Vincent Maraval, Malo Salmon - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/malo-salmon/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 02 Apr 2025 02:55:58 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Un son n’est pas un mot https://www.delitfrancais.com/2025/04/02/un-son-nest-pas-un-mot/ Wed, 02 Apr 2025 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=58050 S’il y a bien un terme à la mode ces dernières années, c’est « polarisation ». Il fait son apparition dans les articles de journaux, au sein de l’Assemblée nationale, sur nos campus universitaires et parfois même autour de la table familiale. Son utilisation est loin d’être déraisonnable : en effet, les tensions qui habitent… Lire la suite »Un son n’est pas un mot

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S’il y a bien un terme à la mode ces dernières années, c’est « polarisation ». Il fait son apparition dans les articles de journaux, au sein de l’Assemblée nationale, sur nos campus universitaires et parfois même autour de la table familiale. Son utilisation est loin d’être déraisonnable : en effet, les tensions qui habitent les débats dans l’espace public sont telles qu’il semble parfois impossible d’éviter d’être poussé vers un pôle ou l’autre. Il est devenu aberrant et incongru de ne pas avoir de parti pris. Être désolé pour la guerre, où qu’elle soit, n’est plus suffisant : il faut absolument choisir son camp et le défendre farouchement. « Et toi, pour qui es-tu dans la guerre? » Être en désaccord avec une politique, quoi qu’elle vise, ne peut pas se conjuguer sans une attaque personnelle au parti qui en fait la promotion. « Si le gouvernement coupe l’immigration, c’est parce qu’il est xénophobe. »

Le phénomène de polarisation n’est pas entièrement méprisable ou sordide pour autant. Lorsque les dirigeants nous inspirent davantage la méfiance que la confiance, qu’on entend des déclarations qui s’attaquent à notre identité, ou qu’on est les témoins quotidiens d’images atroces de crimes de guerre, comment ne pas réagir viscéralement? Se lever, dénoncer ces injustices, faire connaître à ceux qui souffrent mon soutien : lever ma voix… n’est-ce pas la seule réaction à avoir?

Inconditionnellement, rester silencieux dans une telle situation, c’est laisser l’autre s’exprimer au détriment de mes idées. Pourtant, si lutter contre les injustices n’est pas controversé, mais bien souhaitable, il demeure essentiel d’en définir la méthode : « parler fort », ce n’est pas « dire vrai ». La polarisation oublie ce précepte. Certains associent, à tort, la force de leur voix à la pertinence de leurs propos. Être polarisé, c’est vouloir faire entendre ses hurlements idéologiques pour enterrer la raison du débat en collectivité. Trop souvent, on oublie que parler trop fort nous empêche d’écouter.

La polarisation est tout le contraire du dialogue. Elle ordonne : « Écoute-moi! », plutôt que d’accueillir, « Je t’écoute ». Elle renferme, « Tu es ceci », plutôt que de s’ouvrir, « Qui es-tu? ». Elle tente de convaincre, « Tu devrais », plutôt que de comprendre, « Que devrais-je? ». Si la polarisation est si attrayante, et le dialogue si difficile, c’est bien pour l’humilité que ce dernier demande. Il demande de reconnaître que je ne suis pas le seul à souffrir d’injustices, que je peux moi aussi être un oppresseur pour autrui, et que ceux à qui je m’adresse ont droit à la même dignité humaine que moi, peu importe leurs idées. Le dialogue est pourtant peut-être le seul moyen de lutter contre cette polarisation.

Parlons ici d’un vrai dialogue, et non pas d’une querelle ou d’une dispute. D’un dialogue où j’accepte d’être silencieux, de laisser l’autre s’exprimer en retenant mes rétorques, pour l’écouter dans l’espoir que lui soit silencieux et m’écoute à son tour. D’un dialogue où l’écoute ne se fait non pas en ruminant mes idées dans l’attente de mon tour de parler, mais bien dans une tentative authentique de compréhension de ce qui m’est communiqué. Non, écouter un argument opposé, ce n’est pas trahir ses idées. Et oui, participer honnêtement au dialogue est difficile. Intérieurement, un grand effort est nécessaire alors que toutes sortes d’émotions sont suscitées et ne demandent qu’à nous voir agir en leur nom. Si ces émotions sont bien souvent justifiées et ne doivent pas être négligées, agir impulsivement en raison de ce bouillonnement interne est souvent une entrave au dialogue.

Parlons ici aussi d’un dialogue avec notre interlocuteur dans sa personne, et non pas celui qu’on vit par le biais des commentateurs politiques. Ne substituons pas celui devant nous avec l’image qui nous est faite de lui par ce que nous consommons dans les médias. Au contraire, écoutons-le malgré ces images et substituons-les par celle de notre interlocuteur.

Dans ce climat de polarisation croissante, l’éducation supérieure peut être une solution. Elle peut nous fournir une manière d’avancer, et de se constituer avec humilité une opinion consciente sur les enjeux de société. Elle nous apprend à raisonner en nous basant sur des faits, à nuancer nos propos, et à défier les prémisses et principes mêmes de nos champs d’études. Elle nous pousse à creuser en profondeur les sources de problèmes, qui sont souvent bien plus complexes qu’elles n’en ont l’air. Elle nous expose à des théories et des idées parfois différentes des nôtres. Combien sommes-nous à avoir commencé McGill avec une certaine conception de notre champ d’études, pour en sortir avec une conception radicalement différente? L’université est, et se doit de rester un espace où les idées peuvent circuler et entrer en dialogue. Si nous-mêmes, membres de l’université, sommes polarisés au sein de cet espace, comment pouvons-nous espérer trouver autre chose ailleurs?

La polarisation est parmi nous. Elle nous affecte tous. Maintenant, face à ce constat : que devons-nous faire? Que pouvons-nous faire? Une première étape dans le processus de guérison social semble s’imposer à nous : avoir l’humilité de se poser les question « Suis-je de ceux qui contribuent à cette polarisation? » et « Qu’ai-je à perdre d’être plus à l’écoute? ».

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La femme qui refuse https://www.delitfrancais.com/2024/10/02/la-femme-qui-refuse/ Wed, 02 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56143 Le TNM nous fait connaître la vie de Suzanne Meloche.

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La Femme qui fuit marquait la première pièce présentée au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) sous son sixième directorat. Après plus de 30 ans à la direction de l’une des institutions théâtrales les plus respectées en Amérique du Nord, Lorraine Pintal a cédé sa place à la relève en début septembre en nous offrant en héritage trois derniers spectacles auxquels elle aura ajouté un peu de sa magie (La femme qui fuit, Je t’écris au milieu d’un bel orage, Kukum). Le premier de ces derniers reprend le succès littéraire éponyme d’Anaïs Barbeau-Lavalette, paru en 2015, et s’annonce être une oeuvre profondément féminine avec l’adaptation théâtrale sous la plume de Sarah Berthiaume et une mise en scène d’Alexia Bürger.

