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Le campus, ce grand village

Depuis les années 1970, la lutte contre l’homophobie sur les campus universitaires a fait un bon bout de chemin. Les gates de McGill sont-elles ouvertes à tous ? Comment se vit l’homosexualité dans les différentes facultés de l’université ? Le Délit enquête.

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Pour la majorité des étudiants LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans), le combat contre l’homophobie sur le campus s’amorce dès leur arrivée à McGill, et non seulement dès le début des classes. Les résidences de McGill s’avèrent en effet un lieu important pour ces jeunes. « La plupart des étudiants LGBT sortent du placard un mois après le début des cours, par peur d’être identifiés comme le gay de telle ou telle résidence », explique Anthony Lecossois, don (l’équivalent de floor fellow) à la résidence Douglas Hall. Les résidences se sont ainsi pourvues de politiques afin d’assurer un environnement sécuritaire et confortable pour tous les étudiants. « Notre politique de Safe Space a beaucoup aidé. On n’entendra jamais plus, par exemple, des “that’s so gay” qui peuvent rendre certaines personnes mal à l’aise. De plus, à chaque début d’année, il y a des ateliers obligatoires pendant lesquels on parle de transsexuels, transgenres et des LGBT en général », poursuit Anthony. « On essaie d’être le plus inclusif possible. »

Hannah Palmer

Leacock

 

La Faculté des Arts apparaît comme la plus ouverte de l’Université. «[Elle] est souvent stéréotypée et associée aux hippies, car elle est assez progressiste et de gauche », affirme Samuel, étudiant en géographie et en développement international. « Il n’y a pas de jugement social qui plane ; je dirais même qu’il y a un certain laisser-faire social dans notre faculté » conclue-t-il.

Néanmoins, il arrive que le contenu des cours soit aliénant pour les étudiants LGBT. « Par exemple, dans certains cours de psychologie, on nous apprend entre autres que les hommes agissent de telle façon et les femmes de telle autre : l’idée que les genres se comportent différemment est enracinée dans le département, confie Ryan Thom, co-président de Queer McGill et étudiant en psychologie. Les conversations sont ainsi cadrées dans un contexte hétéronormé. Puisque les LGBT ne font pas partie intégrante de ces catégories, on se sent souvent comme des personnes déviantes. »

Parker Villalpando, co-président de Queer McGill, renchérit : « Je suis en histoire et sciences politique, et j’ai eu la chance de faire des cours de langue. Un exercice consistait à décrire notre copine. Inutile de dire que je ne me sentais pas très à l’aise. Lorsque j’ai utilisé le mot pour petit-copain, la professeure m’a corrigé, et j’ai alors dû expliquer que j’étais gay ! » Un effort pour rendre le contenu des cours plus inclusif devra donc être soutenu afin d’améliorer la situation dans la faculté.

 

Hannah Palmer

Chancellor Day

« En droit, l’homosexualité est vraiment bien acceptée », affirme avec assurance Étienne, un étudiant de première année. « Nous sommes beaucoup d’homosexuels, autant professeurs qu’étudiants ». Malgré l’image que projette la faculté –conservatrice et stricte– la différence, tant pour l’orientation sexuelle, l’ethnie ou les idéologies a tout à fait sa place dans la faculté.

D’ailleurs, le professeur de droit constitutionnel et de la famille, Robert Leckey, se présente comme un fervent défenseur de toutes les races et orientations. Marié à un danseur professionnel, fervent défenseur des droits des gays et lesbiennes, il affiche son homosexualité avec fierté dans son plan de cours. « Cet homme est mon idole, mon héros, car il se présente comme un exemple : il prouve que l’homosexualité n’est pas un handicap à la réussite », ajoute Étienne.

