Archives des Analyse politique - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/actualites/analyse-politique/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 26 Feb 2025 03:57:32 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.2 Le « couronnement » annoncé de Mark Carney https://www.delitfrancais.com/2025/02/26/le-couronnement-annonce-de-mark-carney/ Wed, 26 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57641 Le point sur la course à la chefferie du Parti libéral du Canada.

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Il ne reste plus que 11 jours avant le dénouement de la course à la chefferie du Parti libéral du Canada. Le 9 mars, les membres du parti désigneront non seulement leur nouveau chef, mais aussi le futur premier ministre du pays, qui occupera ses fonctions jusqu’aux prochaines élections fédérales. Alors que la campagne touche à sa fin, faisons le point sur les enjeux et les dynamiques de la course.

À l’heure actuelle, les sondages placent l’ex-gouverneur des banques du Canada et de l’Angleterre, Mark Carney, en tête, loin devant l’ancienne vice-première ministre de Justin Trudeau, Chrystia Freeland, l’ancienne leader du gouvernement à la Chambre des communes, Karina Gould, et l’ancien élu montréalais, Frank Baylis. Carney réussirait même à combler l’écart qui sépare les libéraux et les conservateurs dans l’opinion publique, avec un taux de popularité estimé à 39%, qui suit de très près les 40% du chef conservateur Pierre Poilièvre.

Liberal McGill, l’association officielle du Parti libéral du Canada à McGill, a choisi de soutenir la candidature de Mark Carney, qui aurait reçu « un appui massif de la part des membres (tdlr) », selon Quinn Porter, président de l’association. Ce dernier a expliqué au Délit que l’association a eu l’opportunité de rencontrer Carney, Freeland et Gould, « une expérience formidable qui a attiré de nouveaux membres et nous a permis d’aborder différentes idées ». Rowan Watchmaker, membre de Liberal McGill, explique que l’objectif principal de l’association est de « veiller à ce que les étudiants libéraux sachent quand et comment voter, tout en s’assurant qu’ils disposent de suffisamment d’informations sur tous les candidats pour faire un choix éclairé, en accord avec leurs valeurs personnelles ».

« Il faudrait vraiment un drame ou une catastrophe pour qu’il ne devienne pas le leader du Parti libéral du Canada le 9 mars »

Daniel Béland, professeur de science politique

Les candidats à la chefferie du Parti libéral

Afin d’éclaircir les enjeux de la course à la chefferie, le Délit s’est entretenu avec Daniel Béland, professeur de science politique canadienne à l’Université McGill et directeur de l’Institut d’études canadiennes à McGill (IÉCM). Le professeur Béland explique que le public a une image très favorable de Mark Carney, un candidat nouveau en matière de politique qu’on a tendance à voir comme un « grand technocrate, un économiste, un expert ».

Par rapport aux autres candidats, Carney a « plus de soutien populaire, plus de soutien de l’élite de son parti et plus de soutien financier. Il faudrait vraiment un drame ou une catastrophe pour qu’il ne devienne pas le leader du Parti libéral du Canada le 9 mars. »

La situation n’est pas la même pour le reste des candidats. Chrystia Freeland, ancienne vice-première ministre dont la démission en décembre a précipité celle de Justin Trudeau, peinerait d’après Béland à sortir de l’ombre du premier ministre. « Pendant neuf ans, elle a été ministre dans le cabinet de Justin Trudeau. C’est difficile pour elle de créer une distance entre elle et l’héritage Trudeau, parce qu’elle en fait directement partie », explique-t-il.

Quant aux candidats moins populaires, à savoir Karina Gould et Frank Baylis, le professeur rappelle que « les gens se lancent dans des courses électorales pour des raisons différentes. Il y en a qui se lancent dans une course à la chefferie pour gagner », comme Freeland et Carney, et d’autres qui se lancent plutôt pour gagner en visibilité. Gould, à l’âge de 37 ans, est encore considérée très jeune dans le milieu politique. En se présentant pour la course à la chefferie, elle se positionne pour un avenir en politique, elle « fait passer son message et elle se met de l’avant ». Il en va de même pour Baylis, le seul candidat québécois à la chefferie du parti.

Par ailleurs, la candidate Ruby Dhalla a été disqualifiée de la campagne le 21 février, en raison de « violations graves » des règles relatives à la campagne. Elle est notamment accusée d’avoir reçu des dons dépassant la limite individuelle autorisée, une allégation qu’elle nie catégoriquement. Dhalla a appris sa disqualification alors qu’elle était en pleine entrevue télévisée avec CBC.

« Le nouveau chef du Parti libéral devra rapidement s’imposer, car une lutte politique intense pourrait s’amorcer dès son élection »

Carney pas au bout de ses peines

Il est très probable que le candidat élu le 9 mars soit amené à représenter son parti lors d’élections générales anticipées. Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique, a en effet affirmé vouloir déclencher des élections dès le 10 mars si Mark Carney est choisi. Cette éventuelle élection, qui plane au-dessus du gouvernement canadien, s’accompagnerait d’enjeux bien différents de ceux de la course à la chefferie.

Selon le professeur Béland, « on va lancer des grenades à Mark Carney pendant la campagne. Et Carney n’a jamais fait de campagne électorale, pas même comme aspirant député. On ne l’a pas encore vu tellement en action ; et l’action, pour les politiciens, c’est une campagne électorale. C’est ce qui est le plus important ».

Dans ce contexte d’incertitude électorale, le Parti libéral du Canada cherche à ajuster sa position. Béland indique que « le plus important pour les libéraux, c’est de gagner, de rester au pouvoir ou d’obtenir le pouvoir. Je pense qu’il y a de plus en plus de consensus au sein du parti, qu’on se dirige vers un réalignement vers le centre, ou peut-être même dans certains domaines, vers le centre droit. Pour affronter Poilièvre, mais aussi parce qu’il y a la situation fiscale, la situation économique ». Quoi qu’il en soit, le nouveau chef du Parti libéral devra rapidement s’imposer, car une lutte politique intense pourrait s’amorcer dès son élection.

Poilièvre ne sait plus sur quel pied danser

Pierre Poilièvre, chef du Parti conservateur du Canada, se prépare déjà à affronter Mark Carney au cours des prochaines élections. Sur les réseaux sociaux, il enchaîne les attaques personnelles et politiques ponctuées de slogans. Le 20 février, il écrit sur la plateforme X : « Déjà vu. Carney imite la promesse du “petit déficit” de trois ans de Justin Trudeau […] Carbon Tax Carney est Just Like Justin. »

Selon le professeur Béland, le Parti conservateur a véritablement peur de la nouveauté qu’incarne Mark Carney. « Les conservateurs n’ont pas encore réussi à vraiment trouver la faille, le talon d’Achille de Carney. On l’appelle en anglais, “Carbon Tax Carney.” C’est un peu niaiseux. Ils n’ont pas l’air de trouver exactement le bon ton pour l’attaquer », explique-t-il.

Le Parti conservateur doit également s’adapter à un changement d’enjeux dans les prochaines élections présidentielles. Alors qu’il s’attendait à des débats centrés sur le coût de la vie et la taxe carbone, Poilièvre doit désormais composer avec un Canada profondément touché par la guerre tarifaire avec les ÉtatsUnis et une résurgence du sentiment patriotique. Béland affirme que Poilièvre « est en train de pivoter, mais c’est difficile pour lui parce que beaucoup de ses partisans aiment ou aimaient Trump. Poilièvre doit défendre le Canada, mais ne peut pas trop attaquer le président américain non plus ».

