événement de cinq minutes. Quelques scènes prétendument au Moyen-Orient, mais qui furent, en fait, tournées à Montréal, constituèrent également un casse-tête pour l’équipe visuelle.

Du personnel à l’interpersonnel

Turpin reconnaît de manière générale le travail du réalisateur : «Il a pris une histoire biblique mythologique et ne l’a pas traitée comme tel. […] Il a élevé ça pour que ça devienne un drame digestible» constate Turpin, ce qui prouve selon lui la «modestie» du réalisateur.

«Il a compris qu’avec des sujets aussi peu sobres [que] des extraterrestres, une prise d’otage, une tuerie à Polytechnique […], la sobriété était la meilleure façon de les traiter»

- André Turpin au journal Le Délit

Ces qualités personnelles ont été projetées, d’une certaine manière, dans l’œuvre. «S’il y a une qualité que Denis a su insuffler au film, c’est la sobriété. […] La cruauté humaine [y] était [ainsi] mieux exploitée ou communiquée», explique le directeur de la photographie. Il y va de ce constat pour justifier le «choix naturaliste» du réalisateur dans ses œuvres: «Il a compris qu’avec des sujets aussi peu sobres [que] des extraterrestres, une prise d’otage, une tuerie à Polytechnique […], la sobriété était la meilleure façon de les traiter.»

Au niveau visuel, Turpin souligne le travail exceptionnel de l’étalonneuse Charlotte Mazzinghi, qui a fait beaucoup de recherches pour reproduire les textures de cendres et autres dommages réels produits par la guerre pour les transposer au décor. «Elle était extrêmement impliquée», se rappelle Turpin, qui souligne aussi l’apport remarquable d’André-Line Beauparlant, créatrice artistique qui a participé aux repérages, afin de servir la vision artistique de Villeneuve.

Souvenir joyeux d’une histoire macabre

Or, si Turpin a le souvenir d’un «tournage extrêmement joyeux», il reconnaît que c’est parce qu’il n’a pas vécu la guerre. Du même coup, il précise que, pour beaucoup d’individus jordaniens ou réfugiés participant au film, le tournage a été plus confrontant que pour ces «blancs-becs» canadiens. 

D’ailleurs, il a souvent été soutenu par des participants locaux au projet que l’atmosphère du film restait relativement fidèle aux réalités des dernières décennies dans ces régions. À ce sujet, Villeneuve, qui n’a jamais caché être hanté par le sentiment d’imposteur, confie à Ciné-Bulles:

«Je me souviens particulièrement du matin où nous sommes arrivés sur le plateau alors qu’une rue avait été transformée en zone de guerre pour une séquence avec un tireur embusqué. Certains techniciens libanais avaient les larmes aux yeux et disaient que c’était très semblable à ce qu’ils avaient vécu à Beyrouth en 1985. Dès lors, j’étais convaincu que nous n’étions pas à côté de nos pompes, mais bien collés au réel.»

- André Turpin au journal Le Délit

Dans cette même entrevue, Villeneuve précise que «[son] objectif premier était de travailler avec de jeunes acteurs d’origine arabe, en particulier pour les rôles des deux enfants de Nawal». «Le casting a duré plusieurs mois, et j’ai insisté pour trouver ces comédiens au Québec, car leurs personnages sont enracinés en terre québécoise puisqu’ils ont grandi ici. Je tiens à souligner que chez nous, il existe des acteurs d’origine arabe talentueux.» 

Les nombreux défis s’imposant à la création du projet ont fait en sorte que le choix a finalement été porté sur Mélissa Désormeaux-Poulin «qui, malgré son nom très québécois, a des traits et une silhouette qui ressemblent beaucoup à ceux de Lubna Azabal, l’actrice qui incarne sa mère», ainsi que Maxim Gaudette, avec qui Villeneuve avait étroitement collaboré pour Polytechnique

De la Jordanie à Hollywood

Le film Incendies a récolté de nombreux honneurs. En plus d’être classé dans le top 10 du New York Times des meilleurs films de l’année 2011, il n’amasse pas moins de neuf Jutra, dont ceux pour le meilleur film, la meilleure réalisation, le meilleur scénario et la meilleure actrice (pour Azabal).

Or, la récompense la plus flamboyante qu’a reçu le film est probablement d’avoir été nommé dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère aux Oscars, aux côtés notamment de films réalisés par Yórgos Lánthimos et Alejandro Gonzáles Iñárritu. 

L’équipe du film s’est donc rendue à Hollywood afin de célébrer et de pouvoir participer à diverses soirées. André Turpin se souvient très bien de cette semaine exceptionnelle. Alors qu’une soirée est organisée afin de nommer officiellement les films en lice pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, l’équipe d’Incendies constate avec surprise que le film sera présenté par nul autre que Roger Deakins, directeur de la photographie largement honoré et ayant travaillé dans les films FargoThe Man Who Wasn’t There et No Country for Old Men.

