Archives des Danse - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/artsculture/danse/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 07 Feb 2024 14:03:12 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.4.4 Danser pour se souvenir https://www.delitfrancais.com/2024/02/07/danser-pour-se-souvenir/ Wed, 07 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54537 Retour sur la cérémonie d’ouverture du Mois de l’histoire des Noir·e·s.

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À l’occasion de la cérémonie d’ouverture du Mois de l’histoire des Noir·e·s organisée par McGill dans l’amphithéâtre Tanna Schulich de l’école de musique, les Montreal Steppers ont réalisé une performance devant une salle comble. Formé en 2019 par Kayin Queeley, ce collectif d’artistes fait vivre l’art du step. La step dance est un style de danse issu de la diaspora afro-descendante, utilisant le corps comme seul instrument, mélangeant danse, cadences de pieds, claquements de main et chants. La vocation du groupe dépasse la simple performance artistique ; les Montreal Steppers se servent aussi du step pour faire vivre l’héritage culturel afro-américain, et ainsi enrichir les conversations sur l’histoire des Noir·e·s.

Instrument de résistance

De 19h à 19h30, les Montreal Steppers se sont produits sur scène, dans une performance éducative mélangeant stepping, chants, et interactions avec le public. Le fondateur du groupe, Kayin Queeley, ainsi qu’une autre artiste du groupe, ont aussi pris le temps d’exposer l’histoire de cet art, son évolution, et sa résonance aujourd’hui, particulièrement alors que s’amorce le Mois de l’histoire des Noir·e·s.

Seuls sur scène, sans autre instrument que leurs corps, les cinq artistes se sont mis en place sous les applaudissements des spectateurs, les poings collés à quelques centimètres de leur torse, les jambes légèrement écartées. La prestation commence, en rythme, ils frappent le sol de leurs pieds, suivis par des clappements de mains. Le groupe évolue sur la scène, chacun suivant sa propre trajectoire, en dansant tout en créant avec son corps une mélodie commune, accompagnée par des chants ou du slam.

Après quelques minutes de démonstration, Kayin a pris la parole pour contextualiser son art : « Le step, c’est utiliser son corps pour créer de la musique, pour se souvenir des mains de notre peuple qui cultivaient les champs, mais aussi de leurs pieds, qui ont parcouru des milliers de kilomètres. Avec le step, notre peuple s’est réapproprié son corps, qui n’est pas seulement une propriété, mais un instrument de création pour faire vivre nos traditions, ainsi qu’un outil de résistance et de justice (tdlr). »

Le groupe a aussi entonné « Stand up » de Cynthia Evira, chantée en solo par l’une des artistes, accompagnée dans le rythme, la mélodie et la danse par les quatre autres derrière elle. Tout aulong du spectacle, le public a été invité à accompagner les artistes, en chantant, en tapant des mains, et vers la fin en se levant et en performant avec eux une mélodie commune.


L’art du step

Tout au long de la performance, l’accent a été mis sur l’histoire de l’art du step et sur sa résonance avec l’histoire des Noir·e·s. L’une des fondatrices du mouvement au Canada, membre du premier groupe de step canadien – les Vanier Stompers, a été invitée au cours de la performance pour raconter son histoire. « J’avais 19 ans en 1991. Tout a commencé au cégep Vanier, on était inspiré et on aspirait à se transformer et à faire vivre notre communauté. Ce sont nous, les femmes de couleur, qui avons lancé le mouvement. Tout au long de notre histoire, on a su réagir rapidement, créer du changement et faire du bruit ». Elle a alors été rejointe sur scène par les trois membres féminins des Montreal Steppers, puis par leurs collègues masculins, et ils ont entamé ensemble une mélodie en tapant sur leurs corps, en frappant le sol de leurs pieds, transformant sa narration en slam.

Introduit au Canada d’un petit groupe issu du cégep Vanier, le step rassemble aujourd’hui des milliers de participants, et l’art continue de vivre, notamment grâce aux Montreal Steppers, qui se produisent partout en Amérique du Nord, particulièrement au Canada lors de leur tournée 2023–2024.

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Deux temps, trois mouvements https://www.delitfrancais.com/2023/10/04/deux-temps-trois-mouvements/ Wed, 04 Oct 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=52630 Les BJM ouvrent la 26e saison de Danse Danse avec Essence.

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C’est soir de fête au Théâtre Maisonneuve! En plus d’être l’année des 60 ans de la Place des Arts, 2023 est également celle des 50 ans des Ballets Jazz de Montréal! À l’occasion de l’ouverture de la 26e saison de Danse Danse, diffuseur associé à la Place des Arts, les Ballets Jazz de Montréal (BJM) ont présenté pour la première fois leur spectacle Essence, un triptyque contemporain. Dans ce spectacle d’ouverture annonçant une saison solide et innovante, trois pièces se succèdent : We Can’t Forget About What’s His Name d’Ausia Jones, Ten Duets on a Theme of Rescue de Crystal Pite et Les Chambres des Jacques d’Aszure Barton.

We Can’t Forget About What’s His Name d’Ausia Jones

Les rideaux s’ouvrent sur sept danseurs alignés sur la scène plongée dans la pénombre. « Just relax », nous répète l’enregistrement audio qui remplit l’espace sonore. À travers les sept interprètes, les éclairages épurés, colorés et porteurs de sens, et la musique électrisante de Jasper Gahunia, Stephen Krecklo & William Lamoureux alias Earth Boring, on explore l’univers d’Ausia Jones. Dans cette création, la jeune chorégraphe et interprète aux BJM unit groove et contrepoint, dans une chorégraphie qui donne envie de se mettre à danser soi-même. Parfois, quelques mouvements de danse classique ponctuent la chorégraphie, ce qui est moins intéressant, puisque cela s’est souvent déjà vu ailleurs. La chorégraphie aurait peut-être été ressentie comme plus personnalisée et originale sans ceux-ci.

Ten Duets on a Theme of Rescue de Crystal Pite

Une douzaine de projecteurs sur pied, placés en demi-cercle, créent un espace restreint au centre de la scène. Ils s’allument quelques-uns à la fois, à des angles variés, composant ainsi des ambiances très différentes les unes des autres. Comme le titre l’indique, cette pièce est une succession de couples de danseurs. À chaque duo, on a l’impression d’entrer dans une toute nouvelle histoire. Les tableaux sont installés rapidement par les danseurs, et les spectateurs y sont immédiatement plongés. Personnellement, c’est la pièce qui m’a le plus touchée. Les mouvements sont recherchés, la gestuelle parlante. Tout est réduit à l’essentiel et on ressent tout en grand. Il n’y a parfois même pas de comptes – ces repères temporels dans le rythme de la musique –, les danseurs se coordonnant uniquement avec des repères visuels. On reconnaît la signature de la chorégraphe renommée, et directrice artistique fondatrice de Kidd Pivot, dans chacun des duos et dans les liens qui les unissent.

Les Chambres des Jacques d’Aszure Barton

C’est nulle autre que La Danse à St-Dilon de Gilles Vigneault, qui nous accueille dans cette troisième et dernière partie du triptyque. Aszure Barton construit ce qu’on peut comparer à un film choral dansé. Sur des musiques classiques fortes en émotions, chaque danseur interprète un personnage. Chacun a sa manière d’interagir avec les autres, et chacun est soumis au mouvement et à ce que le mouvement crée en sa personne. Par exemple, le personnage de la danseuse Astrid Dangeard pousse un cri inattendu pendant la pièce. L’interprète a par la suite expliqué, pendant la période de questions après le spectacle, que son « personnage n’a pas d’autre choix que de crier à ce moment-là ». Un petit point faible de la chorégraphie est l’ajout de mouvements acrobatiques dans quelques séquences. Cela n’apporte rien de vraiment sensible à l’histoire, déjà complète sans ces démonstrations de capacités techniques. Enfin, les costumes, mis au goût du jour pour l’occasion, complètent subtilement l’ambiance de chaos contrôlé de la pièce, par des touches de bleu dans la masse de tissus aux couleurs chaudes.

Un triptyque tissé serré

On sent que les trois pièces dialoguent entre elles, par la mise en valeur des danseurs avant tout. Les pièces d’Aszure Barton et de Crystal Pite, revisitées pour l’occasion, accompagnées d’une création de la relève, soit celle d’Ausia Jones, racontent l’histoire des BJM, tout en amorçant l’écriture d’un nouveau chapitre. C’est ce que la directrice artistique, Alexandra Damiani, souhaitait réaliser. Pendant la période de questions après la représentation, cette dernière a expliqué n’avoir jamais eu en tête de bâtir un spectacle uniquement avec des chorégraphes féminines. Elle a seulement cherché à valoriser les danseurs, et par hasard, les trois pièces choisies étaient chorégraphiées par des femmes. En somme, la 26e saison de Danse Danse commence en force avec ce premier spectacle, autant par ses mises en scène captivantes que par la mise en lumière du vocabulaire gestuel distinctif de chaque chorégraphe.

Essence des Ballets Jazz de Montréal a été présenté au Théâtre Maisonneuve du 27 au 30 septembre 2023. Le prochain spectacle de la saison de Danse Danse, Past Rooms de Skeels Dance, accueillera le public du 17 au 21 octobre à la Cinquième Salle de la Place des Arts.

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Les petits rats se rebellent https://www.delitfrancais.com/2023/04/05/les-petits-rats-se-rebellent/ Wed, 05 Apr 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51486 Une balade dans la représentation de la sexualité dans la danse classique.

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L’Opéra Garnier est l’un des plus célèbres théâtres d’opéra au monde, situé dans le neuvième arrondissement de Paris. Construit à la fin du 19siècle, il est un symbole de la culture et de l’élégance de l’époque. Cependant, derrière la façade majestueuse de ce monument se cachait un monde de désirs et de passions qui étaient souvent considérés comme tabous à l’époque : la sexualité. Les danseuses étaient considérées comme des femmes à la morale douteuse, souvent l’objet de désirs et d’attentions de la part de riches protecteurs. Les chanteuses étaient également soumises à des avances sexuelles de la part de leur public. Plus franchement, l’opéra Garnier était un bordel de luxe. Au cours d’une soirée, certains passaient de spectateurs à clients et d’autres de danseuses à prostituées. Avec le temps, le métier de danseuse classique s’est professionnalisé et la prostitution s’est vue davantage stigmatisée. Les chorégraphes ont essayé d’opérer une certaine révolution sexuelle dans ce corps de métier tout en respectant les règles de bien-séance. Cet article compare trois époques afin de retracer l’évolution du rapport entre la sexualité et la danse classique.

« L’opéra Garnier était un bordel de luxe : au cours d’une soirée, certains passaient de spectateurs à clients et d’autres de danseuses à prostituées »

Les premières danseuses de l’Opéra

À la fin du 19siècle, le peintre français Edgar Degas provoque un scandale à la suite de l’exposition d’une série
de tableaux et de sculptures représentant des danseuses de l’Opéra. Il les montre dans l’intimité de leur travail :
les vestiaires, les coulisses, l’étirement. Degas peint leurs dos dénudés et leurs jambes écartées, de quoi choquer la haute bourgeoisie parisienne. En réalité, ce qui choquait le plus, ce n’était pas tant les positions des danseuses, mais plutôt la représentation de ces dernières. Cette même classe critiquant l’exposition de Degas s’avère être la plus féroce consommatrice des faveurs sexuelles proposées à l’Opéra. La Petite Danseuse de Quatorze Ans est une sculpture en bronze créée par Edgar Degas en 1881 qui représente une jeune danseuse de l’Opéra de Paris vêtue d’un tutu en tulle, d’un corset et de chaussons de danse. La sculpture a suscité la controverse en raison de son réalisme brutal, de sa représentation crue de la danse et de la sexualisation supposée de la jeune fille. Exposée pour la première fois à Paris en 1881, à l’occasion de la sixième exposition impressionniste, elle est vivement critiquée par Paul Mantz qui se questionne : « Pourquoi son front est-il, comme ses lèvres, marqué d’un caractère si profondément vicieux? »

En 2021, l’école d’art parisienne Les Gobelins produit un court-métrage animé avec Constance Bertoux, Camille Bozec, et Pauline Guillon intitulé Louise, dans lequel le spectateur suit la soirée d’une danseuse de l’Opéra à la fin du 19siècle. Après sa performance sur scène dans le ballet Gisèle, la collègue de Louise lui réclame la somme qu’elle lui doit depuis quelques semaines. À court, Louise décide de se fondre dans la masse de prostituées et de rejoindre ses mécènes et clients habituels pour rembourser sa dette. À cette époque, le salaire d’une danseuse classique n’est pas suffisant pour en vivre, les artistes dépendent donc du pourboire de leurs spectateurs, qui deviennent leurs clients.