Le récit d’Anaïs Barbeau-Lavalette est à la fois un travail de recherche et d’imagination qui romance la vie de sa grand-mère, Suzanne Meloche, faute de l’avoir connue. Sarah Berthiaume et Alexia Bürger affrontent ici un défi de taille en faisant l’adaptation théâtrale d’un tel roman, dont l’essence est évanescente, sur laquelle on ne peut mettre la main ; qui fuit. S’ajoute à ce défi la pression de mettre en scène une histoire dont la popularité est encore actuelle : le public a l’image de Suzanne telle qu’évoquée par le roman encore présente dans son esprit. C’est donc par une adaptation très proche du texte original — qu’une grande partie des répliques reprennent mot pour mot — que Sarah Berthiaume approche la reprise théâtrale.

La narration à la deuxième personne s’adapte merveilleusement au théâtre, et l’habileté avec laquelle la voix de la narratrice, interprétée par Catherine de Léan, se fond dans le récit, tient autant de la diction de la comédienne que du choix de l’agencement des répliques.

De son côté, Alexia Bürger vient chercher la dualité fuite/recherche par une mise en scène qui surplombe le spectateur : d’énormes marches s’élèvent à partir de la scène en s’éloignant du public, l’appelant à poursuivre celle qui se trouve au sommet. De plus, la distance et la séparation entre ce que nous apercevons de Suzanne et qui elle est réellement se veut explicité par un immense cadre que la narratrice chevauche : c’est par sa lentille seule qu’il nous est permis de découvrir celle qui fuit. Outre cet escalier colossal, le décor simple n’est rehaussé que par des changements de lumière, laissant le récit être porté par les 18 acteurs qui, en toute harmonie, s’échangent autant la parole que le rôle de Suzanne. Cette simplicité des décors est parfois au détriment de la pièce, alors que les acteurs ont recours à des caricatures pour rappeler au public leur personnage. Parfois inutile, comme dans le cas de Paul-Émile Borduas, et d’autres fois une banalisation excessive qui relève du kitsch, comme pour l’archevêque ; ces raccourcis minent les personnages et les tableaux dont ils font part en les rejetant comme des farces tandis qu’ils sont formateurs. La vigueur du jeu d’acteur sur lequel repose donc l’histoire surcompense et le public devient quasiment intime avec Suzanne : ce n’est plus la femme qui fuit, mais bien la femme qui refuse. Proche de Suzanne, le spectateur n’a plus l’impression d’être à la poursuite de la poète, mais bien d’être à ses côtés, de l’accompagner. Son abandon de François et de Mousse n’est plus une fuite pour la liberté, mais un refus d’en prendre soin ; ses départs pour l’Europe ou l’Amérique non plus des échappatoires de chagrin, mais bien des refus de le confronter. Cette femme que l’on cherche tout au long du roman d’Anaïs Barbeau-Lavalette n’est plus lointaine, ni effacée, ni même en fugue par rapport à l’auditoire. Elle est là, sous nos yeux, et nous l’accompagnons dans sa fuite.

L’adaptation théâtrale de La Femme qui fuit du Théâtre du Nouveau Monde échoue à nous faire ressentir la fugacité propre de l’oeuvre littéraire, mais ce n’était peut-être pas son objectif. Par cette représentation, le public a l’impression de mieux connaître Suzanne, d’être plus près d’elle qu’à travers la lecture du roman. Qu’en penser alors? Si vous voulez savoir qui était Suzanne Meloche, allez voir la pièce. Si vous voulez savoir qui était la femme qui fuit, lisez le roman.

La Femme qui fuit est présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 13 octobre 2024. Pour plus de renseignements, consultez le site internet du TNM.

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Le regard du Délit https://www.delitfrancais.com/2024/08/28/le-regard-du-delit/ Wed, 28 Aug 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55478 Comme chaque année depuis plus de 40 ans, la rentrée des classes est synonyme de la parution d’une nouvelle édition du Délit. Pour certains, ce sont les retrouvailles d’une publication qui les tient au courant de l’actualité du campus, pour d’autres c’est la découverte d’une vie étudiante francophone à McGill. Pour les membres du conseil éditorial, c’est… Lire la suite »Le regard du Délit

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Comme chaque année depuis plus de 40 ans, la rentrée des classes est synonyme de la parution d’une nouvelle édition du Délit. Pour certains, ce sont les retrouvailles d’une publication qui les tient au courant de l’actualité du campus, pour d’autres c’est la découverte d’une vie étudiante francophone à McGill. Pour les membres du conseil éditorial, c’est surtout le retour des cogitations sur le prochain article, des entrevues avec les professeurs, des échanges avec nos contributeurs et des heures passées à réécrire la même phrase. Si l’équipe donne autant de soi dans chaque étape de la rédaction, ce n’est certainement pas pour le salaire exorbitant que reçoivent les éditeurs. Non, l’enthousiasme de l’équipe puise ses sources en d’autres courants, et le premier tient de la responsabilité qu’ils ont à l’égard de ce qu’ont construit les éditeurs précédents. Ces personnes, qui, tout comme nous, y ont investi des heures et versé tout leur cœur. Le deuxième, elle tient de la responsabilité de contribuer à la mémoire collective mcgilloise, en fournissant une documentation vivante de ce qu’est l’Université, et son évolution.

L’équipe du Délit n’est pas simplement liée par le fait de produire ensemble chaque semaine, mais aussi par le fait de partager des habitudes, un quotidien, des idées, ainsi qu’une curiosité pour le monde qui nous entoure. Chaque éditeur et éditrice se révèle peu à peu être un organe indispensable au bon fonctionnement de l’organisme qu’est Le Délit. En revanche, cet organe ne limite pas l’éditeur simplement à son rôle dans la chaîne de production. Le Délit se veut plutôt être le médium de l’épanouissement intellectuel et culturel de chacun : si un éditeur souhaite s’informer et pousser davantage sur un sujet donné, il est libre de s’y plonger, de choisir ses articles, ainsi que les défis qui les accompagnent. C’est d’ailleurs au nom de cette idée que Le Délit détient une « section tournante », qui peut être modelée chaque semestre par les volontés et ambitions du conseil éditorial. Elle a d’ailleurs traité le sujet de l’environnement le semestre dernier.

On ne peut comprendre ce qu’est Le Délit qu’en le lisant dans un premier temps, et en y contribuant dans un deuxième. Toutefois, il convient peut-être de l’introduire en explicitant ce qu’est son mandat ; ce pour quoi il existe. Certes, comme tout journal, Le Délit est un média d’information et de partage. Et en tant que journal étudiant, il est au service de la population de McGill et se concentre sur les enjeux du campus. Mais avant tout, ce pour quoi Le Délit existe est la langue française et tout ce qui s’y cache. Rappelons le premier éditorial de notre journal : « Une édition francophone ne peut avoir qu’un effet positif car elle permettra l’expression des sentiments d’une minorité culturelle en Amérique, qui est majoritaire au Québec. Ainsi, les anglophones seront à même de mieux comprendre certaines aspirations de leurs voisins. » Sur le campus, nous sommes la voix de ce qui est vécu en français, et nous avons le devoir de le partager avec autrui. Notre première responsabilité est d’être le contrepoids des pouvoirs déjà en place. Ainsi, nous abordons les enjeux qui touchent notre communauté à l’intersection de notre identité de francophone et d’étudiant : le but étant de poser un regard qui se distingue de la bulle anglophone lorsque l’administration de McGill prend une décision, et d’avoir une approche nuancée lors qu’il en vient à celles de l’Assemblée Nationale.