À quelques jours du vote, l’issue de la course semble presque scellée, mais l’avenir du Parti libéral et du paysage politique canadien reste incertain.

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Panel journalistique sur les élections https://www.delitfrancais.com/2022/10/05/panel-journalistique-sur-les-elections/ Wed, 05 Oct 2022 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49160 Des journalistes passent en revue les thèmes marquants de la campagne électorale.

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À la veille du scrutin, des journalistes ont passé en revue les thèmes et les moments marquants de la campagne électorale. Le 30 septembre dernier a eu lieu le panel «Les élections provinciales québécoises de 2022: un examen critique (tdlr) » mettant en conversation Holly Cabrera, journaliste numérique pour CBC News, Allison Hanes, chroniqueuse pour la Montreal Gazette et Jonathan Montpetit, ancien journaliste d’enquête pour CBC News. L’événement était animé par Pr Daniel Béland, professeur au Département de science politique de l’Université McGill et directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill, et modéré par Mohammad Mansoor, étudiant de premier cycle en études québécoises. L’événement était organisé par le Programme d’études québécoises de l’Université McGill en collaboration avec l’Association des étudiants et étudiantes en études québécoises, l’Institution McGill pour l’étude du Canada et le Centre de recherche interdisciplinaire sur Montréal.

Une campagne électorale polarisée

Mohammad Mansoor a lancé la discussion en demandant si la campagne électorale provinciale 2022 a été réellement ennuyante comme certain·e·s l’avaient affirmé en début de campagne. «Plusieurs enjeux importants ont été soulevés», s’est lancé monsieur Montpetit. «Il y a eu beaucoup plus que la question de qui sera la prochaine opposition officielle à la CAQ», a ajouté Holly Cabrera. «Il s’agit d’une élection à cinq courses. L’électorat a un large éventail de choix et il reste à savoir sur quoi il faut faire pression : les changements climatiques? Les thèmes de la diversité et de l’inclusion? », a renchéri Allison Hanes.

Les panélistes s’entendaient également sur les enjeux les plus marquants de la campagne, soit les changements climatiques et l’immigration. Questionné·e·s si les partis n’ont pas saisi l’urgence de la situation, Jonathan Montpetit a répondu: «Certains partis considèrent les changements climatiques comme une opportunité économique. Cela masque le fait que des décisions très difficiles doivent être prises dès maintenant. Pour moi, ce moment a souligné à quel point le thème de l’environnement est traité de manière conflictuelle par les partis». Holly Cabrera a ajouté que, malgré le fait que Québec solidaire soit le parti qui parle le plus de la lutte contre la crise climatique, certain·e·s trouvent qu’il ne va pas assez loin, ce qui démontre la complexité de la polarisation autour de la question environnementale.

«Il y a une grande polarisation autour de la question environnementale»

Holly Cabrera

Le thème de la santé n’a pas été mis de l’avant autant que prévu lors de la campagne électorale. De plus, les enjeux autochtones ont eu une faible présence dans les débats. Tous·tes s’entendaient pour dire que ce manque d’attention est symptomatique d’un phénomène structurel où les Québécois·e·s font encore preuve de beaucoup de déni quant à la responsabilité du gouvernement provincial par rapport aux situations vécues par les communautés autochtones, au racisme systémique, et à l’histoire coloniale du Québec. Mohammad Mansoor leur a par ailleurs demandé d’expliquer l’absence d’un enjeu central autour duquel se serait orientée la campagne. Pour les panélistes, contrairement aux prédictions de plusieurs analystes, cette élection ne confirmera pas totalement le changement de polarisation autour de l’axe souverainiste et fédéraliste vers l’axe gauche et droite.

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Une Troisième Guerre mondiale? https://www.delitfrancais.com/2022/03/16/une-troisieme-guerre-mondiale/ Wed, 16 Mar 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47753 Table ronde d’expert·e·s: comprendre l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

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Des civils tués et exilés, de nombreuses villes bombardées et assiégées, des sanctions économiques dévastatrices imposées et de la désinformation omniprésente: la guerre en Ukraine perdure maintenant depuis plus de trois semaines. Le conflit déclenché le 24 février par le président russe Vladimir Poutine a jeté une ombre non seulement sur l’Europe, mais aussi sur la scène internationale. 

Le 9 mars dernier, une table ronde virtuelle a eu lieu afin de discuter des enjeux historiques, économiques, politiques et informationnels que la guerre en Ukraine rassemble. Le panel était composé de six expert·e·s, dont quatre professeur·e·s de l’Université McGill, une professeure de l’Université de Montréal et un professeur de l’École d’économie de Kyiv. La table ronde était parrainée par le Département de sciences politiques de l’Université McGill, le Département d’Histoire et d’Études classiques de l’Université McGill et le Réseau BEAR (BEAR Network). «Between the EU and Russia» regroupe 11 universités de six pays différents ainsi que 26 chercheur·euse·s, est un organisme qui vise à examiner les relations entre l’Union Européenne et la Russie. Le réseau cherche aussi à comprendre le rôle des minorités ethniques régionales au sein de l’Europe de l’Est. Juliet Johnson – professeure de science politique à McGill et co-directrice du Réseau BEAR – a modéré la table ronde.

«Poutine avait le choix d’envahir ou pas»

Maria Popova, professeure de science politique à l’Université McGill

Perspective de Kyiv 

Tymofii Brik, chercheur à l’École d’économie de Kyiv et résident de la capitale ukrainienne, a entamé la discussion en partageant son expérience personnelle de la guerre. «Le personnel et les étudiants de l’École aident comme ils peuvent: en envoyant des fournitures médicales à ceux et celles en première ligne ou en aidant des personnes âgées qui vivent seules en achetant leur épicerie», témoigne-t-il. Le Kyivien a expliqué que certain·e·s de ses collègues et de ses ancien·ne·s étudiant·e·s sont en train de combattre les troupes russes au nord de la ville. Brik a également souligné qu’il était chanceux que Kyiv – même si visée par des bombardements russes – soit une ville bien protégée. Cependant, il décrit le manque de sécurité en ville, sécurité minée par des groupes de saboteur·se·s russes infiltré·e·s dont le but est de désigner les endroits à bombarder.

«L’empire soviétique de Poutine» et le Donbass en 2014 

Lorenz Lüthi, professeur d’histoire à l’Université McGill et expert de la Guerre froide, a mis de l’avant la nature historique de la crise. L’invasion de l’Ukraine déclenchée par le président russe s’inscrit dans la continuité de la Guerre froide : «Poutine cherche avant tout à reconstruire l’empire soviétique», a affirmé le Pr Lüthi. En effet, la Russie de Vladimir Poutine renie l’histoire de l’Ukraine tout en justifiant son «opération militaire spéciale» par l’objectif de «dénazifier et démilitariser l’Ukraine». Le Pr Lüthi affirme que depuis la Seconde Guerre mondiale, la Russie emploie un discours soi-disant «anti-fasciste», en dressant de longues listes de personnes dites ennemies de l’État. Par la suite, le Pr Lüthi a comparé les offensives russes en Ukraine à l’annexion de la Pologne en septembre 1939 par l’Allemagne – élément déclencheur de la Seconde Guerre mondiale. Le professeur a conclu sa présentation en qualifiant la Russie de «spoiler state», c’est-à-dire un État qui tente de déstabiliser l’ordre libéral. La Russie, un «pouvoir intermédiaire» qui détient l’arme nucléaire, faisant office d’outil dissuasif, cherche à devenir une superpuissance en annexant l’Ukraine. 

