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Exorciser la solitude

La compagnie Marie Chouinard nous offre une panacée contre la solitude.

Laurence Labat

Vers la fin septembre, la Compagnie de danse contemporaine Marie Chouinard, établie à Montréal en 1990, a présenté l’événement en ligne Time for time. Au-delà des excellentes chorégraphies et des danseurs et danseuses hors pair, ce qui rend cet évènement digne de mention en cette période trouble, c’est que la troupe de danse offrait aux spectateurs et spectatrices de participer à un concept inédit : une performance créatrice participative. Le milieu de la danse, forcé de mettre temporairement la clé sous la porte en emboitant le pas aux cinémas, aux salles de théâtre, aux cabarets d’humour, etc., s’est vu donner une opportunité pour se réinventer. Cette opportunité, La Compagnie Marie Chouinard l’a empoignée de toute sa vigueur créatrice.

Outre le fait qu’elle innovait déjà en donnant l’opportunité aux spectateurs et spectatrices d’accéder à la représentation de danse sur la plateforme numérique Zoom en temps réel sur trois fuseaux horaires différents, l’immense innovation se trouve dans le fait que la Compagnie ait été en mesure de créer un événement de danse interactif qui prenait forme en fonction des thèmes et des souhaits que les participants et participantes soufflaient aux danseurs et danseuses.

Blessures psychiques

Au plus fort de l’effet de programmation qui agissait sur nos corps et esprits confinés en nous rappelant constamment qu’il fallait fuir toute forme de collectivité, cette représentation de danse venait incarner des concepts d’inclusion vers une nouvelle forme de « collectif » : une sorte d’unicité dans nos solitudes collectives. Un moyen d’interagir pour se sortir de ce repli sur nous-mêmes ; pour reprendre un certain contrôle et pour réparer les blessures insidieuses en nous-mêmes que l’on ne soupçonnait même pas.

Les sentiments de solitude et d’isolation forcées peuvent possiblement, à long terme, émuler les symptômes d’une dépression. La plupart des gens utilisent des mécanismes de défense en lien avec le divertissement pour tenter de se sortir de ce marasme émotionnel. Cependant, de plus en plus de divertissements numériques ont tendance à creuser ce fossé solitaire plutôt que d’y remédier. Time for time n’est pas l’un de ceux-là, car il met de l’avant le collectif.

Diachylons physiques

Le concept de participation du public à la prestation est primordial, car il permet une catharsis plus profonde. La confidence du spectateur et de la spectatrice qui dicte à l’artiste son souhait agit presque selon des mécanismes thérapeutiques. Le transfert de la souffrance individuelle s’exorcise par le corps de l’autre et disparait dans la beauté de l’art. Pendant trois minutes, le danseur ou la danseuse devient le spectateur ou la spectatrice, et le spectateur ou la spectatrice devient le danseur ou la danseuse. C’est dans cette symbiose que la magie d’un retour au collectif s’opère.

Time for time remet en perspective notre façon de consommer l’art vivant en mettant l’individualisme en dichotomie avec l’intersubjectivité

Le fait que la danse soit improvisée par les intuitions profondes de l’artiste à partir d’un désir du public ouvre un espace de communication double, fluide et fécond. Ce n’est plus qu’un simple divertissement ou qu’une simple purge par les sens extérieurs ; le concept s’intériorise et fait en sorte que le spectateur et la spectatrice participe au processus de création et l’observe du même coup dans sa version achevée. Le spectacle nous fait expérimenter la rencontre intersubjective fusionnelle entre deux êtres qui tentent de transfigurer leur malaise existentiel en une dialectique menant au changement, au progrès et à une certaine forme de thérapie. Cela remet en perspective l’importance de l’intersubjectivité et du collectif dans l’atténuation de la solitude, ou peut-être même dans sa guérison.

Time for time remet en perspective notre façon de consommer l’art vivant en mettant l’individualisme en dichotomie avec l’intersubjectivité ; la performance renverse les anciens schémas stipulant que l’art repose sur un triangle créatif : le créateur ou la créatrice, la création, le public. Avec ce concept innovateur, la troupe de danse fait en sorte que le public créé, le créateur ou la créatrice reçoit, et c’est seulement ensuite que le danseur ou la danseuse érige l’œuvre à partir de tout cela et qu’elle est finalement découverte par le public.

Avec cette réflexion, je vous invite à porter une attention particulière à la Compagnie de danse contemporaine Marie Chouinard pour leurs projets futurs, mais également aux enjeux de solitude en société, et en quoi la culture et l’art agissent dans le monde comme de réels vecteurs de changement et à titre de baume psychologique en ces temps troubles.

Si vous êtes intéressés ou intéressées, visitez-les sur leur site mariechouinard​.com


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