Si la présentation de l’information objective n’existe pas, Le Délit tente de naviguer à travers les événements du quotidien en laissant de côté les interprétations faussées et politisées que connaît notre monde. Les événements graves, lourds de sens et lourds de peines exacerbent chaque jour un peu plus les ressentiments et perceptions individuelles ; agir en tant que journal étudiant au sein de la communauté mcgilloise et de la société québécoise correspond donc à un exercice complexe et sensible, mais qui est également enrichissant et instructif sur l’état de notre monde pour nos aspirants journalistes. 

Agir en tant que journal étudiant, c’est aussi décider ouvertement de couvrir les sujets qui nous tiennent à cœur, de porter des valeurs en lesquelles nous croyons et des opinions que nous défendons. La première est avant tout la défense du « dialogue et de l’expression de points de vue différents dans un contexte de respect et de reconnaissance des droits individuels et collectifs et de non-discrimination fondée notamment sur le genre, l’orientation sexuelle, l’origine raciale, les aptitudes physiques et les croyances religieuses. » Cette année, l’équipe éditoriale se donne le devoir de soutenir ces valeurs, et vous invite tous et toutes à participer et contribuer à cette mission si vous sentez qu’elle résonne en vous

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Notre Père https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/notre-pere/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55352 Lorsque la vieillesse s’invite dans notre intimité.

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Jeudi dernier avait lieu la première représentation de la plus récente création du Théâtre du Nouveau Monde : Le Père. Annoncée par une campagne publicitaire inondant le métro, cette pièce écrite par Florian Zeller débarque de ce côté de l’Atlantique en réponse à l’appel de la société québécoise ; les nombreux baby boomers vieillissants, les affiches luxuriantes qui invitent aux résidences privées pour aînés, et le traumatisme des centres d’hébergement et de soins de longues durées (CHSLD) dont nous venons tout juste de sortir témoignent de la force de la vieillesse au Québec. Le Père est une invitation à cette dernière : on l’invite simultanément chez soi et sur scène, pour lui parler et en parler, pour en rire et la craindre, pour en discuter et la comprendre.

Ingénieur à la retraite, vivant seul dans son appartement, André reçoit des visites quotidiennes de sa fille Anne. Voilà le premier tableau qui nous est dressé : un salon bien décoré, une peinture impressionniste au mur, des étagères garnies de romans et une armoire à alcool à envier. Comme tous ceux qui rencontrent André pour la première fois, l’auditoire ne peut qu’être charmé par le personnage de Marc Messier. C’est avec une aimable courtoisie et un humour auto-dérisoire qu’André gagne la bienveillance du public : beau parleur qui ne manque pas l’occasion de complimenter, il n’hésite pas non plus à frôler le ridicule lorsqu’il commence à danser les claquettes. Comme il le dit lui même, André n’est pas de ces vieux qui sont tous ramollis, incapables de parler, de marcher ou de se nourrir seuls. Lui est encore en forme, est assez autonome pour vivre seul et n’a besoin de personne. C’est la subtile ironie de paroles comme celles-là qui font le tragique de cette farce.

Anne nous révèle bientôt qu’une nouvelle proche aidante sera engagée, décision qu’elle a prise au vu du fardeau trop imposant pour elle seule qu’était le soin de son père. La nature de l’incapacité d’André, à l’inverse du préjugé qu’il porte sur ceux de son âge, n’est pas physique, mais bien mentale. Oublis, pertes, changements de décors et d’apparence des personnages : la neurodégénérescence d’André se témoigne d’abord et avant tout par la décadence du temps. Symbolisé par sa montre disparaissante, et représentée dans l’enchaînement asynchrone des tableaux, l’oubli du temps est l’élément déclencheur de la manie névrosée qui se propage autant à l’intérieur d’André que dans les décors et chez l’auditoire. Nous suivons le père dans l’étourdissement temporel provoqué par les dialogues qui se contredisent d’une scène à l’autre : Anne n’avait-elle pas déménagé avec son mari? N’avons-nous pas déjà préparé le poulet du souper? Suis-je chez moi, chez ma fille ou dans une résidence? La finesse d’Édith Patenaude et l’habileté de la distribution artistique est à louer pour l’immersion dans laquelle sont plongés les spectateurs. Alors qu’on témoigne d’Anne qui change de visage et de cheveux, et de son ami Pierre, qui change de nom et de couleur de peau ; les manières, les attitudes, la diction et la contenance sont révélateurs d’une identité qui ne change pas. Le spectateur se pose les mêmes questions qu’André : est-ce ma mémoire ou mes yeux qui me trahissent? S’ajoute à ce jeu d’acteur envoûtant une scène qui se transforme discrètement et se vide. L’image de ses deux filles devient une peinture morne et abstraite, la table à manger devient une petite table basse, et l’étage du duplex tombe au sous-sol. Autant de détails qui mènent à la confusion et la frustration partagée entre tous dans la salle. Tout au long de la représentation, l’auditoire est plongé dans l’intimité d’André. À la fin de l’heure et demie, ce ne sont pas les médecins, la travailleuse sociale, ni même sa fille qui connaissent le mieux André, mais bien le public, qui a vécu ses tourments avec lui. Par sympathie, les spectateurs commencent à ressentir, comme André, qu’il y a quelque chose qui leur échappe, qu’on leur cache : une vérité qui est connue de tous sauf nous. Sur des scènes qui s’éteignent abruptement à leur climax, Florian Zeller construit le suspens de la révélation tragique.

Le Père tel qu’il a été mis en scène par Édith Patenaude est un ressuscitation du rôle de catharsis qu’a le théâtre. Alors que d’autres Québécois font danser des ombres sur les grands écrans à travers le monde, l’équipe du Théâtre du Nouveau Monde saisit les passions qui animent notre société et les incarne, leur donne vie et les fait mourir afin que nous puissions en rire, en pleurer, pour les comprendre dans l’espoir d’ultimement les aimer.

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Le voyage transforme-t-il? https://www.delitfrancais.com/2023/11/22/le-voyage-transforme-t-il/ Wed, 22 Nov 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=53499 Permettre au voyage d’agir en nous.