«Poutine cherche avant tout à reconstruire l’empire soviétique»

Lorenz Lüthi, professeur d’histoire à l’Université McGill

Après cela, Magdalena Dembinska, professeure en science politique à l’Université de Montréal, a pris la parole pour rappeler les objectifs du Kremlin dans la région du Donbass. Le Donbass est une région à l’est de l’Ukraine à majorité russophone qui est le théâtre de conflits entre séparatistes prorusses et le gouvernement ukrainien depuis 2014. La Pre Dembinska a affirmé que Poutine profite de cette région déstabilisée pour mettre la pression sur Kyiv : «Le contrôle du Donbass représente le contrôle de l’Ukraine.» C’est pourquoi le 22 février dernier, deux jours avant l’invasion russe, Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance de l’entièreté du Donbass. 

La désinformation pro-Kremlin et les sanctions économiques 

Aaron Erlich, professeur de sciences politiques à McGill, a parlé des enjeux informationnels de la guerre en Ukraine. Pr Erlich a cité une étude de 2019 qu’il a co-réalisée sur la désinformation en Ukraine pour conclure que «les Ukrainien·ne·s ont fait preuve d’une résilience remarquable face à la désinformation» et qu’il·elle·s peuvent facilement détecter la propagande pro-Kremlin sur les réseaux sociaux. En Russie, Erlich soulève que l’objectif informationnel de l’État est de réprimer toute circulation d’information avec un contrôle strict des réseaux sociaux sur le langage utilisé. Par exemple, si l’invasion est qualifiée de «guerre», un individu peut être sujet à 15 ans en prison. Pr Erlich a aussi cité une enquête du journal Propublica qui avait enquêté sur les faux organismes de vérification des faits publiés sur les réseaux sociaux russes. Le professeur a conclu en comparant la stratégie russe d’information et de propagande à celle de la Chine. Pendant la foire aux questions, le Pr Tymofii Brik a assuré qu’il vérifiait méthodiquement si une information reçue était vraie ou fausse. 

Ensuite, la professeure d’histoire moderne russe à McGill, Kristy Ironside, a discuté des enjeux économiques de la guerre. Tout d’abord, il y a eu des sanctions économiques venant des pays occidentaux contre la Russie. Selon la Pre Ironside, ces sanctions punitives ont eu des effets importants sur l’économie russe. La Russie – endettée depuis l’annexion de la Crimée de 2014 – est qualifiée comme étant «au bord du précipice» par la Pre Ironside. Par exemple, elle a souligné le chômage massif dans les secteurs financiers. Avec les prix qui augmentent de façon significative, la Pre Ironside a spéculé que la Russie pourrait nationaliser certains produits tels que le sarrasin. Par ailleurs, plusieurs compagnies comme McDonald’s ont mis leurs opérations sur pause en Russie – une décision qui a entraîné une augmentation du taux de chômage. 

«Le personnel et les étudiants de l’École aident comme ils peuvent: en envoyant des fournitures médicales à ceux et celles en première ligne ou en aidant des personnes âgées qui vivent seules en achetant leur épicerie»

Tymofii Brik, professeur à l’École d’économie de Kyiv

L’Ukraine: membre de l’Union Européenne? 

Finalement, Maria Popova, professeure de science politique à McGill et titulaire de la Chaire Jeanne Monnet, a soutenu que l’Ukraine méritait d’être acceptée comme membre officiel de l’Union européenne (UE). Pre Popova a souligné l’héroïsme du président ukrainien Volodymyr Zelensky ainsi que la maturité politique de l’Ukraine en tant que pays libéral et démocratique. «L’Ukraine est en avance par rapport à d’autres pays de l’Union Européenne vis-à-vis des réformes judiciaires mises en place», a‑t-elle expliqué. Toutefois, le 10 mars dernier, les chefs d’État et de gouvernement de l’UE ont refusé l’adhésion rapide de l’Ukraine. 

Après la présentation de la Pre Popova, une trentaine de minutes a été consacrée aux questions. Parmi elles figurait une question sur le réalisme comme prisme d’analyse: ce courant de pensée permet-il de saisir les enjeux politiques de la crise? L’analyse réaliste de la crise – soutenue par le politologue John Mearsheimer – jette le blâme de la crise sur les pays occidentaux de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et «leur politique expansionniste». Le réalisme rejette et ignore «le rôle de la Russie dans le conflit». Comme l’explique Maria Popova, «Poutine avait le choix d’envahir ou pas». 

Quant aux rumeurs d’une Troisième Guerre mondiale: selon un sondage réalisé par la firme Léger, 89% des Canadien·ne·s se disent être préoccupé·e·s par le conflit. Alors que la Russie et l’Ukraine ont entamé une nouvelle session de négociations le 14 mars dernier, les bombardements aériens persistent toujours autour de Kyiv.

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Une course serrée à l’AÉUM https://www.delitfrancais.com/2022/03/15/une-course-serree-a-laeum/ Tue, 15 Mar 2022 13:05:35 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47758 Portrait des candidat·e·s à la présidence de l'AÉUM.

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Les élections de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) pour l’année 2022–2023 ont commencé le lundi 14 mars dernier et la course à la présidence a l’air plus contestée qu’elle ne l’a été dans les dernières années. Les candidat·e·s sont Bryan Buraga, Julian Guidote et Risann Wright, trois personnes avec une grande expérience au sein de l’AÉUM qui promettent de transformer l’Association pour la rendre plus représentative, plus accessible, plus transparente – en somme, plus fonctionnelle. 

Le·a futur·e président·e se verra dans une position unique pour mettre en œuvre ces ambitions, puisqu’il·elle se chargera d’établir la vision de l’Association à travers son implication dans tous les portfolios de l’équipe exécutive et dans toutes les instances gouvernantes de l’Université. Qui sont donc les trois candidat·e·s postulant pour la présidence cette année? Le Délit s’est entretenu en longueur avec chacun·e d’entre eux·lles afin de pouvoir dresser un tableau de leurs compétences, de leurs expériences et de leurs aspirations.

→ Voir aussi: Le débat des candidat·e·s

Qui sont les candidat·e·s?

Qu’est-ce qui pousse une personne à postuler pour le poste de président·e? La question est pertinente, d’autant plus que les trois candidat·e·s avaient déjà de multiples positions et responsabilités avant de se présenter. 

Risann Wright a occupé de nombreuses fonctions au sein de l’AÉUM depuis son entrée à McGill en 2019. Elle a dirigé plusieurs comités de l’Association, ayant été commissaire aux Affaires noires, commissaire aux Affaires externes, commissaire à la Défense des intérêts des étudiant·e·s et s’étant impliquée dans d’autres comités en tant que membre. De plus, elle a été sénatrice à la Faculté des Arts, vice-présidente du Réseau des étudiant·e·s noir·e·s (Black Students” Network, BSN) ainsi qu’exécutante au McGill Policy Association (MPA). 

Risann est la femme aux mille et une responsabilités. Pourquoi alors abandonner ces autres postes – ou, du moins, une partie de ceux-ci – et tenter de devenir présidente de l’AÉUM? «Je me suis présentée aux élections parce que c’était nécessaire», affirme-t-elle. «Des changements sont nécessaires, surtout en vue des problèmes structurels et systémiques qui sévissent. J’ai l’expérience unique et les outils pour effectuer ces changements».