Chorégraphie et modernité

Au début du 20siècle, la danse classique se veut à l’avant-garde de la représentation d’une sexualité féminine libérée. Alors qu’au 19siècle la mode est aux ballets romantiques narrant des histoires d’amour tragiques dansées par des femmes dont le tutu couvre l’intégralité des jambes, le 20voit l’essor de pièces allègres et provocatrices. Composé en 1869 par Marius Petipa, le ballet Don Quichotte est joué pour la première fois en France en 1905 au théâtre du Châtelet. Ce ballet met en scène le personnage de Kitri, une jeune espagnole sensuelle qui fait rêver l’ensemble des personnages masculins. Quand elle tourne puis saute, la robe de Kitri vole pour dévoiler, en l’espace de quelques secondes, ses jambes nues écartées par des positions souples.

Le chorégraphe russe Rudolf Noureev opère la révolution sexuelle dans le monde de la danse classique. Après avoir demandé l’asile en 1961, Noureev reprend des ballets classiques pour les réinventer dans l’érotisme. Par exemple, dans sa version de Roméo et Juliette, représentée pour la première fois le 9 octobre 1977, le couple se touche, s’embrasse, s’émeut dans une passion sexuelle et tangible. En 2019, le réalisateur Ralph Fiennes compose le film Le Corbeau Blanc qui retrace la vie de Rudolf Noureev lors de son arrivée à Paris. Le prodige Noureev, interprété par Oleg Ivenko, est en tournée à Paris avec la compagnie du Kirov et devient fou de la liberté sexuelle qui habite les Parisiennes. Après être tombé dans la passion pour Clara Saint, interprétée par Adèle Exarchopoulos, Noureev prend la décision de quitter l’URSS pour demeurer à Paris, ville d’où il tirera son inspiration pour toutes ces œuvres révolutionnaires. Le film de Fiennes montre l’importance des fréquentations sexuelles et amoureuses dans le processus de création : pour représenter et danser la passion, il faut la vivre à nu.

« Pour représenter et danser la passion, il faut la vivre à nu »

Concilier sexualité et danse classique aujourd’hui

Le Délit s’est entretenu avec Hortense pour en savoir plus sur comment une danseuse concilie sexualité et danse classique. Hortense Pelletan est une danseuse de 19 ans, qui en parallèle de ses études en sciences politiques, suit le cycle à orientation professionnelle au Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR) de Reims. Elle danse près de 15 heures par semaine.

Le Délit (LD) : Comment la danse classique a‑t-elle impacté ton rapport au corps dans l’activité sexuelle, que ce soit la masturbation, la séduction ou la copulation? As-tu l’impression que le fait d’être une danseuse est en soi un atout dans le jeu de la séduction?

Hortense Pelletan (HP) : Honnêtement, je pense que la danse a considérablement changé le rapport que j’ai vis-à-vis de mon corps. Depuis que je danse de manière intensive, soit depuis mes 13 ans environ, j’ai une très bonne connaissance de mon corps. Je connais les mouvements qui me procurent du plaisir et ceux qui, au contraire, sont plus inconfortables et moins naturels pour moi.

En ce qui concerne le rapport entre la danse et l’activité sexuelle, je pense que la danse classique m’a aidée à m’affirmer davantage dans des situations de drague. Je pense que mon corps arrive à retranscrire les sensations, les jeux et les aventures qui se produisent sur scène dans la séduction. Réciproquement, les expériences que j’ai connues dans la vie m’ont aidée dans ma danse car elles m’ont permis d’interpréter les rôles de manière plus juste et sincère. Je pense que la danse me donne confiance en moi de manière générale, ce qui me permet de me sentir plus belle au quotidien. De fait, je pense qu’elle influence de manière indirecte mon jeu de séduction car j’arrive mieux à m’affirmer depuis que je danse et je connais très bien mes forces et faiblesses corporelles, et donc je sais lesquelles mettre en avant dans une situation de drague. Quand je dis que je suis danseuse classique, la personne en face trouve cela en général original et respectable, étant donné que peu de gens poursuivent la danse de manière aussi intensive en parallèle de leurs études traditionnelles. Je pense que les gens associent plus le classique à l’élégance et la grâce, soit des qualités associées au féminin et à la douceur, plutôt qu’au sexy et au sensuel. Je pense pas que l’on associe encore aujourd’hui la danse à l’activité sexuelle, mais plutôt à la grâce et au raffinement.

LD : As-tu déjà eu l’impression d’interpréter des rôles sensuels ou des chorégraphies à caractère sexuel?

HP : Oui, j’ai déjà dû interpréter des rôles sensuels, notamment celui de Douniazad dans le ballet Schéhérazade de Michel Fokine ou encore dans le Casse-Noisette de Lev Ivanov avec la Danse Arabe. Je pense que ces rôles se font plus rares dans la danse classique par rapport à d’autres types de rôles issus de ballets du répertoire, qui mettent souvent en scène des jeunes filles innocentes, qui doivent faire face à un destin tragique et lugubre, comme celui de Gisèle. Le classicisme se base sur des normes telles que la bienséance et la vraisemblance. Dans le répertoire, on évite des rôles trop explicites, on reprend des histoires peu choquantes qui mettent davantage l’accent sur le romantisme que sur la passion sexuelle.

« Ce qui prime, ce n’est pas tant la sensualité, mais la beauté » 

Hortense Pelletan

LD : Te sens-tu sensuelle quand tu danses en cours comme sur scène? Est-ce que tu trouves les costumes sexy? Si cette sensualité existe, comment l’exprimes-tu?

HP : Quand je danse, je me sens belle. Je pense que c’est vraiment le seul moment où je me sens entièrement bien dans ma peau car j’arrive à m’exprimer de manière sincère et passionnée, cela a un effet libérateur et transcendant sur moi. Je ne sais pas si c’est toujours de la sensualité car cela dépend des rôles à interpréter, mais en tout cas, je pense que ma perception d’être belle se multiplie et se renforce sur scène. Pour les costumes, cela dépend encore une fois des rôles et du type de ballet mis en scène ainsi que de la chorégraphie imposée. De manière générale, je pense que les costumes sont destinés à créer un tableau harmonieux et plaisant pour le spectateur. Cet ensemble, musique, danse et décors, crée le beau et se destine à toucher le spectateur autant que le danseur-interprète. Ce qui prime, ce n’est pas tant la sensualité, mais la beauté. J’espère continuer à grandir et à me transformer avec mon corps, que ce soit au CRR ou dans un autre cursus de danse à l’étranger.

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Danser ou Vieillir https://www.delitfrancais.com/2023/03/15/danser-ou-vieillir/ Wed, 15 Mar 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51213 L’ode à la vieillesse dans OLD de Margie Gillis.

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Du 9 au 11 mars dernier, la chorégraphe et danseuse canadienne Margie Gillis s’est produite à l’Agora de la danse pour OLD, son seul-en-scène de plus d’une heure. Née en 1953, Gillis célèbre ses 70 ans de vie et ses 50 ans de carrière avec un spectacle physiquement éprouvant. La Fondation de danse Margie Gillis, créée en 1981, a présenté plus de 150 créations de danse dans le monde entier. Margie a été récompensée pour son innovation artistique et ses performances exceptionnelles.

Pendant 110 minutes, Margie Gillis nous invite à une réflexion dansée et chantée sur la découverte de la vieillesse. Pour l’artiste, issue d’une famille d’athlètes, la prouesse physique a toujours été au cœur de son travail et de sa philosophie. Pendant ce spectacle, elle relève avec brio les défis d’un physique fatigué et moins performant auquel elle doit accommoder ses élans chorégraphiques. Le décor est complexe : une grande partie de la scène est couverte d’objets, qui paraissent anodins, cassés, poussiéreux, rouillés et dysfonctionnels. Gillis danse avec une chaise dotée uniquement de trois pieds. Plusieurs fois, elle tombe, elle s’irrite, elle déplore le siège cassé avant d’y trouver un équilibre parfait. Elle s’installe sur le bord de la chaise de telle sorte que le poids de son corps remplace le pied manquant : dans cette position, elle développe une chorégraphie impliquant surtout le haut du corps. Ce moment représente les transformations nécessaires pour continuer de s’épanouir corporellement dans le dernier âge. L’entièreté de l’œuvre est rythmée par la projection de dictons et de phrases philosophiques sur l’appréhension de la vieillesse. Ces phrases accompagnent la réflexion et les émotions dansées sous nos yeux.

La vieillesse est le plus grand ennemi des danseurs. En sommes-nous sûrs? Dans cette pièce,
Gillis remet en question cette affirmation. Le souffle de création l’accompagne et la mène dans de nouveaux axes de chorégraphie. La vieillesse est une transformation physique qui demande de revisiter la danse. Il s’agit de créer pour un corps différent : comme un sculpteur ne crée pas les mêmes sculptures avec du cuivre qu’avec de la terre cuite, un danseur n’exécute pas les mêmes mouvements à 18 qu’à 69 ans.

« Gillis refuse que son âge marque la fin de sa carrière »

Le grand succès de cette pièce est de captiver l’audience pendant une période de temps considérable avec un seul et unique artiste peu mobile sur scène. Grâce à une musique variée et intéressante, Margie Gillis nous propose une variété d’émotions. Sur la musique Les Vieux, du chanteur de variété française Jacques
Brel, Gillis imite les maniérismes vieillots avant de s’en libérer et d’entamer une chorégraphie plus vive. Vers la fin du spectacle, elle se met à taper du pied et à chanter a cappella le refrain de Savage Daughter. À chaque fois qu’elle le répète, elle grimpe sur un objet en hauteur et chante toujours plus fort, au point de crier. Elle fait un crescendo sur le dernier refrain, lentement, très proche de son audience, au niveau du sol, en employant une voix calme et confiante, sans monter dans les aigus. À travers les répétitions, elle représente les différents âges de la vie, dont le dernier est paisible, confiant, et plein de sagesse.

OLD est un éloge à la vieillesse. Gillis refuse que son âge marque la fin de sa carrière : d’après elle, il s’agirait plutôt d’une transformation de paramètres. Elle illustre bien les paroles célèbres du peintre français Georges Braques «Avec l’âge, l’art et la vie ne font qu’un.» De son côté, l’Agora de la danse tient sa promesse en mettant en avant des créations contemporaines avant-gardistes et diverses depuis sa création en 1991.

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Tout pour un coke dans ma vie! https://www.delitfrancais.com/2022/11/09/tout-pour-un-coke-dans-ma-vie/ Wed, 09 Nov 2022 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49794 Une transe anticapitaliste à l’Agora de la danse.

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Pourquoi sommes-nous là, assis dans l’obscurité d’une salle de théâtre, à attendre que quelqu’un s’adresse à nous, que le rideau s’ouvre et que le spectacle commence, quand nous pourrions au même instant combattre le capitalisme mondial?

Cette question, qui semble incongrue au premier abord, est pourtant bien au coeur du solo de danse théâtral imaginé et interprété par le danseur-chorégraphe montréalais David Albert-Toth à l’Agora de la Danse du 2 au 5 novembre derniers.

Pendant une heure, l’homme danse, s’agite, provoque rires et essoufflement, transe et questionnement dans une double proximité avec le public : d’abord, parce qu’il passe son temps à s’adresser à lui directement, les yeux dans les yeux, dans un bilinguisme inégalable ; ensuite, parce que les fauteuils de l’Agora sont disposés sur une pente tellement abrupte que le public manque de s’écraser sur la scène au moindre mouvement. Contredisant son nom, la disposition de la salle envoie un message clair : ici, la danse est reine, le mouvement est roi, et le spectateur n’a qu’à bien se cramponner à son strapontin.