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Fin juin de cette année, à la veille de ce qui est pour beaucoup de Québécois le début des vacances estivales, le magazine The New Yorker publiait un essai qui remettait en question le fantasme d’été par excellence : Les arguments contre le voyage (tdlr). Rappelant le dédain de Socrate et de Kant envers le voyage, Agnes Callard creuse une place dans le for intérieur du pèlerin et sème le doute quant aux aspects « transformateurs » du voyage, dont les adeptes vantent trop rapidement les mérites. Cet article tente de briser l’illusion miraculeuse d’un bref échappatoire du quotidien. « On sait déjà ce qu’on sera à notre retour […] Le voyage est comme un boomerang, il nous dépose là où il nous a pris », et il n’est pas en tort d’affirmer : « Les voyages sont amusants, il n’est donc pas mystérieux que nous les aimions. » Il l’est par contre lorsque, dans la phrase suivante, il affirme : «Ce qui est mystérieux, c’est la raison pour laquelle nous lui donnons une si grande importance, une telle aura de vertu. » Le voyage a cette vertu qu’on lui accorde parce qu’il peut s’avérer transformateur, parce qu’il peut nous déposer ailleurs que là où il nous a pris ; à condition qu’on le lui permette.

Le voyage est un phénomène qui transcende toute culture. L’Épopée de Gilgamesh, l’une des œuvres littéraires les plus anciennes, est un récit de voyage. Le récit fondateur des trois grandes religions monothéistes, celui d’Abraham, commence également par un appel au voyage, et le plus renommé des chants de l’époque de Socrate en est devenu éponyme. Toutes ces histoires pérennes, plus influentes les unes que les autres, voient le voyage opérer sur les héros une chirurgie corporelle et spirituelle. L’un part tyran et revient chez lui exemple de l’humanité même, l’autre consolide sa foi en son Dieu, et le dernier apprend la patience et l’humilité qui feront de lui un homme sage. Ces trois méta-récits illustrent la raison pour laquelle la notion du voyage est ainsi conçue : la culture, populaire ou non, dépeint le voyage comme la toile de l’évolution.

Toujours est-il que le Québécois lambda qui traverse l’Atlantique n’est pas en risque d’être dévoré par Scylla ; ce qui l’attend est moins de l’ordre des monstres marins, des déesses perverties et des sacrifices filiaux, que celui de journées passées à errer dans un dédale de rues inconnues ou sur les plages dont les eaux sont légèrement plus limpides que celles du Saint-Laurent. L’oisiveté qui habite les vacanciers empêche- t‑elle au voyage d’engendrer une transformation qui ne s’anéantit pas quelques semaines après le retour au quotidien? Si la rencontre avec un cyclope est impossible, qu’est-ce qui pourrait traumatiser le regard d’un Québécois, qui passe deux semaines sans voir de cône orange? Sans doute la réponse est telle que la magie du voyage opère particulièrement ainsi : il répond à ce que nous cherchons. Le touriste français qui veut s’entourer d’autres Français pour rappeler que « le fromage est quand même meilleur en France » réussira à en trouver d’autres qui fuient leur pays seulement pour en éprouver la nostalgie ; les Américains qui refusent d’apprendre d’autre langue que l’anglais trouveront un guide qui le parle couramment et qui veut bien tout leur expliquer pour une somme généreuse ; le « voyageur » qui souhaite se différencier du « touriste » trouvera d’autres « voyageurs » avec lesquels il pourra s’enorgueillir d’avoir appris comment dire « bonjour » dans la langue locale. Mais qu’en est-il de celui qui cherche la transformation? Comment le voyage répond-il à son appel?

« Qu’est-ce qui pourrait bien traumatiser le regard d’un Québécois, qui passe deux semaines sans voir de
cône orange? »

L’environnement

Le voyage opère par le changement d’environnement. Tant le paysage que le rythme de vie, les habitudes, les goûts et mœurs, ou encore les bruits et les odeurs sont altérés par l’échappatoire. Cette altération de la routine, bien qu’artificielle et éphémère, a pourtant fait ses preuves. C’est en quelque sorte de la même façon que procèdent les centres de réhabilitation comme Portage, qui retirent les participants de leurs environnements pour leur montrer un milieu différent, leur faire (re)découvrir des habitudes de vies ignorées en espérant que ce qui est découvert sera ramené chez-eux. Lors du voyage, la métamorphose de l’environnement voit l’entourage du voyageur devenir un miroir, non seulement de ce qu’il souhaite voir, mais également de qui il est. Tout ce qui arrive est soit propre à lui-même, soit propre à la culture qui l’entoure : c’est la personnalisation de l’expérience. L’entièreté du vécu dans l’inconnu reçoit chaque péripétie comme un événement singulier parce qu’il est difficilement explicable selon les repères de son chez-soi. S’offre donc au voyageur le choix de l’explication : d’un côté que ce sont la culture et le mode de vie qui sont différents, et de l’autre son dernier recours face à l’inconnu ; le hasard, la (mal) chance, les esprits, Dieu… Une telle interprétation d’événements dont l’apparence serait banale chez-soi peut-elle provoquer chez le voyageur davantage qu’un étonnement fugace? C’est dans son approche de ces incompréhensions que le voyageur devient réfléchi par son entourage, et qu’il se voit choisir entre permettre au voyage d’agir en réponse à son appel ou revenir chez lui tel qu’il en est parti. La redécouverte de l’interaction avec le monde qui l’entoure offre au pèlerin l’opportunité de remettre en question sa responsabilité vis-à-vis de ce qui lui est avancé. Le voyage le place au centre de l’expérience, et s’il souhaite être transformé, il doit autant s’approprier la beauté qui lui est révélée, qu’il doit délaisser son orgueil, qui l’empêcherait de l’entrevoir. Après tout, « Partir, c’est mourir un peu ».

Le voyage associe espace et temps

L’une des forces du voyage est le lien qu’il crée entre le temps et l’endroit où il a lieu. La personne que le voyageur est à ce moment est également ce qu’il est en ce lieu. La référence à l’expérience ne se fait plus autant par l’entremise d’une ancre temporelle que par le souvenir de l’environnement qu’il habitait alors ; ou plutôt, les deux marqueurs deviennent indissociables. L’association de ces deux domaines durant une courte période, dans un lieu éphémère, permet d’en réaliser la dissociation acquise dans son quotidien. Celui qui permet au voyage de l’entraîner dans son flot a la possibilité d’entrevoir comment le temps est le cœur du voyage, et que les changements de l’espace qui l’entoure ne sont qu’un moyen de rendre plus saillant le chemin parcouru : le voyage se fait davantage à l’intérieur de soi-même qu’à l’extérieur. Ce qui fait sa magie est cette volonté de découverte et d’émerveillement par laquelle on l’appelle, et l’humilité avec laquelle on reçoit ses réponses. Mais cette magie du voyage peut être reproduite dans une même ville, et le voyage peut se faire sur place. Le défi se trouve dans la conservation de l’approche à l’espace et au temps qu’il insuffle lorsque l’environnement est le même à l’année longue.

« Ce qui fait sa magie est cette volonté de découverte et d’émerveillement par laquelle on l’appelle, et l’humilité avec laquelle on reçoit ses réponses.»

Ulysse et Gilgamesh, même si leur odyssée les dépose là où elle les a pris, ne sont pas tels qu’ils se sont imaginés à leur départ. Le voyage a agi sur eux, et ce qui fait leur gloire est ce qu’il sont devenus, les personnes qu’ils sont à leur retour. Si le voyageur veut être transformé, il doit non seulement permettre au voyage d’opérer sur lui, mais prendre soin des souvenirs qui lui ont été impartis.