«En fait, on m’a demandé de présenter un des films nommés pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère à un évènement de l’Académie [des Oscars]», me précise Deakins par courriel. «Il n’a pas été de mon ressort que le film soit Incendies. Ceci a été ma première “introduction” à Denis et ce fut un coup de chance pour moi.» Deakins éprouve désormais une certaine affection pour le film.

«Ma réaction fut que je venais juste de visionner un film exceptionnel, un film sans indulgence qui posait des questions honnêtes. C’est un film qui reste avec toi.»

- Roger Deakins au journal Le Délit, en parlant de son premier visionnement

Plus précisément, il considère le travail de Turpin sur Incendies comme étant «très subtil». «J’avais vu le travail d’André [Turpin] dans Maelström, qui était aussi très impressionnant. Son style direct et honnête vous immerge dans la vie des personnages du film.»  

Des discussions entre Deakins, Turpin et Villeneuve ont suivi la présentation du film, et ont mené à une collaboration entre Villeneuve et Deakins pour PrisonersSicario et Blade Runner 2049. Pour ce dernier film, Deakins recevra l’Oscar de la meilleure photographie, son premier, malgré ses 13 nominations antérieures. 

«Sur la map»

Incendies a été le premier film d’une série de trois nominations consécutives aux Oscars pour le Québec. Aussi produits par Kim McCraw et Luc Déry de la boîte micro_scope, les films Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau et Rebelle de Kim Nguyen ont emboîté le pas au film de Denis Villeneuve et se sont retrouvés aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère.

Ces films, ayant eu un succès critique international et ayant permis à leur réalisateur d’entamer une carrière internationale, reflètent parfaitement une nouvelle étape du cinéma québécois, soit une ouverture à l’Autre et à l’étranger dans le contenu des films. 

«[Incendies] a ouvert la porte à la représentation de l’Autre dans notre cinéma», affirme Helen Faradji, critique de cinéma pour Radio-Canada, contactée par téléphone. Elle souligne que le film a aidé le cinéma québécois, qui a, depuis longtemps, un problème avec «la représentation de la diversité», à «regarder autre chose que son nombril». À juste titre, elle mentionne qu’il est normal qu’un cinéma national s’intéresse à ses habitants et lieux, «sauf que ses habitants, c’est plus que la représentation masculine et blanche de sa réalité». Cette ouverture touche non seulement les créateurs, mais également le public québécois.

Parce qu’il est indubitable que cette ouverture et cette audace auront un écho large sur une nouvelle génération de québécois et d’artistes: «On dirait qu’à chaque fois que je regarde ce film je l’aime encore plus», me lance ainsi Charlotte Côté. Cette étudiante en production de films à l’Université Concordia parle d’une «présence cinématographique derrière l’écran» que l’on peut ressentir chez Villeneuve. «C’est une promesse qu’offrent les films de Villeneuve, et que bien évidemment nous a offert Incendies», explique Côté, qui précise à juste titre qu’un apport majeur du réalisateur aura aussi été d’immerger le spectateur dans «une histoire qui manipule [son] cerveau et qui le met constamment au défi».

«L’étape d’innovation n’est pas révolue. […] Je vois un cinéma qui se diversifie, qui n’a pas peur d’explorer», statue Helen Faradji. Cette dernière lie ce phénomène au succès de films comme IncendiesMonsieur Lazhar, mais aussi de nombreux courts-métrages qui ont su rayonner dans la dernière décennie. Ces œuvres «ont prouvé que le cinéma québécois n’avait pas qu’une teinte, n’avait pas qu’une couleur». Par rapport à Villeneuve, Helen Faradji reconnaît sa contribution à avoir démontré  que c’était une bonne idée d’avoir de l’ambition et de penser ses films pour le grand écran. Elle circonscrit ce constat dans le cadre québécois, évoquant le manque de ressources comme catalyseur d’invention et d’audace, ce qui donne selon elle «des résultats souvent intéressants». «Ce n’était pas garanti que ce soit un succès comme ça en a été un», confie-t-elle alors en évoquant la foi des producteurs envers Villeneuve.

Un peu de Québec à Hollywood ?

Malgré son départ à Hollywood et les nombreuses ressources dont il dispose désormais, pouvons-nous dire que Denis Villeneuve maintient une touche québécoise à ses films? Après tout, il est très facilement défendable que la simplicité stylistique partagée par Villeneuve même hors Québec provienne d’une sobriété et d’un style liés au Québec. Cette simplicité québécoise est sans doute liée à ses moyens et à sa culture, qui est généralement humble, voire timide, si l’on compare au style américain. Cela est sans parler de certains décors (comme les scènes enneigées de Blade Runner 2049 ou le terrain extraterrestre d’Arrival) qui rappellent le Québec; parfois, d’ailleurs, parce que la belle province a servi de lieu de tournage. Il serait aussi indigne de négliger l’apport sonore, signé en majorité par le Québécois Sylvain Bellemare, et récompensé aux Oscars pour Arrival. Cette vision de la signature québécoise est considérée avec prudence par Roger Deakins: «Denis inscrit une “touche” très personnelle à chacun de ses films, mais je ne sais pas si on pourrait appeler ça une “touche québécoise”.»