Bryan Buraga, de son côté, ne manque pas non plus d’expérience au sein de l’Association. Il avait déjà occupé le poste de président pendant l’année 2019–2020, l’année d’arrivée de Risann à McGill. Il a aussi occupé les postes de représentant du caucus du Sénat et de représentant étudiant au sein du Conseil judiciaire de l’AÉUM. Bryan veut miser sur son expérience institutionnelle pour convaincre les étudiant·e·s de l’élire. «Étant donné mon expérience et mes connaissances, je saurais exactement où pincer la Constitution et les Règlements internes [pour] rendre l’AÉUM plus démocratique». Le candidat considère la structure actuelle de l’Association comme «très oligarchique».

Un an après sa sortie du poste de président en 2020, Bryan a commencé à militer pour l’Initiative de démocratisation de l’union étudiante de McGill, qui a été approuvée au référendum étudiant avec 78% des voix (l’élection avait un taux de participation de 19,5%, dont près de 40% se sont abstenu·e·s sur la question). L’Initiative a pour but de décentraliser et d’égaliser l’AÉUM et l’ensemble des associations étudiantes mcgilloises. «Dernièrement, j’ai ressenti un sentiment de responsabilité d’utiliser les compétences et connaissances que j’ai acquises pour revenir et régler les problèmes structurels de l’AÉUM», explique-t-il. 

→ Voir aussi: Bryan Buraga sur l’Initiative de démocratisation

Julian Guidote, quant à lui, a probablement le parcours le plus atypique des trois candidat·e·s. Il a dédié la totalité de son premier diplôme (il est actuellement dans sa première année de droit) à McGill à s’impliquer dans des organisations traitant de santé mentale. Il a été coprésident de LGBTQ+ au cégep de Marianopolis, président du syndicat Jeunesse J’écoute et, à l’AÉUM, a agi comme coordonnateur du Plaidoyer pour la santé mentale. 

Pourquoi ce saut soudain à la politique étudiante? Julian dit avoir «vu un besoin de mettre de côté l’idée de la politique et de mettre de l’avant l’idée de prendre soin de soi, de prendre soin de nos proches». Il considère que son parcours l’a naturellement mené à postuler maintenant; il pense se trouver dans une position unique pour offrir l’opportunité aux étudiant·e·s de se rassembler après l’isolement de la pandémie et de tisser des liens entre eux·lles.

Combattre les défauts systémiques

Parmi les principaux thèmes abordés par les candidat·e·s se retrouve l’idée que la structure de l’AÉUM est inéquitable. Comme le dit Bryan, «les structures de l’AÉUM ont une tendance à privilégier les plus aisés de la société: les hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels et non-racisés, généralement». Par conséquent, poursuit-il, «ces structures tendent à maintenir et perpétuer certains systèmes d’oppression que nous avons vu si clairement cette année». Le candidat fait référence aux allégations de discrimination sexiste au sein de l’Association qui ont été véhiculées par la presse étudiante cette dernière année.

→ Voir aussi: The McGill Daily: Sexism and Silence in SSMU

Risann pense aussi qu’il est «inacceptable que les femmes qui travaillent à l’AÉUM ne se sentent pas en sécurité». Elle a d’ailleurs plusieurs propositions spécifiques pour promouvoir l’équité au sein de l’AÉUM. Tout d’abord, elle prévoit réviser les politiques de l’Association, notamment en ce qui a trait aux processus de plainte, pour s’assurer «qu’ils soient plus accessibles» et «qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêts». Ensuite, elle aimerait renforcer les positions de coordonnateur·rice·s anti-violence de l’AÉUM, en y plaçant des travailleur·euse·s à temps partiel plutôt que du personnel occasionnel, comme c’est le cas actuellement. Elle aimerait aussi élaborer un «plan d’inclusion, de diversité et d’équité» à long terme.

Tout au long de l’entrevue, Risann a mis l’accent sur l’importance d’effectuer des consultations pour toutes les décisions qu’elle propose. «Tout mon programme est sujet à changement», affirme-t-elle. Tout comme elle, Julian insiste pour que «la priorité [soit] toujours donnée à l’écoute». «Nous avons vu beaucoup de règles centrées sur la protection des étudiants et le maintien de leur sécurité, et nous avons vu beaucoup d’améliorations à cet égard», applaudit-il. Le candidat propose de continuer cet effort en mettant l’accent sur la santé mentale.

Démocratiser l’Association

Les trois candidat·e·s sont d’accord sur le fait que le conseil d’administration de l’AÉUM n’a pas convenablement répondu aux plaintes des personnes les plus défavorisées. Au cœur de ces défaillances, prétendent-il·elle·s, seraient la structure et les pratiques insuffisamment démocratiques de l’Association. D’après Bryan, «il y a un certain esprit conservateur qui accompagne le fait de siéger au conseil d’administration: vous faites tout ce qu’il faut pour protéger l’institution, et cela vous rend réticent à prendre des mesures fortes lorsque celles-ci sont nécessaires». 

Bryan se présente comme le candidat de la démocratisation. Il propose de restructurer l’AÉUM afin de «réduire la hiérarchie et [de] répartir le pouvoir autant que possible». Plus précisément, il veut remplacer le système de décision actuel par un système d’assemblées générales mensuelles ou bi-mensuelles, où les étudiant·e·s peuvent influencer directement les mandats des exécutant·e·s. «Au lieu d’avoir des exécutant·e·s qui travaillent 40 heures par semaine, on diviserait les portfolios des positions exécutives dans plusieurs emplois à temps partiel où les gens ne travailleraient que 15 heures par semaine.» Cela permettrait à davantage d’étudiant·e·s de participer à la gouvernance étudiante tout en établissant un modèle de prise de décision plus collectif, selon lui.

Questionné pour savoir si ce serait réaliste d’espérer qu’autant d’étudiant·e·s veuillent participer à la gouvernance étudiante, le candidat pense que ce serait en effet possible, mais seulement à plus long terme et avec une mobilisation massive. «Le fait que les étudiant·e·s s’expriment sur leur faible engagement et sur le fait qu’ils ne se sentent pas représentés montre que les gens se soucient de l’AÉUM. C’est juste qu’il·elle·s ne veulent pas perdre leur temps et leurs efforts à mettre leurs ressources et leur énergie dans un système sur lequel ils sentent fondamentalement n’avoir aucun contrôle.»

Tous·tes les candidat·e·s conviennent que la priorité devrait être la protection de valeurs justes et démocratiques, au-delà même des intérêts corporatifs des exécutant·e·s. Sinon, «les implications à long-terme sont la perte de confiance et l’apparence de corruption», comme ce serait actuellement le cas selon Bryan. 

Selon Risann, en effet, les étudiant·e·s «ne se sentent pas représenté·e·s par leur association étudiante». Pour y remédier, elle propose de créer une plateforme virtuelle centralisée où les étudiant·e·s peuvent voir toutes les initiatives de l’AÉUM et les commenter. Cela permettrait aux étudiant·e·s de se sentir plus entendu·e·s et à l’Association d’obtenir plus de rétroaction de la part du corps étudiant.

Julian pense aussi que les déclarations politiques de l’Association manquent parfois de consultation. «Il est important de faire connaître ses valeurs et il est correct de les exprimer dans des temps qui sont appropriés et qui répondent aux réalités du jour, mais chaque déclaration devrait être précédée et suivie par l’écoute active et l’invitation aux opinions des étudiant·e·s.» 