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Ye n’a plus besoin de micro https://www.delitfrancais.com/2022/11/30/ye-na-plus-besoin-de-micro/ Wed, 30 Nov 2022 12:01:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50217 En 2022, Ye est une voix que nul ne peut faire taire.

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L’ouragan Katrina s’est abattu sur la Nouvelle-Orléans en août 2005. Le cataclysme a emporté plus de 1 500 vies, la plupart d’entre elles noyées dans l’inondation de 80% de la région métropolitaine, et des dizaines de milliers de personnes se sont retrouvées échouées dans la ville submergée. Dans le but de provoquer une prise de conscience du public américain et de lever des fonds en réponse à ce fléau, la chaîne de télévision NBC a été l’hôte d’un concert caritatif réunissant des grandes célébrités du moment. Parmi les présentateurs se trouvait Ye, alors connu sous le nom de Kanye West. Alors qu’il présentait le début de l’émission, le rappeur américain a dévié du scénario préparé par la production pour dénoncer la réponse de l’administration Bush: «Cela fait cinq jours [qu’on attend l’aide fédérale] parce que la plupart des gens sont noirs. […] George Bush n’a que faire des Noirs.»

Ye n’a jamais été de ceux qui mâchent leurs mots. Que ce soit dans ses chansons, sur la scène ou en entrevue, il n’a jamais hésité à recourir à un langage cru, sans égard pour les conventions sociales, pour exprimer ce qu’il ressent. Provoquant de nombreuses polémiques, le rappeur afro-américain se prononce à voix haute sur ses opinions quant à certains faits qui résonnent chez un bon nombre de ses fanatiques. N’ayant cure de l’image de lui-même qu’engendre ses discours, certains diront qu’il ose parler là où d’autres préfèrent se taire. C’est ainsi qu’il a durement critiqué le président Bush en 2005; mais c’est de cette même façon qu’il a décrédibilisé le mouvement Black Lives Matter (BLM) et porté un chandail avec l’inscription «White Lives Matter», un slogan associé au Ku Klux Klan et aux membres de la droite alternative américaine; ou qu’il a déclaré que «l’esclavage était un choix». Aucune de ces remarques, toutes plus subversives les unes que les autres, n’aura cependant eu raison de Ye dans l’opinion publique. Ce n’est que récemment, avec ses commentaires antisémites, que Ye semble s’être heurté à un sujet qui pourrait avoir des répercussions importantes.

«N’ayant cure de l’image de lui-même qu’engendre ses discours, certains diront qu’il ose parler là où d’autres préfèrent se taire»

En effet, si le compte de Ye a été suspendu de Twitter et si Adidas a résilié leur entente commerciale, ces deux décisions ont été prises dans un but partagé de montrer que les deux entreprises condamnent les propos du rappeur et qu’entretenir ses idées controversées n’est ni dans leur intérêt, ni dans l’intérêt des poches de Ye. Par ces deux conséquences, le rappeur se voit atteint dans deux sphères d’influence: son capital et sa voix. Pourtant, la confiance inébranlable de Ye ne semble même pas vaciller dans l’ouragan qui l’afflige: il demeure l’un des hommes les plus riches et influents sur la planète et n’a toujours pas exprimé de remords pour ses propos.

S’il a été chassé de la place publique du 21siècle par Twitter, c’est que l’idée qu’il transmettait était nocive et fallacieuse. Invariablement, ce n’est pas parce que Ye a été banni de Twitter qu’il n’entrediendra plus d’idées du même genre que celles qui lui auront valu sa suspension. Il aura tout simplement une voix plus faible, une portée moins grande dans la transmission de son message. À la place d’exprimer ses avis à voix haute, il ne pourra qu’en parler à voix basse, par le biais de réseaux sociaux moins connus ou dans des cercles plus restreints.

«Pourtant, la confiance inébranlable de Ye ne semble même pas vaciller dans l’ouragan qui l’afflige: il demeure l’un des hommes les plus riches et influents sur la planète, et n’a toujours pas exprimé de remords pour ses propos»

L’un des buts de sa suspension est d’empêcher la transmission de propos haineux. Cependant, Ye a déjà rassemblé plusieurs internautes avec son gazouillis, et la polémique qui a suivi lui en aura sans aucun doute attiré davantage. Déjà, l’organisme non gouvernemental états-unien Humans Rights First (Droits humains en premier) recense une crue d’incidents antisémites sur le territoire américain, ainsi qu’une hausse de la haine contre les communautés juives et noires sur les réseaux sociaux. Ces conséquences de la prise de parole de Ye ne peuvent que témoigner d’un phénomène: la voix de Ye résonne auprès de nombre d’Américains. Et maintenant qu’il se sait écouté, et que ceux qui l’écoutent voient qu’il parle pour eux, un homme pourvu de ses moyens, de son influence, de sa confiance et de sa puissance ne pourrait être restreint par de simples suspensions. De la même façon qu’il remplissait des stades pour ses concerts, serait-il inconcevable de le voir remplir les mêmes stades pour ses sermons? De la même façon qu’il a lancé sa propre plateforme de diffusion audio en continu, Tidal, pour offrir une meilleure expérience audiophile que ses compétiteurs Spotify et Apple Music, n’a‑t-il pas les moyens de subventionner sa propre plateforme sociale (ce qu’il a d’ailleurs déjà évoqué)? Bien qu’il y ait peu de chance que de tels projets viennent à terme, force est de constater que Ye pourrait tous les accomplir.

«Confrontée à une figure d’influence si imposante, qui fait la promotion d’idées fallacieuses et dangereuses comme Ye, la lutte contre la désinformation et les discours haineux devient d’autant plus ardue»

Confrontée à une figure d’influence si imposante, qui fait la promotion d’idées fallacieuses et dangereuses comme Ye, la lutte contre la désinformation et les discours haineux devient d’autant plus ardue. Son bannissement et sa condamnation, en plus de ne pas couper sa parole, ont comme effet secondaire d’accroître la polarisation entre ses fanatiques et ses détracteurs. Dans une optique de diminuer la polarisation et la propagande d’idées haineuses, le seul outil dont dispose la société est l’éducation. C’est par la compréhension du contexte historique, social et politique de l’environnement dans lequel émergent les idées que nous pouvons mieux les situer, et ainsi déterminer leur validité relative. Le développement d’une pensée critique et la conscience de sophismes comme l’argument d’autorité sont essentiels lors de la consommation de contenu de figures d’influence. Ainsi, lorsqu’on approche les propos de Ye avec une pensée critique, qu’on sépare ses qualités musicales de ses réflexions personnelles, sans l’en excuser, ses propos se décrédibilisent d’eux-mêmes.

Ye s’est vu ré-admis sur Twitter depuis l’achat de la plateforme par un autre homme tout aussi influent (et peut-être tout aussi controversé) que lui, Elon Musk. Il n’a visiblement aucune intention de revenir sur ses dires, et ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne recommence à partager ses songes. En 2022, Ye est une voix que nul ne peut faire taire.