Cofondateur avec Emily Gualtieri de la compagnie Parts+Labour_Danse, David Albert-Toth est un danseur, chorégraphe et compositeur qui, depuis plus d’une décennie, multiplie les collaborations artistiques à travers l’Europe et l’Amérique du Nord. Parmi les nombreuses créations de sa compagnie, on peut nommer : In mixed company (2013), La chute (2013) et La vie attend (2017).

Le spectacle commence de manière assez inattendue, puisque, le rideau encore fermé, l’artiste s’installe à quelques centimètres de l’auditoire, nu sous un peignoir de soie, et entame, dans une fausse introspection, une vraie harangue anticapitaliste. Le ton du solo est donné : à la fois décalé et profond, drôle et incarné.

En réinterprétant le supplice de Tantale, condamné par les dieux à souffrir pour l’éternité d’une soif et d’une faim inextinguibles sans possibilité physique de pouvoir satisfaire ni l’une, ni l’autre, David Albert-Toth explore l’un des grands paradoxes humains : l’infinitude du désir et l’éternelle insatisfaction qui en résulte.

À l’époque moderne, cette frustration semble d’autant plus minable qu’elle est générée par des mécanismes de marketing et de publicité fort galvaudés. Il s’agit de reconsidérer toutes ces choses qui nous font envie et que l’on ne peut atteindre qu’« à bout de bras».

Au paroxysme du spectacle, par exemple, le danseur épuisé, assoiffé, réclame au public une boisson gazeuse qu’il n’obtient pas. Alors il s’effondre, traîne son corps décharné tout autour de la scène. Mi-mendiant, mi-rappeur, il chante sa misère, sa frustration sans limite, et tout ce qu’il donnerait pour entendre s’ouvrir auprès de lui une canette de Coca-Cola. Dans cet instant, il aliénerait sa vie pour un lamentable coke. Au risque de déplaire à certains, À bout de bras semble parfois tenir davantage de l’improvisation, d’une expérience de transe inédite et personnelle, que d’un spectacle rigoureusement chorégraphié. Cette chorégraphie contradictoire, sans règle ni mesure, est aussi ce qui fait son charme et sa fraîcheur. Le spectateur se reconnaît sans difficulté dans cet individu contemporain que l’artiste singe, mime de manière frénétique et inspirée.

Au bout d’un petit moment, sans prévenir, on se laisse prendre à cette transe solitaire de l’homme moderne, et notre imagination nous joue des tours : les incantations répétées de l’artiste «tout est faux, all is fake» pour dénoncer l’illusion (du désir, de la vérité) nous interpellent. On en viendrait presque à mettre en cause la réalité de l’expérience qu’on est en train de vivre, à douter de l’existence même d’un homme sur scène.

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Folie meurtrière au théâtre Maisonneuve https://www.delitfrancais.com/2022/11/09/folie-meurtriere-au-theatre-maisonneuve/ Wed, 09 Nov 2022 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49793 Hofesh Schechter de retour à Montréal.

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C’est un véritable carnage sur la scène! Les uns sont pendus, les autres étranglés, fusillés, ou poignardés. Les corps gisent, cependant les morts ne le sont jamais vraiment : ici, chacun·e est à son tour victime et bourreau. Depuis la pénombre de la salle, les dix danseur·se·s semblent par moments ne former qu’un seul corps, qui s’agite et tournoie au rythme des balles dans ce qui s’apparente à un étrange ballet, à la fois comique et effrayant.

En représentation du 2 au 5 novembre derniers au théâtre Maisonneuve, le spectacle Double Murder, du chorégraphe anglo-israélien Hofesh Schechter, réunit deux pièces en apparence diamétralement opposées : The Clowns, une pièce qui fait partie du répertoire de la troupe depuis 2016, et The Fix, créée pour l’occasion. Avec la première, le chorégraphe, connu pour faire passer des messages forts, explore avec brio la place de la violence dans les sociétés modernes. La seconde, qui se présente comme un exutoire à cette violence, peine à briller dans son ombre.

«Le chorégraphe, connu pour faire passer des messages forts, explore avec brio la place de la violence dans les sociétés modernes»

Folie meurtrière

Si l’on dit que le ridicule ne tue pas, celui d’Hofesh Schechter, en revanche, semble plutôt sanglant. Portée par la musique originale du chorégraphe, The Clowns propose une critique déjantée de l’omniprésence de la violence dans nos vies quotidiennes. Les danseur·se·s, habillé·e·s de costumes que l’on croirait tout droit sortis du costumier de Radio-Canada , sont animés d’une folie meurtrière. Il·elle·s passent leur temps à s’entretuer, dans un esprit de joie et de célébration. Véritable cirque, cette chorégraphie empreinte d’humour noir brouille les frontières entre danse et mime. Faisant preuve d’une grande théâtralité, les interprètes adoptent des expressions faciales effrayantes, visibles depuis un siège au huitième rang. Et pourtant, en dépit de son extravagance, The Clowns sonne juste.

Panser les blessures

En contraste, The Fix apparaît plus portée vers l’intime, mais peut-être aussi plus effacée après l’intensité des Clowns. Finis les costumes grotesques et les pantomimes meurtrières, place aux T‑shirts amples et aux embrassades. The Fix, comme son nom l’indique, vient panser les blessures laissées par son prédécesseur. Cependant, quelque chose semble ne pas coller dans l’effet d’ensemble.

Après avoir été témoin de l’imagerie effrayante explorée pendant près d’une heure dans la première partie, difficile de baisser la garde et d’ouvrir grand ses bras pour accueillir les danseur·se·s dans une étreinte – puisque que ceux·lle·s‑ci se promènent à travers le public à la recherche de spectateur·rice·s à enlacer. Après le ridicule assumé de la première partie, cette seconde moitié opte pour un ton plus sérieux. Elle se présente comme une lueur d’espoir, un retour à la paix après les effusions de sang. Si la chorégraphie en elle-même est magnifique, face au ton satirique et noir qui l’a précédée, son message d’espoir un peu niais apparaît presque comme un défi – ou une raillerie ?- au·à le·a malheureux·se spectateur·rice qui oserait y croire.

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Tableaux mouvants https://www.delitfrancais.com/2022/10/19/tableaux-mouvants/ Wed, 19 Oct 2022 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49330 Au cœur de la danse contemporaine montréalaise.

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Danses buissonnières est une compilation de courts spectacles de danse contemporaine. Du 8 au 11 octobre se déroulait l’édition Automne 2022 dans l’espace Tangente. Danses buissonnières est une sélection de cinq œuvres de dix minutes chacune, élues par un jury d’artistes. Les chorégraphes sont tous des jeunes locaux qui font leurs débuts dans le monde de la danse professionnelle. La salle où se déroule le spectacle est assez intimiste, ce qui permet au spectateur d’apprécier la scène, les danseurs, leurs mouvements ainsi que leurs expressions faciales, quel que soit l’endroit où il est placé. De plus, certaines des créations sont accompagnées de musiciens, ce qui ajoute des dimensions à la fois visuelle et auditive très harmonieuses.

Une salle, cinq ambiances

En fonction des soirs de spectacle, les œuvres ne suivent pas le même ordre, mais quel que soit l’agencement, le public traverse cinq tableaux tous très différents. Le 8 octobre dernier, le programme a commencé par dix minutes envoûtantes où, sur une musique orientale, les danseuses Chanel Cheiban et Maude Laurin-Beaulieu ont enchevêtré leurs corps avec beaucoup de sensualité pour se transformer en une créature dysmorphique se balançant au rythme de la musique.

«En fonction des soirs de spectacle, les œuvres ne suivent pas le même ordre mais, quel que soit l’agencement, le public traverse cinq tableaux tous très différents»

Puis ce fut au tour d’Ernesto Quesada Perez d’interpréter Dépi temps de Mara Dupras. Dans cet hommage à la culture antillaise où la musique mêle berceuse guadeloupéenne et bribes de vers d’Aimé Césaire, on ressent à la fois de la joie et de la pitié pour le personnage sur scène qui alterne entre sourires et gestes de pantin désarticulé.

Le temps de changer le décor, et le public se retrouve dans un univers onirique où des ballons flottent sur scène. Jessica Muszynski danse avec un de ces objets de baudruche avec la légèreté d’une enfant avant de se faire engloutir par ses propres jouets. Soudain, on passe du rêve au cauchemar, de l’insouciance à la terreur en l’espace de dix fascinantes minutes.

«Enfin, alors que tous les spectateurs sont invités à se réunir en cercle sur la scène, nous assistons à un combat de danse électrique où Carlos-Alexis Mendoza et Kevin Tran s’affrontent et se coordonnent pour offrir un magnifique bouquet final»

Après un entracte d’un quart d’heure, le spectacle reprend dans une ambiance confortable où trompettiste, contrebassiste et batteur improvisent un air de jazz sur lequel Anna Duverne enchaîne danse effrénée et gestes lents qui vous éblouissent. Enfin, alors que tous les spectateurs sont invités à se réunir en cercle sur la scène, nous assistons à un combat de danse électrique où Carlos-Alexis Mendoza et Kevin Tran s’affrontent et se coordonnent pour offrir un magnifique bouquet final.

Technicité et accessibilité au rendez-vous

Durant tout le spectacle, les danseurs ont fait preuve d’une véritable technique: de la souplesse du chat à la force brute, de l’enchaînement d’une multitude de micro-mouvements sur des rythmes endiablés à la décomposition d’une gestuelle au ralenti. La maîtrise de leur corps était parfaite. Cette technique peut être appréciée et détectée par un œil peu habitué à la danse contemporaine, ce qui est très agréable et pas systématique dans d’autres spectacles.

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Par le mouvement plutôt que la parole https://www.delitfrancais.com/2022/10/05/par-le-mouvement-plutot-que-la-parole/ Wed, 05 Oct 2022 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49176 Entrevue avec le Centre national de danse-thérapie.

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Anna Aglietta est responsable du Centre national de danse-thérapie (CNDT), une division des Grands Ballets Canadiens, depuis mars 2021. Le Centre offre des interventions par la danse à diverses communautés, pour qui l’expression des émotions à travers la parole n’est pas toujours possible, en plus de former des danse-thérapeutes, et collaborer à différents projets de recherche. Le Délit a rencontré Anna Aglietta afin de discuter du travail et des projets en danse-thérapie et en danse adaptée du CNDT.

Le Délit (LD) : Le CNDT offre deux services: la danse-thérapie et la danse adaptée. Quelle est la différence entre les deux?

Anna Aglietta (AA) : Lorsqu’on parle de danse-thérapie, on parle vraiment d’une thérapie par le mouvement plutôt que par la parole, par exemple. On n’apprend pas la technique de la danse, mais plutôt, on utilise les mouvements en tant que formes d’expression afin d’atteindre certains objectifs liés au mieux-être global des gens. Les objectifs en danse-thérapie peuvent être très variés: au début de chaque projet, nous nous asseyons avec les intervenant·e·s de ceux-ci puis nous établissons ensemble ce que nous allons travailler, comment nous allons travailler ensemble, et quelles approches seront favorisées, afin que les séances de danse-thérapie soient vraiment bénéfiques pour les participant·e·s. Par exemple, récemment je suis allée dans un CHSLD pour un projet de danse-thérapie pour des personnes atteintes de troubles neurocognitifs tels que l’Alzheimer et de la démence. Dans ce projet, nous essayons d’utiliser la danse pour ralentir un peu la progression de la maladie, mais aussi pour créer de petits moments de connexion, parfois de deux secondes, d’autres fois de cinq minutes, entre les participant·e·s et le·a danse-thérapeute ou les intervenant·e·s. La mobilité et la forme physique sont aussi un peu travaillées.

Un autre projet de danse-thérapie du Centre a lieu dans une école pour enfants autistes, et là, la danse-thérapie sera plutôt utilisée afin de travailler la conscience du corps à l’interne et dans l’espace. L’expression non-verbale est aussi travaillée avec ces enfants, surtout avec les enfants non-verbaux·les, avec qui nous allons notamment travailler la reconnaissance et la gestion des émotions.