D’une certaine manière, la représentation de la femme à l’écran par Villeneuve pourrait peut-être aussi être vue comme une touche particulièrement québécoise. Les femmes sont à l’avant-plan des films de Villeneuve, que ce soit avec IncendiesSicarioArrival ou Polytechnique, bien que cette apparence de féminisme ait déjà été contestée.

Helen Faradji voit dans la filmographie de Villeneuve une ouverture à la représentation de femmes fortes et croit que la concrétisation d’un «féminisme tranquille» chez Villeneuve s’opère dans Arrival, bien que ses films précédents, dont MaelströmUn 32 août sur terre et Incendies, faisaient déjà partie de cette lignée. Dans le cas d’Incendies, il convient toutefois de rappeler que c’est Wajdi Mouawad qui est à l’origine de cette dynamique.

«Denis a déjà une très grande influence sur la création de films à travers le monde. Il est un cinéaste unique et je suis sûr que l’avenir lui réserve encore plusieurs choses, et non pas uniquement son interprétation à venir de Dune»

- Roger Deakins au journal Le Délit

Que cette filmographie où les femmes sont partie prenante soit réfléchie, naturelle ou réactive, qu’elle soit effectuée par pure fascination pour la féminité ou par réel engagement féministe, il reste qu’elle s’inscrit dans un large héritage que Villeneuve est en train de léguer à l’international. «Denis a déjà une très grande influence sur la création de films à travers le monde. Il est un cinéaste unique et je suis sûr que l’avenir lui réserve encore plusieurs choses, et non pas uniquement son interprétation à venir de Dune», souligne Roger Deakins.

Parce qu’en effet, tous les yeux sont maintenant rivés sur la prochaine mégaproduction de Villeneuve, Dune, adaptée du chef‑d’œuvre de science-fiction de Frank Hebert, pour lequel Denis Villeneuve s’est entouré d’interprètes de premier ordre qui semblent bien l’apprécier, comme le note pertinemment Faradji. Le traumatisme provoqué par la première adaptation du livre, considérée comme un navet, ainsi que l’impact de la pandémie mondiale a de quoi semer le scepticisme de certains quant à cette nouvelle mouture par le réalisateur québécois. Or, l’équipe cinq étoiles ainsi que la première bande-annonce partagée récemment semblent promettre une expérience hors pair, probablement à la croisée des chemins entre une production de Christopher Nolan et de George Miller. On continue toutefois à reconnaître l’approche naturaliste de Villeneuve, qui, pour Dune, est retourné filmer en Jordanie presque dix ans après y avoir filmé Incendies.

La sobriété a beau avoir meilleur goût, Incendies de Denis Villeneuve semble vieillir comme un bon vin. En vue de ce constat, Helen Faradji conclut : «J’aimerais, je souhaite, j’espère qu’un jour, il revienne au Québec pour mettre tout ça au service d’une histoire qui soit la nôtre.» 

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Été 85 de François Ozon au TIFF 2020 https://www.delitfrancais.com/2020/09/22/ete-85-de-francois-ozon-au-tiff-2020/ Tue, 22 Sep 2020 13:03:46 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=37318 « Pourquoi perdre du temps? »

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Été 85, le nouveau film du réalisateur François Ozon (Huit FemmesPotiche), est présenté ce mois-ci dans une édition bien particulière du Festival international du film de Toronto (TIFF). Dans ce film, Alexis (Félix Lefebvre), un adolescent français, raconte l’été qu’il vient de passer avec David (Benjamin Voisin). À la suite de la mort de David, Alexis, son amour d’été, est interrogé. Ne vous inquiétez pas, je ne vous divulgâche rien : ce constat est évoqué en moins de trois minutes après le début du film.

Là est un peu le hic : le film, inspiré par le livre La Danse du coucou (1982) d’Aidan Chambers, fait preuve d’une rapidité scénaristique étourdissante et parfois gênante. De fil en aiguille, cette rapidité est si flagrante et chaotique qu’elle ne peut être justifiée autrement que par une intention avisée du réalisateur : « Arrête d’essayer de tout comprendre », insiste David, en s’adressant à Alexis. Ce message ne semble pas s’adresser simplement à Alexis, mais également aux spectateurs et spectatrices, qui peut parfois avoir du mal à s’ancrer dans cet univers, étant donné la rapidité des interactions et le manque de consistance dans les indices scénaristiques.