→ Voir aussi: L’AÉUM se prononce sur les tensions entre Hong Kong la Chine

Une AÉUM plus proche

Julian veut que l’AÉUM s’implique dans des projets dont les étudiant·e·s peuvent véritablement profiter. Il propose par exemple de créer une «fête des rues» sur la rue McTavish pour «célébrer les étudiant·e·s de l’Université». Il dit avoir réalisé que l’AÉUM est dans une «position unique» – du fait de sa taille – pour créer des projets qu’aucune autre organisation ne peut mettre en œuvre. «C’est pour ça que mes projets sont si ambitieux», affirme-t-il.

Avec chaque projet, le candidat a établi une liste tentative d’organisations pouvant potentiellement aider à la mise en place. Pour la fête des rues, il a pensé que les partenaires de l’Association qui organisent déjà le marché alimentaire sur la rue McTavish pourraient se charger de réserver la rue, que les organisateur·rice·s de Frosh pourraient offrir du personnel et que plusieurs commanditaires pourraient fournir l’équipement et la nourriture.

Risann veut elle aussi mettre en place des services dont les étudiant·e·s veulent véritablement faire usage. Elle propose la création d’un programme d’épicerie «payez ce que vous pouvez» pour alléger la charge financière des étudiant·e·s en difficulté. Même si elle dit vouloir éviter une demande d’ajout de frais à cet effet au référendum de l’AÉUM, elle admet ne pas être certaine que l’Université ni l’Association puissent financer le programme.

Bryan, de son côté, veut créer un syndicat des locataires de McGill. «80% des étudiant·e·s sont des locataires, soit 32 000 personnes. En se syndiquant, on pourrait partager nos connaissances et être en mesure de lutter contre les loyers élevés, les propriétaires.» Il estime que les connaissances sont déjà là puisque l’AÉUM dispose d’un comité de Logements abordables; il s’agirait donc de «se concentrer sur la sensibilisation et l’organisation» avant d’en faire un service officiel de l’AÉUM ou encore un groupe étudiant indépendant – comme la Clinique d’information juridique.

L’importance de la francophonie

Les trois candidat·e·s sont aussi d’accord quant à la nécessité que l’AÉUM remplisse son mandat et serve ses étudiant·e·s francophones. Les candidat·e·s applaudissent les progrès récents en termes d’accessibilité francophone de l’AÉUM – l’Association dispose désormais d’une traductrice à temps plein – mais il·elle·s déplorent la lenteur d’exécution. C’est le cas de Julian, qui s’est montré visiblement déçu que tous les documents de l’AÉUM ne soient pas disponibles en français. Julian est le seul des trois candidat·e·s à s’être entretenu en français avec Le Délit. Par ailleurs, la Commission des Affaires francophones a officiellement soutenu sa candidature pour la présidence.

Pour aborder le problème de la francisation de l’Association, Risann considère qu’il faudrait commencer à «traiter la communauté francophone comme la minorité qu’elle est». Selon elle, «c’est une question d’équité». Bryan, quant à lui, met l’accent sur l’importance de donner autant de ressources que possible à la Commission des Affaires francophones. «Il·elle·s connaissent mieux que personne les intérêts des étudiant·e·s francophones», explique-t-il.

Place au vote

L’élection pour le poste de président·e de l’AÉUM se présente donc hautement compétitive cette année. Bryan Buraga, le candidat de la démocratisation, Julian Guidote, le candidat de la santé mentale ou Risann Wright, la candidate de l’équité? Les étudiant·e·s de premier cycle de l’Université McGill ont du lundi 14 au vendredi 18 pour faire leur choix. Les résultats seront annoncés après 18h, ce vendredi.

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Quels sont les enjeux politiques du « Convoi de la liberté »? https://www.delitfrancais.com/2022/02/23/quels-sont-les-enjeux-politiques-du-convoi-de-la-liberte/ Wed, 23 Feb 2022 13:26:30 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47509 Un entretien avec Daniel Béland, professeur de sciences politiques à l’Université McGill.

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Afin de mieux comprendre les enjeux politiques derrière les manifestations à Ottawa, Le Délit s’est entretenu avec Daniel Béland, professeur de sciences politiques à l’Université McGill et directeur de l’Institut d’études canadiennes à McGill. 


Le Délit (LD) : Les cammioneur·se·s sont-il·elle·s vraiment «une minorité marginale» comme l’entend Justin Trudeau?

Daniel Béland (BD): Premièrement, ce ne sont pas tous des camionneurs. Il y a beaucoup de manifestants, y compris ceux qui campent à Ottawa, qui ne sont pas du tout des camionneurs. Mais il faut regarder ceci: qui est derrière ce mouvement? Qui l’organise? Qui le finance? Oui, si on regarde les organisateurs du Convoi, on voit que ce sont des gens qui sont, en général, proches de l’extrême-droite, ce sont des gens qui veulent changer le gouvernement et qui demandent l’abolition du Parti libéral du Canada. Mais leurs projets politiques radicaux ne sont pas nouveaux et ont commencé avant même la pandémie. C’est du populisme de droite et même d’extrême-droite. En même temps, il faut séparer le grain de l’ivraie et dire que certains manifestants ne sont pas nécessairement des gens d’extrême-droite. 

«En même temps, il faut séparer le grain de l’ivraie et dire que certains manifestants ne sont pas nécessairement des gens d’extrême-droite» 

Daniel Béland, professeur de sciences politiques à l’Université McGill

LD: Pourquoi est-ce que ça a pris trois semaines pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence?

DB: Si on avait agi plus tôt, si la police d’Ottawa avait mieux fait son travail, on ne serait pas dans cette situation-là. C’est sûr que Trudeau aurait pu intervenir avant, il y a un manque de leadership de sa part, mais aussi de la part de la police provinciale et de la ville d’Ottawa. Pour un bout de temps, ils se sont jetés le blâme et pointés du doigts mais en fait, il y a un problème de coordination, de leadership. C’est pourquoi le gouvernement a dû invoquer la Loi sur les mesures d’urgences pour la première fois depuis 1988. Trudeau a finalement décidé que son gouvernement prendrait la responsabilité pour le retour à l’ordre, à la gestion, qu’on a laissé pourrir sur le terrain. Ce n’est pas juste le gouvernement fédéral ou la GRC [la Gendarmerie Royale Canadienne, ndlr], c’est surtout, je pense, la police d’Ottawa et, dans une moindre mesure, la police ontarienne. 

LD: Est-il donc vrai que certain·e·s policier·ère·s étaient impliqué·e·s dans les manifestations?

DB: Oui, on a vu quelques exemples, notamment dans les forces armées avec des policier·ère·s qui soutiennent les manifestant·e·s, qui les embrassent en public. C’est sans doute une minorité mais c’est un enjeu, notamment à Ottawa, où certains policiers ont l’air de soutenir au moins implicitement certaines des revendications des manifestants. Mais encore là, je pense que c’est un problème de leadership plus qu’autre chose. C’est aussi un enjeu important en matière de sécurité publique mais on avait déjà des cas avant de gens dans les forces armées qui étaient proches de l’extrême-droite. C’est le devoir de l’armée, du corps policier d’identifier ces personnes-là et d’imposer des mesures. 

LD: Comment le fait d’attendre trois semaines avant d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence donne un avantage partisan à Justin Trudeau? Est-ce que le Parti conservateur perd des points politiques?