Si tout le monde est très ouvert à l’université, qu’en est-il dans les grosses firmes d’avocats ? En droit, il y a la Queer Theory, une analyse critique du droit fondée sur la critique des notions de genre, de féminisme, de différentialisme, et de déterminisme. La Queer Theory sert à régler des cas qui deviennent de plus en plus courants. Par exemple, pendant longtemps, en droit, un adultère ne pouvait être prouvé qu’avec une pénétration vaginale. Selon la définition classique, une personne ne peut demander le divorce s’il n’y a pas de pénétration vaginale, mais, dans le cas d’un couple d’hommes mariés, il n’y aurait jamais de divorce ! C’est dans ce genre de cas qu’il faut révolutionner la théorie et c’est pour ça que des hommes comme Robert Lecky se battent. Ainsi, oui, les homosexuels, en 2011, trouvent leur place sur les bancs de la faculté de droit.

De plus, Étienne compare les différentes facultés de McGill et d’ailleurs, et ne croit pas que l’acceptation soit un problème pour quiconque : « À la Polytechnique, par   exemple, c’est un milieu masculin probablement moins compréhensif. En droit, les gens aiment argumenter, ils cherchent à comprendre ; mais même à la Polytechnique, je ne crois pas que je serais persécuté, ajoute-t-il en riant. Je crois que c’est plus une question d’affinités. J’aurais plus de difficulté à me faire des amis parce qu’on aurait moins de points en commun. »

Hannah Palmer

MacDonald

 

« S’il fallait faire un classement des facultés en terme de gay-friendliness, celle de génie serait sûrement la pire ! », affirme sans détour Olivier, étudiant de troisième année en génie mécanique. « Personnellement, je ne suis pas à l’aise de me publiciser comme ça, mais c’est juste moi. Ma sexualité fait partie de ma vie personnelle, et je veux garder ça comme ça. » Ainsi, il lui est important de distinguer vie personnelle et vie académique : « Mes amis proches le savent, mais ma relation avec mes amis à l’école est sur une base différente. On ne va pas vraiment parler de chums ou de copines, par exemple ». Olivier est convaincu qu’il existe une peur rationnelle dans la faculté. « C’est vrai que l’environnement est très masculin et macho. Ainsi, les gays préfèrent ne pas s’afficher. Vu qu’ils vont passer quatre années dans le même programme, ils ne veulent pas se mettre dans une situation où les autres pourraient les juger et les regarder de travers. C’est pour cela que le peu de gays qu’il y a dans la faculté sont presque tous au placard ».

Hannah Palmer

Desautels

 

Une autre faculté qui dégage une image conventionnelle est sans conteste celle de gestion. « Il existe cette mentalité qui oblige les hommes à être masculins, à avoir de la « pogne », explique Guillaume, étudiant en finance et comptabilité. N’empêche que les différentes disciplines ont chacune leur degré de tolérance envers les LGBT : « Il est vrai que l’homosexualité est plus acceptée en marketing qu’en finance. On imagine mieux un gay travailler chez L’Oréal et Dior que chez Goldman Sachs ! »

De nombreux stéréotypes persistent au sein de la faculté de gestion : « Les gens pensent qu’il est impossible d’être dans le business et d’être homosexuel, que ça pourrait les empêcher d’avoir des promotions par exemple » avance Guillaume. Ces idées préconçues ont toutefois, en quelque sorte, influencé son choix d’études. « Mes ambitions scolaires sont très professionnelles. Pour moi, ça a été une revanche pour montrer que des homosexuels peuvent réussir dans tous les domaines » indique-t-il. Car, s’il n’est pas rare de voir des homosexuels réussir dans le domaine de la coiffure, on ne peut pas déclarer la même chose pour les disciplines qui touchent le droit, la médecine, ou la finance.

À Desautels, la proportion d’étudiants de sexe féminin est plus élevée que celle de sexe masculin. Alors que plusieurs croient qu’un ratio plus élevé de filles dans une faculté rend l’acceptation de l’homosexualité plus facile, Guillaume n’est pas du même avis. « Est-ce que l’homophobie ne vient pas plus des femmes que des garçons ? » demande-t-il. « Il y a beaucoup d’homophobie des femmes envers les hommes, comme si ça les dérangeait que les hommes homosexuels ne soient pas dans leur position naturelle ».

