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Radicale Vitalité, puissants éclats

Les danseur·euse·s de la Compagnie Marie Chouinard déroutent et étincellent.

Sylvie-Ann Paré

Il n’est pas nécessaire de la présenter à quelqu’un qui connaît bien la scène de la danse contemporaine : Marie Chouinard, chorégraphe et danseuse québécoise, ne cesse de créer depuis les années 1970 et collectionne les distinctions. Une semaine entière de la saison 2019–2020 de Danse Danse a été consacrée à ses productions, incluant RADICALE VITALITÉ, SOLOS ET DUOS, dévoilée pour la première fois en Amérique. 

Constitué de morceaux originaux ainsi que d’extraits d’anciennes pièces de la chorégraphe, Radicale Vitalité est composé d’une multitude de performances qui ne durent que quelques minutes — même si certaines semblent durer beaucoup plus longtemps tant elles sont puissantes (et c’est voulu). Marie Chouinard, dans sa conception du spectacle, a remanié et revisité d’anciennes scènes — en en modifiant les décors, les sons ou les costumes — pour nous livrer un produit final magnifiquement fragmenté.

Plein la vue

La scène complètement vide est un immense terrain de jeu pour les danseur·euse·s en solo ou en duo. Elle se transforme complètement d’une luminosité à l’autre : chambre à coucher, espace industriel, studio photo, enfer, paradis. On passe d’un duo énergique sur fond blanc à une mise en scène complètement noire, où une caméra braquée uniquement sur le visage d’une danseuse dévoile en noir et blanc sur un écran géant une chorégraphie de ses yeux, ses joues, sa bouche, pendant de longues minutes.

Le travail des danseurs et danseuses est époustouflant : en plus d’effectuer des mouvements qui semblent défier les capacités normales du corps avec une aise à peine croyable, tous leurs gestes racontent l’histoire qu’iels se sont fait le devoir d’incarner. Iels ne font pas que danser : iels poussent des cris, sanglotent, éclatent de rire, se font mal, s’embrassent. Leurs agissements sont précis et convaincants : nous sommes dans leur vie.

L’extravagance des émotions

Radicale Vitalité n’endort personne puisqu’elle ne fait que jongler entre les extrêmes. On témoigne d’amours qui se contrastent : un couple où l’homme est parfaitement statique alors que sa partenaire s’accroche à lui comme un koala et lui lèche tout le corps, puis un couple qui se bat du début à la fin, alternant le rire endiablé et les larmes désespérées selon qui domine la lutte, ou encore un couple surexcité où chacun·e redécouvre l’orgasme l’un·e après l’autre.

Mais justement, on n’y parle pas que d’amour ou de sentiments graves : Marie Chouinard nous fait des blagues tout au long du spectacle, par clins d’œil en plein milieu d’intensité ou par le biais de performances entières complètement absurdes. À la fin de chaque moitié (le spectacle est divisé en deux par une très courte pause, mais sans entracte), tous les danseur·euse·s se réunissent sur scène, muni·e·s de masques géants qui couvrent leur visage — des masques de vieillards, puis des masques de bébés —, qui ont l’air très réaliste tout en étant en totale inadéquation avec leurs corps. En vieillards, ils dansent de manière ridicule, en bébés, ils se pavanent entièrement nus. Tout est déstabilisant et ne provoque que des réactions excessives. Et qu’on s’y connaisse ou pas en danse contemporaine, Radicale Vitalité frustre, parce que ses performances nous font sentir qu’on en garde tous·tes un peu trop à l’intérieur. Et à force de cris, de sauts, d’étreintes et de coups, les danseurs et danseuses de la compagnie nous donnent tous·tes envie de vivre l’amour et l’absurde de manière un peu plus forte. 


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