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Rendre la banalité extraordinaire

Vincent Biron nous présente Prank, son premier long-métrage. 

Hortense Chauvin | Le Délit

Primé au Festival du Nouveau Cinéma, après avoir été présenté à la semaine de la critique de la Mostra de Venise, de Raindance et de Hambourg, le film Prank est désormais en salle dans les cinémas de Montréal. Prank revient sur la rencontre entre Stefie, jeune adolescent gauche et dans son monde, et une nouvelle gang. Stefie et ses trois nouveaux acolytes se mettent alors à multiplier les pranks (farces, ndlr), qu’ils filment avec leurs cellulaires avant de les diffuser sur internet. Vincent Biron signe avec ce film une comédie qui offre un regard insolite sur l’adolescence. Le Délit est parti à la rencontre du sympathique réalisateur.


Le Délit (LD): Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire ce film et sur ce sujet, celui de l’adolescence ?

Vincent Biron (VB): En fait l’impulsion première de faire le film est arrivée d’un endroit assez sombre dans ma vie, parce que mon père était malade du cancer. Côtoyer la mort comme ça, avoir mon père qui me disait « Fais ce que tu as envie de faire dans la vie », ça m’a comme un peu réveillé et je me suis dit « Avant d’être un vieux crouton, faudrait que je me lance et que je fasse un premier long-métrage ». Au même moment je lisais un livre de Peter Biskind qui s’appelle Down and dirty pictures : Miramax, Sundance, and the rise of independent film qui raconte l’histoire du cinéma américain du début des années 90 : Kevin Smith, Richard Linklater, Tarantino, toute cette gang-là qui ont fait des films avec des bouts de ficelle et qui n’ont pas attendu que les grandes instances leur disent « Vous pouvez aller tourner vos films. », qui avaient juste l’impulsion de tourner. Au même moment j’ai un de mes amis qui m’a invité à faire des pranks le 1er avril ; je me suis mis à regarder sur Youtube des vidéos de gens qui en font, je me suis rendue compte que de nos jours elles sont vraiment plus élaborées que quand moi j’étais jeune. Fait que c’est un peu comme ça que j’ai eu l’idée de faire cette histoire-là, une histoire sur une gang de jeunes qui veulent un peu se rendre célèbres ou mettre la marde un peu partout où ils passent.

LD : L’adolescence est souvent traitée de manière caricaturale dans les arts et au cinéma, mais Prank a une approche originale du sujet. Quelle vision de l’adolescence essaies-tu de dépeindre ?

VB : Il y a beaucoup de gens qui font ça comme premier film, c’est une constante dans le cinéma. Je pense que c’est normal, c’est la première période où tu vis des choses très intenses, tu découvres la vie, le clash d’être un enfant et de passer à l’âge adulte, c’est quelque chose de très traumatisant pour tout le monde. Je ne voulais pas prendre la même approche que tout le monde, qui est souvent une approche très dramatique. Moi mon adolescence, oui elle a été ingrate, comme tout le monde, mais c’est aussi la période où tu déconnes avec les amis, et j’avais envie de parler de ça. Je ne voulais pas parler uniquement de ce qu’il y a d’ingrat dans l’âge ingrat. Je pense que le fait de l’avoir écrit avec trois de mes meilleurs amis, ça a un peu donné ce côté-là, on est retombé dans l’adolescence, c’est pour ça qu’il y a beaucoup de jokes de pénis, de caca. Au final, je suis vraiment content, c’est une approche atypique, particulièrement au Québec. Ici souvent les films sur l’adolescence sont à teneur plus dramatique, des films sur l’intimidation, sur le suicide.

LD : Est-ce que tu t’es inspiré de ta propre expérience ?

VB : Big time ! Il y a un peu de nous tous dedans. Je jouais de la clarinette au secondaire. Tout l’élément avec les films d’action des années 80, nous à la télé, c’était ces films-là qui jouaient constamment le samedi après-midi. Quand c’était pluvieux et que tu restais chez toi, c’étaient des films de Jean Claude Van Damme qui jouaient. On avait tous les mêmes références, c’était une manière de rendre hommage à ce qui nous avait fait aimer le cinéma. Après ça j’ai découvert Linklater, Kevin Smith, Fellini, une cinéphilie c’est quelque chose qui se construit, mais je trouve que souvent, par affect, beaucoup de cinéastes renoncent à leurs amours de jeunesse. Moi je trouve que ce serait malhonnête intellectuellement de nier ces influences-là, on les revendique. Je pense que c’est ce qui fait que les gens trouvent le film rafraîchissant. Il y a quelque chose d’assumé là-dedans. Je me la pète vraiment aujourd’hui, désolé (rires)!

LD : Quelle est la visée de ton film ? Quel est le message que tu voulais faire passer, s’il y en a un ?

