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L’accablante banalité de l’existence

Franc-Jeu revisite avec finesse et panache le Misanthrope de Molière. 

Vittorio Pessin | Le Délit

Trois ans après sa création, Franc-Jeu présente Exil(s), une pièce écrite et mise en scène par Léa Frydman, Clémence Lepic, Victor Gassmann et Max Bouchaud. À travers ce spectacle, la troupe de théâtre francophone de McGill prend plaisir à déconstruire le fantasme de la solitude en nous immergeant dans un univers que l’on croyait comprendre.


La pièce est un tableau authentique de la société actuelle qui semble étouffer sous le poids des inanités de la vie mondaine. À son cœur on retrouve un homme, Alceste, interprété par le talentueux Samuel Ferrer, qui est rongé par un mal de vivre exacerbé par son entourage. Les amis d’Alceste, des diseurs de bonnes paroles dont l’absence d’esprit n’a d’égal que la grandeur de leurs égos, sont le reflet de cette jeunesse conformiste et centrée sur elle-même. Lors d’un repas d’anniversaire, Alceste réalise ce vide et souhaite s’isoler afin de mettre de l’ordre dans ses idées.

Le vocabulaire riche et nuancé met en valeur le jeu complexe et recherché des acteurs.

Ainsi débute la quête d’Alceste qui part à la rencontre de misanthropes afin d’élucider les causes de leur isolement. On se laisse emporter par les questionnements des personnages qui nous guident à travers les différents tableaux. Le vocabulaire riche et nuancé met en valeur le jeu complexe et recherché des acteurs. À tour de rôle, ils critiquent l’hypocrisie et le vide des habitudes sociales actuelles. Delphine Khoury, qui incarne une hurluberlue esseulée, est une véritable révélation. Pierre Gugenheim brille par sa maîtrise du comique et du dramatique en alternant entre le rôle de Fred, cet ami passionné de foot incapable de conversations sérieuses et le rôle d’un misanthrope qui en cherchant la lumière s’est retrouvé prisonnier d’une caverne. La misanthropie forcée des deux amantes, Bénédicte et Valentine, pose un regard critique sur l’actualité récente. Ces rôles sont interprétées par Chloé Leys et Ines Thiolat, qui dénoncent avec éloquence le mouvement de La Manif pour tous qui a contraint leurs personnages à s’exclure de la société. Lyna Khellef et Grégoire Collet viennent compléter la distribution de cette première partie à travers des personnages attachants et comiques.

Mieux vaut être mal accompagné que seul

Paradoxal et complexe, le personnage d’Alceste concilie avec acuité les contradictions de la jeunesse actuelle. L’Homme est un animal social qui rêve de solitude pour se réconcilier avec lui-même et pour s’abandonner à ses rêveries.  Alceste ne veut pas être seul, il veut être laissé seul. En faisant grief de ses amitiés, le jeune homme tente de se convaincre de sa répulsion pour l’espèce humaine qui s’avère fausse. Sa quête se termine donc dans le repentir et nous fait réaliser que les solutions extrêmes ne sont jamais les bonnes. Choisir sa solitude est un luxe que les vrais solitaires ne peuvent se permettre.

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Vittorio Pessin | Le Délit

La célébration du vide 

Après avoir exploré en profondeur la misanthropie, le spectacle nous met face à nos contradictions durant la deuxième partie en laissant place à un show survolté qui exploite l’exubérance du divertissement-spectacle. Pierre-Olivier Avezou nous démontre ensuite l’étendue de ses talents en jouant à la perfection le rôle de Dieu. Nicolas Fisch prends ensuite le relais et excelle dans le rôle d’un maître de cérémonie adepte de la superficialité et des sourires figés. La scène est ensuite cédée à la troupe enflammée du Small Talk Show qui fait honneur aux performances de Marco Panatella, Mathilde Delabie et Chloé Rinaldi. Cependant, la saynète suivante sur « l’andouillette » (saucisse, ndlr) viens jeter de l’ombre au spectacle. Le personnage de l’agriculteur a un très fort accent du sud de la France qui peut être difficile à comprendre pour un spectateur non Français. Enfin, Sara Maria Moubarak maîtrise parfaitement la tragédie et conclut le spectacle par une interprétation mélodramatique haute en couleur qu’elle partage avec Océane Bouhier. La célébration du vide n’aura jamais été aussi drôle.

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Mahaut Engérant | Le Délit

Le rendez-vous du vendredi soir

Pari risqué, le choix de Fonzie pour monter ce spectacle s’est avéré une véritable réussite. En présentant la pièce dans cet espace non conventionnel, les metteurs en scène ont désacralisé la rigidité du cadre théâtrale en l’exportant dans ce lieu unique et enchanteur. La mise en scène est ingénieuse et s’adapte aux contraintes de l’espace restreint. La proximité est au rendez-vous. Le spectateur est un témoin direct qui doit parfois se retenir de se lever de son siège pour se joindre au jeu convaincant des acteurs.

Fonzie charme par son élégance et sa simplicité. Les décors sont intimes et permettent une ambiance graduelle qui ne sombre jamais dans l’excès ou l’extravagance. À chaque semaine, l’endroit se réinvente au gré des artistes exposés et des événements organisés. Véritable espace de convergence artistique, Fonzie permet de découvrir les artistes émergents de la scène montréalaise tout en se laissant emporter par le rythme enivrant de la musique.

La pièce arrive à jeter un doute sur nos illusions et à nous faire réfléchir.

Exil(s) s’articule avec force dans les zones troubles de la tragi-comédie. La pièce permet d’effectuer une réflexion approfondie sur la nature de nos relations personnelles et la nature humaine. Rousseau disait que la société corrompt l’âme humaine. La pièce nous démontre que la réconciliation de l’homme solitaire avec la société est possible pour peu qu’il soit conscient de son état. Cependant l’homme doit-il renoncer à sa sincérité pour sauver son âme ? La pièce arrive à jeter un doute sur nos illusions et à nous faire réfléchir. On s’extirpe de ce rêve avec l’envie de se retrouver et de revenir dans ce lieu magique.


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