La danse adaptée, de son côté, c’est vraiment un cours de danse récréatif, mais qui est adapté aux besoins d’une population particulière. Par exemple, le Centre offre des cours de ballet pour enfants autistes, des cours de danse Broadway pour des personnes avec de la trisomie ou des déficiences intellectuelles. On a aussi des projets de danse adaptée dans des écoles pour jeunes autistes ou d’autres avec des personnes plus âgées. C’est vraiment une pratique de loisirs, mais dans un environnement plus sécuritaire qu’un cours de danse traditionnel, puis adapté aux besoins d’une certaine population.

«La profession de danse-thérapeute est relativement nouvelle au Canada, et elle est encore en émergence»

LD: Une recommandation d’un·e professionnel·le de la santé est-elle nécessaire pour participer à une séance de danse-thérapie?

AA: Non, nos cours publics sont ouverts à toutes et à tous, mais la majorité des participant·e·s sont choisi·e·s par les institutions avec qui nous avons des partenariats. Par exemple, nous travaillons avec des centres communautaires qui offrent des services variés tels que des cours de danse-thérapie avec le Centre. Malheureusement, la profession de danse-thérapeute n’est pas reconnue au Canada. Le Centre suit donc les standards américains de la American Dance Therapy Association pour assurer la formation de danse-thérapeutes au Centre ainsi que pour notre offre de services. Il y a cependant une association de danse-thérapie au Canada qui travaille actuellement à faire reconnaître la profession.

LD: Le Centre rencontre-t-il des obstacles en raison du fait que la profession de danse-thérapeute n’est pas encore reconnue au Canada?

AA: Oui et non. Oui, car pour nos projets destinés au grand public, ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre de participer à nos cours, comme ils ne sont pas remboursés par les assurances, contrairement aux séances de psychothérapie qui, elles, peuvent l’être par exemple. Une autre barrière causée par cela est que la danse-thérapie est aussi moins connue en général du grand public. La profession de danse-thérapeute est relativement nouvelle au Canada, et elle est encore en émergence; certains organismes ne connaissent pas du tout ce que le Centre fait, donc il y a aussi beaucoup de travail d’explications et de présentations à faire, mais la recherche aide beaucoup de ce côté-là, afin d’aider à démontrer les bienfaits de la danse-thérapie.

LD: Selon vous, la danse-thérapie est-elle suffisamment accessible au Québec pour celles et ceux qui en ont besoin?

AA: Je dirais que ça dépend. En ce moment, le CNDT a une vingtaine de projets et l’on travaille avec plusieurs organismes communautaires ainsi que du milieu de la santé qui rendent nos services de danse-thérapie accessibles à leurs membres. Par exemple, les personnes vivant avec des déficiences intellectuelles peuvent s’inscrire à nos cours à travers l’Association de Montréal pour la déficience intellectuelle. On offre aussi présentement un cours de danse-thérapie avec la Société Alzheimer de Montréal, un cours qui est gratuit pour les personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer. Pour les gens qui ne sont pas desservis par l’un de nos partenaires, par contre, la danse-thérapie est beaucoup moins accessible, car il faudra donc, la plupart du temps, s’inscrire à un cours privé, et cela devient plus dispendieux.

«La danse-thérapie permet de se concentrer sur le ressenti plutôt que de tenter de rationaliser les émotions à travers la parole»

LD: À quoi ressemble le déroulement typique d’une séance de danse-thérapie ou de danse adaptée?

AA: C’est très varié, et cela dépend beaucoup de la clientèle. Je ne suis moi-même pas danse-thérapeute, mais je dirais que ce que les séances ont en commun, est qu’elles débutent toutes par une période de présentations de tous·tes les participant·e·s, car créer un lien de groupe est toujours très important. Ensuite, il y a un échauffement, suivi d’une partie où les objectifs des groupes sont travaillés, et c’est vraiment la partie qui varie le plus d’un cours de danse-thérapie à l’autre. Il peut y avoir des chorégraphies, du travail individuel, ou encore en groupe ou en dyade. Pour finir, il y a un retour au calme, qui est une partie un peu plus méditative. Et selon les groupes, car ce n’est pas possible pour tous les groupes, il y a aussi une petite discussion de fin où l’on échange ensemble sur le déroulement de la séance, et sur l’expérience de chacun·e.

Avec les enfants et les personnes âgées, les séances durent habituellement de vingt à trente minutes, mais en moyenne les séances durent environ une heure. La régularité des séances est aussi très importante. Comme, par exemple, pour la psychothérapie ou un cours de ballet, une seule séance n’apportera pas de grands résultats, donc nous essayons d’offrir à chaque groupe des séances au moins une fois par semaine sur une période d’au moins 10 à 12 semaines lorsque le financement des projets rend cela possible, mais certains projets peuvent aussi durer jusqu’à un an, en excluant les vacances.

LD: Comment la danse-thérapie permet-elle de complémenter les autres services de thérapie que vous avez mentionnés plus tôt, tels que la psychothérapie par exemple?

AA: La danse-thérapie fait beaucoup appel au corps. Nous avons tous un peu tendance à exprimer nos émotions par nos corps, que ça soit juste en gagnant parfois en rigidité, ou en renfermant nos émotions dans nos corps. Avec la danse-thérapie, on travaille donc l’expression des émotions à travers le corps, sans avoir nécessairement à utiliser des mots. La danse-thérapie permet de se concentrer sur le ressenti plutôt que de tenter de rationaliser les émotions à travers la parole. Souvent, nous travaillons aussi avec des populations qui ne vont pas nécessairement exprimer verbalement leur ressenti pour des raisons diverses, et donc la danse-thérapie devient d’autant plus gagnante.

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« L’harmonie plutôt que l’unicité » https://www.delitfrancais.com/2021/10/05/lharmonie-plutot-que-lunicite/ Tue, 05 Oct 2021 15:06:58 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=44828 Le Délit s’entretient avec l’artiste multidisciplinaire Mélanie Demers.

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En 2007, Mélanie Demers fonde la compagnie de danse montréalaise MAYDAY afin d’« explorer le lien puissant entre le poétique et le politique ». Elle a présenté ses œuvres dans une trentaine de villes à travers quatre continents, en plus d’enseigner la danse au Kenya, au Niger, au Brésil et en Haïti. Le Délit s’est entretenu avec elle afin de discuter de la portée sociale de la danse contemporaine et de son spectacle La Goddam Voie Lactée, qui sera présenté du 6 au 9 octobre 2021 à l’Agora de la danse. 

Le Délit (LD) : L’été dernier, dans le dossier « Représentations de la violence » de la revue JEU, tu relèves notamment la violence que représentent « les histoires qui ne sont pas racontées. Les destins niés. Les corps non représentés ». Selon toi, que peut faire le milieu de la danse pour concrètement élargir la diversité représentée par ses interprètes et les sujets qu’il explore?

Mélanie Demers (MD) : Je pense que le milieu de la danse contemporaine est déjà en grand questionnement : comment décoloniser son enseignement, sa représentation, la représentativité, la façon de mettre en scène les corps? C’est une longue conversation qui existe depuis longtemps. Après, je pense que chacun·e d’entre nous, en tant que créateur·rice, sommes confronté·e·s au corps « idéal » qu’on nous a présenté comme étant un corps long, raffiné, allongé, blanc et proche des performances virtuoses du ballet. Puis, il y a les corps qui sont plus divers, qui sont changeants, vieillissants, handicapés, différents. Cette esthétique-là, pour moi, fait partie de mon travail, donc j’ai tendance à dire que chaque distribution que nous créons se veut une représentation idéale qu’on a du monde. J’essaie de mettre en scène non seulement des corps, mais aussi des cultures, des langues, des avenues, des possibilités, des âges différents. Pour moi, la mixité et l’hétérogénéité font partie de mon « idéal », étant moi-même une petite sang-mêlée, une petite métisse, c’est sûr que je vais toujours aller vers ces chocs culturels-là.

«La voix, plutôt que le toucher, devient le lien et le liant»

LD : Ce « monde idéal » que tu relèves dans la danse est-il en train de changer? Si oui, de quelles façons change-t-il?

MD : Je pense que oui. Le Québec blanc et francophone, par exemple, s’est pensé pendant très longtemps en tant que minorité, estimant qu’il était difficile d’intégrer d’autres minorités, mais là, maintenant, on est en train de réfléchir à la place de chacun et chacune, à l’ouverture, à l’inclusion. Je crois donc que ce monde idéal est en changement, mais c’est un mouvement; ce n’est pas quelque chose qu’on va atteindre demain matin. Cet inconfort-là, comment dire, d’essayer de se reconnaître dans ce qui n’est pas soi, c’est une quête… de vie!

LD : Peux-tu nous parler de ton spectacle La Goddam Voie Lactée, qui sera présenté du 6 au 9 octobre prochains à l’Agora de la danse?

MD : La Goddam Voie Lactée est née en réaction à la fois à la pandémie, à la résurgence des tensions raciales et à la deuxième vague #MeToo à Montréal. J’ai eu envie de créer un petit « safe haven », comme on dit, où, entre femmes, on allait justement réfléchir à nos destinées. J’ai aussi voulu créer une distribution où la féminité allait être plurielle, se contredire, s’enrichir pour créer des destins pluriels et ça, dans un désir de prendre la voix, la parole, le temps, puis de se montrer capable d’incarner une multiplicité de voix. Au départ, j’ai voulu travailler sur l’idée d’inachèvement, c’est-à-dire sur ce qu’on commence et ce qu’on abandonne, sur comment une idée naît du chaos puis devient ensuite autre chose. Puisqu’on était incapables de se toucher [en raison des règles sanitaires en vigueur], on a travaillé dans la distance. Pour permettre l’harmonie plutôt que l’unicité, on a beaucoup travaillé avec les voix ; la voix, plutôt que le toucher, devient le lien et le liant où les cinq performeuses se rencontrent. 

Le spectacle s’appelle La Goddam Voie Lactée, un peu en réponse à la chanson « Mississippi Goddam » de Nina Simone, où elle chantait que le Mississippi était maudit. Et moi je me suis dit : « je pense qu’on est rendues à une époque où c’est toute la galaxie qui est maudite. » On vit tous et toutes dans le même monde, et on est tous et toutes en train de le détruire. Le titre est en lien avec la mythologie : dans la mythologie grecque, La Goddam Voie Lactée est cette espèce de flaque de lait qui nourrit le monde. On a joué avec ces idées et avec une espèce d’esthétique rétrofuturiste de fausse science-fiction – évidemment, on est quand même sur une scène, il n’y a pas de soucoupes volantes – pour explorer l’idée de notre insignifiance dans l’Univers.

«On oeuvre entre la musique et le silence, entre les corps offerts et les corps cachés»

LD : Quels avantages, par rapport aux autres médiums artistiques, apporte la danse dans l’exploration des réflexions concernant l’actualité sociale?

MD : La danse a cette capacité d’évoquer. Au lieu de dire, elle évoque. C’est comme si la danse devenait une espèce de chambre d’écho, un porte-voix pour ce que le·a spectateur·rice ressent à l’intérieur. Les images ne sont pas prémâchées pour nous. Quand il y a de la danse, on travaille entre l’abstraction et le concret ; je travaille pour ma part entre le geste et la parole. On œuvre entre la musique et le silence, entre les corps offerts et les corps cachés ; le spectre des possibilités est tellement grand. Je crois que l’avantage de la danse consiste à pouvoir faire écho à ce qui existe chez le·a spectateur·rice plutôt que de dicter une pensée ou une morale. Cela m’intéresse moins que de faire jaillir ce qui existe de profond et marécageux chez la personne qui regarde.

LD : Penses-tu qu’en explorant ce « marécageux » et les possibilités plurielles, la danse ou La Goddam Voie Lactée pourraient être des outils de guérison?

