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L’ambiguïté des relations entre les Premières Nations et McGill

Le projet Nouveau Vic réveille les tensions historiques entre l’Université et les communautés autochtones.

Toscane Ralaimongo | Le Délit

La présentation du Projet « Nouveau Vic » commence par un court message de reconnaissance historique du territoire, comme la majorité des vidéos promotionnelles de McGill. « L’Université McGill est située sur un territoire qui a longtemps servi de lieu de rencontre et d’échange autochtone. Nous saluons et remercions les divers peuples autochtones qui ont enrichi de leur présence ce territoire accueillant aujourd’hui des gens de partout dans le monde ». 

Et pourtant, le projet du Nouveau Vic est un sujet de contention majeur entre McGill et les Mères mohawk – aussi connues sous le nom de Kanien’kehá:ka Kahnistensera. L’organisation soutient que l’ancien hôpital Royal Victoria abrite très probablement des tombes non marquées d’enfants victimes des expériences MK-Ultra, certains étant des enfants autochtones. De 1950 à 1970, des expérimentations psychiatriques ont été réalisées dans cet hôpital, déjà affilié à l’Université McGill. Dans un affidavit, Lana Ponting raconte son expérience de patiente dans l’établissement et les méthodes de torture qu’elle a subies. Selon elle, les individus responsables du programme sont des meurtriers, et elle croit fermement qu’il y a bel et bien des corps enterrés sur la propriété. Le territoire sur lequel a été bâti l’hôpital n’ayant jamais été cédé par ses habitants autochtones, les Mères mohawks revendiquent que les Kanien’kehá:ka en ont encore la juridiction. En 2015, lorsque McGill a annoncé sa volonté de rénover le bâtiment pour en faire une nouvelle branche de son campus, les Mères mohawks ont envoyé une mise en demeure demandant à l’Université de cesser toute invasion, exploitation et atteinte au territoire. S’ensuit une longue bataille légale qui perdure encore aujourd’hui.

« Les individus responsables du programme sont des meurtriers, et elle croit fermement qu’il y a bel et bien des corps enterrés sur la propriété »

Le 13 juin 2025, les Mères mohawks se retrouvent une nouvelle fois devant les tribunaux pour défendre leur cause. Le procureur général du Québec et la Société québécoise des infrastructures (SQI) ont présenté une requête visant à faire rejeter les revendications du groupe autochtone, alléguant que celles-ci seraient « infondées en fait et en droit ». « À ce jour, aucune preuve ne permet de confirmer la présence de sépultures, malgré les recherches menées dans l’ensemble des secteurs d’intérêt identifiés dans le plan de recherche archéologique (tdlr) », a affirmé Anne-Marie Gagnon, porte-parole de la SQI, quelques mois plus tôt. Elle ajoute que tout se déroule « conformément aux recommandations du comité d’experts en archéologie ».

Ce n’est pas un avis que partagent les Mères mohawks, pour qui les démarches archéologiques entreprises par la SQI ont été bâclées. Philippe Blouin, doctorant en anthropologie et accompagnant les Mères mohawks depuis plusieurs années dans ce processus judiciaire, a livré plus de détails lors d’une entrevue téléphonique avec Le Délit. Il rapporte notamment les inquiétudes de l’archéologue mohawk Lloyd Benedict, présent sur le site comme moniteur culturel. Ce dernier critique dans un affidavit « le fait qu’ils n’ont pas tamisé les sols immédiatement, comme l’avait demandé le panel d’experts et comme c’est l’usage en archéologie », explique Philippe Blouin. « Ils les ont laissés pendant plusieurs mois dans de grosses piles, à la merci des éléments. Puis, ils les ont déplacés sur un autre site. Là, les sols ont enfin été tamisés… par de grosses machines utilisées dans le domaine minier. » C’est particulièrement grave dans ce cas-ci, où les ossements pourraient appartenir à des enfants enterrés sans cercueil – soit des ossements fragiles sans protection contre les ravages du temps et de la décomposition, explique le doctorant.

Un rapport obtenu par les Mères mohawk et combinant les résultats de trois moyens de détection – chiens renifleurs, géoradar et plus récemment une sonde spécialisée – semble pointer plus fermement vers la présence de sépultures illégales. Pour elles, la décision de la SQI et du procureur général du Québec de rejeter leurs revendications porte atteinte à leurs droits d’user de leurs terres ancestrales et de protéger les sites de sépultures autochtones. Ce genre d’argument va à l’encontre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

« À ce jour, aucune preuve ne permet de confirmer la présence de sépultures »

Les Mères mohawks ont dû soumettre une réponse à la requête, ainsi que les accusés. Juge Moore n’a pas encore pris la décision de rejeter – ou non l’affaire.

Si l’on observe en détail le message de reconnaissance du territoire avec lequel l’Université McGill introduit sa vidéo, un détail se détache : « Un territoire qui a longtemps servi de lieu de rencontre […] les divers peuples autochtones qui ont enrichi de leur présence ce territoire accueillant aujourd’hui des gens de partout dans le monde. » Tout est écrit au passé, sans tenir compte du fait que ces territoires n’ont jamais été officiellement cédés et que ces individus sont encore vivants. « L’usage du passé composé… c’est comme si ces gens n’existaient plus, souligne Philippe Blouin, alors qu’en fait, il y a trois communautés mohawks majeures à moins de deux heures de route ».

De fait, se renseigner à propos des allégations de sépultures anonymes et des conflits légaux sur le site de McGill n’est pas une tâche facile, surtout si on ne sait pas où, ni quoi, chercher. De même pour les expériences MK-Ultra, qui ne sont mentionnées qu’une demi-douzaine de fois sur le site web de l’Université, et encore plus rarement en détail. Beaucoup sont ceux qui ne sont que vaguement conscients que ces événements ont eu lieu. Il n’est pas rare que des étudiants croient que ce ne sont que des rumeurs, des faits non avérés, ou encore en soient entièrement ignorants. Une étudiante en deuxième année qui n’était pas au courant de ces expériences avant notre entrevue conclut : « C’est important que McGill soit transparente à propos de son histoire et des controverses qui en font partie ; il est crucial d’éduquer et sensibiliser les étudiants. »

McGill maintient néanmoins sa volonté de reconnaître et de respecter « l’héritage [et] l’histoire autochtone du territoire ».


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