Pour le meilleur et pour le pire, Ozon ne semble pas vraiment s’être éloigné des thématiques et du style de son court-métrage Une robe d’été (1996), qui lui avait procuré une notoriété internationale. De nombreux fétiches « ozoniens », tels que les scènes de travestissement, de danse singulière et de plage, que nous donne à voir Été 85, contribuent à perpétuer l’image classique du cinéma français. Ce statisme stylistique a de quoi rendre hommage à une belle époque du cinéma français, mais ne peut conséquemment pas être louée pour son originalité. Une exploration plus mature et approfondie des relations de domination liées à l’âge et au genre (représentées timidement dans le film) aurait renforcé le caractère moderne et la pertinence du film.

On ne peut pas s’empêcher, en visionnant Été 85, d’établir des parallèles avec d’autres films du même style, comme Les amours imaginaires (2010) de Xavier Dolan, 120 battements par minute (2017) de Robin Campillo ou Call Me by Your Name (2017) de Luca Guadagnino. En fait, à de très nombreux égards, le film rappelle la douceur et la naïveté du film de Guadagnino, que ce soit par une scène de danse colorée, une escapade à la mer ou tout simplement par l’esthétisme méditerranéen en général.

Il est hors de doute qu’Ozon, qui est dans l’horizon cinématographique LGBTQ+ depuis plus de deux décennies, a su laisser son empreinte auprès de nombreux réalisateurs contemporains. Néanmoins, la nouvelle vague de « films gays » (concernant au premier plan une relation homosexuelle ou homoromantique entre hommes) démontre une plus grande prise de risque que ce qui est offert aujourd’hui par Ozon. Il convient toutefois de souligner que l’absence de questionnements existentiels longs et essoufflants sur l’homosexualité est fréquente chez Ozon, et constitue une bouffée d’air frais en soi. Été 85 ne fait pas exception et épargne le·la spectateur·rice d’un spleen exclusivement relié à l’orientation sexuelle qui, bien que nécessaire et pertinent, a bien trop souvent monopolisé l’intrigue de ces films.

Le bijou de ce film est indubitablement Félix Lefebvre, qui y livre une interprétation d’une justesse et d’une générosité ahurissantes, permettant au film d’éviter de tomber dans le piège de la fantaisie, voire de la caricature. En soutien, Isabelle Nanty et Valeria Bruni Tedeschi proposent des interprétations tout aussi louables en jouant respectivement la mère d’Alexis et celle de David. Le film est un divertissement inusité et mérite le détour.

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Démystifier la jeunesse https://www.delitfrancais.com/2020/06/10/demystifier-la-jeunesse/ Wed, 10 Jun 2020 18:26:26 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=36132 Discussion avec Jad Orphée Chami, nommé au Gala Québec Cinéma pour sa composition de la musique du film « Antigone » de Sophie Deraspe.

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Veuillez noter que cette entrevue ne contient aucun divulgâcheur du film Antigone. 

Du mythe à la réalité

« Tout artiste aujourd’hui doit créer une sorte de mythe autour de lui. »

Jad Orphée Chami, 21 ans, ne lance pas ces mots à la légère. En fait, le jeune artiste aura allié courage et ambition pour pouvoir poursuivre ses passions, lui permettant de composer de la musique pour un long-métrage pour la première fois de sa vie, soit pour le film Antigone, de Sophie Deraspe. 

En plein « casting sauvage », la réalisatrice derrière Les loups et Le Profil Amina aura eu la surprise de voir Jad Orphée Chami, alors âgé de 19 ans, se présenter non pas pour obtenir un rôle dans son film…mais plutôt pour y composer la musique! Une expérience que le principal intéressé qualifie d’ailleurs d’ « assez drôle ». « Je pense que Sophie [Deraspe] a vu que ce projet-là me parlait et ça allait au-delà de composer mon premier long-métrage », établit-il, précisant par ailleurs qu’il est nécessaire pour un compositeur de musique de film d’être cinéphile.

« Ça a pris un an avant que ça se concrétise », précise Chami, qui avait tout de même décidé de participer au tournage à titre de figurant afin de pouvoir s’inspirer. Le thème d’Antigone (Une femme) a été la première pièce envoyée. C’est ce qui a confirmé la place de Jad Orphée Chami comme compositeur du film, un travail de longue haleine qui lui aura pris de nombreux mois. « Ce qui était stressant, c’est que c’était ma dernière année à Concordia. J’avais 6 cours par semestre, c’était assez intense. » 

En collaboration avec Jean Massicotte (un être « absolument extraordinaire » selon le compositeur), Chami a composé de nombreuses pièces pour quatuor à cordes, clarinette et piano. Massicotte a plutôt opté pour des nuances électroacoustiques, composant deux pièces avec Jad Orphée Chami. Ce dernier en retire une grande expérience de confiance, alors qu’il se retrouvait à ce qu’il qualifie d’ « âge des manifestes ». Une expérience en symbiose avec la réalisatrice, qui est également une mélomane.

