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Élections américaines – Encore plus de réponses à vos questions

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Les campagnes présidentielles américaines nous réservent toujours des surprises inattendues. Cette année, la pandémie de COVID-19 vient encore plus brasser les cartes : les discussions de coulisses deviennent des appels téléphoniques, la course effrénée aux quatre coins du pays est réduite à son strict minimum et plusieurs électeurs et électrices voteront depuis le confort de leur foyer. Dans cet article, nous aborderons les effets de cette pandémie sur le processus électoral américain. 

Question 1 : Quelles ont été les répercussions de la pandémie sur les rassemblements politiques ?

Un homme manifeste seul et masqué devant l’hôtel de ville de San Francisco (Ken Walton – Wikimedia)

Lors d’une élection normale, les candidat·e·s, accompagné·e·s d’une armée d’employé·e·s politiques et de journalistes, parcourent les États-Unis pour parler devant des foules compactes et pour serrer la main des électeurs et des électrices. Vous comprendrez que cette année, c’est un peu différent.

À partir du 10 mars, le candidat démocrate Joe Biden s’est isolé dans son domicile de Wilmington, au Delaware, pour suivre les consignes sanitaires et donner l’exemple. Jusqu’à la convention démocrate de la mi-août, il s’est adressé aux Américain·e·s et a critiqué au quotidien la gestion de la crise de la COVID-19 de Trump, depuis un studio improvisé dans son sous-sol. Malgré tout, il peinait à se faire remarquer à travers l’éclipse médiatique du coronavirus. Depuis, il semble être sorti de sa torpeur et a voyagé dans quelques États à la fin de l’été, notamment à Houston, dans la foulée des funérailles de Georges Floyd, à Kenosha, en marge des soulèvements suivants l’affaire Jacob Blake. Depuis la mi-septembre, il multiplie les voyages dans les États clés pour l’élection, comme celui qu’il a fait à Cleveland, en Ohio, dans le cadre du premier débat présidentiel. 

De son côté, Donald Trump a été, comme tous les dirigeants et dirigeantes de la planète au cours des derniers mois, à l’avant-scène, car il devait informer sa population de l’évolution de la pandémie. Malgré les mesures sanitaires et l’interdiction des rassemblements dans plusieurs États, le clan Trump a décidé d’organiser des rallies politiques, semblables aux événements précédant la pandémie. On peut penser notamment au rassemblement du 20 juin à Tulsa (Oklahoma) où il s’est présenté devant un auditorium aux deux tiers vide, probablement à la suite d’une ruse de milliers d’utilisateurs et d’utilisatrices de TikTok, qui ont réservé des billets (gratuits) sans jamais avoir eu l’intention de s’y présenter. Après avoir pris une pause pendant l’été, les rassemblements partisans se multiplient depuis la convention républicaine de la fin août. Souvent, les mesures sanitaires y ont été quasi-absentes, et le président ne semble pas s’en soucier. 

D’ailleurs le président Trump et de nombreu·ses·x membres de son entourage ont reçu un résultat positif à des tests de dépistage de la COVID-19 dans les derniers jours. L’absence du port du masque et le non-respect des mesures de distanciation sociale sont dénoncés par plusieurs experts et expertes de santé publique comme un facteur peut-être déterminant dans cette éclosion à la Maison-Blanche.

Question 2 : Qu’est-ce que le vote par la poste ?

Trinity Nguyen – Unsplash Le petit fourgon blanc du United States Postal Service est omniprésent dans l’imaginaire collectif américain (Trinity Nguyen – Unsplash)

La réponse très (très) courte

On vote par la poste.

La réponse courte

Le vote par la poste, pratique effectuée dans quelques États américains depuis plusieurs années, se voit favorisé en raison de la pandémie actuelle.

La réponse plus longue

La pandémie actuelle a mis sur la touche le processus de vote traditionnel, jugé trop dangereux et pouvant conséquemment mener à un haut taux d’abstention. Le vote à distance est ainsi promu, même si le vote en personne est toujours possible dans tous les États.

Le concept est très facile et assez explicite : tu pratiques ton droit de vote à partir de chez toi, grâce à un formulaire fourni à l’avance, que tu soumets ensuite à la poste ou dans une boîte spéciale prévue à cet effet. Le processus d’identification passe par différents critères selon chaque État, mais la personne votant a toujours, au minimum, besoin de donner son nom complet et ses coordonnées, en plus de signer son bulletin de vote. D’autres précautions sont parfois ajoutées. Par exemple, certains États demandent une copie d’une pièce d’identification, d’autres les derniers chiffres de l’assurance sociale.

