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Un ruban à la patte

Le Délit a discuté avec la réalisatrice Torill Kove de son dernier film d’animation, Rubans. 

Ruban

En compétition au Festival International du Film de Toronto (TIFF), Rubans, réalisé par Torill Kove et coproduit par l’ONF et Mikrofilms AS, sera présenté au cours de la seizième édition des Sommets du cinéma d’animation. Déjà oscarisée pour son film Le poète danois, la réalisatrice, ancienne étudiante à McGill, se penche dans ce court-métrage sur la relation parentale et la complexité des liens intimes qui l’animent. Le Délit s’est entretenu avec la cinéaste.

NB : Les propos tenus dans cette entrevue ont été traduits en français depuis l’anglais.

Le Délit (LD): Pourquoi et comment vous êtes-vous dirigée vers l’animation ?

Torill Kove (TK): Ça a commencé comme une expérience, j’étais juste très intéressée. J’avais du talent en dessin, j’aimais écrire des histoires, donc j’ai pensé que l’animation était un bon endroit pour faire les deux.

LD : Qu’est ce qui vous a donné envie de faire ce film et d’aborder le sujet de la parentalité en particulier ?

TK : C’est un sujet auquel j’ai beaucoup pensé dans mes autres films. Quelque part, j’aborde toujours le sujet des relations intimes entre les gens. Je n’avais jamais vraiment fait quelque chose sur la relation entre les parents et les enfants, donc je voulais explorer ça en partant du point de vue d’un parent et de son enfant qui traversent l’enfance de l’enfant ensemble.

LD : Quelles techniques d’animation avez-vous utilisées ? 

TK : C’est de l’animation dessinée. C’est assez simple, très traditionnel, de l’animation en 2D. Ce n’est pas vraiment différent des anciens cartoons de Disney. C’est la même méthode, sauf que je le fais de manière digitale directement.

LD : Pourquoi avez-vous choisi de faire un film muet ?

TK : Je ne pensais pas que c’était nécessaire d’avoir du dialogue dans ce film. C’est un film sur l’attachement entre un parent et un enfant, c’est un film sur un amour très profond. Je ne pensais pas que des mots étaient nécessaires pour montrer cela.

LD : Étant donné que le film est sans parole, la musique tient un rôle très important dans le film. Pouvez-vous nous parler de votre travail sur la bande sonore ? 

TK : Ce que j’ai fait, c’est que j’ai utilisé le même musicien que dans mes trois autres films. C’est un musicien de jazz, c’est aussi un professeur de musique à McGill. Son nom est Kevin Dean. C’est mon mari, et il comprend très bien les films sur lesquels je travaille parce que je lui en parle beaucoup, il est toujours très intéressé par leurs aspects narratifs. Je lui ai dit que je voulais que la musique prenne en quelque sorte la place des mots. J’avais besoin que la musique accentue certaines formes d’états d’âme [moods, ndlr], que la musique participe à l’histoire. Je lui ai dit que je voudrais avoir quelque chose d’assez simple, car le film en tant que tel est assez simple. Il a essayé différentes choses, et au final il a composé cette musique. Elle a été écrite spécifiquement pour les différentes parties du film. Je pense qu’il a parfaitement installé l’ambiance. Au final, c’est un aspect très important du film.

Ruban

LD : L’image du ruban tient une place très importante dans le film. Comment avez-vous pensé à cette métaphore pour illustrer les relations parentales ?

TK : La métaphore du ruban rouge auquel je fais référence dans le film est une ancienne légende chinoise, dans laquelle les dieux nouaient des fils rouges autour des chevilles des gens qu’ils pensaient destinés à être ensemble. C’est une sorte de destin, une croyance selon laquelle nous sommes destinés à être avec certaines personnes. C’est une métaphore très puissante, que l’on voit très fréquemment utilisée non seulement dans les histoires asiatiques anciennes, mais aussi dans les histoires actuelles, comme les mangas ou les animés. Même si je ne crois pas en ce genre de destins, je pensais que c’était un outil puissant pour décrire les liens très forts qui existent entre un parent et un enfant. C’est un lien qui demeure avec toi pour le reste de ta vie. Je peux aussi comprendre pourquoi certains pensent que c’est un lien qui existe avant même la naissance. Je pensais que c’était un outil puissant et utile.

LD : Une autre métaphore qui parcourt le film est celle du cercle, de la bulle qui entoure l’enfant et le parent. Pouvez-vous nous en parler ? 

TK : Le cercle représente deux choses : la première est le fait qu’au début de sa vie, un enfant a besoin de certaines choses, et beaucoup ont lieu dans cette bulle entre le parent et l’enfant. Ça prend beaucoup de temps avant que le monde extérieur n’entre dans la vie de l’enfant. C’est une sorte de bulle protégée. Graduellement, tu sors de cette bulle, tu expérimentes le fait de la quitter. La bulle se réduit jusqu’à n’être plus rien. L’autre chose, c’est que c’est une sorte de processus cyclique : tu éduques un enfant, tu lui donnes tout ce dont il a besoin pour survivre tout seul dans le monde, et ensuite il va lui-même dans le monde et forme ses propres relations avec les autres, et ainsi de suite. C’est une chose cyclique qui se répète.

LD : Dans beaucoup de films, la relation parentale est représentée comme quelque chose d’innée. Rubans donne une vision plus complexe de cette relation en montrant que c’est avant tout une relation qui se construit, parfois avec difficulté. Pourquoi avoir adopté cette approche ? 

TK : Ça vient probablement de l’origine de l’histoire du film. À l’origine, je voulais faire un film qui soit spécifiquement sur la relation entre une mère adoptante et un enfant adopté. Je pense que dans ces relations, particulièrement quand l’enfant n’est pas un bébé, il y a vraiment une phase où, de manière assez simple, ils doivent apprendre à se connaître. C’est une période très très importante dans la relation entre les parents et l’enfant adopté. Il y a cette période durant laquelle souvent l’enfant rejette les parents, en a peur et ne leur fait pas confiance. Souvent, les parents sont hésitants et ne savent pas trop quoi faire. Il y a une sorte de processus d’apprentissage très important. C’est différent entre un nouveau-né et ses parents biologiques. Là, ça arrive assez immédiatement. Avec des enfants adoptés, ça arrive plus tard. Cependant, pendant que je travaillais dessus, j’ai réalisé que beaucoup de parents qui donnent naissance ‘naturellement’ ont aussi cette expérience. Ils ont un bébé qui arrive, et ils se disent « who the hell is this person » (« qui est cette personne », ndlr). Même s’il a grandi à l’intérieur du ventre de la mère, c’est aussi un être humain individuel qui est un étranger. Je me suis dit que c’était un parallèle intéressant. J’ai parlé à beaucoup de parents adoptants et biologiques. Ils disaient tous la même chose, qu’il y avait cette période durant laquelle tu dois traverser des étapes qui créent les liens d’attachement. Ces étapes ne sont pas si différentes entre les enfants adoptés et biologiques.

LD : Quels sont vos projets désormais ? 

TK : Mon prochain projet porte sur les gens et leurs images corporelles. À l’origine, je pensais que ce serait uniquement sur les femmes et leurs images corporelles, et puis je me suis dit que ce serait en réalité plus intéressant s’il incluait aussi les hommes, parce qu’ils sont souvent tenus à l’écart de cette conversation. Je pense que ça sera assez drôle (rires). Rubans n’était pas un film humoristique, il était peu plus mélancolique, un peu plus dans l’émotion, donc j’avais vraiment besoin de faire quelque chose de plus drôle.

 


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