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Les mathématiciens sont des êtres sensibles

Retour sur La Machine de Turing présentée au Rideau Vert.

Clément Veysset | Le Délit

On n’en a jamais assez de se faire raconter l’histoire fascinante du mathématicien et cryptologue britannique Alan Turing. Ce héros de l’ombre de la Seconde Guerre mondiale continue de vivre à travers la pièce La Machine de Turing, présentée du 24 janvier au 24 février 2024 au Théâtre du Rideau Vert. Dans la pièce, Turing raconte son travail et ses épreuves traversées pendant et après la guerre, à travers un interrogatoire dans le cadre d’une enquête sur son cas. La Machine de Turing, a été écrite par Benoit Solès, adaptée par Maryse Warda et mise en scène par Sébastien David. Alan Turing (Benoît McGinnis) dialogue avec trois personnages clés de son entourage durant la Seconde Guerre mondiale : son amant Arnold Murray (Gabriel Cloutier Tremblay), le sergent Ross (Étienne Pilon) et le cryptanalyste et champion d’échecs Hugh Alexander (Jean-Moïse Martin).

Une histoire de solitude

Chargé de résoudre Enigma, un dispositif nazi de cryptage de messages, Turing s’acharne à bâtir une machine qui pourra rivaliser efficacement avec les cerveaux humains. Il appelle sa machine Christopher, en l’honneur de son ami d’enfance décédé. La vie de Turing n’a pas toujours été joyeuse. Préférant être mal accompagné que seul, le mathématicien entretient une relation avec Arnold Murray, un jeune homme séduisant et manipulateur. D’autant plus, les relations homosexuelles sont illégales à l’époque, ce qui le force au secret. Pour ajouter à la liste de difficultés dans sa vie, Turing se fait rudoyer par son collègue Hugh Alexander, qui ne croit pas en l’efficacité de sa machine supposée déchiffrer Enigma.

Ceci n’est pas une imitation

Ceux et celles qui ont vu le film Le Jeu de l’Imitation, mettant en vedette Benedict Cumberbatch dans le rôle de Turing, trouveront peut-être des ressemblances dans les scènes et même les répliques de La Machine de Turing. C’est sûrement parce que le film et la pièce sont tous deux basés sur la biographie intitulée Alan Turing : The Enigma écrite par Andrew Hodges. Pourtant, la pièce explore des détails moins connus de la vie de Turing qui ne sont pas abordés dans le film, comme son amour pour l’histoire de Blanche-Neige et l’influence du conte sur son suicide. La pièce met davantage en lumière les épreuves humaines auxquelles fait face Turing, plutôt que les défis mathématiques et techniques de son travail. On rencontre le cœur avant le cerveau.

« Les blagues faciles affaiblissent l’ambiance dramatique montée par le texte et les comédiens. »

L’humour est de trop

Les moments chargés de la pièce, comme les scènes de ménage entre les amants, ou les aveux de Turing au sergent Ross, sont ponctués d’un humour léger, qui vise à soulager le public. Pourtant, les spectateurs n’ont pas besoin d’être distraits lors des moments de tristesse et de douleur. L’histoire de Turing est une série de moments difficiles, qu’on s’est engagés à vivre jusqu’au bout en venant assister à la pièce. Les blagues faciles affaiblissent l’ambiance dramatique montée par le texte et les comédiens.

On ne s’habitue jamais à voir Benoît McGinnis se démener sur scène. Chaque tremblement dans la voix, chaque essoufflement et chaque larme épate par sa justesse, amplifiant la crédibilité du personnage de Turing. On se fait transporter du rire à la compassion, d’un lip sync à la manière de Blanche-Neige à un aveu courageux de son homosexualité lors d’un procès.

Les personnages interprétés par Gabriel Cloutier Tremblay, Étienne Pilon et Jean-Moïse Martin sont plus difficilement accessibles sur le plan émotionnel, mais les comédiens réussissent tout de même à les rendre un
peu haïssables et attachants à la fois. Ensemble, les quatre comédiens et le texte tissent une pièce accessible à un grand public et propice à la réflexion. La Machine de Turing rappelle que les questions comme « Les machines peuvent-elles penser ? » attendent une réponse depuis bien avant l’ère de l’intelligence artificielle comme on la connaît aujourd’hui. Pourtant, la pièce dévie elle-même ces questions pour amener le public à s’intéresser plutôt à l’humain derrière la machine.

La Machine de Turing sera présentée au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 24 février 2024.


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