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Regards Croisés : le fils de Jean

Grâcieuseté des films séville

À l’occasion de la sortie du film Le Fils de Jean au festival du cinéma francophone Cinémania,  Le Délit a rencontré le réalisateur Philippe Lioret ainsi que l’un des acteurs principaux du film Gabriel Arcand.


Le film : le Fils de Jean

Comment résumeriez-vous l’intrigue de votre film en quelques mots ?

Philippe Lioret : Ma façon de communiquer autour de cette histoire, c’est de dire que c’est l’histoire d’un mec qui reçoit un coup de téléphone un jour et qui découvre que son père, qu’il n’a pas connu, est québécois et qu’il a eu deux enfants, deux fils, ainsi quand il découvre qu’il a deux frères, il veut absolument les voir, savoir qui c’est, c’est comme une nécessité vitale. Puis, il y va, il est piloté par le meilleur ami de son père qui se demande ce qu’il fout là, pourquoi il est venu, et il va rencontrer ses deux frères, et ça ne va pas très bien se passer. Il est dans la dynamique d’un mec qui a besoin de retrouver sa famille. Et il va retrouver, dans la famille de l’ami de son père, une famille de substitution, parce qu’en fait l’histoire pourrait aussi se raconter que comme ça, c’est l’histoire d’un type qui trouve une famille de substitution.

L’acteur : Gabriel Arcand

Quelles sont les deux traits principaux de votre personnalité ?

Philippe Lioret : Son engagement et sa pudeur. Son engagement à être, à vivre les choses, et sa pudeur énorme. Un engagement et une pudeur immense. Et les deux doivent cohabiter ensembles dans un seul bonhomme, je ne sais pas comment c’est possible. Il ne demande qu’à s’engager dans les choses, dans la vie, dans l’art dramatique, dans l’amour, dans tout. Et il a une grande réserve, une grande pudeur. Et ça fait un personnage, ça fait lui quoi. Puis c’est un bon camarade. 

Gabriel Arcand : Un curieux mélange d’insouciance et de ténacité. Si je tiens vraiment à quelque chose, je vais m’y tenir vraiment, et puis en même temps, après y avoir tenu, je fais comme si ça n’avait pas d’importance.

Est-ce que vous avez un exemple concret qui personnifierait ce mélange ? 

Gabriel Arcand : C’est ma vie. Je m’occupe d’un théâtre depuis 40 ans sans fléchir, et puis en même temps je peux, je ne sais pas, subitement me détacher de quelque chose à laquelle je tiens, je ne sais pas pourquoi je suis comme ça.

Est-ce que vous avez plus d’affinités avec le théâtre qu’avec le cinéma ? 

Gabriel Arcand : J’ai de l’affinité avec la création. J’ai plus d’affinités avec le cinéma d’auteur qu’avec le cinéma commercial. J’aime mieux quelqu’un, par exemple, comme Philippe Lioret qui vient me voir et qui me dit « Écoute j’ai écrit un scénario, c’est mon film, c’est mon idée, ça m’intéresse de filmer ça, est-ce que tu veux collaborer à ça ? » plutôt qu’un agent qui m’appelle et qui me dit « Écoute il y a une super-production américaine qui se tourne, c’est le rôle d’un méchant, c’est cinq jours de tournage, il y a beaucoup de mitraillettes, et puis tu voles une banque ». Je vais être plus intéressé par le projet de Philippe Lioret que par la super-production américaine parce que c’est son projet à lui, il l’a créé, il l’a généré, il l’a inventé, il l’a conçu. La super-production américaine a été écrite par cinq personnes assis en buvant de la bière dans un café, puis ils ont écrit ça comme ça pour faire de l’argent, pour gagner le plus d’argent possible. Philippe Lioret, il ne tourne pas son film pour faire de l’argent, il tourne son film parce qu’il veut être un cinéaste, il veut parler des choses qui le préoccupent et qui l’intéressent C’est la même chose au théâtre. Si j’ai le choix de participer au projet d’un jeune auteur pas connu dans le petit théâtre auquel je collabore chez nous ou dans le théâtre des Champs Élysées qui monte une pièce de George Feydeau, je vais choisir la pièce du jeune auteur. Je pense que ce qui me guide c’est la curiosité. J’aime ça découvrir des choses, découvrir et rencontrer des personnes, plus que les recettes toutes faites.

Comment s’est passé votre travail sur le personnage ? 

Gabriel Arcand : Bien, bien, bien, ça a été un processus assez graduel. On a eu la chance de prendre le temps avant le début du tournage, moi et mes partenaires — ceux qui jouent ma famille dans le film — de relire tout le scénario à voix haute, ce qui fait que lorsqu’on avait des problèmes de langage, par exemple, quand Philippe disait « Je ne comprends pas ce que vous dites » on trouvait une autre formule, et la même chose quand parfois nous, on ne comprenait pas des formules parfois trop françaises. La question c’est comment tu le prononces pour que les Français le comprennent sans que les Québécois n’éclatent de rire. Dans le film, il fallait que tu trouves exactement la ligne où tout le monde comprend ! Et puis, durant le tournage ça s’est bien passé. Philippe est très clair, il sait ce qu’il veut, mais en même temps il est inclusif, il est ouvert, si on propose de changer des choses, il écoute, il n’est pas rigide.