DB: C’est une situation complètement politique. Les conservateurs essaient d’exploiter ça. D’ailleurs, Erin O’Toole est tombé en partie parce qu’il n’était pas assez enthousiaste envers les manifestants. Justin Trudeau veut jeter le blâme sur les conservateurs alors que ces derniers jettent le blâme sur Trudeau. Les conservateurs disent que si Trudeau avait accepté de rencontrer les manifestants, s’il avait accepté de changer les mesures de Santé publique, la situation serait réglée. Oui, on se pointe du doigt de tous les côtés dans la Chambre des communes. Trudeau a quand même pris un risque en invoquant la loi et si la situation ne revient pas à la normale rapidement à Ottawa, les gens vont se dire «non seulement vous avez pris des mesures exceptionnelles, mais vous n’êtes même pas capable d’accomplir votre mission». Il y a beaucoup de tension dans l’air. 

«Les manifestants et les gens qui les soutiennent, c’est une minorité de la population assez significative, surtout dans l’Ouest. De l’autre côté, on a des citoyens, des habitants, des travailleurs qui ont peur de perdre leur emploi, qui sont fâchés»

Daniel Béland, professeur de sciences politiques à l’Université McGill

LD: Est-ce que la loi s’applique uniquement au territoire d’Ottawa?

DB: Ça peut s’appliquer soit dans une province, ou bien ça peut être géographiquement spécifique. C’est vrai qu’en ce moment, les actions policières visent la situation à Ottawa, mais il y aussi la question des postes transfrontaliers. Il y a plusieurs premiers ministres qui sont contre l’application de la loi à l’échelle provinciale. Ça pourrait éventuellement accentuer les tensions intergouvernementales si jamais ces mesures devaient être de plus en plus générales. Si la loi se généralise, il y aurait de gros problèmes au Québec, de grandes tensions entre le gouvernement Legault et Ottawa. 

LD: Comment les manifestants ont-ils réussi à contrôler le centre-ville?

DB: C’est d’abord et avant tout un problème de police. On aurait pu fermer l’accès au centre-ville d’Ottawa à ces camions, à ces manifestants, et on a fait l’erreur de les laisser se stationner devant le Parlement. C’est un contrôle de l’espace, les camionneurs ont réussi à se stationner parce qu’il n’y avait pas de résistance policière. Là, la portée symbolique est énorme: s’ils s’étaient stationnés en banlieue, ça aurait été différent. La police a mal fait son travail. Je pense qu’on aurait pu prévenir ça, tout simplement.

«On a sous-estimé la persévérance et les moyens financiers et organisationnels du Convoi et on a laissé la situation pourrir»

Daniel Béland, professeur de sciences politiques à l’Université McGill

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Élections sur fond de divisions https://www.delitfrancais.com/2020/11/10/elections-sur-fond-de-divisions/ Tue, 10 Nov 2020 14:00:44 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=39183 Deux professeurs de McGill partagent leurs avis sur les élections américaines.

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Dans le cadre d’un webinaire en deux parties organisé par l’Association des diplômé·e·s de l’Université McGill les 22 octobre et 5 novembre derniers, les professeurs Jason Opal et Mugambi Jouet ont discuté des enjeux-clés et du caractère exceptionnel des élections américaines de 2020. Jason Opal, professeur au département d’Histoire et études classiques de McGill, est un spécialiste de l’histoire des États-Unis et est l’auteur de Avenging the People: Andrew Jackson, the Rule of Law, and the American Nation (2017). Mugambi Jouet, professeur à la Faculté de droit de McGill, est un ancien défenseur public de l’État de New York et l’auteur de Exceptional America: What Divides America from the World and from Each Other (2017). La discussion était modérée par Derek Cassof, Directeur général des communications à l’avancement universitaire à McGill.

Des élections exceptionnelles

Interrogés sur le caractère historique du scrutin présidentiel de 2020, les professeurs Opal et Jouet ont souligné que ces élections étaient «exceptionnelles». Cet adjectif fréquemment utilisé pour désigner la nation américaine ne serait pas un indicateur de sa supériorité, mais plutôt comme un marqueur de la singularité des États-Unis, qui seraient une «exception» parmi les démocraties occidentales. 

En effet, selon le professeur Jouet, les États-Unis seraient extrêmement divisés sur un nombre d’enjeux non controversés dans les autres démocraties occidentales, comme l’accès universel aux soins de santé. Cette extrême polarisation de la société américaine serait axée autour de quatre principales zones de fracture: la réalité factuelle, les inégalités économiques, la religion et la race. Ces divisions sociétales préexistantes au mandat de Donald Trump et beaucoup plus profondes que dans le reste du monde n’auraient été que personnifiées et exacerbées par le président sortant, selon le professeur Opal. 

Ce dernier a d’ailleurs souligné que les élections de 2020 étaient exceptionnelles, car le président sortant a affirmé avant même que le décompte des votes ne commence qu’il n’accepterait pas les résultats et les contesterait, remettant ainsi en question la légitimité du processus électoral. Allant de pair avec la crainte de violences à l’issue des élections, cette annonce préalable de répudiation des résultats rappellerait de façon troublante les élections présidentielles de 1860, celles ayant précédé la guerre de Sécession américaine, selon le professeur Opal.

Conseils pour présider une Amérique divisée

La rhétorique du président sortant semblerait avoir posé un dilemme à ses partisan·e·s entre une victoire républicaine ou une fraude électorale, selon le professeur Jouet. Cet ultimatum éliminerait toute légitimité pour une présidence de Joe Biden chez plusieurs millions d’Américain·e·s, car la majorité de l’électorat républicain considérerait Donald Trump «honnête et digne de confiance». 

Les États-Unis auraient toujours été difficiles à gouverner. Le professeur Jouet a avancé que cette tâche ardue ne serait qu’aggravée par la polarisation actuelle de la nation, alors qu’une partie non-négligeable de la population croirait que les élections auraient été «volées» et que des immigrant·e·s sans papiers auraient frauduleusement voté pour le futur président Joe Biden. 

«Construire quelque chose dont l’objectif est de guérir le corps humain serait peut-être un bon point de départ pour guérir le corps politique du pays»

Professeur Jason Opal

Face à cette division fondamentale entre les camps républicain et démocrate sur la question de sa légitimité, Joe Biden devrait créer un langage politique qui s’éloignerait des enjeux sociétaux polarisants et se concentrer sur des projets pratiques, selon le professeur Opal. Par exemple, alors que la pandémie de COVID-19 remplit les hôpitaux à pleine capacité, il suggère d’en construire de nouveaux. Ce type de projet créerait des emplois, soulagerait les pressions subies par le système de santé américain et revigorerait des communautés. «Construire quelque chose dont l’objectif est de guérir le corps humain serait peut-être un bon point de départ pour guérir le corps politique du pays», a affirmé le professeur Opal. 

Le professeur Jouet a renchéri sur ce point, en affirmant que les enjeux économiques de base – les bread and butter issues – seraient plus importants pour le public américain que les enjeux polarisants tels que le droit aux armes, l’avortement ou le racisme. Joe Biden devrait donc se dédier à ces questions économiques quotidiennes, car, à moins d’un changement de paradigme dans la politique des États-Unis, les perceptions partisanes demeureraient irréconciliables. «Il sera peut-être nécessaire de s’entendre sur le fait qu’on ne sera pas d’accord, d’accepter qu’il n’y aura pas de terrain d’entente, jusqu’à ce que les mentalités évoluent», a dit le professeur Jouet.