Cette mesure présente de nombreux avantages, le principal étant de favoriser l’exercice du droit de vote et donc d’augmenter le taux de participation. L’électeur ou l’électrice peut prendre le temps de voter et n’a pas le stress que peut engendrer le vote en personne. Rappelons que dans près de la moitié des États, aucune loi n’oblige les employeurs et les employeuses à accorder du temps à leurs salarié·e·s pour aller voter le jour de l’élection. 

Le vote postal permet de prendre le temps de réfléchir et de faire tes recherches dans le confort de ta maison. Tu n’as pas à faire la file et attendre sous la pluie ou à te perdre en cherchant le bureau de scrutin. Pour les ainé·e·s et personnes à mobilité réduite, cela représente un coup de pouce considérable. Bref, cette mesure est vue comme un moyen de contrer de nombreux problèmes liés à l’abstention.

Alors que la majorité des États se prépare à effectuer à la fois des élections en présentiel et à distance, certains vont effectuer majoritairement leurs élections à distance, alors que d’autres vont interdire le vote à distance (sauf pour des raisons exceptionnelles).

Le vote par la poste a déjà été adopté par une multitude d’états, tandis que d’autres sont toujours réticents (Infographie par Emmanuel Prince-Thauvette) 

Les Américain·e·s accueillent de manière mitigée le vote à distance, comme le montre ces données de juillet dernier.

Les Américain·e·s accueillent de manière mitigée le vote à distance, comme le montre ces données de juillet dernier — (Infographie par David Lazer – Wikimedia) 

Évidemment, puisque l’on parle de politique américaine, il n’y a rien d’uniforme et donc rien de facile à comprendre. Afin de vous éviter toute sortie dangereuse et inutile pour vous procurer du Tylenol, sachez seulement que des méthodes de vote à distance différentes sont déployées selon l’État.


Aux États-Unis, le service postal est ancré dans le quotidien des Américain·e·s. L’histoire du United States Postal Service est intrinsèquement liée au développement de la nation et à la conquête de l’Ouest. Une étude du Pew Research Center en avril dernier annonçait un taux d’approbation de 91 % pour le USPS, plus que toute autre agence gouvernementale. Malgré cela, dans les dernières années, les coupes budgétaires ont été nombreuses, ce qui a bien sûr fragilisé le système de gestion du courrier et ralenti la distribution de celui-ci. Ce phénomène a fait en sorte que de nombreux États ont annoncé qu’ils allaient accepter les bulletins reçus en retard, ce qui pourra retarder conséquemment les résultats du vote.

Question 3 : Pourquoi les élections sont-elles déjà contestées ?

La réponse courte

Le président a répété à de nombreuses reprises qu’il n’acceptera pas les résultats des élections, à cause d’une supposée fraude généralisée du vote postal.

La réponse longue

La pandémie, le contexte politique et social particulièrement tendu et l’impossibilité de prédire les résultats ne sont que trois exemples qui font que l’élection de 2020 est différente des précédentes.

Tout d’abord, il est certain que le contexte de la pandémie de COVID-19 transformera le processus démocratique. Tel qu’expliqué dans la question précédente, le vote postal est privilégié par plusieurs en cette ère de minimisation des contacts physiques. Cette (pas si) nouvelle façon de voter compte plusieurs détracteurs aux États-Unis, au premier chef le président Trump lui-même, qui n’a pas hésité à qualifier cette élection de frauduleuse, avant même qu’elle ne commence. Déjà en mai, il partageait ses craintes sur Twitter, en disant que cela mènerait à « la plus grande fraude électorale de l’histoire » et que l’on « utilisait la COVID comme prétexte pour cette arnaque ». Ainsi, Trump a fait du vote postal une question partisane et un enjeu électoral de premier plan. Or, cela fait abstraction du fait que le vote postal est déjà en place dans plusieurs États depuis des années déjà. De plus, les déclarations de Trump sur une fraude massive du vote sont généralement considérées comme infondées. D’ailleurs, contrairement à la croyance populaire, le vote par la poste ne favorise pas un parti en particulier.

