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Tour de force à Ottawa : les libéraux intacts

La Canada n’ira pas en élections, et c’est pour le mieux.

Nabil Saleh (Unsplash)

Le 21 octobre dernier, le gouvernement Trudeau a fait face à un vote de confiance qu’il a remporté grâce au soutien du Nouveau Parti démocratique (NPD) et du Parti vert du Canada. Il va sans dire que déclencher des élections fédérales en pleine crise sanitaire et économique aurait été tout à fait irresponsable de la part des député·e·s du parlement canadien. Cela, le gouvernement Trudeau le savait et en a profité pour blanchir son dossier dans l’affaire UNIS (We Charity en anglais). En faisant de la motion « anti-corruption » du Parti conservateur du Canada (PCC) un vote de confiance, le Parti libéral du Canada (PLC) a fait d’une pierre deux coups : il s’est assuré de la confiance des député·e·s avec un vote qu’il était presque certain de gagner tout en écartant la possibilité d’un comité anti-corruption qui aurait sûrement joué en leur défaveur.

Des élections irresponsables

Alors que le pays est frappé de plein fouet par une seconde vague de COVID-19, le déclenchement d’élections anticipées aurait été fort irresponsable de la part de nos représentant·e·s. Il suffit de jeter un coup d’œil à ce qui s’est produit en Colombie-Britannique (CB) pour avoir un avant-goût de ce qui se produirait : cette province qui avait atteint un taux de participation de 61,2% lors des élections provinciales de 2017 s’est retrouvée avec un taux de 35,2% lors de celles du 25 octobre dernier. 

En Colombie-Britannique, pour les élections de 2001 à 2017 inclusivement, le taux de participation moyen était de 56,2%. On ne peut donc pas voir la chute radicale de cette année sans l’associer derechef à la situation sanitaire puisque la CB a depuis longtemps un niveau de participation raisonnable. 

Si les député·e·s d’Ottawa avaient fait comme ceux et celles de Victoria et lancé des élections anticipées, ils et elles auraient commis une grave erreur. Déjà que, parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Canada se situe au 27e rang en matière de participation électorale, des élections anticipées auraient démontré un important manque de sérieux accordé à cet enjeu démocratique. Certes, cela aurait fait le bonheur de quelques abstentionnistes de carrière, mais pour ceux et celles qui considèrent le droit de vote comme un élément central de leur exercice démocratique, un retour précipité aux bureaux de scrutin ne ferait certainement pas l’unanimité.

Un vote de confiance non désiré

C’est dans la foulée de l’affaire UNIS que les conservateur·rice·s ont proposé le 15 octobre la création d’un « comité anti-corruption ». Lors de la proposition de sa motion « anti-corruption », le PCC avait spécifiquement précisé que « la création du comité ne [devrait] pas, de l’avis de la Chambre, constituer un motif légitime de déclencher une élection générale ». 

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les conservateurs écartent cette possibilité. Andrew Scheer avait déjà fait savoir que le PCC ne comptait pas faire de cette question un vote de confiance. « Nous nous efforçons d’aller au fond de ce scandale », avait-il affirmé en juillet. 

En outre, le Nouveau Parti démocratique (NPD) n’aurait aucun intérêt à partir en élections considérant l’état de ses finances, qui étaient catastrophiques à la suite des dernières élections. Un parti qui détient la balance du pouvoir n’oserait jamais se lancer en élections avec une telle dette, ce qui assure quasiment de facto aux libéraux le soutien indéfectible du NPD.

« Le PLC s’est saisi de la lame qui le menaçait et l’a retournée contre ses adversaires politiques »

Des politiques de la corde raide

Le vote de confiance est une guillotine démocratique : lors de moments décisifs, il donne aux partis d’opposition le pouvoir d’actionner la manivelle et de mettre fin au règne d’un gouvernement minoritaire. Le 21 octobre dernier, le gouvernement Trudeau s’est lui-même mis sur le banc des accusés en donnant à la motion conservatrice la valeur d’un vote de confiance. En se mettant dans cette position, le PLC s’est saisi de la lame qui le menaçait et l’a retournée contre ses adversaires politiques : il savait que, peu importe l’issue de ce vote, le PLC allait se trouver en bonne posture pour la suite des choses.

Dans un premier cas de figure, si la chambre déclarait sa « non-confiance », le PLC était en excellente position pour remporter les élections, notamment avec sa gestion généreuse de la crise de la COVID-19 et une prestation canadienne d’urgence (PCU) qui a sauvé plus d’un foyer canadien. Le PLC aurait aussi eu la possibilité de blâmer les autres partis pour avoir déclenché des élections durant l’une des pires crises sanitaires et économiques que le Canada ait connue. 

Autrement, si, comme ce fut le cas, la chambre réaffirmait sa confiance à l’égard du gouvernement, le PLC pourrait continuer à gouverner relativement librement. Encore plus important pour ce parti, cela lui éviterait d’avoir à faire face à une commission d’enquête qui aurait visiblement miné de beaucoup son image, sa crédibilité et son intégrité.

Dans les règles de l’art

En bref, le gouvernement Trudeau a admirablement manié ce couteau à double tranchant qu’est le vote de confiance sans se faire d’égratignure. A‑t-il agi de manière morale en utilisant cet outil visant à sécuriser la démocratie afin d’éviter le pire pour la réputation de son parti ? On peut en douter, mais la politique parlementaire reste après tout un jeu dans lequel il y a des équipes, des arbitres et des règles. Et ces règles, aussi imparfaites puissent-elles être, restent après tout les règles. Comme nous le rappellent si bien les juristes, dura lex, sed lex.


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