MD : Je ne le pense jamais pour le·a spectateur·rice parce que je n’oserais pas m’affubler de cette tâche de guérison, mais la danse peut être un outil de guérison pour les gens qui la mettent en œuvre. En tout cas, ça l’a été pour moi, ce processus-là étant nécessairement très solaire, même si les thèmes abordés sont très noirs [dans La Goddam Voie Lactée]. La façon dont on l’a fait a été très légère avec beaucoup d’amour, beaucoup de rires, de dérision, de partage… Est-ce que ça peut être un outil de guérison? Probablement, pour les gens qui le font. Pour les gens qui le regardent, je n’oserais pas m’avancer, ce serait peut-être un petit peu présomptueux de ma part, mais tant mieux si ça crée un impact, un inconfort, une réflexion, un désir, une action. 

LD : Peux-tu nous parler de ta collaboration avec la compositrice, musicienne et chanteuse Frannie Holder?

MD : Ma rencontre avec Frannie a été vraiment déterminante dans mon parcours. Elle m’a appelée un jour, et depuis on s’est adoptées mutuellement dans nos vies amicale et artistique. Pour La Goddam Voie Lactée, on a commencé par des cours de chant avec elle, puis elle a fait la musique. Ça tombait ensuite sous le sens qu’elle devait être sur scène, donc on l’a vraiment, disons, adoptée, puis intégrée à l’œuvre dont elle est devenue partie prenante. On ne pourrait pas faire La Goddam Voie Lactée sans elle. 

«Tant mieux si ça crée un impact, un inconfort, une réflexion, un désir, une action»

Puis, pour Confession publique (présenté du 29 novembre au 4 décembre à La Chapelle, ndlr), elle a un rôle beaucoup plus discret, en périphérie. Elle n’est pas sur scène, mais elle en crée l’univers sonore. Ce spectacle s’articule vraiment autour d’Angélique Willkie et de son matériel biographique, mais c’est certain que Frannie est devenue une collaboratrice très importante, non seulement parce qu’elle  joue le rôle déterminant dans la conception musicale, mais aussi parce qu’elle a un regard éditorial dramaturgique sur ce qui est proposé. C’est donc très intéressant de discuter avec elle, comme avec toutes les collaboratrices avec lesquelles je travaille, d’ailleurs. J’essaie vraiment de créer des petites familles artistiques. Je dois dire que je suis vraiment bien entourée ces temps-ci.

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Danser l’artificialité https://www.delitfrancais.com/2021/09/21/danser-lartificialite/ Tue, 21 Sep 2021 15:02:12 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=44626 Le corps humain et l’artificialité dans 6.58 : Manifesto.

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Dans 6.58 : Manifesto, Andrea Peña interroge les relations et les interactions entre le corps humain et l’artificialité dans une chorégraphie qui réunit neuf interprètes et la chanteuse soprano Erin Lindsay.

Vulnérabilité sur scène

Au moment de l’entrée en salle du public, quelques interprètes en sous-vêtements noirs s’installent déjà sur scène au rythme d’une musique de fond onirique. Le décor composé de quatre murs blancs et de chaises noires rappelle la sobriété d’une loge. C’est de cette façon que les interprètes l’utilisent, car certain·e·s s’étirent et s’échauffent alors que d’autres enfilent leur costume. Cette vulnérabilité montrée par ce parallèle entre la loge et la scène amorce la réflexion apportée par le spectacle : comment interagissons-nous avec l’artificialité et vice-versa? 

Le premier tableau de 6.58 : Manifesto débute par un message énoncé par une voix artificielle qui nomme les interprètes un·e à un·e et leur ordonne d’aller à un endroit précis. À la fin du tableau assez exigeant, les interprètes sont à bout de souffle, mais ne quittent pas le public du regard. Plutôt, ils et elles utilisent à nouveau la scène en tant que loges pour boire de l’eau et s’étirer.

La vulnérabilité des interprètes ainsi mise en scène s’avère être une intéressante façon d’explorer la relation entre le corps humain et l’artificialité. En demeurant sur scène, les interprètes demeurent assujetti·e·s à la chorégraphie de 6.58 : Manifesto et au regard du public, mais de façon parallèle, les mouvements souvent saccadés et le rythme rapide de la chorégraphie suggèrent que la fatigue des interprètes entre les tableaux nécessite de réels moments de pause. Cette ambiguïté quant à la nature artificielle ou non des transitions entre les tableaux crée alors un inconfort productif chez le public puisque le regard de ce dernier devient presque intrusif lorsqu’il observe les interprètes à bout de souffle. Néanmoins, en restant sur scène, les danseurs et danseuses invitent concurremment le public à les observer.

Intimes artifices

Dans les deuxième et troisième tableaux du spectacle, la chorégraphie se concentre davantage sur l’artificialité et les interactions humaines. Le deuxième tableau met notamment en scène les interprètes dans des mouvements très complémentaires et le troisième tableau rassemble les interprètes en paires dans une série de contacts physiques rapprochés. En raison du nombre impair d’interprètes, lorsque ces derniers et dernières sont rassemblé·e·s à deux, au moins un·e interprète doit effectuer les mouvements seul·e. Ce nombre impair devient alors aussi une façon d’explorer l’artificialité puisque la sensualité des contacts physiques entre les interprètes en paires crée l’impression qu’une grande intimité lie ces derniers et ces dernières. Cependant, puisque les interprètes seul·e·s effectuent les mêmes mouvements que ceux et celles placé·e·s en paires, la chorégraphie semble interroger la facticité de cette intimité chorégraphiée.

Malgré une exploration assez détaillée des interactions entre le corps humain et l’artificialité, les réflexions amenées par 6.58 : Manifesto demeurent ouvertes et la répétition des même tonalités de chant d’opéra qui accompagne les danseurs et danseuses dans le dernier tableau, quoique très puissantes, peut contribuer à laisser une impression d’inachevé. L’originalité de la chorégraphie d’Andrea Peña et l’important effort physique des interprètes et de la chanteuse soprano méritent cependant le détour.

6 : 58 Manifesto sera disponible en webdiffusion du 24 septembre au 2 octobre.

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Réinventer le ballet blanc https://www.delitfrancais.com/2021/02/16/reinventer-le-ballet-blanc/ Tue, 16 Feb 2021 13:56:37 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=41951 Quand la diversité s’unit à la tradition.

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Les ballets blancs, terme technique décrivant des scènes de style romantique, spirituel et mystérieux, aux jupons vaporeux et virginaux, sont apparus pour la première fois durant la première moitié du 19e siècle et sont considérés comme l’archétype du ballet classique. Ces histoires issues du surnaturel, des sentiments douloureux et des idéaux de la vertu féminine se traduisent par une esthétique immaculée sur scène. Le corps du danseur ou de la danseuse de ballet, la blancheur de leurs costumes et l’ambiance bleutée de la scène contribuent à l’atmosphère surréelle qui règne dans la salle.

Pourtant, ces scènes traditionnelles, devenues des classiques dans le monde de la danse, peuvent être restrictives pour plusieurs. Cette «blancheur» ardemment recherchée par les directeurs artistiques et chorégraphes se traduit pour certains en micro-agressions. Pour d’autres, cela signifie même une opportunité de moins dans le monde professionnel de la danse. En vue des traditions européennes fortement ancrées dans la danse classique, comment peut-on s’assurer que cet art restera vivant dans un monde de plus en plus globalisé et diversifié? Selon Vanesa García et Jordan Faye, deux danseurs des Grands Ballets Canadiens de Montréal, tout commence au bas de la pyramide.

«Plus on grandit, plus on se développe dans le monde des adultes, et plus on perd cette innocence qui nous permet d’ouvrir les yeux sur certaines problématiques sociales»

Vanesa García

Vanesa, de son rire contagieux, me raconte ses débuts dans le milieu; elle voulait être comme les ballerines et princesses qu’elle voyait à la télévision. Dans son Espagne natale des années 1990, elle a souvent été la seule noire parmi ses autres camarades.  Mais elle «ne réalisait pas qu’elle était différente». Elle pense que «plus on grandit, plus on se développe dans le monde des adultes, et plus on perd cette innocence qui nous permet d’ouvrir les yeux sur certaines problématiques sociales». Pourtant, son amour pour la performance et cet art «si humain», comme elle le décrit, l’a motivée à auditionner au Conservatorio Profesional de Danza de Madrid et l’a même suivie aux Grands Ballets. Au travers de ses créations chorégraphiques, elle cherche à favoriser l’aspect humain de la danse pour raconter des histoires par le mouvement. Elle pousse constamment ses limites en utilisant ses connaissances et différentes techniques pour «trouver du confort dans l’inconfort». Du flamenco, au moderne, en passant par le popping et le locking, rien ne l’arrête pour aller au-delà de la scène et rejoindre le public. Pour elle, raconter des histoires est intrinsèque à l’art de la danse. Cela passe non seulement par le mouvement, mais également par la musique, tout aussi indispensable. La musique lui fait voir directement la chorégraphie et lui permet d’utiliser les mouvements comme vaisseau pour narrer ses contes et ses messages.

Jeffrey Rosenberg | Le Délit

Jordan, quant à lui, a grandi dans une commune à quelques kilomètres de Lyon, où sa passion pour la musique s’est rapidement liée à sa passion pour la danse classique. Lui aussi est issu d’une minorité dans la France du début du 21e siècle. Quelques années plus tard, après avoir poursuivi son parcours à l’École supérieure de ballet du Québec, il participe au Youth American Grand Prix, une compétition de renommée internationale invitant les danseurs les plus doués venant des quatre coins du monde à présenter diverses variations et solos. Ces compétitions permettent de mettre en valeur le talent, les efforts et le travail acharné de multiples artistes de la danse, et cela sans se préoccuper de l’image d’une compagnie ou de l’histoire d’un ballet traditionnel. Jordan m’explique : «Il y avait à cette compétition d’autres danseurs de couleur qui me ressemblaient. C’était la première fois que je partais avec quelques élèves de ma classe aux États-Unis et que je voyais des danseurs brésiliens, asiatiques, sud-américains.» Il réalise donc rapidement qu’il «n’était pas si spécial ni différent que ça», et que tout le monde a la capacité de percer dans le milieu, et ce, sans se préoccuper des différentes origines de chacun.

«On ne peut pas s’attendre à ce qu’un public diversifié s’intéresse à ce qu’il voit sur scène s’il ne s’y voit pas représenté correctement»

Jordan Faye

Les deux danseurs s’entendent pour dire que «le ballet, c’est élitiste». Jordan s’estime chanceux d’avoir eu des parents réceptifs à ses rêves et qui désiraient s’impliquer dans sa passion. Vanesa raconte avoir eu la chance d’avoir l’appui de ses proches, mais aussi d’avoir grandi dans un pays où l’éducation et l’accès à la danse étaient pratiquement gratuits. Sa famille, assez modeste, «n’aurait décidément pas eu les moyens financiers de payer un parcours professionnel en danse aux États-Unis», par exemple. Jordan souligne également «qu’ici, au Québec, le plus cher n’était pas nécessairement l’école de ballet, mais bien l’enseignement privé qui venait avec le programme obligatoire de l’ESBQ». Mais qu’advient-il de ces gros écarts culturels entre les communautés qui affecteraient l’accessibilité à la danse ?

«Les gens au sommet de la pyramide doivent donc également s’assurer d’être diversifiés et de représenter toutes sortes de personnes de toutes sortes de milieux»

«On ne peut pas s’attendre à ce qu’un public diversifié s’intéresse à ce qu’il voit sur scène s’il ne s’y voit pas représenté correctement», dit Jordan. Et pour arriver à un corps de ballet plus diversifié, il faut s’assurer d’éliminer les micro-agressions comme le blanchiment de la peau dans lesdits ballets blancs, par exemple. Selon Vanesa, «il faut aussi s’ouvrir à l’idée qu’une danseuse noire peut posséder une technique exquise et qu’elle peut danser le rôle de la Fée Dragée aussi bien qu’une danseuse blanche. Le racisme est incroyablement présent dans le monde du ballet et ces choses changent, oui, par l’intérêt des communautés à danser, mais aussi en offrant des possibilités à ces communautés de participer». Les grands directeurs artistiques et les dirigeants des compagnies de danse sont d’autant plus responsables de créer un espace plus sain pour les personnes de couleur pour ainsi y inviter la diversité. Dans le même ordre d’idées, les gens au sommet de la pyramide doivent donc également s’assurer d’être diversifiés et de représenter toutes sortes de personnes de toutes sortes de milieux.