VB : Le message, c’est qu’il n’y a aucune amitié à laquelle on peut se fier (rires)! L’idée d’un message dans un film c’est quelque chose qui m’irrite un peu, je trouve qu’il y a quelque chose d’un peu réactionnaire là-dedans. Ça fait très « moi j’ai quelque chose à livrer aux gens ». Surtout en faisant un film sur les jeunes : moi qui ne suis plus si jeune, faire un film à message sur les jeunes, je trouve que c’est très très vieux jeu. Nous avons comme essayé d’être un peu nihilistes, un peu fous. Quand je dis que je ne voulais pas avoir de message, je ne voulais pas rien dire non plus. Quelque part il y a un message d’espoir, c’est pour ça que l’on fait sourire le personnage principal à la fin, dans le petit film d’animation. J’ai voulu donner une espèce de coup sur l’épaule du spectateur pour dire qu’au final, tout ça est un peu une prank. On se fait tous écœurer, on est tous le souffre-douleur de quelqu’un d’autre, même les gens les plus populaires finissent par être un souffre-douleur à un moment ou à un autre de leur vie. C’est aussi un message de tirer de Prank, « life is though, go up ». J’étais un peu le rejet, j’étais un peu comme Stefie au secondaire, ça m’a juste rendu plus though,  j’ai une carapace. Ce n’est pas la majorité des adolescents qui vivent une intimidation qui les poussent sur le bord du suicide, la plupart du monde s’en tire. Cela dit, pour moi, c’est important qu’il y ait un conflit émotionnel au sein du film, la comédie juste pour la comédie ça ne m’intéresse pas tant comme cinéaste. C’est ça qui m’intéresse, c’est l’ambiguïté, c’est faire un film où dans une scène un personnage chie sur un char, mais où il vit quand même quelque chose d’intense.

LD : Qu’aimerais-tu apporter au cinéma et à la comédie québécoise ?

VB : Shit ! C’est une question à laquelle je ne pense pas trop, je vais apporter ce que je peux apporter, si le monde en a besoin ça va être aux gens de décider. Si l’on peut apporter un vent de fraîcheur, alors je vais considérer que c’est mission accomplie. Je pense que le cinéma québécois est dû pour une émancipation. Ça fait des années, on a comme l’impression que pour avoir un cinéma valable en tant qu’auteur il faut avoir un cinéma dramatique, qui dit des grandes choses. Ma cinéphilie est super éclectique, j’aime autant Alain Resnais que Superbad. Moi j’espère que la nouvelle génération après nous-autres ne va pas juste faire des drames, j’espère voir des comédies musicales, j’espère voir un éclatement des formats. Si Prank peut avoir contribué à ça, je vais pouvoir mourir en paix, parce que j’ai un pied dans la tombe à mon âge (rires).

LD : Comment définirais-tu ton rapport à la banalité, dans le film et en général ?

VB : Je suis quelqu’un de très banal (rires)! Moi c’est quelque chose qui me fait beaucoup rire, la banalité, les drames ordinaires, quelqu’un qui se fait laisser dans un fast-food, ce genre de trucs c’est quelque chose que je trouve touchant. C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup dans le cinéma. C’est un média narratif mais c’est aussi un média où tu crées des moments qui vivent devant la caméra. Je trouve que c’est un super beau média pour explorer la banalité et montrer ce qu’il y a d’extraordinaire dedans, c’est un peu paradoxal mais c’est ça qui m’intéresse. Je pense qu’il y en a un peu dans Prank de ça. Ça me fait beaucoup rire et je trouve ça touchant en même temps.

LD : Pourquoi avoir décidé de ne jamais montrer les parents des personnages ?

VB : L’adolescence, c’est une période assez insulaire. Quand tu es avec tes amis, ultimement tout le monde adulte est en périphérie, avec ton groupe d’amis tu es auto-suffisant, et tu n’as pas besoin du reste du monde, ça devient ça ton monde. Je trouvais que de ne pas mettre de parents ça nous permettait d’illustrer ça. Après, ça nous aidait pour des raisons de logistique, ça nous évitait d’avoir à caster des parents, c’est un film qui a été fait avec les moyens du bord, on était trois sur le tournage la plupart du temps, j’ai fait les costumes (rires). On voulait éviter le piège du film à message, je ne voulais pas faire un film de vieux con, je ne voulais pas faire comme « ah oui c’est vrai les jeunes ne peuvent donc pas communiquer avec leurs parents ! », ça a déjà été fait. Je trouve triste les cinéastes dont je vois trop les influences. Moi j’ai envie de dire aux gens d’aller voir les films que j’ai aimés, je n’ai pas envie de juste leur resservir ce que moi j’ai aimé.

LD : Es-tu toi-même un prankster (farceur, ndlr)?

VB : Pas tant, quand j’étais jeune j’essayais d’en faire, mais nous c’était très simple, on sonnait chez les gens et on se sauvait en regardant les gens sortir, et on se trouvait très drôle. Quand j’ai eu l’idée de faire un film j’ai des amis qui m’ont invité à faire des pranks pour le 1er avril mais c’est fucking difficile de faire des pranks réussies ! Dans Prank, ils ne sont pas très bon, ce ne sont pas des bons pranksters, il y a toujours quelque chose d’assez off, je trouvais ça plus drôle qu’ils ne soient pas bons parce que c’est vraiment difficile, c’est un art qu’il faut perfectionner avec le temps. Donc non, je n’en ai jamais vraiment fait. Moi j’étais un peu comme Stefie quand j’étais jeune, je n’étais pas très cool, fait que voilà (rires)! 


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