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Les espaces résonnants https://www.delitfrancais.com/2022/11/23/les-espaces-resonnants/ Wed, 23 Nov 2022 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50054 L’importance et la différence des espaces sûrs.

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En septembre dernier, le centre d’aide Interligne a annoncé qu’il ne serait plus en mesure de procurer ses services d’écoute et d’intervention nocturnes en raison de manque de financement. L’organisme, qui se dit «chef de file en matière d’aide et de renseignements à l’intention des personnes de la diversité sexuelle et la pluralité des genres», était une ressource indispensable pour plus d’une dizaine de milliers de Québécois·es. La ligne téléphonique offrait une écoute qui pouvait sinon comprendre, du moins entendre, les confidences d’un groupe social dont les difficultés ne sont pas toujours accueillies à bras ouverts. Pour la communauté 2SLGBTQIA+, la coupure des lignes nocturnes d’Interligne représente la fin d’un lieu qu’iels pouvaient rejoindre à tout moment, la fin d’un endroit où iels avaient la liberté de se sentir à l’aise avec leur identité et de partager leur expérience, la fin d’un instant à l’abri des jugements et des regards dédaigneux; c’est la fin d’un espace sûr.

Les 35 000 appelants d’Interligne témoignent de l’importance des espaces sûrs. Cette importance est appuyée par la présence d’un grand nombre d’autres services d’écoute comme The McGill Nightline et Tel-Aide qui s’offrent à n’importe qui. Les espaces sûrs permettent à toute personne, indépendamment de son identité, de trouver un endroit où elle se sent à l’aise.

L’évolution d’un terme

Le terme «espace sûr» (safe space) est né et a grandi avec la lutte pour l’acceptation et l’émancipation de la communauté 2SLGBTQIA+ au cours des années 1970. D’abord utilisé pour désigner des endroits où les couples homosexuels pouvaient se rassembler pour prendre un verre, se tenir la main, danser et s’embrasser, les espaces sûrs étaient des lieux de refuge qui leur permettaient d’exprimer et de vivre leur identité sans crainte de représailles des préjugés sociaux et politiques de l’époque. De nos jours, le terme a évolué et est repris par différents groupes, idéologies et institutions. Par exemple, l’Université McGill, aux côtés d’autres universités canadiennes comme l’Université de Toronto et l’Université Queen’s, a pris l’initiative d’accommoder des espaces physiques désignés «sûrs» à divers endroits sur son campus. Le terme a également pris de l’ampleur pour décrire: «des rassemblements inoffensifs de personnes partageant les mêmes idées qui acceptent de s’abstenir de toute moquerie ou critique afin que chacun puisse se détendre suffisamment pour explorer les nuances [d’un sujet, ndlr]», selon la journaliste Judith Shulevitz du New York Times. Ainsi, une rencontre de personnes souhaitant parler de leurs problèmes avec l’alcool, à l’abri de préjugés péjoratifs associés à l’alcoolisme, constituerait un autre type d’espace sûr.

«L’adaptation du terme “espace sûr” et son appropriation par d’autres groupes entraîne des défis et des questionnements»

D’autres parlent de créer des universités qui seraient entièrement des espaces sûrs. En effet, Frederick M. Hess et Brendan Bell, deux chercheurs spécialisés en éducation, proposent la création d’une université ayant un penchant pour la droite conservatrice, un espace sûr au sein duquel des conservateurs pourraient «approfondir des questions et des sujets qui ne correspondent pas à l’orthodoxie progressiste». «Nous avons besoin d’un incubateur où les jeunes intellectuels prometteurs pourraient poursuivre leurs recherches sans être contraints de se conformer à l’idéologie dominante», expliquent-ils au New York Magazine. La notion, née dans le contexte de l’émancipation des droits de la communauté homosexuelle, est donc appropriée par ceux qui historiquement se sont opposés à cette émancipation. Cette appropriation illustre bien le besoin de tels endroits pour toute personne peu importe son identité ou ses opinions politiques.

Un nouvel espace

La révolution Internet n’aura pas été sans impact sur les espaces sûrs. La cyberintimidation était déjà ubique alors même que les plateformes digitales n’avaient pas encore tous les outils pour modérer le contenu partagé. Les trolls lacéraient leurs dissidents, ne ménageant pas leurs propos et se cachant derrière un avatar anonyme pour infliger du tort depuis leurs claviers. Alors se sont créés des espaces à l’abri de ces trolls; des blogues et des forums modérés où des utilisateurs se retrouvaient pour parler de leurs intérêts. Des communautés pour tous types de passionnés se sont ainsi formées: des amateurs de musique coréenne jusqu’aux compétitions de gifles, en passant par les obsédés du dessin animé pour enfant Ma Petite Pouliche (My Little Pony). Les forums et les réseaux sociaux ont permis à des individus de rejoindre d’autres utilisateurs pour discuter de sujets pour lesquels ils ne se sentaient pas confortables de parler avec leur environnement immédiat. Pour certains, ces communautés servaient même de refuge, un espace sûr au sein duquel ils pouvaient être à l’aise, comme en témoigne un rapport publié par TheGovLab: «Les groupes en ligne sont des organisations contemporaines importantes qui peuvent générer un impact et procurer à leurs membres un fort sentiment de communauté et d’appartenance.»

«La technologie est devenue à la fois un remède aux crimes les plus insidieux contre l’humanité et un moyen de les perpétrer»

Ronald Niezen, professeur d’anthropologie à McGill.

À priori, les espaces sûrs d’Internet ne semblent pas soulever d’importants enjeux éthiques. Tandis que certains les critiquent par peur qu’ils enfreignent leur liberté d’expression, il est important de se rappeler que ces espaces sont des refuges, des endroits écartés où des individus peuvent s’isoler d’un discours et d’idées qui pourraient être énoncés dans un autre environnement. Pourtant, l’adaptation du terme «espace sûr» et son appropriation par d’autres groupes entraîne des défis et des questionnements.

La chambre d’écho

Prenons l’exemple d’une personne convaincue que la terre est plate. Intimidée et dénigrée par ses contemporains, elle cherche refuge dans les recoins de la Toile et se trouve hébergée dans une communauté d’autres sceptiques et amateurs de théories du complot. Sur ces plateformes, cette personne a l’opportunité de converser avec d’autres qui comprennent ses rationalisations et qui sympathisent avec ce qu’elle ressent lorsqu’elle est moquée pour ses croyances. Pourrait-on dire que cette communauté est un «espace
sûr»? Si on se permet de considérer que cette croyance est fondamentale pour la personne, au point d’être inséparable de son identité, cet environnement n’a‑t-il pas tous les traits que nous accordons lorsque nous voulons définir un espace sûr? Dans un hypothétique pas trop éloigné de la réalité comme celui-ci, il devient apparent que les espaces sûrs peuvent avoir des conséquences nuisibles sur le développement d’une personne, et, par extension, sur la société. Pourtant, une communauté comme celle des platistes est plus souvent caractérisée comme étant une «chambre d’écho» qu’un espace sûr. Quelle différence faire entre ces deux termes?