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Ikram Mecheri | Le Délit

Le réalisateur : Philippe Lioret

D’où vous est venu l’idée de réaliser ce film ?

Philippe Lioret : C’est une vieille histoire. Le thème du film, ça fait plus de 10 ans que je l’ai en moi, parce que ça se rapporte à une histoire qui est un peu personnelle, dont je ne vous dirai rien même sous la torture (rires). C’est pour ça que j’ai fait des films, c’est pour pouvoir raconter des histoires qui me concernent mais sans que les gens le sachent. En fait, je ne voyais pas bien comment l’aborder, et puis j’ai lu ce livre de Jean-Paul Dubois Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, il m’a beaucoup plu, et en le lisant je ne pouvais pas m’empêcher de faire des passerelles avec mon histoire et de me dire « ah tiens, ce serait une façon de me cacher derrière le fait que ça se passe au Québec ». Le livre de Jean-Paul ne raconte pas du tout cette histoire-là, mais il y avait des ambiances, des personnages, qui pouvaient me ramener à mon histoire.

Est-ce difficile de créer une émotion forte sans tomber dans la sensiblerie ? 

Philippe Lioret : Toute la difficulté est là. Il ne faut pas vouloir susciter une émotion, il faut que le résultat de ce que vous avez fait le fasse. Ce n’est pas un but en soi, si ça la suscite c’est bien, mais si on cherche à la susciter on n’y arrive jamais. Ou alors ça donne un truc fabriqué et ça ne marche pas. Je ne fais pas mes films pour essayer d’émouvoir qui que ce soit, je fais ça pour essayer d’être droit dans mes bottes, et si c’est suffisamment fort, ça doit arriver à cela par la force des choses, mais il n’y a pas de volonté de plaire. Si il y a la volonté de plaire on ne plaît pas. Mais plaire à qui ? Au public ? Je ne sais pas qui c’est le public. Je connais un spectateur : c’est moi. Je ne demande qu’à être ça au cinéma ; être spectateur d’une toile d’ectoplasme qui se promène sur l’écran. Je ne veux même pas savoir que c’est un film au bout de 10 minutes, je veux être dedans et me projeter, m’identifier. Et puis que l’histoire qui se passe devant moi me concerne. Si ça on y arrive, c’est super quoi ! Quand le spectateur sort de la salle et traverse l’avenue, et puis il est encore là dedans [dans l’histoire], même si ça ne dure qu’un quart d’heure. Mais si le film dure encore un quart d’heure après le film, ben c’est réussi. Nous avons atteint le but. Je vais bien ne t’en fais pas, ça fait un moment que vous l’avez vu ? Et vous y pensez encore, pour moi c’est encore mieux que d’avoir un Oscar ! 

Qu’est-ce que que vous trouvez comme ‘ressort’ narratif dans la famille ? 

Philippe Lioret : C’est tout. Il y a tout. Parce que la famille c’est grand, entre le rapport que peuvent avoir un frère et une soeur, deux frères, un fils et sa mère, un fils et son père. Ça me nourrit un peu, on vient de là. Nos vies font que l’on va devenir pour nos enfants ce qu’étaient nos parents. Et puis je trouve que c’est l’endroit de tous les secrets, tous les mystères, et de toutes les grandes aventures. C’est la grande aventure en fait. Vous voyez le film, il va sortir en même temps que Star Wars en fait. En contre-programmation, les gens qui n’auront pas envie de voir Star Wars pourront voir ca. J’ai dit au distributeur, c’est pas une mauvaise idée. Et après j’ai réfléchi et je lui ai dit, tu sais c’est la même histoire (il fait la voix de Star Wars : « rshh je suis ton père ») (rires)! Mais c’est la même histoire sauf que nous on la raconte en se passant de ce plateau. Ca fait deux mille ans que l’on raconte des histoires. Il n’y a pas d’autres méthode de les raconter que les méthodes habituelles. Après c’est donner l’impression au spectateur qu’on emmène faire un voyage qu’il n’a jamais fait. Moi je le fais avec les moyens que j’ai, mais je sais que si je me retrouvais avec des millions de dollars, ce serait pour aller raconter au fin fond de tout cette histoire, la même histoire.

Quel est l’intérêt scénaristique du Canada pour vous dans l’histoire ?

Philippe Lioret : Plusieurs rôles. Déjà parce que je m’y retrouve, dans la mesure où c’est un pays que je connais bien. Quand j’étais môme, ma grand-tante vivait ici et je venais très souvent la voir. Et puis je voulais que Mathieu parte loin, parce que s’il partait à 300 kilomètres de Paris c’était pas pareil. Ici, c’était une nécessité vitale. Parce que faire 6000 kilomètres pour 48h pour aller à l’enterrement d’un mec qu’on a jamais rencontré, ça ressort d’une pulsion, d’un truc fort.  Le film il a sa nature profonde qui parle de l’intime, des relations intimes, et j’essaye toujours que ce soit pas un film intimiste, parce que il y a rien de plus chiant. Que ça nous parle, que ça vienne parler à notre intime. Les films intimistes c’est des films qui se passent entre quatre murs tout le temps. Il faut que ça respire, il faut que ça soit dans un mouvement, dans la vie, il faut que les choses se passent au milieu d’autres choses, je trouve. C’est aussi pour ça que c’était bien de venir tourner ça au Québec, parce que c’est un pays qui respire.


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