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La tragédie de l’exil

Avec son adaptation toute personnelle de L’Énéide, Olivier Kemeid remet la recherche d’un monde meilleur au goût du jour.

L’Espace libre présente jusqu’au 20 mars L’Énéide, pièce primée de nombreuses fois en Europe et montée aux États-Unis, en Allemagne et bientôt en République Démocratique du Congo. S’inspirant librement du texte de Virgile et de son histoire familiale, l’écrivain et metteur en scène Olivier Kemeid rend hommage à tous les réfugiés et émigrés de ce monde, à ceux qui quittent leur patrie pour des cieux plus cléments et, surtout, pour l’avenir de leurs enfants. Car c’est en pensant à son fils Ascagne que le personnage d’Énée s’acharne à trouver une terre, un nouveau pays.

Énée quitte sa ville en flammes, avec son père, son enfant, sa femme et une poignée de compatriotes. Le chemin sera long, les embûches nombreuses, et la tentation d’abandonner la quête parfois irrépressible.

Très épuré, le décor change principalement en fonction des éclairages. Des effets d’ombres chinoises se glissent ça et là, seule excentricité notable. Le pari est risqué, une telle mise en scène ne distrayant guère le spectateur du jeu.

Quelques longueurs marquent la pièce de 2h15 (sans entracte), surtout à cause du jeu qui, à la manière tragique, est truffé de longs monologues qui manquent parfois de souffle. Le fait qu’il y ait sept acteurs sur scène pour près de quatre fois plus de rôles constitue sans contredit un immense défi pour les comédiens, qui jouent jusqu’à trois ou quatre personnages chacun. On regrettera parfois qu’Eugénie Gaillard et Johanne Haberlin soient cantonnées à des rôles stéréotypés (bien que nombreux): une blonde menue et conciliante pour la première, une brune excessive jusqu’à la folie pour la seconde. Si ces personnages peuvent déranger par leur manque d’épaisseur, le jeu demeure néanmoins crédible.

On retiendra davantage les interprétations profondément émouvantes d’Étienne Pilon (Énée) et de ses acolytes masculins, qui occupent des rôles plus importants que leurs collègues féminines. Notons tout de même la polyvalence emballante de Marie-Josée Bastien, qui passe sans accroc de la prostituée de bas étage à la mère réfugiée pleurant son destin tragique. Simon Boudreault fait comme toujours preuve d’un art consommé de la gestuelle et de l’émotion, tandis que les regards désespérés de Jacques Laroche ne laissent personne indifférent. Goeffrey Gaguère offre une performance impeccable qui mêle le tragique et le comique, pour le plus grand bonheur des spectateurs. Les éclairages, la mise en scène, les costumes et les effets sonores et musicaux sont à l’avenant, irréprochables.

Le texte, qu’on a comparé à ceux de Wajdi Mouawad, en a certainement la force. Par ailleurs, les passages comiques s’avèrent trop rares, et détonnent considérablement. Du texte de Virgile reste un ton et de grandes envolées tragiques, qui ne sauront pas conquérir tous les publics. Le soir de la première, quelques erreurs de diction s’en sont mêlées, ce qui n’est rien pour faciliter la réception. Pourtant, on ne saurait déconseiller un spectacle qui, pour n’être pas exempt de défauts, présente une brochette de talents et un texte terriblement puissant.

L’Énéide
Où : Espace Libre, 1945, rue Fullum
Quand : jusqu’au 20 mars
Combien : 21$ (étudiant)


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