«Pourtant, une communauté comme celle des platistes est plus souvent caractérisée comme étant une “chambre d’écho” qu’un espace sûr»

Je propose que la chambre d’écho n’est qu’une extension d’un espace sûr. Si l’espace sûr est un endroit dans lequel on se réfugie pour s’exprimer sans peur de jugements et de réprimandes, cet espace devient une chambre d’écho dans deux circonstances. La première est le résultat d’une volonté individuelle: l’isolement volontaire permet de ne s’exposer qu’à des environnements qui sont considérés comme sûrs selon la personne recluse. L’image d’une personne vivant dans le sous-sol de ses parents pour arpenter les recoins les plus sombres de la Toile vient facilement à l’esprit. La deuxième circonstance est la conséquence de la progression des valeurs sociales. L’espace sûr grandit, il prend de l’envergure pour se confondre avec l’espace public. Nous pouvons prendre comme exemple les premiers espaces sûrs. Alors que dans les années 1960 les couples homosexuels devaient se rassembler dans des lieux souterrains afin d’éviter le harcèlement, ces couples peuvent maintenant vivre leur sexualité dans un espace public avec très peu de crainte au Canada (selon PEW, 85% des Canadiens pensaient que l’homosexualité devrait être acceptée par la société en 2019).

Cette deuxième circonstance implique que l’espace public peut être une chambre d’écho, et quoiqu’il ne l’est pas pour un bon nombre de sujets, il l’est pour certains. Par exemple, la société québécoise du 21siècle est une chambre d’écho en ce qui a trait au règlement de comptes par un duel au pistolet. Le terme «chambre d’écho» mérite sa connotation négative parce qu’il est souvent associé aux complotistes et à leurs propos extrêmes, mais une société qui fait écho au respect de la loi ne saurait se valoir la même connotation.

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Quel est ton signe astrologique? https://www.delitfrancais.com/2022/11/09/quel-est-ton-signe-astrologique/ Wed, 09 Nov 2022 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49761 L’étoile de l’astrologie pâlit-elle?

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Gardez l’œil bien ouvert parce que la passion est dans l’air pour les Gémeaux, l’ambiance est torride pour les Taureaux tandis que l’humeur est plutôt morose chez les Béliers. Les phrases que vous avez lues dans votre horoscope au début de la semaine ressurgissent soudain. «C’est vrai que j’ai pas mal de chance sur Tinder en ce moment.» « J’ai l’impression que mon couple ne va pas très bien ces temps-ci.» «C’est la fatigue qui nous ramollit, on doit reprendre les choses en main.» De l’amour à l’argent et à la vie professionnelle, sans oublier la santé, l’horoscope contient l’ensemble des prédictions que l’on tire des représentations et placements célestes à un instant donné. Mais pourquoi lisons-nous notre horoscope? Nous prétendons ne pas y croire et pourtant, nous ne pouvons pas nous empêcher de le consulter.La croyance en l’astrologie, soit l’étude des positions et des configurations des astres et leur effet sur le comportement, est en hausse depuis quelques années. Selon un sondage de la firme Reasearch Co. mené en 2020, 36% des Canadien·ne·s croient «probablement » ou «assurément » en l’astrologie, tandis que 55% n’y croient pas. Chez les jeunes de 18 à 24 ans, la proportion de croyant·e·s en l’étude des astres s’élève à 49%.

Oui, il est vrai qu’elle échappe à tout fondement scientifique… Et pourtant, l’astrologie continue d’interpeller un grand nombre de personnes, certain·e·s plus adeptes que d’autres. Réconfort dans les temps incertains, l’astrologie représente un outil précieux d’introspection ou de connaissance de soi, qui souligne l’intérêt humain pour les caractères et les personnalités et qui, comme d’autres croyances, crée un sentiment d’appartenance.

Je suis Cancer

Au début du 20e siècle, Alan Leo, un astrologue et franc-maçon britannique considéré comme le père de l’astrologie moderne, est accusé de professer des divinations, une activité alors illégale. Acquitté faute de preuves mais résigné à abandonner son métier d’astrologue, Alan Leo décide donc de changer l’optique de sa discipline. L’astrologie passe alors d’une tentative de prédiction de l’avenir à ce qu’Alan Leo décide d’appeler «la science des tendances» (the science of tendencies). «Je déclare avec la plus grande insistance que je ne prédis pas l’avenir. Je dis les tendances à partir de l’horoscope et dans chaque horoscope que j’envoie, je fais cette déclaration», justifie-t-il devant la Cour d’appel britannique en 1917 lorsqu’il est à nouveau accusé de divination. La naissance de l’horoscope sous l’effigie d’une science des tendances transforme l’astrologie en quelque chose de plus personnel, en passant d’une prédiction d’un événement dans le monde à la prédiction d’un changement dans le caractère de l’individu.

«L’astrologie se frayait son propre chemin à l’écart des grandes religions dont elle n’a jamais fait partie intégrante»

À partir de ce moment, l’astrologie a le potentiel de participer à la construction de la personnalité de l’individu. Par la prédiction d’un changement à un niveau comportemental ou émotionnel, l’individu évolue avec cette prédiction sous un biais cognitif nommé «l’effet Barnum». Ce biais cognitif désigne la tendance d’un individu à se reconnaître dans la vague description d’une personnalité. C’est avec cet effet que les horoscopes peuvent influencer les personnalités de leur lectorat. Prenons l’exemple de Camille, un·e Cancer qui lit son horoscope : «Vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas encore utilisé à votre avantage. Vous serez secoué·e par une grande perte et vous serez débordé·e par vos émotions. Les Cancers sont très sensibles à leurs émotions. » Camille pourrait se reconnaître dans la première phrase de l’horoscope, mais demeurer sceptique lors des lectures de la deuxième et de la troisième. Plus tard, iel se surprend à pleurer en regardant Titanic et se rappelle de son horoscope qui prédisait aux Cancers une sensibilité émotionnelle particulièrement élevée. En se reconnaissant dans ce trait, iel construit son identité en tant que personne «sensible», et les fondements de cette construction résident dans l’horoscope qu’iel a lu plus tôt. Par la suggestion de certains traits dans lesquels le lecteur peut choisir ou non de se reconnaître, l’horoscope et l’astrologie permettent à un individu de s’approprier des traits de personnalité et de former son identité.