Selon Vanesa, la tradition ne devrait pas se voir affectée par ces changements au sein du corps professionnel de la compagnie. «Les histoires demeurent les mêmes, ce sont seulement les danseurs qui changent au fil du temps.» Des ballets extrêmement populaires tels que Casse-Noisette et La Bayadère ont souvent causé des polémiques intenses. Accusés de stéréotyper incorrectement les différentes cultures représentées, ces ballets orientalistes découlent de l’ère colonialiste des grandes puissances européennes et de la fascination pour l’Orient, et, surtout, ne prennent pas le temps de représenter ces cultures correctement. Les deux danseurs s’entendent une fois de plus pour dire que le changement débute avec des créateurs, des chorégraphes et des répétiteurs aussi divers que les cultures qu’ils veulent présenter sur scène.

Jeffrey Rosenberg | Le Délit

En diversifiant les échelons du monde de la danse classique, le public global et diversifié du Québec s’y verra représenté et sera d’autant plus intéressé à en faire partie. «J’espère qu’il arrivera un jour où les gens ne seront plus surpris de voir une danseuse noire dans Le Lac des cygnes», déclame Vanesa avec une expression indignée au visage. En attendant, les danseurs souhaitent être vecteurs de changement. «Oui, être un danseur noir est important, et être perçu comme un modèle pour d’autres enfants est important, mais il faut aller au-delà de cela», m’explique Jordan. Inciter les plus jeunes à découvrir la danse à travers des ateliers et leur faire voir un autre visage de la danse le passionne.

Lesdits ballets blancs pourront donc garder les détails et les histoires ancrées dans la culture et le monde de la danse tout en étant colorés et représentatifs de la population, assurant ainsi leur capacité à s’adapter aux temps modernes tout en maintenant la magie et l’atmosphère unique qui fait la différence depuis plusieurs années.

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Calendrier culturel https://www.delitfrancais.com/2021/01/12/calendrier-culturel-8/ Tue, 12 Jan 2021 14:06:47 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=40302 Quelques événements culturels auxquels vous pouvez assister dans le confort de votre salon.

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La section Culture vous propose ces cinq événements artistiques et vous invite à encourager la culture dans cette période difficile. Les événements seront disponibles entre janvier et mars sur vos plateformes numériques préférées.

Danse : Tangente.
Musique: Igloofest.
Théâtre: La Licorne.
Documentaire: Tënk.
Exposition: Musée McCord.

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Exorciser la solitude https://www.delitfrancais.com/2020/10/06/exorciser-la-solitude/ Tue, 06 Oct 2020 14:00:59 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=37893 La compagnie Marie Chouinard nous offre une panacée contre la solitude.

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Vers la fin septembre, la Compagnie de danse contemporaine Marie Chouinard, établie à Montréal en 1990, a présenté l’événement en ligne Time for time. Au-delà des excellentes chorégraphies et des danseurs et danseuses hors pair, ce qui rend cet évènement digne de mention en cette période trouble, c’est que la troupe de danse offrait aux spectateurs et spectatrices de participer à un concept inédit : une performance créatrice participative. Le milieu de la danse, forcé de mettre temporairement la clé sous la porte en emboitant le pas aux cinémas, aux salles de théâtre, aux cabarets d’humour, etc., s’est vu donner une opportunité pour se réinventer. Cette opportunité, La Compagnie Marie Chouinard l’a empoignée de toute sa vigueur créatrice.

Outre le fait qu’elle innovait déjà en donnant l’opportunité aux spectateurs et spectatrices d’accéder à la représentation de danse sur la plateforme numérique Zoom en temps réel sur trois fuseaux horaires différents, l’immense innovation se trouve dans le fait que la Compagnie ait été en mesure de créer un événement de danse interactif qui prenait forme en fonction des thèmes et des souhaits que les participants et participantes soufflaient aux danseurs et danseuses.

Blessures psychiques

Au plus fort de l’effet de programmation qui agissait sur nos corps et esprits confinés en nous rappelant constamment qu’il fallait fuir toute forme de collectivité, cette représentation de danse venait incarner des concepts d’inclusion vers une nouvelle forme de « collectif » : une sorte d’unicité dans nos solitudes collectives. Un moyen d’interagir pour se sortir de ce repli sur nous-mêmes ; pour reprendre un certain contrôle et pour réparer les blessures insidieuses en nous-mêmes que l’on ne soupçonnait même pas.

Les sentiments de solitude et d’isolation forcées peuvent possiblement, à long terme, émuler les symptômes d’une dépression. La plupart des gens utilisent des mécanismes de défense en lien avec le divertissement pour tenter de se sortir de ce marasme émotionnel. Cependant, de plus en plus de divertissements numériques ont tendance à creuser ce fossé solitaire plutôt que d’y remédier. Time for time n’est pas l’un de ceux-là, car il met de l’avant le collectif.

Diachylons physiques

Le concept de participation du public à la prestation est primordial, car il permet une catharsis plus profonde. La confidence du spectateur et de la spectatrice qui dicte à l’artiste son souhait agit presque selon des mécanismes thérapeutiques. Le transfert de la souffrance individuelle s’exorcise par le corps de l’autre et disparait dans la beauté de l’art. Pendant trois minutes, le danseur ou la danseuse devient le spectateur ou la spectatrice, et le spectateur ou la spectatrice devient le danseur ou la danseuse. C’est dans cette symbiose que la magie d’un retour au collectif s’opère.

Time for time remet en perspective notre façon de consommer l’art vivant en mettant l’individualisme en dichotomie avec l’intersubjectivité

Le fait que la danse soit improvisée par les intuitions profondes de l’artiste à partir d’un désir du public ouvre un espace de communication double, fluide et fécond. Ce n’est plus qu’un simple divertissement ou qu’une simple purge par les sens extérieurs ; le concept s’intériorise et fait en sorte que le spectateur et la spectatrice participe au processus de création et l’observe du même coup dans sa version achevée. Le spectacle nous fait expérimenter la rencontre intersubjective fusionnelle entre deux êtres qui tentent de transfigurer leur malaise existentiel en une dialectique menant au changement, au progrès et à une certaine forme de thérapie. Cela remet en perspective l’importance de l’intersubjectivité et du collectif dans l’atténuation de la solitude, ou peut-être même dans sa guérison.

Time for time remet en perspective notre façon de consommer l’art vivant en mettant l’individualisme en dichotomie avec l’intersubjectivité ; la performance renverse les anciens schémas stipulant que l’art repose sur un triangle créatif : le créateur ou la créatrice, la création, le public. Avec ce concept innovateur, la troupe de danse fait en sorte que le public créé, le créateur ou la créatrice reçoit, et c’est seulement ensuite que le danseur ou la danseuse érige l’œuvre à partir de tout cela et qu’elle est finalement découverte par le public.

Avec cette réflexion, je vous invite à porter une attention particulière à la Compagnie de danse contemporaine Marie Chouinard pour leurs projets futurs, mais également aux enjeux de solitude en société, et en quoi la culture et l’art agissent dans le monde comme de réels vecteurs de changement et à titre de baume psychologique en ces temps troubles.

Si vous êtes intéressés ou intéressées, visitez-les sur leur site mariechouinard.com

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De la musique aux corps idéaux https://www.delitfrancais.com/2020/02/25/de-la-musique-aux-corps-ideaux/ Tue, 25 Feb 2020 15:15:51 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=35857 Les Grands Ballets présentaient Danser Beethoven.

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Les Grands Ballets et leur orchestre nous présentaient ce 19 février dernier la première de Danser Beethoven. Les chorégraphes Garrett Smith et Uwe Scholz ont tous deux relevé le défi de transposer respectivement les 5e et 7e symphonies du grand compositeur Ludwig van Beethoven à la danse. Retour sur ce ballet époustouflant.

Symphonie no. 5

Plusieurs connaissent la cinquième symphonie de Beethoven, du moins pouvons-nous en décrire un ou deux des nombreux motifs. Cela en fait un choix assez traditionnaliste pour les Grands Ballets, qui peuvent tout de même être célébrés pour leur audace, en raison de la chorégraphie même qu’ils ont mise de l’avant – une chorégraphie intempestive aux formes classicistes. Rompant avec certaines des récentes productions de la plupart des grandes compagnies de ballet, le choix a été de respecter la musique.

Cette symphonie représente le motif même du destin. La mise en scène rappelant la table à tisser des grandes Parques – de longs fils dorés descendaient du plafond jusqu’au sol – n’échappait pas à cela. Un mot nous suivait : fatum. Les danseur·euse·s glissaient entre les fils, déployant par-delà les différents mouvements la nécessité inextricable à laquelle nous appartenons tous·tes. La noblesse des formes était toute simple, tant fut que les corps se sont prêtés à la représentation de ce qui les dépassaient.

Dans ce jeu si familier, au troisième mouvement, une lumière oblique traversait la scène, véritable rencontre de l’éclaircie. Une danseuse se tenait en plein cœur de la lumière, rejointe très rapidement par deux autres danseurs ; l’humain n’est pas sans l’autre ; notre identité est en litige avec celle des autres. Seule la trame du grand jeu des tonalités nous rappelle notre unicité : nous n’avons tous qu’un seul fil, le nôtre.

En égard au classicisme, la chorégraphie est donc un prodigieux succès. Elle nous rappelle le vieil adage grec ancien qu’il ne peut être de corps mort qui regarde le soleil – c’est là l’une des prérogatives du vivant, cette conjugalité mondaine avec l’étoile. La lumière chaude dorée qui abonde sur des corps lustrés durant le sempre più allegro du dernier mouvement nous rappelle un instant, par démesure, que le corps n’est qu’une idée qui n’a de consistance que sous sa lumière.

Symphonie no. 7

Si la chorégraphie de la cinquième symphonie faisait hommage au doré du soleil, celle de la septième danse est un hommage au blanc de la lune. Les danseur·euse·s semblaient représenter les mouvements de l’eau-même, tout en faisant penser à des cygnes navigant sur un lac baignant dans une atmosphère nocturne. Richard Wagner avait qualifié la septième symphonie de Beethoven d’une « apothéose de la danse » : cette seconde partie du spectacle est davantage un ballet classique, à la fois languissant et bondissant. Les performances sont souriantes, dans une chorégraphie romantique, d’une gracieuseté plus traditionnelle.

Le grand espace de la scène est plus occupé dans cette chorégraphie, où la profondeur est remplie par la grande quantité de danseurs et danseuses. Le chorégraphe joue avec la répétition des enchaînements de mouvements, offrant des rappels tout au long de la symphonie. L’agencement des costumes et des décors est plus stable, alors que les premiers sont blancs et ne changent pas, et que les seconds ne se résument qu’à des projections sobres différentes à chaque mouvement. À la musique de l’orchestre s’ajoutent les martèlements délicats des pointes des danseuses. C’est un ravissant duo sonore typique du ballet.

Parmi le grand talent des danseur·euse·s, le demi-soliste André Santos mérite une mention spéciale pour son exceptionnel charisme scénique. Sa présence obnubile le regard aussitôt son entrée sur scène : sa maîtrise est à souligner, sa force de vivre se faisant remarquer dans chaque mouvement.

Danser Beethoven coupe le souffle de par sa beauté chorégraphique et scénique. Les admirateur·rice·s de ballet en seront remué·e·s.

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Radicale Vitalité, puissants éclats https://www.delitfrancais.com/2020/02/04/radicale-vitalite-puissants-eclats/ Tue, 04 Feb 2020 15:16:43 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=35542 Les danseur·euse·s de la Compagnie Marie Chouinard déroutent et étincellent.

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Il n’est pas nécessaire de la présenter à quelqu’un qui connaît bien la scène de la danse contemporaine : Marie Chouinard, chorégraphe et danseuse québécoise, ne cesse de créer depuis les années 1970 et collectionne les distinctions. Une semaine entière de la saison 2019–2020 de Danse Danse a été consacrée à ses productions, incluant RADICALE VITALITÉ, SOLOS ET DUOS, dévoilée pour la première fois en Amérique.