D’ailleurs, Sophie Deraspe se retrouve dans le générique du film en tant que pianiste, un caméo qui relève plutôt d’une anecdote cocasse :« Sophie me disait “Est-ce que tu peux jouer en stop motion?” J’ai dit : “Mais ça veut rien dire au piano, stop motion.’’ Elle se met au piano et elle me joue quatre notes, mais elle les joue de manière un peu statique… On l’entend à un moment dans la bande-son! »

Ce qu’en retire Jad Orphée Chami est surtout une confiance spécifique au Québec envers les jeunes : « Montréal fait confiance à sa jeunesse et on l’a vu avec Antigone qui est composé de jeunes autant dans l’équipe créative que dans le casting. » 

Le minimalisme comme terrain d’entente

À première vue (ou plutôt à première écoute), la musique lyrique, voire romantique, de Chami adhère de manière très ténue à la filmographie de Deraspe, qui est plutôt reconnue pour son cinéma cru et socio-réaliste. À mi-chemin entre les deux univers, les artistes ont semblé opter pour une approche plus minimaliste.

« Ce n’est pas un hasard que Une femme soit la première pièce. Une femme est un compromis intéressant. Je joue à la fois sur la tension et les résonnances très minimalistes tout en laissant du temps pour le silence », explique l’homme originaire de Beyrouth.

« C’était un gros défi avec Sophie. Son rapport avec la musique est extrêmement proche avec celui de Jacques Audiard… cet amour du silence, ce silence très gourmand, on le retrouve dans Les signes vitaux, par exemple… et je pense qu’elle avait du mal à envisager un film où la musique n’est pas une sorte d’événement mis à part… Dans Les signes vitaux, la musique arrive à des moments précis », souligne Chami, qui affectionne le « sublime […], les grandes cordes, les thèmes mystiques qui montent au-dessus du son, les notes qui flottent. »

D’ailleurs, Chami apprécie particulièrement la vision de Deraspe en ce qui a trait à la représentation des personnages : « Je refuse de penser que la représentation crue est une représentation éthique. Je pense que, si on veut honorer l’histoire de quelqu’un, on essaie de la retranscrire telle quelle, mais, en même temps, en y injectant une dose de lyrisme et de compassion. »

Les honneurs pour Antigone

Le film Antigone de Sophie Deraspe continue de récolter les honneurs, et ce, malgré la pandémie. Ayant remporté le prix du Meilleur film canadien au Festival international du film de Toronto et ayant représenté le Canada dans la course aux Oscars pour l’obtention du prix du Meilleur film international, Antigone a brillé à la fin du mois de mai en récoltant 5 Prix Écrans Canadiens, soit ceux du Meilleur film, de la Meilleure actrice (Nahéma Ricci), de la Meilleure actrice de soutien (Nour Belkhiria), du Meilleur scénario et du Meilleur montage.

Antigone est nommé pour 8 Iris à l’édition 2020 du Gala Québec Cinéma, qui, pandémie mondiale oblige, aura lieu à distance, dont Meilleur film, Meilleure réalisation et Meilleur scénario. Jad Orphée Chami s’y retrouve avec Jean Massicotte pour le prix de la Meilleure musique originale. De quoi ébahir le principal intéressé, qui ne s’associait pas nécessairement au monde de la musique de film : « On trouve beaucoup moins de jeunes [en musique de film]. J’avais l’image du compositeur de musique de film à la Howard Shore… Des gens avancés dans l’âge, qui ont une certaine maturité… le “vieux bonhomme” assis derrière son piano comme Hans Zimmer. »

Howard Shore, Jad Orphée Chami s’en rapproche à sa manière. En boule dans son lit alors qu’étaient dévoilés les finalistes du Gala Québec Cinéma, le jeune compositeur a eu l’immense surprise de se retrouver nommé aux côtés de la sommité musicale, qui est en lice grâce à son film The Song of Names. À ce sujet, le compositeur en cherche encore ses mots : « Le prix que j’ai gagné, je l’ai gagné lorsque j’ai été nominé à côté d’Howard Shore… À 21 ans, tu es nominé à côté du mec qui t’a créé la plus grosse ouverture de film avec Lord of the Rings… Le gamin que je suis était très impressionné », lance-t-il, assurant ainsi qu’il est « déjà comblé ».

Jean-Michel Blais (Matthias & Maxime), Andréa Bélanger et David Ratté (Il pleuvait des oiseaux) et Peter Venne et Christophe Lamarche-Ledoux (Le vingtième siècle) viennent compléter la catégorie de Meilleure musique originale.

