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Flagrant délit de tendresse

ÉPISODE 19
Résumé de l’épisode précédent : Delilah doit remplacer son directeur de maîtrise pour le cours qu’il donnait, celui-ci étant hospitalisé pour une durée indéterminée. Elle annonce à Francis qu’ils ne peuvent pas recommencer à se fréquenter.

Francis se sentait ivre. Et pourtant, il n’avait rien bu, ni aujourd’hui, ni la veille. Il était dans un état de confusion extatique, ses oreilles n’entendant qu’avec un certain décalage le son qui sortait des lèvres roses et gonflées de Delilah, qui goûtaient sans doute les fraises des champs. Depuis le début du cours, il ne savait plus où poser le regard. Ses yeux suivaient la couture de ses bas de nylon, de bas en haut, jusqu’à l’intérieur de sa jupe légèrement fendue à l’arrière. À ce point, Francis poursuivait l’ascension de la couture dans sa tête, du rondement des fesses jusqu’à la culotte ambrée. Quelqu’un, quelque chose, le tira douloureusement de sa fantaisie et il se concentra, mais pour un moment seulement, sur le contenu du cours. Delilah était superbe. Elle portait une petite jupe noire, style tailleur, à laquelle elle avait agencé un chandail à rayures. Ses cheveux roux cascadaient en boucles souples sur ses épaules, et une mèche indiscrète reposait sur sa poitrine claire, dévoilée par la large encolure de son chandail. Francis ne pouvait que fuir son regard, car il savait que si leurs yeux se croisaient, la tension sexuelle entre eux deviendrait insoutenable.

Delilah s’habituait tranquillement à ses nouvelles tâches de chargée de cours. Elle devait offrir des heures de bureau, guider les étudiants dans leurs travaux, corriger les copies d’examen, en plus de préparer la matière des cours suivants. Perdue dans ses pensées, elle cherchait la clé de son bureau dans ses poches quand elle le vit, l’attendant devant la porte. Son coeur fit un bond inhabituel dans sa poitrine, mais elle se concentra sur la tâche, maintenant difficile, de débarrer la porte.

- Hello Francis…, dit-elle, à bout de souffle, en s’engouffrant dans son bureau. You need help with your essay topic ?

- Yes… I think I want to work on the concept of beauty, répondit-il en lui emboîtant le pas.

- Yes, anything specific about this concept ?, demanda Delilah, toujours dos à lui, fourrageant dans son sac.

- Your legs, murmura Francis d’une voix devenue soudainement rauque.

Bien que ces mots aient été à peine audibles, Delilah avait parfaitement entendu ce que Francis venait de dire. Un frisson partit de sa nuque et emplit son corps entier de vibrations. Elle fit toutefois comme si de rien n’était et se retourna vers lui en lui tendant un poème de John Donne. « I think it may be interesting for you to work on the metaphysical poets in relation to your essay topic.»

- Francis lut la première strophe de « The Flea » :

- Marke but this flea, and marke in this,

- How little that which thou deny’st me is ;

- Me it suck’d first, and now sucks thee,

- And in this flea our two bloods mingled bee ;

- Confesse it, this cannot be said

- A sinne, or shame, or losse of maidenhead,

- Yet this enjoyes before it wooe,

- And pamper’d swells with one blood made of two,

- And this, alas, is more than wee would doe.

Il ne comprenait pas tous les mots, mais se sentait troublé à l’idée du sang des deux amants se fusionnant à l’intérieur de l’insecte. La seule chose à laquelle il pouvait penser à ce moment était à quel point il avait envie de se fusionner à Delilah.

Il se sentit très viril à cet instant et avança d’un pas décidé vers elle. Avant qu’elle ne puisse dire un mot, ses lèvres étaient déjà sur les siennes. Francis prit entre ses doigts la mèche coincée entre ses deux seins, mèche dont il avait été jaloux pendant tout le cours, et la respira. L’effluve délectable qui en émanait faillit le rendre fou. Il retira, autoritaire, le chandail de Delilah pour découvrir, non pas un Wonderbra beige, mais un délicat soutien-gorge de dentelle blanche, cachant à peine les auréoles roses. Il sut alors qu’elle n’avait pu s’empêcher de penser à lui. Delilah, les yeux enflammés, s’étendit sur le bureau d’acajou. Ils vécurent alors un moment magique…

* * *

- Devine qui a scoré cet après-midi ! cria Francis à S teeve en entrant dans l’appartement.

- Toé, j’imagine, répondit laconiquement Steeve. Là là, si c’est pour devenir sérieux vo’ deux, va falloir que tu m’a présente, que j’vois si ça vaut le coup de vendre son âme pour une anglo.

- J’peux te la montrer tu suite, elle est sur Facebook, dit Francis, d’un ton amoureux.

Francis ouvrit la page Facebook de Delilah et exhiba fièrement sa belle. Delilah était souvent accompagnée d’Emma, sur ses photos, et cette dernière ne passa pas inaperçue aux yeux de Steeve. Sans se l’avouer, il craquait pour son look bobo et ses yeux rêveurs. « Ouin, j’avoue qu’est belle là », marmonna Steeve, les yeux toujours fixés sur Emma.

* * *

À l’autre bout du cyberespace, Emma venait de compléter un quiz sur le site de Cosmo intitulé « What you never knew about yourself… in bed ». Cette étudiante en psychologie lisait, depuis longtemps, des self-help books en cachette. Ce soir-là, elle eut une épiphanie digne de James Joyce : elle n’était pas attirée, comme elle le croyait, par les intellectuels sensibles, mais plutôt par les rebelles révolutionnaires. « God, I’ve been looking in all the wrong places !», se mumura- t‑elle.


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