Un avertissement

Le professeur Jouet a souligné qu’il serait erroné d’assimiler l’évolution du Parti républicain des États-Unis avec celle du Parti conservateur du Canada ou de partis conservateurs d’autres démocraties occidentales. Ce contraste entre le camp conservateur américain et ses homologues internationaux serait attribuable au phénomène de la polarisation asymétrique: au cours des dernières décennies, le Grand Old Party se serait beaucoup plus déplacé vers la droite, par rapport au Parti démocrate vers la gauche sur l’échiquier politique. Ainsi, le Parti démocrate des États-Unis serait plus idéologiquement similaire aux partis conservateurs des autres démocraties occidentales qu’à leurs compatriotes républicains, selon le professeur Jouet.

«Concevez votre démocratie comme un traité de paix avec votre peuple»

Professeur Jason Opal

Malgré la singularité de ces deux visions incompatibles des États-Unis qui causent la paralysie politique américaine, le professeur Opal a voulu émettre un avertissement aux autres démocraties occidentales afin d’éviter de telles divisions. «Concevez votre démocratie comme un traité de paix avec votre peuple», a‑t-il affirmé, soulignant l’importance de ne pas la tenir pour acquise, car «elle peut se détériorer» très rapidement. Afin d’éviter que les problèmes affligeant les États-Unis ne s’enchâssent dans la structure du débat de société, le professeur Opal a conseillé aux autres nations d’inciter les bons comportements politiques, notamment en adoptant le scrutin proportionnel, en mettant régulièrement à jour leurs documents constitutionnels ou encore en obligeant les partis politique à avoir une plateforme et à la dévoiler avant les élections. «Il est beaucoup plus facile pour une nation de prévenir ces divisions en amont que de tenter de leur échapper en aval» a affirmé le professeur Opal. 

Il est à noter que ce webinaire a eu lieu avant que le candidat démocrate Joe Biden ne soit annoncé vainqueur des élections présidentielles américaines le 7 novembre dernier.

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Retour sur le référendum https://www.delitfrancais.com/2020/11/03/retour-sur-le-referendum/ Tue, 03 Nov 2020 13:59:54 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=38873 Panel sur la campagne référendaire de 1995.

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Le 29 octobre dernier avait lieu un panel bilingue portant sur le référendum du 30 octobre 1995 sur l’accession du Québec à la souveraineté organisé par l’Institut d’études canadiennes de McGill (IÉCM). Cet événement rassemblait deux acteur·rice·s du camp du OUI, Louise Beaudouin et Me Éric Bédard, qui étaient au moment du référendum respectivement ministre déléguée aux Affaires intergouvernementales et ministre de la Culture et des Communications du gouvernement péquiste québécois, et adjoint du directeur du cabinet et secrétaire du premier ministre québécois Jacques Parizeau. Étaient également présents, pour représenter le camp du NON, Me Eddie Goldenberg et John Parisella, respectivement conseiller politique principal du premier ministre canadien Jean Chrétien, et membre du comité de coordination et d’organisation du camp du NON et ancien chef du cabinet du premier ministre québécois Robert Bourassa. La discussion entre ces quatre acteur·rice·s de la campagne référendaire était modérée par Graham Fraser, journaliste et écrivain canadien ayant servi comme commissaire aux langues officielles du Canada de 2006 à 2016. 

Le référendum québécois de 1995 portait sur la souveraineté assortie d’un partenariat économique et politique avec le Canada. Cet événement était l’aboutissement d’une série d’événements politiques que Graham Fraser a qualifiés de «guerres constitutionnelles»: le référendum de 1980 sur la souveraineté du Québec, le rapatriement de la Constitution canadienne en 1982, l’échec de l’accord du Lac Meech en 1990 et de l’accord de Charlottetown en 1992. Au final, le référendum de 1995 se conclut avec des résultats serrés: 50,58% pour le NON contre 49,42% pour le OUI.

Un moment tournant

Dès l’élection de Jacques Parizeau à l’automne 1994, avec sa promesse d’organiser un référendum sur la souveraineté dans la prochaine année, Me Goldenberg raconte que les forces fédérales ont commencé à travailler étroitement avec le Comité pour le NON, bénéficiant d’une avance considérable à l’hiver, au printemps et à l’été de 1995. 

Or, une déclaration de l’homme d’affaires québécois Claude Garcia le 24 septembre 1994 serait venue changer la donne. Devant des partisans fédéralistes, M. Garcia avait affirmé des souverainistes qu’il fallait «les écraser» au moment du vote. Cette déclaration, qui comportait «trop d’arrogance» selon Me Bédard, avait effectivement été considérée comme «un non-départ» par le camp du NON, qui a vu le vent se mettre à souffler dans les voiles du camp du OUI

L’effet Bouchard et la campagne du rêve

De l’aveu des quatre panélistes, l’enthousiasme populaire pour le camp du OUI aurait été décuplé par la nomination de Lucien Bouchard, chef du Bloc Québécois (BQ), à titre de négociateur en chef des Québécois·es le 7 octobre 1995. 

Après avoir été amputé de la jambe gauche moins d’un an plus tôt afin de contrer le progrès d’une bactérie mangeuse de chair, Lucien Bouchard était entouré d’une aura «quasi religieuse», selon Me Bédard. Ayant échappé de si près à la mort, Lucien Bouchard aurait été protégé par cette ferveur qui lui permettait de tenir des propos qui auraient mis fin à la carrière de tout autre politicien, selon Me Goldernberg. Ce dernier a notamment donné l’exemple de la portée négative minime de sa déclaration décrivant les Québécois·es comme «une des races blanches qui ont le moins d’enfants».

Les gens lui auraient dit: «Parizeau nous inquiète, Bouchard nous rassure» 

Figure charismatique selon M. Parisella, Lucien Bouchard aurait donné une touche d’humanité et de proximité avec les gens au camp du OUI, contrastant le formalisme de Jacques Parizeau, qui vouvoyait même ses plus proches conseillers aux dires de Me Bédard. Selon ce dernier, les Québécois·es sentaient qu’ils et elles auraient pu «prendre une bière» avec le chef du Bloc: il était une figure en laquelle les Québécois·es qui voulaient croire au projet de souveraineté pouvaient s’identifier. Les propos de Mme Beaudouin ont également fait état de l’impact non négligeable de Lucien Bouchard auprès de la population québécoise; lors de son porte-à-porte dans Chambly, les gens lui auraient dit: «Parizeau nous inquiète, Bouchard nous rassure.» 

Lucien Bouchard, seule personnalité dont on discutait dans les «quartiers généraux» du camp du NON au mois d’octobre 1995, aux dires de M. Parisella, aurait été la figure de proue du camp souverainiste. Cette campagne positive, dont le slogan était «Oui et ça devient possible!», était toute en opposition à la campagne négative et défensive menée par le camp fédéraliste, selon M. Parisella. En effet, a‑t-il affirmé, le camp du NON n’aurait pas eu de grand rêve de changements constitutionnels dans son arsenal, comme ça avait été le cas lors de la campagne référendaire de 1980, survenue avant le rapatriement de 1982 et les échecs de Meech et de Charlottetown. C’est cette absence de rêve à promettre qui aurait donné lieu au jeu défensif du côté fédéraliste, dont l’objectif était de «sauver les meubles». Me Goldenberg a renchéri, affirmant qu’il s’agissait effectivement d’une campagne axée sur le «portefeuille» de la population québécoise plutôt que sur son attachement au Canada. Aux yeux de M. Parisella, les résultats «nez à nez» du référendum témoignent du fait que, bien que le camp fédéraliste avait obtenu une victoire électorale, il avait «perdu la campagne».