Cette année, le cinéma québécois aura rayonné notamment par de magnifiques films réalisés par des femmes portant sur des sujets tels l’identité et la relation sœur-frère (je pense ici notamment à La femme de mon frère de Monia Chokri et Jeune Juliette d’Anne Émond). Jad Orphée Chami se réjouit de constater que les films cette année sont « forts ».

« C’est puissant, fort et beau de voir qu’Antigone et le cinéma a pu rayonner malgré cette crise » reconnaît-il, statuant de surcroît que « le cinéma québécois mérite de briller ».

L’identité comme essence

En quelque sorte, le fait que la première composition de Jad Orphée Chami pour un long-métrage soit pour une adaptation d’une tragédie de Sophocle ne semble pas si anodin. Les conflits identitaires façonnent et fascinent le jeune homme, qui se sent tout aussi relié à son Liban natal qu’au Québec (où il a passé 5 ans), qu’à la France (où il effectue présentement ses études, à l’École des hautes études en sciences sociales). Élaborant présentement un projet de recherche-création sur la performance de l’histoire orale, soit « comment porter la voix d’autrui », il cherche à mettre en scène les récits des familles de disparus durant la guerre civile libanaise. De quoi donner une certaine continuité à ses études à Concordia, université qui lui a « appris à être artiste » et qui lui a permis de « comprendre qui [il est] comme artiste ».

Inspiré par Wajdi Mouawad (qui partage une histoire assez similaire), l’homme, qui rêvait autrefois d’être une diva de la pop telle Britney Spears ou Mika, rêve plutôt de sortir un EP ou un album à la croisée de ses passions musicales et de ses explorations artistiques. Le jeune homme ayant composé pour Pierre-Marc Ouellette (École de danse contemporaine de Montréal) en 2019 explore désormais les sonorités électroacoustiques et aimerait une fois pour toutes représenter « l’esthétique bizarre entre deux mondes de culture pop et d’expressionnisme musical » qui bâtit son identité musicale.

La bande sonore du film Antigone, composée par Jad Orphée Chami et Jean Massicotte, se retrouve sur de nombreuses plateformes d’écoute en ligne.

Le film Antigone de Sophie Deraspe se trouve en vidéo sur demande à la boutique en ligne de la Maison 4:3, sur Le Clap, sur Illico, sur Crave, sur Bell, sur Telus et sur Itunes Store. Il sera présenté sur Super Écran 1 le jeudi 11 juin à 10h05 et le 12 juin à 5h05. Il est également disponible en DVD.

Le Gala Québec Cinéma aura lieu le 10 juin en deux parties : à 19h00 sur le Web et à 21h00 à l’émission Bonsoir Bonsoir! pour les prix de la Meilleure actrice, du Meilleur acteur,  pour le prix du public et celui du Meilleur film.

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Fournier quitte le navire https://www.delitfrancais.com/2019/03/19/fournier-quitte-le-navire/ https://www.delitfrancais.com/2019/03/19/fournier-quitte-le-navire/#respond Tue, 19 Mar 2019 12:43:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=33581 La parti québécois perd une de ses députés les plus en vue.

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Lundi dernier, la députée provinciale de la circonscription de Marie-Victorin, Catherine Fournier, a annoncé qu’elle quittait le clan péquiste afin de désormais siéger comme députée indépendante, réduisant à neuf le nombre de députés péquistes à l’Assemblée nationale.

Décriée par certains, applaudie par d’autres, cette décision a certainement créé une onde de choc dans les rangs indépendantistes : Catherine Fournier était populaire auprès des jeunes et très en vue au sein du Parti québécois, notamment parce qu’elle en était  la seule députée élue dans la région de Montréal depuis le 1er octobre. Ces facteurs faisaient d’elle, pour certains, une actrice phare du renouveau péquiste et, par conséquent, du renouveau souverainiste. En outre, elle remplissait entre autres les rôles clés de porte-parole sur l’économie, sur l’immigration, sur la condition féminine et sur la réforme des institutions démocratiques.

Départ inattendu

Pour justifier son départ, la députée a évoqué la rigidité du parti et son incapacité à attirer de nouveaux électeurs, en particulier chez les jeunes. Elle a affirmé qu’elle croyait toujours aux idéaux péquistes, mais qu’elle ne se sentait plus capable de faire campagne pour le PQ, qui garde attachés à son image des dossiers comme ceux de la Charte des valeurs et d’Anticosti. Par ailleurs, la députée a fait son annonce quelques heures seulement après la diffusion de l’entrevue de Jean-François Lisée à Tout le monde en parle, dans laquelle celui-ci a exprimé le même constat : le PQ perdrait parce que les gens ne sont plus capables de croire en sa capacité à être populaire lors des élections.

