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« Pour les enfants et les sensibles…»

Le Délit s’est entretenu avec la réalisatrice de La maison du hérisson, Eva Cvijanović. 

Dior Sow

Après Once upon a many time, Le Baiser et Seasick, l’animatrice et cinéaste Eva Cvijanović s’est lancée dans l’adaptation d’un célèbre conte yougoslave pour son dernier film, La maison du hérisson, présenté dans le cadre de la seizième édition des Sommets du cinéma d’animation. Lancé au festival de Berlin, le court-métrage, co-produit par l’ONF et Bonobostudio, a déjà remporté plus de quinze prix internationaux. La maison du hérisson explore avec une grande tendresse le concept du chez-soi. Le Délit est parti à la rencontre de la réalisatrice.

Le Délit (LD): Comment vous êtes-vous dirigée vers l’animation ?

Eva Cvijanović (EC): Quand j’étais au Cegep, j’ai commencé à jouer un peu, juste en faisant des mini-animations avec Paint, puis ça m’a plu, alors j’ai fait mon dernier projet de Cegep, c’était un film d’animation que j’ai fait. Avec ça, je suis rentrée à Concordia en animation, et ensuite c’est ça que j’ai étudié. Après avoir fini l’école j’ai fait un stage, j’ai eu quelques bourses et j’ai commencé à faire des films. Ensuite, je suis rentrée au programme Hothouse, et c’est comme ça que j’ai fini à l’ONF.

LD : La maison du hérisson est une adaptation d’un poème de l’auteur de l’ex-Yougoslavie Branko Ćopić. Pourquoi avez-vous décidé d’adapter ce poème-là en particulier ?

EC : C’est un poème que je connaissais très bien quand j’étais enfant. C’est un poème très populaire en ex-Yougoslavie, je le connaissais par cœur, mes parents le connaissaient. C’est comme notre Petit Prince. Je l’ai relu il y a quelques années, j’ai trouvé que ce n’était pas juste une histoire pour enfants, pas juste nostalgique. Je trouvais qu’il y avait une certaine qualité qui valait la peine d’être ressuscitée, d’être amenée à l’écran, de lui donner une nouvelle vie. Ça n’a pas été fait auparavant en Yougoslavie, alors je me suis dit pourquoi pas. J’étais très chanceuse parce que la productrice à l’ONF dans le temps, il y en avait une qui était d’origine bosniaque, alors elle connaissait aussi l’histoire et l’aimait beaucoup. Il y a eu beaucoup de chances (rires).

LD : Est-ce que vous avez rencontré des défis liés au fait que ce soit une adaptation ? 

EC : Ça c’est un peu fait à travers la traduction, la traduction était vraiment en fonction du film. On a essayé de simplifier mais de garder le même rythme, parce que c’était vraiment important, parce qu’on allait avoir plusieurs versions. Ce qui était assez difficile, c’était le fait que dans une grande partie du monde personne ne connaît l’histoire, mais que dans une petite partie les gens le connaissent très intimement. Du coup je ne pouvais pas trop changer les choses, il fallait vraiment que je reste fidèle à l’histoire, mais que j’adapte un peu.

LD : Quelles techniques d’animation avez-vous utilisé ? Comment est-ce qu’elles vous ont servi à exprimer ce que vous aviez ressenti en lisant le poème ?

EC : Mon choix de technique, en premier, c’était pour me distancier du livre original, parce les gens de l’ex-Yougoslavie connaissent très bien ses illustrations. Du coup je m’étais dit que si je restais dans le 2D, ce qui est d’habitude quelque chose dans lequel je suis plus confortable, que ça serait soit pas assez beau, que ça ne pourrait pas se comparer aux images que l’on connaît si bien, et que si je les imitais, tout ce que je faisais aurait été une copie du livre en mouvement. Ce n’était pas très intéressant pour moi ni pour les autres. J’ai décidé de faire le film en stop-motion pour ça, pour entrer dans une troisième dimension, ouvrir un monde, sortir du livre. Aussi, à ce moment là j’avais découvert le feutrage, et je me disais que ça serait parfait, parce que c’est un matériel très chaud, tout de suite on le voit et il y a des émotions qui sont là. C’est une histoire à propos de la maison, de son chez-soi, je me suis dit qu’il n’y avait rien de plus cosy qu’une grande couverture en laine, et c’est un peu pour ça que j’ai choisi ça.

LD : Est-ce que c’est un processus particulièrement long par rapport à d’autres techniques d’animation ?

EC : Ce qui est long c’est la préparation, la confection, mais l’animation va beaucoup plus vite que le 2D. Les processus sont différents. En stop-motion on fait plus de préparation, et ensuite le tournage est plus court, tandis que le 2D, la préparation et le tournage sont ensembles, du début jusqu’à la fin on peut tout changer. Le stop-motion, on a besoin de plus se préparer, car une fois qu’on a tourné c’est une grosse job de recommencer à nouveau. Ça nous a pris un an de tournage pour un film de dix minutes, mais ce n’est pas le plus long. On a été efficace si on compare à d’autres films de stop-motion (rires). C’est un peu drôle pour les gens qui ne sont pas dans l’animation. Et puis on avait une petite équipe. Pour mon prochain film j’essaie de faire les choses plus vite, car quand on a moins de préparation, c’est beaucoup plus avec notre instinct, et ça c’est intéressant, parce que sinon si on prend cinq ans à faire un film de cinq minutes ça n’en finit plus (rires).