Constitué de morceaux originaux ainsi que d’extraits d’anciennes pièces de la chorégraphe, Radicale Vitalité est composé d’une multitude de performances qui ne durent que quelques minutes — même si certaines semblent durer beaucoup plus longtemps tant elles sont puissantes (et c’est voulu). Marie Chouinard, dans sa conception du spectacle, a remanié et revisité d’anciennes scènes — en en modifiant les décors, les sons ou les costumes — pour nous livrer un produit final magnifiquement fragmenté.

Plein la vue

La scène complètement vide est un immense terrain de jeu pour les danseur·euse·s en solo ou en duo. Elle se transforme complètement d’une luminosité à l’autre : chambre à coucher, espace industriel, studio photo, enfer, paradis. On passe d’un duo énergique sur fond blanc à une mise en scène complètement noire, où une caméra braquée uniquement sur le visage d’une danseuse dévoile en noir et blanc sur un écran géant une chorégraphie de ses yeux, ses joues, sa bouche, pendant de longues minutes.

Le travail des danseurs et danseuses est époustouflant : en plus d’effectuer des mouvements qui semblent défier les capacités normales du corps avec une aise à peine croyable, tous leurs gestes racontent l’histoire qu’iels se sont fait le devoir d’incarner. Iels ne font pas que danser : iels poussent des cris, sanglotent, éclatent de rire, se font mal, s’embrassent. Leurs agissements sont précis et convaincants : nous sommes dans leur vie.

L’extravagance des émotions

Radicale Vitalité n’endort personne puisqu’elle ne fait que jongler entre les extrêmes. On témoigne d’amours qui se contrastent : un couple où l’homme est parfaitement statique alors que sa partenaire s’accroche à lui comme un koala et lui lèche tout le corps, puis un couple qui se bat du début à la fin, alternant le rire endiablé et les larmes désespérées selon qui domine la lutte, ou encore un couple surexcité où chacun·e redécouvre l’orgasme l’un·e après l’autre.

Mais justement, on n’y parle pas que d’amour ou de sentiments graves : Marie Chouinard nous fait des blagues tout au long du spectacle, par clins d’œil en plein milieu d’intensité ou par le biais de performances entières complètement absurdes. À la fin de chaque moitié (le spectacle est divisé en deux par une très courte pause, mais sans entracte), tous les danseur·euse·s se réunissent sur scène, muni·e·s de masques géants qui couvrent leur visage — des masques de vieillards, puis des masques de bébés —, qui ont l’air très réaliste tout en étant en totale inadéquation avec leurs corps. En vieillards, ils dansent de manière ridicule, en bébés, ils se pavanent entièrement nus. Tout est déstabilisant et ne provoque que des réactions excessives. Et qu’on s’y connaisse ou pas en danse contemporaine, Radicale Vitalité frustre, parce que ses performances nous font sentir qu’on en garde tous·tes un peu trop à l’intérieur. Et à force de cris, de sauts, d’étreintes et de coups, les danseurs et danseuses de la compagnie nous donnent tous·tes envie de vivre l’amour et l’absurde de manière un peu plus forte.

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O Fortuna https://www.delitfrancais.com/2019/10/08/o-fortuna/ Tue, 08 Oct 2019 13:09:19 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=34577 Triste inadéquation entre musique et danse aux Grands Ballets.

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Les Grands Ballets Canadiens proposent du 3 au 19 octobre 2019 une adaptation de la célèbre composition de Carl Orff, Carmina Burana. Le chorégraphe roumain Edward Clug y présente une chorégraphie rompant avec la musique qu’elle est censée célébrer. Retour phénoménologique sur une adaptation qui, bien que globalement formidable du point de vue des artistes, a manqué au niveau chorégraphique.

Danse et musique

La danse est un art déduit du mouvement de la vie humaine. Elle est l’une des définitions incarnées de la maîtrise. Ce n’est pas ce qui manquait au spectacle. Les limites de l’interprétation symbolique de Clug se faisaient sentir dans les gestes décidément décalés des danseurs par rapport à la musique. Une tout autre musique à la même symbolique aurait parfaitement convenu à la maîtrise de la distribution. On ne pourra certainement pas en vouloir à la cantate d’Orff. De la même manière, on s’attendrait à ce qu’une chorégraphie suive la musique des cantates de Vivaldi.

En vérité, les gestes manquaient cruellement à leur devoir envers la musique qu’ils devaient par ailleurs célébrer. Nous sentions presque deux courants différents, chacun tentant de nous ravir à leur attention. D’une part, les gestes nous appelaient à prolonger la chorégraphie, tandis que la musique nous appelait à des hauteurs desquelles les gestes n’étaient que les rares invités. De surcroît, le plus terrible était peut-être les souffles contraires auxquels nous conviaient les différents arts croisés.

Sasha Onyshchenko

Danse et chair

Cela dit, la danse pouvait — prise en elle-même — suffire d’une certaine manière. Tapis dans un grand cercle rituel, la lumière déclinait le rouge et le noir d’une manière grave. Il y avait le tragique du gigantesque anneau s’abattant sur tous dans le son des cuivres. La mise en scène relevait bel et bien des textes profanes desquels sont tirés Carmina Burana.

Le rapport des rapports était sacralisé entre les sexes : Homme et Femme — deux régimes de corps aux grâces différentes et répétées. Nous sentions une altérité des sexes en tension, en même temps qu’une fusion des sexualités. Le prodige de ces corps narguait la vieillesse des spectateurs ; que pouvaient-ils tous penser? Peut-être y trouvaient-ils une enceinte de résonance dans laquelle la mémoire de leurs muscles ternes s’excitait à nouveau.

Il y avait de l’étonnant à voir ces corps masculins joncher les bras des femmes. Moi qui n’aie grandi qu’avec des femmes, j’ai toujours su que la prétention « masculine » à la force — armée de la « Raison » — n’était que l’expression pathologique d’insécurités que l’on peine à saisir. L’étonnant consistait donc à rétablir publiquement ce que de nombreuses personnes connaissent dans leur intimité ; le dé-voilement de ce qui, pour plusieurs, va de soi. La caresse dansée de la main d’un homme sur le corps d’un autre apparaît hors de tout doute pareille à une beauté simple sur laquelle notre culture ne se permet que trop rarement l’indiscrétion du regard.

J’avais pour ma part le souffle court à la vue de tous ces corps ; Dionysos célébré à chacun de leurs pas. Le clair-obscur découpait des corps dont nous savions la chair ferme. Pareil à l’effet de la vague sur la grève, l’obscurité s’échouait sur des musculatures découpées par la répétition. La luminosité nous faisait croire qu’ils étaient nus. Il m’est venu à l’esprit un moment que la danse contemporaine que j’avais devant moi, lorsqu’elle s’éprenait enfin du chœur, avait les allures d’une orgie des âmes. Avec des chants chrétiens, il y avait de quoi faire. « Sors salutis mecum omnes plangite » (la chance accable un héros)!

Présenté à la salle Wilfrid-Pelletier jusqu’au 19 octobre.

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Éveiller ses sens https://www.delitfrancais.com/2019/10/02/eveiller-ses-sens/ Wed, 02 Oct 2019 13:39:24 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=34523 Retour sur Danse mutante et Antichambre à l’Agora de la danse.

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L’Agora de la danse a débuté sa saison d’automne à l’édifice Wilder ce 17 septembre dernier avec Danse mutante de Mélanie Demers et poursuivait cette semaine avec Antichambre d’Aurélie Pedron. Avec ces deux performances, l’Agora reste fidèle à sa mission : inviter le public à vivre des expériences de danse contemporaine diverses et lui permettre de percevoir le monde autrement. Danse mutante présente quatre chorégraphes pour un seul duo de danseurs et le tout se déroule comme un relais. Durant celui ci, le public découvre quatre performances riches en sons, lumières et provocations. Dans Antichambre au contraire, le·a spectateur·rice fait partie intégrante de l’œuvre. Il·elle est plongé·e dans la pénombre et le silence, et accède à une expérience sensorielle incomparable. Ces deux spectacles, qui engagent le public de manière bien différente, se rejoignent sur certains points, notamment par la sensualité qui se dégage à travers les deux performances et leurs interprétations innovantes de la danse. 

Destruction, reconstruction et malaise

Danse mutante invoque l’art de la destruction puis de la reconstruction. La chorégraphie originale de Mélanie Demers est réinterprétée trois fois durant les deux heures et demie que durent la performance. Le duo de danseurs démarre dans un décor épuré, presque nu et avec pour seuls attributs une serviette et une canette. Ils se peignent le visage puis commencent lentement à danser sans se toucher, puis se rapprochent et finissent par s’enlacer. Cette première partie est pleine de sensualité et d’élégance, mais est interrompue par une séquence durant laquelle les deux danseurs parlent puis crient, en fixant l’audience comme s’ils s’adressaient à elle. Ce passage, qui tente d’impliquer les spectateurs, n’a pas l’effet escompté et brise le bel équilibre du début. Dans la version suivante, d’Ann Liv Young, les danseurs endossent de nouveaux rôles et enfilent perruques et robes. Ce changement radical provoque de nombreux rires au début, mais, alors que la performance se prolonge, les allusions au harcèlement sexuel se multiplient pour finalement se terminer par une simulation de viol. Cette scène provocante et dérangeante plonge l’audience dans un malaise palpable au moment précédent l’entracte. Ce sentiment s’estompe au début de la troisième variation, dans laquelle Kettly Noël crée une ambiance chaleureuse avec des étoffes colorées au sol, un éclairage à la bougie et une bande sonore qui rappelle le bruissement du désert. L’audience est transportée et les danseurs exécutent à nouveau des mouvements de danse précis, sensuels et élégants comme dans la première variation. Puis, ils changent à nouveau de rôles. L’un imite un homme blanc à la recherche d’exotisme sexuel pendant que l’autre se transforme en prostituée. Cette scène fait émerger à nouveau le malaise, mais cette fois-ci il disparaît lorsque la prostituée se rebelle et soumet l’homme blanc. Ces changements d’émotions brusques se produisent tout au long du spectacle et dans la variation finale, créée par Ann Van den Broek. Dans celle-ci, le sentiment de révolte présent à la fin de la performance précédente s’estompe, les danseurs et le décor changent ; l’on retrouve la sobriété du début. Aucun mouvement de danse n’est esquissé et, pendant les dernières minutes du spectacle, le duo se contente de chanter, en répétant les mêmes gestes et sans exprimer la moindre émotion. La performance devient longue et pesante et les spectateur·rice·s semblent ressortir de la salle perdu·e·s et sans trop savoir quoi en penser.

Au-delà de l’ouïe et de la vue

Du côté d’Antichambre, les spectateur·rice·s sont aussi perdu·e·s, mais cette confusion ne dure pas. Dans cette performance interactive, les spectateur·rice·s sont au coeur du dispositif et ne sont pas de simples témoins. Ils·elles entrent dans l’œuvre et la performance artistique dépend de leur propre performance. À l’entrée de l’antichambre, chacun·e doit couvrir ses oreilles d’un casque et ses yeux de lunettes qui permettent seulement de distinguer des silhouettes et des points de lumières. Ils·elles sont ensuite guidé·e·s vers un couloir étroit qui débouche sur un espace que chacun·e peut explorer à sa guise durant les prochaines 50 minutes. Cette exploration hors du commun passe essentiellement par le toucher puisque les sons sont atténués et la vision floue. Le·a spectateur·rice, ou plutôt le·a visiteur·euse, découvre ainsi des murs doux, une piscine remplie de billes gluantes à l’odeur d’huiles essentielles et surtout des danseur·euse·s guides. Ces dernier·ère·s guident ou se laissent guider, font danser les visiteur·euse·s ou bien les effleurent simplement. Au début, chaque personne semble un peu déboussolée, timide et n’ose pas trop toucher les autres ou s’aventurer trop loin dans la pénombre. Mais plus le·a visiteur·euse découvre de nouveaux espaces, plus cette envie de découverte grandit et plus il·elle désire explorer chaque recoin de l’espace. Quant à la peur des autres, elle s’estompe petit à petit et les visiteur·euse·s apprennent à apprécier et rechercher le contact d’une main ou l’effleurement d’une épaule. Contrairement à Danse mutante, où sons et lumières sont très présents, Antichambre trouve son originalité en l’absence de ceux-ci. L’expérience repose essentiellement sur le sens du toucher, rare pour le·a spectateur·rice dans une performance habituelle de danse, et celui-ci donne toute sa sensualité à la performance artistique. Chacun·e est libre d’aller à la recherche de l’autre ou de continuer son exploration en solitaire. Cette expérience est un merveilleux moment de liberté et de relaxation, voire de méditation, où chacun·e est coupé·e de la vie bruyante et pleine de lumières caractéristique de notre monde moderne. Les visiteur·euse·s plongé·e·s dans cet espace minimaliste peuvent apprendre ou réapprendre à écouter leur corps et à le laisser s’exprimer, communiquer et interagir avec les autres. Comme Danse mutante, cette performance est tout aussi originale et expérientielle. En revanche, au lieu de susciter un sentiment de mal-être qui va et vient, elle suscite rapidement une sensation de bien-être. 