Le chef intérimaire du parti, Pascal Bérubé, n’a pas tardé à exprimer sa surprise face à ce départ, critiquant aussitôt la légitimité du statut de Mme Fournier comme députée de Marie-Victorin. Selon M. Bérubé, Catherine Fournier n’aurait pas réussi à être élue si elle avait été candidate indépendante. Sur ce point, la députée Véronique Hivon opte pour une approche plus prudente, croyant qu’il en revient aux citoyens de la circonscription et à la députée elle-même de juger si elle peut rester. Véronique Hivon a par ailleurs précisé qu’elle partageait les mêmes constats que Mme Fournier, mais qu’il était possible, selon elle, de sauver le PQ. Une autre figure centrale du parti, Sylvain Gaudreault, a quant à lui évoqué une trahison « à la puissance 10 ».

Et maintenant?

Aucun journaliste ne s’est avancé pour prédire ce que Catherine Fournier fera d’ici les prochaines élections. Chose certaine, si elle veut réformer le mouvement souverainiste, la jeune politicienne s’est donné un défi de taille. Dans le ciel souverainiste, il existe déjà une myriade de groupes, de partis, de magazines et de think tanks souverainistes qui empêchent le mouvement dans son ensemble de communiquer son message de manière unifiée. Il serait surprenant que d’autres personnalités politiques choisissent de rompre les rangs pour suivre Catherine Fournier, ne serait-ce par désillusion par rapport à ce qui s’est déjà fait par le passé. Néanmoins, de nombreux commentateurs ont avancé que Jean-Martin Aussant, qui a également par le passé déserté le PQ pour fonder son propre mouvement, pourrait choisir une fois de plus de tenter de réformer le mouvement souverainiste.

Mme Fournier a d’abord affirmé qu’elle croyait qu’un nouveau parti politique souverainiste rendrait le problème de la division du vote encore plus grand, et a exclu de chercher à concurrencer le PQ. Toutefois, elle a plus tard laissé entendre en entrevue qu’elle pourrait tenter de créer un nouveau parti politique, ou du moins un mouvement politique. Elle a par ailleurs pris acte de l’ampleur du défi de réformer le mouvement souverainiste et reçu du soutien de personnalités de nombreux horizons politiques suite à son départ. Elle cherche également des appuis de la population en invitant les militants souverainistes à signer une pétition sur une plateforme qu’elle a lancée la semaine dernière.

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Consultations sur le cannabis https://www.delitfrancais.com/2019/02/19/consultations-sur-le-cannabis/ https://www.delitfrancais.com/2019/02/19/consultations-sur-le-cannabis/#respond Tue, 19 Feb 2019 13:19:27 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=33411 La Coalition Avenir Québec a consulté la population sur l’encadrement du pot.

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Depuis la semaine dernière se tiennent les consultations particulières et les auditions publiques sur le projet de loi n°2, la Loi resserrant l’encadrement du cannabis. Ces consultations, orchestrées par le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, se déroulent dans une atmosphère assez particulière : plusieurs groupes censés se prononcer sur le sujet, comme l’Association des médecins psychiatres du Québec et la Fédération des médecins spécialistes du Québec, se sont désistés à quelques heures de l’audience, n’ayant pas eu suffisamment de temps pour se préparer.

Le ministre Carmant et son gouvernement sont catégoriques : ils adopteront une loi augmentant l’âge légal de consommation de cannabis dans la province de 18 à 21 ans, peu importe les résultats qu’auront ces consultations publiques, que le ministre qualifie plutôt de « discussion ». La CAQ cherche également à être plus restrictive en interdisant la consommation de cannabis dans des lieux publics, tels que les parcs.

Agitations en coulisses

Ces désistements ont de quoi envenimer les attaques dans les rangs parlementaires. Du côté libéral, on avance que cette consultation est « fausse » et que les organismes présents ne sont même pas écoutés. Le porte-parole libéral en matière de santé, André Fortin, ne mâche pas ses mots : le ministre Carmant mettrait en scène « un exercice bidon, une frime, un bâillonnement des groupes qui veulent s’exprimer ». Quant au ministre Carmant, il accuse les libéraux d’avoir « retardé le processus ». Du côté péquiste et solidaire, on dénonce l’ « incohérence » des mesures avancées.

La semaine dernière, le centre Portage, la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), l’Association québécoise des programmes pour premiers épisodes psychotiques (AQPPEP), l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et la Ville de Gatineau ont donc été les seuls groupes présents aux audiences publiques. La FEUQ et l’INSPQ ont défendu le maintien de l’âge légal à 18 ans, alors que la Ville de Gatineau a proposé un compromis en termes de restriction dans les lieux publics.