Hannah Palmer

McIntyre

 

« À la base, le préjugé que les gens portent sur la faculté de médecine est que la plupart des gars sont gays ! », affirme Alexandre, étudiant en pre-med. « Même si c’est exagéré, notre cohorte de quatre-vingt étudiants comprend quand même quatre gars et une fille homosexuels. » En plus de la composition du corps étudiant, Alexandre croit que la profession, avec ses entrevues et ses batteries de tests, est toujours à la recherche de candidats ouverts d’esprit car ils seront sans doute plus tard confrontés à des situations nécessitant tact et tolérance. Il avance même qu’être homophobe est davantage mal vu qu’être homosexuel. Un tel environnement au sein de la faculté l’a donc encouragé à s’afficher : « Au-delà du milieu social très ouvert, j’ai l’impression que ma décision de m’affirmer était aussi liée au fait que je voulais simplement être honnête avec les autres afin de ne pas créer un malaise plus tard ».

La présence d’étudiants LGBT en médecine peut être expliquée par le fait que « plusieurs de ces gens ont été exclus dans leur jeunesse, et ils ont ainsi le désir de travailler plus fort afin de montrer aux autres qu’ils ont la force et le courage de réussir dans la vie », suggère Alexandre. Toutefois, un élément tracasse l’étudiant en médecine. « J’ai l’impression que les LGBT prennent beaucoup trop de choses qui leur sont offertes pour acquis et s’assoient dessus. J’ai entendu beaucoup de commentaires de la part d’homosexuels à propos de diverses communautés ; mais étant nous-mêmes une minorité, je trouve cela inacceptable » déplore-il.

En construction

Le portrait de la situation est largement positif, mais il y a toujours de la place pour l’amélioration. Parker Villalpando affirme qu’il y aura toujours des bulles homophobes à McGill : « Par exemple, il y a quelque temps, Conservative McGill a organisé une conférence donnée par la journaliste Barbara Kay dont le discours était hautement sexiste et homophobe qui s’est avéré offensif à l’endroit de plusieurs groupes d’étudiants. Même si la distinction entre liberté d’expression et opinion personnelle est vague, de tels commentaires inacceptables rendent l’environnement dans lequel les étudiants LGBT vivent beaucoup moins sécuritaire. »

Ryan Thom, quant à lui, dénonce « le système actuel qui privilégie les hétérosexuels. La majorité l’emporte, sans considérer les minorités ». Un sujet dont on entend parler davantage est celui des toilettes mixtes. « En tant qu’homosexuel, ça me gêne d’aller dans la toilettes des hommes, c’est une question de pudeur » affirme un étudiant gay qui préfère garder l’anonymat. « Le même problème se pose avec les transgenres et les transsexuels » poursuit Ryan. « Ces derniers sont arrêtés par la sécurité à cause de leur identité. Installer des toilettes unisexes [NDLR : ou des toilettes uniques] serait un changement tangible qui peut être instauré relativement facilement. »

Un autre problème pointé du doigt par certains étudiants LGBT à McGill est le manque de sensibilisation. « Ce qui m’enrage le plus, c’est quand les gens ne savent pas ce que signifie LGBT. En général, ils ne sont pas assez éduqués » s’indigne Guillaume. Pour remédier à la situation, il a fondé, avec d’autres étudiants, le groupe OUTlook on Business. Alors que des regroupements d’étudiants LGBT existent déjà dans quelques facultés de McGill, dont celle de génie, OUTlook on Business a une visée pragmatique afin de faire valoir la voix des étudiants LGBT devant des recruteurs. « Ce qui est notable avec notre groupe, c’est qu’il s’adresse aussi aux hétéros, car ceux-ci doivent connaître la diversité de leurs employés » précise Guillaume.

Récemment, des panneaux « Safe Space » ont été posés dans le bâtiment de l’AÉUM afin de rendre les enjeux LGBT plus visibles sur le campus. « Ces panneaux enlèvent un poids de nos épaules car nous devons nous battre contre des préjugés au jour le jour » confie Samuel. Néanmoins, beaucoup doutent que l’ouverture d’esprit puisse être encouragée par de simples carrés de plastique. Une lutte contre les préjugés et la discrimination qui perdure, malgré des belles avancées.


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