LD : Malgré toutes les difficultés de l’animation, pourquoi est-ce un médium si intéressant selon vous ? 

EC : Je pense qu’il y a quelque chose de magique quand on regarde ça. Il y a vraiment un moment, si c’est bien fait, ça nous transporte vraiment dans un monde que l’on peut peut-être avoir avec le live-action, mais ce n’est pas vraiment la même chose. Ça pour moi c’est vraiment la clé. Et puis aussi, en tant que réalisatrice, pouvoir vraiment créer des mondes si uniques… tu as des contraintes, mais tu peux les choisir, et c’est à travers ça que tu travailles. Ça c’est intéressant.

LD : Le film parle du concept de chez-soi, qu’est ce que ce terme signifie pour vous et comment avez-vous adapté votre compréhension du concept visuellement ? 

EC : C’est une histoire qui marine dans ma tête depuis trente ans, alors je me suis dit « c’est ça que je veux faire et je ne vais pas me questionner », ce qui est bien, parce que tout le monde avait leur opinion sur l’interprétation de l’histoire. On me demande toujours « comment tu te vois, à quoi tu appartiens », parce que je ne suis pas juste ex-yougoslave et Canadienne. Mon identité d’ex-yougoslave d’origine est très compliquée, mais c’est assez mixte parce que ma mère est croate, mon père est bosniaque-serbe, je suis née en Bosnie mais j’ai voyagé partout, alors dès mon enfance je ne me suis jamais vraiment identifiée avec un seul endroit en tant que mon chez-moi. J’ai beaucoup de différents chez-moi, je n’ai jamais vu ça comme un seul endroit. J’en suis venue à l’idée que son chez-soi c’est plus une action. C’est nous qui le faisons. Pour moi le hérisson c’est vraiment son acte d’amour qui est son chez-soi, ce n’est pas nécessairement l’arbre ou ce qui est dedans. C’est un peu ça que j’ai essayé de transmettre.

LD : A l’origine, le conte a été écrit après la seconde guerre mondiale. Dans le contexte historique de l’écriture, la Yougoslavie avait un besoin d’affirmation identitaire. Aujourd’hui, quelle portée voudriez-vous que l’adaptation animée ait ? Quel message aimeriez-vous qu’il transmette à une époque où il y a beaucoup de tensions autour des questions des frontières et des identités nationales ?

EC : C’est une très bonne question ! C’est quelque chose d’assez complexe, parce qu’au moment où l’histoire a été écrite, c’était vraiment similaire mais aussi très différent. C’était un moment où la Yougoslavie devait s’identifier en regardant l’état du monde avec les grands pouvoirs qui étaient là, et la petite Yougoslavie qui ne voulait pas s’identifier avec aucun d’entre eux. Ce côté politique, ce n’est pas que je veux l’ignorer, mais ce n’est pas ce que je voulais pousser. Je me vois comme une militante d’amour ! C’était quelque chose dont j’étais très consciente, mais je ne veux surtout pas que l’histoire soit appropriée comme une histoire nationaliste. C’est pour ça que j’ai mis beaucoup d’emphase sur l’amour, la tendresse et toutes ces choses-là. Je pense aussi que l’intention de l’écrivain c’était d’écrire une histoire pour les enfants et les sensibles. Pour moi, c’est vraiment avant tout une histoire contre la violence et le harcèlement. C’est une histoire pour enfant. Ce sont des choses auxquelles je n’ai pas pensé et je pense pas que les enfants aujourd’hui vont penser au côté politique (rires). Il y a des gens qui m’ont dit que c’était un film très conservateur ! Ca m’a un peu choqué, mais ça commence une discussion intéressante parce que je pense que le film a un côté très antimatérialiste. Il y a des gens qui peuvent voir ça comme de l’anti-expansion, de l’anticapitalisme, etc. … Je n’ai rien contre ça, mais ce n’est pas quelque chose que je vois comme très conservateur. Je pense qu’accepter que l’on a assez de quelque chose, que l’on n’a pas besoin de toujours avoir plus n’est pas quelque chose de mauvais.

LD : C’est intéressant car la manière dont l’histoire est racontée est tellement poétique, je vois mal comment on pourrait en faire une sorte de manifeste conservateur ! Ça va beaucoup plus loin que juste l’idée de frontières, on parle de l’idée du chez soi personnel, intime…

EC : C’est ça que je voulais, et puis aussi de ne pas avoir peur. Le film va être interprété de mille façons différentes, mais il est ouvert à l’interprétation. Il y a aussi des sentiments très nationalistes en Ex-Yougoslavie, c’est pourquoi c’est intéressant aussi de le sortir là bas.

LD : Pour finir, quels sont donc vos projets futurs ? 

EC : Je suis encore en train de vraiment donner naissance au Hérisson (rires) mais j’aimerais faire un projet techniquement très différent, trouver une façon de travailler plus vite, peut être digitale… J’aimerais aussi faire un film de science-fiction ! J’ai eu un film bosniaque, un film croate, ça c’est mon film yougoslave donc je pense que ce serait intéressant de faire un film un peu plus sur le nouveau monde et peut être la colonisation, mais avec une approche un peu distanciée. C’est encore très jeune comme idée !

 


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