L’approche brusque de la CAQ n’a rien de surprenant. En fait, elle est en parfaite adéquation avec l’image que la CAQ veut se donner

Les promesses de la CAQ

L’approche brusque de la CAQ n’a rien de surprenant. En fait, elle est en parfaite adéquation avec l’image que la CAQ veut se donner : un parti sans compromis, qui respecte ses engagements, et ce, dans les plus brefs délais. Leur écrasante majorité leur permet (et leur donne la légitimité) de mettre de côté tout propos allant à contresens. Tout processus suggérant une médiation quelconque est écarté : celle-ci suggèrerait une faiblesse de la part du gouvernement, en plus de ralentir ses projets. Cette situation est loin d’être unique à la CAQ, mais s’applique très bien à l’approche caquiste des derniers mois.

Présentement, le parti n’a pas peur de toucher aux dossiers de la laïcité, de l’immigration et, plus récemment, de la maternelle 4 ans (annoncé toutefois avec une augmentation des coûts) et suit un agenda politique relativement corsé. Or, il est fort à parier que le gouvernement Legault ne pourra pas maintenir ce rythme de croisière. Certaines promesses, comme le fameux « test des valeurs », auront probablement plus de mal à passer, alors que d’autres promesses plus ambitieuses, comme les « Maisons des ainés » et la réforme du mode de scrutin, tardent (et tarderont encore probablement) à être adressées.

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Les Verts ont le vent dans les voiles https://www.delitfrancais.com/2019/02/12/les-verts-ont-le-vent-dans-les-voiles/ Tue, 12 Feb 2019 14:20:07 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=33290 Le Parti Vert du Canada cherche à faire des gains aux élections du 21 octobre

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De toutes les roches que Justin Trudeau peut avoir dans son soulier, la question environnementale est sans aucun doute une des plus grosses. La dichotomie reprochée au gouvernement libéral, entre ce qui est dit et ce qui est fait, a de quoi faire réagir la population, les ONG, les militants et même les journaux étrangers. Par exemple, un éditorial du New York Times titre « Justin Trudeau’s Two-Faced Climate Game » (« Le jeu à double face de Justin Trudeau sur le climat »), alors qu’un autre du Guardian opte plutôt pour « Stop swooning over Justin Trudeau. The man is a disaster for the planet » («Arrêtez de vous languir pour Justin Trudeau : il est mauvais pour la planète» ). De quoi mettre en valeur les propositions environnementales de partis considérés comme étant plus progressistes, tels que le Nouveau Parti Démocratique (NPD) et le Parti Vert du Canada (PVC).

Progressions et déclins

En vue des élections à venir, une augmentation du nombre de sièges de ces partis ne semble pas si saugrenue. Après tout, l’enjeu de l’écologie et des changements climatiques occupe depuis quelque temps une place de plus en plus importante dans la sphère médiatique et politique québécoise. Au niveau provincial, Québec Solidaire (QS) est devenu un groupe parlementaire entre autres en mettant ses mesures écologiques à l’avant-plan, alors que le Parti Vert du Québec s’est manifesté comme une option jeune et nouvelle (par exemple, la moyenne d’âge de ses candidats était de 34 ans).

De surcroît, un récent sondage commandé par Le Journal de Montréal met côte à côte le NPD (8%), le Parti Populaire du Canada (PPC) (6%) et le PVC (5%) dans les intentions de vote au Québec. Bien que prématurées et précaires, ces données semblent confirmer le déclin du NPD. En entrevue à CTV, Thomas Mulcair, ancien chef du NPD et ancien ministre de l’Environnement du Québec, a confié que le Parti Vert pourrait s’avérer être la parfaite option pour les « progressistes cherchant un refuge en ce qui a trait aux enjeux environnementaux ». Ce désaveu de l’ancien chef, nonobstant ses motivations sous-jacentes, pèse lourd sur la confiance de l’électorat envers le NPD.

Un mouvement pan-canadien

Par ailleurs, cette tendance verte est loin de ne se manifester qu’au Québec. Des articles parus ce mois-ci à travers le pays, tels que « Greens’ Day » (« Le jour des verts ») de Maclean’s ou « Elizabeth May croit le temps venu pour les verts » du Devoir, notent justement cette croissance, précisant notamment le fait qu’il y a présentement à travers les provinces dix députés verts (en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick, en Ontario,  à l’Île-du-Prince-Édouard et au gouvernement fédéral). En outre, Maclean’s souligne que, si d’autres pays réussissent à avoir davantage de sièges verts, c’est principalement parce que la majorité de ces pays ont adopté un système de scrutin proportionnel, ce qui n’est pas le cas présentement au Canada.

Il ne semble pas y avoir eu de réel examen de conscience post-Mulcair au sein du NPD. La principale difficulté du parti résidait (et réside toujours) dans son retour comme tiers parti, dans son positionnement au sein de la bipolarité Libéraux-Conservateurs. Elizabeth May et son parti ont pris la balle au bond, bénéficiant d’ailleurs de plus en plus de fonds. Ainsi, il  va sans dire que ce nouvel alignement politique pourrait, comme c’est arrivé dans de nombreux pays, laisser place cette année à un plus grand nombre de députés verts.

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