Un changement de perception 

Les chorégraphes ont pris des risques avec ces deux performances artistiques qui poussent le public hors de sa zone de confort et aspirent à le faire devenir acteur plutôt que spectateur. Si ce parti pris est bien réussi dans Antichambre et crée un changement de perception chez l’auditoire, cela est plus mitigé pour Danse mutante. Certains passages sont trop dérangeants et atténuent le potentiel qu’ont d’autres moments chorégraphiques absolument magnifiques. Pour éveiller ses sens et être surpris·e, l’Antichambre est l’endroit où se rendre, se laisser entraîner, s’abandonner et vivre l’instant présent le temps d’une soirée. 

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Dialogue en mouvement https://www.delitfrancais.com/2019/04/02/dialogue-en-mouvement/ https://www.delitfrancais.com/2019/04/02/dialogue-en-mouvement/#respond Tue, 02 Apr 2019 13:15:37 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=33796 Wen Wei Wang fait parler les corps à l’Agora de la danse.

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Comment vais-je parler de la danse? Comment écrit-on sur de la danse? Le spectacle Dialogue de Wen Wei Wang a balayé ces questions d’un revers de main, de jambe, de corps. Prenant place à l’Agora de la danse, dans l’édifice Wilder, la représentation est un succès. 

Performance millimétrée

La salle est encore éclairée, le public s’assied, le silence se fait. Les cinq danseurs entrent dans la salle. La musique démarre, elle est forte et enveloppe tout. Les corps s’animent. Une chorégraphie millimétrée, dont chaque mouvement semble être pensé, ne laisse pas l’occasion de détacher le regard des danseurs, qui forment tour à tour un ensemble, puis éblouissent chacun de leur côté. Chaque corps est sublimé par le mouvement. Il n’y a aucun temps mort. Le jeu de lumière participe également à cette immersion totale du spectateur. Les danseurs nous emmènent avec eux dans un récit enthousiasmant. Les différents tableaux évoquent rapidement des situations familières. On se sent soudainement seul. Puis c’est comme si l’on entrait dans une discothèque, qu’on se noyait dans les corps, dans la musique. Tour à tour entourés, puis incompris, puis à nouveau entourés, mais seuls. Un sentiment d’urgence se dégage de la performance, qui semble dépeindre une indubitable lutte contre les autres et contre soi-même, contre l’incompréhension, pour l’acceptation. Cette émulation ne revêt cependant pas uniquement des aspects négatifs mais reflète aussi des moments de tendresse, de force, d’amour.

Autoportrait

Dans Dialogue, Wen Wei Wang nous raconte sa propre histoire. Immigrant au Canada, d’origine chinoise, le chorégraphe raconte sa vision de l’expérience de l’intégration. Grâce à la danse, il exprime cette difficulté à communiquer dans des langues et des cultures inconnues. Dans une entrevue accordée au Devoir, Wen Wei Wang affirme cependant que « ce n’est pas une pièce politique, ça parle de la vie des gens, de la vie d’individus  ». C’est ces instants de vie qui transparaissent de la mise en forme intelligente de la performance. Ils lient ces perceptions intimes de l’expérience du chorégraphe avec l’idée plus ample de construction d’une nouvelle vie. S’entremêlent d’ailleurs les thèmes de sexualité, de nationalité, le tout accompagné d’une réflexion sur l’importance de l’instant présent. L’artiste explique la composition exclusivement masculine du groupe de danseurs par le fait que cette dernière lui permet de trouver de la proximité avec sa propre expérience. 

Dialogue traite avec brio de questions que l’on nous exhorte souvent à exprimer avec des mots. La performance orchestrée par Wen Wei Wang nous met devant le fait accompli. Elle nous présente une approche qui repose plus sur l’instinct et le geste. L’absence de dialogues parlés permet une compréhension plus étendue, rendant universels les sentiments décrits. Il me semble aussi nécessaire de saluer une nouvelle fois la grande qualité de la mise en scène, ainsi que le talent des danseurs et du chorégraphe, qui ne font que souligner la portée de la performance.

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Danser la passion https://www.delitfrancais.com/2018/10/16/danser-la-passion/ https://www.delitfrancais.com/2018/10/16/danser-la-passion/#respond Tue, 16 Oct 2018 13:38:03 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=32026 La chorégraphe Cathy Marston donne corps au roman sulfureux de D. H. Lawrence.

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Nous vivons dans un âge essentiellement tragique ; aussi refusons-nous de le prendre au tragique. Le cataclysme est accompli ; nous commençons à bâtir de nouveaux petits habitats, à fonder de nouveaux petits espoirs. C’est un travail assez dur : il n’y a plus maintenant de route aisée vers l’avenir, nous tournons les obstacles ou nous grimpons péniblement par-dessus. Il faut bien que nous vivions, malgré la chute de tant de cieux ». Ainsi débute le roman de D. H. Lawrence, L’Amant de Lady Chatterley, publié en 1928 en Italie et en 1932, dans une version expurgée, en Angleterre.

Une ode à la sensualité

La chorégraphie de Marston traduit cette fureur de vivre de la société après la Première Guerre mondiale, qui a amené la mort et la destruction. Racontant l’histoire de la passion adultère entre Constance Chatterley et Oliver Mellors, le garde-chasse de son domaine, dans l’Angleterre puritaine d’après-guerre, le ballet est une ode à la sensualité. Dans une entrevue avec la chorégraphe publiée dans Le Devoir, Catherine Lalonde expose la visée du spectacle : « En s’attachant à donner corps et danse aux personnages, Constance Chatterley en tête, Mme Marston cherche à reproduire, en ‘ballet romantique’, la beauté des mots du roman. Et la beauté d’un homme et d’une femme cherchant leur sensualité à eux, hors diktats, dans un monde de plus en plus mécanique, usiné, productif, répétitif, industriel ».

Les ruines du passé

L’univers du roman est représenté par un décor minimaliste aux couleurs sombres, celles des mines. L’arrière-scène est en pente, laquelle peut symboliser à la fois les tranchées et la chute de la société européenne suite à la guerre. Des colonnes de néons blancs pendant du plafond, représentant tour à tour une porte, une fenêtre et les arbres de la forêt du domaine, peuvent illustrer quant à eux la rigidité et l’enfermement du milieu dans lequel vit Lady Chatterley. La chorégraphie des mineurs et des ouvriers, aux mouvements brusques et pesants, symbolise très bien le poids de Constance : celui de son mari Clifford, paralysé des jambes suite à une blessure de guerre, dont elle est condamnée à s’occuper.

Une maîtrise admirable

La scène de l’union physique et émotionnelle de Constance et Mellors est saisissante, l’intensité des mouvements allant crescendo dans un corps-à-corps sensuel à couper le souffle. La musique de Philip Feeney, qui a réorchestré des partitions pour piano du compositeur Alexandre Scriabine (1871–1915), renforce la puissance de la chorégraphie. Les danseurs font tous preuve d’une précision remarquable. Mention spéciale à Dane Holland (Clifford) pour la scène de dispute entre Clifford et Constance, dont le « ballet du fauteuil roulant » est émouvant, puisqu’il illustre l’impuissance à la fois physique et symbolique du personnage. Ainsi, Cathy Marston a su traduire la passion pérenne des amants de D. H. Lawrence, accordant aux spectateurs un moment de répit dans un monde en plein changement.

 

L’amant de Lady Chatterley, une chorégraphie de Cathy Marston Aux Grands Ballets Canadiens, Place des Arts, du 4 au 13 octobre 2018.

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Eve 2050 : Retour vers le futur ? https://www.delitfrancais.com/2018/09/25/eve-2050-retour-vers-le-futur/ Tue, 25 Sep 2018 13:53:26 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=31744 Une performance chorégraphique qui ébauche l’humain de demain… ou le fantasme d’hier.

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Eve 2050, c’est le nom du projet chorégraphique immersif dirigé par la chorégraphe Isabelle Van Grimde, et présenté à l’Agora de la Danse du 20 au 22 septembre. Pendant trente minutes, dans une salle baignée dans l’esthétique de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies, sept danseuses et danseurs proposent une performance explorant une vision de l’humain de demain, un hybride entre les genres, les âges et les technologies. Retour sur ce petit voyage dans le futur.

Un univers immersif

Lorsqu’on entre dans la salle, on plonge immédiatement dans un univers technologique, futuriste et inorganique. Les danseur·se·s sont immobiles et dispersé·e·s au milieu du public. Lentement, sur une intrigante bande sonore synthétisée, ils et elles s’animent. Mouvements saccadés et évolutifs, magnifiés par les effets de lumières: on ne peut qu’admirer la fluidité des corps, des mouvements, la puissance de la chorégraphie (qui n’est pas sans rappeler l’étrange ballet des acteur·rice·s de la série The OA –Original Angel). Le projet, décrit sur le site de l’Agora comme une « quête chorégraphique, scientifique et philosophique portant sur le corps humain », amène avec souplesse une « dé-genrisation » du corps. On ne voit plus des hommes et des femmes, mais un seul corps démultiplié, qui se contorsionne, s’éclate et se rassemble.

Si loin, si proches

Dans cette installation numérique interactive, entre projections vidéos, capteurs de mouvements, effets lumières et autres ingéniosités techniques, nous [le public] participons malgré nous à l’élaboration de cet étrange univers. Des logiciels captent, transforment et rediffusent nos gestes, intégrant nos corps à la performance. L’absence de différenciation de l’espace de performance crée un effet de proximité ambigu avec les danseuses et danseurs. Ils et elles sont devant nous, autour de nous, si proches que nous pourrions les toucher. Pourtant, le regard vide, les gestes précis et dénaturés, ils et elles paraissent vertigineusement loin. Une barrière invisible et hypnotique s’érige entre leur univers, inaccessible, et le nôtre.

La performance s’étire et se complexifie, jusqu’à la retraite des danseur·se·s, après laquelle nous sommes libres de déambuler dans l’installation nébuleuse.

C’est ça le futur?

Malgré la qualité de la performance, on ressort difficilement convaincu·e de notre rencontre avec cet « humain de demain ». Car la vision qui en est donnée et la mise en scène futuriste s’approchent plus d’un film de science-fiction démodé que d’une création véritablement innovante. Les costumes portent les marques d’un rétro-futurisme des années 1990 et les logiciels et projections mis en scène, quoique participant à l’immersion du public, ne semblent pas nécessaire à la performance. Par ailleurs, la fascination devant un univers ultra-technologique peut sembler à certain·e·s relativement dépassée.            L’intelligence artificielle, la robotisation, la déshumanisation des corps… Si ces menaces sont réelles, leur représentation est omniprésente et lassante. L’image d’une telle société, où l’organique et l’humain disparaissent sous le poids de l’artificialisation et de la perte des espaces naturels, relève plus du cauchemar que de l’extase artistique. Est-ce vraiment elle, la « Eve » de 2050?

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