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Le goût de l’exil

Taste of Cement se penche sur les travailleurs de la construction réfugiés au Liban.

Courtoisie RIDM

Après avoir décroché le Grand Prix au festival suisse Visions du Réel, le documentaire Taste of cement  a été récompensé par le prix spécial du jury de la compétition internationale de longs métrages des Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM). Réalisé par le syrien Ziad Kalthoum, le film examine les conditions de vie matérielle et psychologique des travailleurs de la construction syriens réfugiés à Beyrouth. 

Prétextant vouloir faire un film sur un gratte-ciel en cours d’élévation, le cinéaste est parvenu à accéder au monde de ces ouvriers marginalisés, surplombant la ville sans jamais pouvoir y accéder. Il s’est plongé dans l’intimité de ces hommes, vivant dans les profondeurs des édifices qu’ils bâtissent et soumis à un couvre-feu empêchant tout mouvement hors des frontières du chantier. Ziad Kalthoum retrace leur existence, rythmée par le bruit étourdissant des perceuses, l’angoisse de l’exil et les souvenirs cauchemardesques de la guerre. 

Un regard cru et émouvant

Au cours de la discussion suivant la projection de ce documentaire, le réalisateur a expliqué avoir voulu illustrer la portée psychologique du travail de ces ouvriers réfugiés. Ils contribuent à la reconstruction du Liban post-guerre civile tandis que leur propre pays est en proie à la destruction. Taste of cement présente avec une grande subtilité cette dualité, insérant dans son récit des images de la dévastation humaine et architecturale engendrée par la guerre. Le regard singulier porté par Ziad Kalthoum sur les travaux de maçonnerie permet, quant à lui, de saisir les traumatismes auxquels ces hommes font face. Sous sa caméra, les coulées de ciment deviennent des marées noires, mouvantes et menaçantes, tandis que les plans en contre-plongée vertigineux des immeubles gigantesques qui entourent ces travailleurs évoquent leur solitude et leur déracinement. 

La tonalité onirique, voire poétique qui traverse le film à travers la voix d’un narrateur anonyme ne fait que souligner la gravité du sujet traité. Le narrateur évoque les aller-retours de son père à Beyrouth, travaillant dans des chantiers de construction, et l’infiltration progressive du ciment dans son intimité, envahissant son corps, remplaçant son odeur, contaminant les aliments qu’il touche. Ce goût envahissant du ciment connu durant l’enfance, le narrateur le retrouve durant la guerre. À mesure que les bâtiments sont détruits, le ciment s’insinue dans sa bouche tout comme il s’était incrusté chez son père, reproduisant l’idée de cycle entre la construction et la déconstruction développé dans l’ensemble du film. 

Taste of cement est remarquable tant par sa beauté visuelle et sonore que par son approche originale du sujet, traité avec une sensibilité et une humanité immenses. En portant à l’écran les expériences de ces hommes, souvent occultées du débat public au Liban, Ziad Kalthoum signe un film profondément marquant, sondant avec talent les profondeurs de l’exil et du déracinement. 


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