Ce que le vote postal risque aussi de transformer est le processus de dévoilement des résultats. Normalement, à la fermeture des bureaux de vote, on ouvre les boîtes de scrutin et on commence à compter, puis à transmettre les résultats. Très souvent, on connaît l’identité du gagnant en cours de soirée, alors que des États de l’Ouest sont encore en train de voter, décalage horaire oblige. Bien entendu, tous les grands réseaux de télévision en profitent pour analyser à chaud les résultats avec un joyeux panel de journalistes, de chroniqueu·r·se·s et d’ex-politicien·ne·s.

Or, cette année, la pandémie vient encore une fois changer les choses. En effet, puisqu’on attend une quantité astronomique de bulletins postaux, et que les nombreuses petites administrations locales ne sont pas habituées à un si haut volume de courrier, on ne saura probablement pas qui de Biden ou de Trump remporte l’élection que plusieurs jours, voire semaines, plus tard. C’est que dans plusieurs États, on accepte que les bulletins soient postés jusqu’au 3 novembre, la date du vote en personne, ce qui veut donc dire qu’on ne les recevra probablement que quelques jours plus tard. De plus, dans certains États, on ne peut commencer à ouvrir les enveloppes contenant les bulletins de vote que le jour même des élections, peu importe la quantité reçue.

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Le dépouillement du vote postal risque de ralentir le dévoilement des résultats (Tiffany Tertipes – Unsplash) 

Si les résultats électoraux tardent à sortir, il n’est pas garanti que le président calmera le jeu. Trump s’est fait demander à de nombreuses reprises s’il allait accepter sans rechigner les résultats électoraux du 3 novembre prochain, mais est resté évasif sur sa réponse. Au débat de la semaine dernière, il a encore une fois refusé de répondre à la question, en expliquant que de « mauvaises choses » se préparent. Bien sûr, nul ne sait comment Trump agira en cas de défaite, mais le rapprochement, volontaire ou non, entre le clan Trump et des groupuscules armés d’extrême droite nous laisse craindre le pire. 

Pour les constitutionnalistes, ce scénario est de la pure science-fiction, tellement il semble impossible que le « leader du monde libre » conteste des élections démocratiques, mais dans les faits, personne ne sait réellement où cette histoire nous mènera. Rappelons qu’à sa dernière élection, en 2016, qu’il avait pourtant remportée aux dépens d’Hillary Clinton, il avait tout de même contesté les résultats. En effet, malgré le fait qu’il ait gagné le collège électoral, il a perdu le vote populaire par plus de 2,5 millions de votes. À la suite de cela, il a déclaré avoir en fait gagné le vote populaire, « si l’on déduit les millions de personnes qui ont voté illégalement ». Dans les faits, tous les experts et expertes s’entendent sur le fait qu’il n’y a pas eu d’irrégularités lors de ce scrutin. Un rapport du Brennan Center for Justice démontre que la fraude électorale est si rare aux États-Unis que l’Américain·e moyen·ne est plus à risque de se faire frapper par la foudre que de commettre une fraude le jour du scrutin.

Un candidat déchu pourrait aussi se tourner vers des contestations judiciaires. La compétition s’annonce très serrée dans certains États clés, ce qui amènera fort probablement des demandes de recomptage électoral devant les tribunaux. Un cas d’école en la matière, le jugement Bush v. Gore peuvent nous éclairer sur ce qui est peut-être à venir. Lors des élections de 2000, de nombreuses irrégularités dans l’État de la Floride avaient amené une requête de ce type devant la Cour Suprême. Les résultats officiels ne furent connus que plus d’un mois après l’élection générale, et firent pencher la balance du côté du républicain George W. Bush plutôt que du côté du démocrate Al Gore. Bush remporta les 25 grands électeurs associés à cet État à l’époque, ce qui l’amènera à un cumul total de 271, soit un de plus que requis pour remporter la présidence. Au final, on estime qu’environ 500 votes séparaient les deux candidats, et que c’est donc cette poignée d’électeurs et d’électrices qui a influencé la direction que la nation a prise pour les années suivantes.

Nul besoin de dire que si un scénario semblable se répétait en 2020, peut-être dans plusieurs États en simultané, en plus du fait que le vote postal risque de ralentir le dépouillement des bulletins, et que la Cour suprême penche majoritairement du côté républicain avec les trois nominations de Trump, nous avons un cocktail explosif pour la démocratie américaine et son unité nationale. Ces délais pourraient enflammer les complotistes, plus bruyant·e·s que jamais dans l’espace public, et ainsi compromettre l’intégrité des élections. Tout cela n’est que spéculation, mais l’on comprend bien comment le résultat de ces élections pourrait être déterminant pour le futur de la plus puissante démocratie au monde.


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