Un processus démocratique

Malgré plusieurs éléments qui ont fait de cette campagne une «époque polarisante» aux dires de Me Goldenberg, notamment les rabais offerts par des compagnies de transport afin de permettre aux Canadien·ne·s de participer au «love-in» du 27 octobre 1995, ou encore les propos du premier ministre Parizeau sur les «votes ethniques», les panélistes ont souligné la singularité du Québec, source de fierté, dans le cadre de ce processus démocratique.

Les grands changements et projets sociétaux sont décidés au Québec «non pas avec un fusil, mais avec un bulletin de vote» 

En effet, selon M. Parisella, le Québec serait une source d’envie à l’international pour sa capacité à traiter ses enjeux constitutionnels ou linguistiques de façon pacifique; les grands changements et projets sociétaux sont décidés au Québec «non pas avec un fusil, mais avec un bulletin de vote». Me Bédard a renchéri, affirmant que la société québécoise – dont 93,25% s’étaient prononcée sur la question – a choisi de vivre avec un résultat aussi serré sans prendre les armes: tous et toutes sont «rentré·e·s au bureau le lendemain matin». 

Le panel s’est conclu sur une note positive, alors que M. Parisella a affirmé que les Québécois·es pouvaient ressentir une «fierté de ce qu’on a accompli comme société», par rapport à l’exercice référendaire. Les panélistes se sont entendu·e·s sur la nécessité de travailler contre la polarisation afin d’assurer un climat de respect en société.

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Un électorat sans conviction? https://www.delitfrancais.com/2019/11/12/un-electorat-sans-conviction/ Tue, 12 Nov 2019 16:24:39 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=34966 Le Délit se penche sur la place du vote stratégique dans notre système politique.

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À chaque campagne électorale, on appelle les électeurs et électrices à voter « avec leur cœur », avec « leurs valeurs », ou encore à ne pas « gaspiller leurs voix ». Cette année, Justin Trudeau a appelé au vote stratégique tandis que ce dernier a été critiqué et découragé par le NPD et le Parti vert. Le comportement stratégique des électeurs et électrices aurait ainsi mené à la déconfiture du parti de Jagmeet Singh, selon plusieurs membres du NPD, dont leur chef adjoint Alexandre Boulerice. Néanmoins, le vote stratégique mérite-t-il réellement toute l’importance qu’on lui accorde? Ou est-ce plutôt un phénomène moins courant que l’on pourrait penser?

Un concept précis

Le vote stratégique demeure passablement flou comme concept populaire. Dans la définition traditionnelle utilisée par les politologues, il s’agit d’un vote pour un parti qui n’est pas celui que l’électeur ou l’électrice préfère. En percevant correctement que son candidat ou sa candidate préféré A se fera battre par B, il choisit de voter pour le C (préféré à B) qui a des chances de battre B.

Ce qui pourrait brouiller les cartes est le fait que de nombreux électeurs et électrices adoptent leur comportement électoral à l’échelle nationale et que les partis en tête de la course ne sont peut-être pas les mêmes à l’échelle nationale ou à l’échelle du comté. Toutefois, la définition usuelle limite le vote stratégique à la circonscription. Par exemple, si quelqu’un est un partisan du Parti vert, et que le Parti vert est en tête dans son comté, mais pas à l’échelle nationale, et qu’il vote pour les libéraux pour « bloquer les conservateurs », on n’estime pas que le comportement est stratégique.

35% des votes?

Le 29 octobre, Radio-Canada publiait un article titré « Le vote stratégique a été bien présent lors des élections fédérales » tandis que le 3 novembre, Le Devoir annonçait que « Le tiers des Canadiens ont voté stratégiquement aux dernières élections, selon un sondage Léger ». Pourtant, dans la littérature scientifique, la proportion d’électeurs et d’électrices votant stratégiquement ne dépasse pas les 10%. Qu’est-ce qui explique cette différence majeure?

D’abord, comme l’a expliqué André Blais, professeur-chercheur en sciences politiques à l’Université de Montréal au Délit, « la définition utilisée du vote stratégique, on le devine implicitement, n’est pas la même ». En effet, le sondage Léger expose que « 35 % des gens ont dit avoir tenu compte du fait que leur vote pourrait empêcher un parti d’être élu ». Cette conception du vote stratégique est passablement plus large et plus subjective que celle proposée par la définition traditionnelle. André Blais souligne toutefois que « certains économistes priorisent une conception plus large du vote stratégique, où le comportement stratégique n’est pas limité à un vote pour un parti que l’on ne préfère pas ». Par exemple, préférer un parti plus populaire serait intrinsèquement stratégique, puisque celui-ci a une plus grande chance de gagner.

Alors, 35% des électeurs ont-ils voté stratégiquement? Probablement pas, si on se fie à la définition courante du terme. Prendre en compte le fait qu’on veut empêcher un parti d’être élu, ce n’est pas la même chose que voter pour son deuxième choix. Aux dernières élections fédérales de 2015, ce sont plutôt 6,15 % des électeurs et électrices qui auraient voté stratégiquement. Il faudra cependant attendre plus de données sur les élections de cette année avant d’avoir un chiffre exact.

Un impact surestimé

Alexandre Boulerice a expliqué en Mêlée politique à Radio-Canada, en se basant sur les chiffres du sondage Léger, que plusieurs électeurs et électrices avaient voté « avec la crainte de voir les conservateurs revenir au pouvoir », ce qui a pénalisé le NPD. M. Boulerice mentionne aussi un comportement que l’on pourrait qualifier de faussement stratégique qu’il attribue à une conception erronée de notre système politique comme un système présidentiel. « Sur le Plateau Mont-Royal, il y a zéro chance et une barre que les conservateurs rentrent. C’était un comté NPD où Nimâ Machouf se présentait. Pour nous, on aurait pu le conserver si les gens n’avaient pas fait ce calcul [basé sur la peur des conservateurs] ».

André Blais estime quant à lui que blâmer l’échec d’un parti sur le vote stratégique est « plutôt exagéré, bien qu’il soit indéniable que celui-ci ait un rôle important [dans la configuration de la Chambre des communes] ». Les plus grands partis, dans ce cas-ci les partis libéral et conservateur, tirent leur épingle du jeu, tandis que les formations de moindre envergure, comme le Bloc Québécois, le NPD et le Parti vert sont pénalisés.

Un phénomène inévitable

Face au vote stratégique, Alexandre Boulerice a avoué que son parti ne savait pas sur quel pied danser : « On n’a pas nécessairement la bonne solution par rapport à ça, il va falloir éventuellement la trouver ». On ne peut avancer que tant qu’un parti n’occupe pas la première ou la seconde place dans le système politique, il sera pénalisé et perdra des voix aux mains des plus grands partis.

« L’une des possibilités aurait été une réforme électorale », a avancé M.Boulerice. Pourtant, il semblerait que changer de système électoral n’ait pas une grande incidence sur le vote stratégique. Une étude élaborée par Abramson et al. démontre que la proportion de votes stratégiques est similaire dans chaque système électoral, ce qui semble mettre en lumière qu’instaurer un mode proportionnel ou proportionnel-mixte ne ferait pas en sorte que les Canadiens et Canadiennes votent « avec leur cœur », comme l’a prétendu Jagmeet Singh. D’ailleurs, Thomas Gschwend, dans une étude réalisée en 2007, a conclu que 6% des Allemands avaient voté « stratégiquement », alors que leur système est précisément celui que le NPD souhaite adopter (proportionnel-mixte).

Bref, le vote stratégique n’est pas prêt de disparaître au Canada comme au Québec et il risque fort de continuer à faire le malheur, et le bonheur, des mêmes partis.

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