«Au cœur de l’un la parole de Dieu, au cœur de l’autre les étoiles»

Ma bonne étoile

L’astrologie et les croyances d’ordre religieux ont toujours été intimement liées. Alors que l’astrologie occidentale puise communément son origine dans les croyances mésopotamiennes, certain·e·s adeptes se réfèrent davantage à l’astrologie dite «védique» qui dérive de l’Hindouisme. Même les trois grandes religions monothéistes ont flirté avec les astres. Dans le Talmud, le Rabbi Yehuda proclame : «Abraham, notre ancêtre, était si compétent en astrologie que tous les rois d’Orient et d’Occident se présentaient tôt à sa porte en raison de sa sagesse.» (Baba Batra 16b:10) Plusieurs érudits musulmans, comme Abu Ma’Shar al-Balkhî, tenteront de concilier l’islam, l’astronomie et l’astrologie en soutenant que toutes font partie de la volonté d’Allah. Il va sans mentionner que l’arrivée du messie dans la tradition chrétienne aura été révélée à Gaspard, Melchior et Balthazar par nuls autres que les astres. Aucune religion n’a toutefois épousé la lecture des astres à part entière : l’astrologie se frayait son propre chemin à l’écart des grandes religions dont elle n’a jamais fait partie intégrante. Moins structurée et plus libre d’interprétation, l’astrologie accueille toutes et tous sur ses sentiers et offre, à ceux·lles qui s’y aventurent, certains fruits de la même variété que ceux trouvés dans les vergers de l’héritage abrahamique. C’est notamment aux questions avec lesquelles la science empirique éprouve de la difficulté que l’astrologie et les religions offrent des réponses. Face à l’incertitude et aux événements irrationnels, un cadre cosmique au sein duquel toute conséquence trouve sa cause primaire, au sein duquel les relations sont déterminées et décryptables, est proposé. Au cœur de l’un la parole de Dieu, au cœur de l’autre les étoiles.

Clément Veyset

L’attrait de l’astrologie réside dans ce qui la distingue des religions monothéistes, soit une absence de rites et de règles imposés par des écritures. La «souplesse» de l’astrologie permet à tous et à toutes d’y adhérer à leur propre rythme en déléguant une grande partie de l’interprétation divinatoire à l’individu. En ce sens, l’astrologie embrasse bien la société québécoise qui a connu un schisme avec la religion depuis la Révolution tranquille. L’astrologie vient combler un certain vide spirituel laissé vacant par la rupture avec le christianisme, sans toutefois imposer les restrictions qui avaient précédemment détourné les Québécois·es. En plus de cette absence de restrictions, l’astrologie vient chercher l’individualité de chacun·e de ses adeptes, formant leur identité et laissant la place de l’interprète à l’individu. En proposant une place importante pour l’individu et une explication à l’inexplicable, l’astrologie est bien accueillie par les sociétés occidentales.

«Qu’on y croie ou qu’on n’y croie pas, l’astrologie s’offre comme un phare à celles et ceux qui sont en crise»

Mars est en rétrograde

Stéphanie Roussel, étudiante au doctorat en sémiologie et codirectrice du chantier de recherche Savoirs occultes et alternatifs à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), estime que l’astrologie détient «un aspect de communauté et un sentiment d’appartenance très importants, surtout sur les réseaux sociaux». En effet, les médias sociaux évoquent fréquemment la fin de Mercure en position rétrograde et le début de la planète rétrograde en Gémeaux. En astrologie, ces périodes de rétrograde indiquent que l’ordre cosmologique est perturbé par un mouvement des astres. « C’est le temps opportun de stimuler votre cerveau en utilisant votre main non dominante », partage un gazouillis. C’est un moment de « recul » et d’introspection : «Est-ce que je veux vraiment ce que je poursuis, ou bien est-ce que j’aime la poursuite en elle-même? », questionne un article du magazine Elle.

Qu’on y croie ou qu’on n’y croie pas, l’astrologie s’offre comme un phare à celles et ceux qui sont en crise. Comme l’indique l’astrologue certifiée Debbie Stapleton à La Presse, la majorité des personnes qui consultent un·e astrologue le font parce qu’il·elle·s sont à la croisée des chemins. Pour une génération confrontée aux angoisses liées aux changements climatiques et à la pandémie, se tourner vers l’astrologie témoigne d’un désir d’obtenir des réponses : «Ils veulent du contexte. C’est très apaisant de mieux comprendre le contexte de ta vie », affirme l’astrologue Debbie Stapleton.

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Une éducation digne des ambitions québécoises https://www.delitfrancais.com/2022/10/26/une-education-digne-des-ambitions-quebecoises/ Wed, 26 Oct 2022 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49495 Critique de la pédagogie québécoise.

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La Révolution tranquille s’amorçait il y a plus de soixante ans. Menant la charge, le premier ministre Jean Lesage avait l’intention de complètement retourner la société québécoise au cours de ses deux mandats. C’est par la nationalisation des entreprises de production d’hydroélectricité sous Hydro-Québec, par les premiers pas de l’instauration d’une assurance-maladie publique, et par la révision du Code du travail pour donner plus de pouvoirs aux syndicats, que le monde des Canadien·ne·s Français·es se transforme tranquillement. Au coeur de cette révolution se trouve un enjeu dont l’amélioration est une priorité du gouvernement libéral, un enjeu qui saurait assurer ou non la longévité des autres réformes mises en place : l’éducation.

En effet, bien que la société québécoise du moment soutienne le gouvernement de Jean Lesage et ses idées, la transmission des valeurs libérales appréciées par la pensée populaire de l’époque ne pourrait qu’être assurée par un système nationalisé de scolarisation. Dans la première année de son mandat, Jean Lesage a mis sur pied la commission Parent, une commission d’enquête, pour mener une recherche sur l’état de l’enseignement au Québec. Présidée par l’ancien vice-recteur de l’Université Laval, Alphonse-Marie Parent, elle publie en 1963 une liste de près de 500 recommandations qui indiquent les réformes à apporter dans le but de démocratiser l’éducation au Québec. La création du ministère de l’Éducation, la construction de polyvalentes et de cégeps, l’obligation d’aller à l’école jusqu’à l’âge de 15 ans et l’établissement d’un régime de prêts et bourses pour les étudiant·e·s aux niveaux collégial et universitaire font partie de l’héritage qui nous a été légué par cette commission. En 1962, le rédacteur en chef du Devoir, André Laurendeau, appuie la commission Parent en affirmant que les réformes à l’éducation favoriseraient la prospérité de la francophonie, de la société québécoise, et de l’émergence d’un mouvement indépendantiste au Québec. Les motivations pour un système nationalisé d’éducation, telles qu’envisagées par Jean Lesage et André Laurendeau, sont donc très similaires. Les deux voient en l’éducation nationale une opportunité de transmettre des valeurs et des idéaux sociaux.

«En 2022, c’est l’emphase sur les sciences, en particulier sur les mathématiques et la science technologique, qui se démarque, et l’importance qui lui est accordée mérite d’être remise en question»

Alors que la forme de plusieurs institutions construites dans l’élan du rapport Parent perdure encore, l’éducation au sein de ces institutions a radicalement changé. Le régime de cours des «baby boomers» est sans doute très différent de celui des «zoomers», et c’est en observant ces régimes que nous pouvons identifier certaines tendances et valeurs qui sont estimées par les dirigeant·e·s le programme éducatif. En 2022, c’est l’emphase sur les sciences, en particulier sur les mathématiques et la science technologique, qui se démarque, et l’importance qui lui est accordée mérite d’être remise en question.

Pourquoi éduquer?

Qui a eu cette idée folle un

jour d’inventer l’école?

C’est ce sacré Charlemagne,

sacré Charlemagne…

France Gall, Sacré Charlemagne

L’éducation, dans son sens le plus large, ne se limite pas à l’école. Désignant généralement, mais pas exclusivement «[l’]art de former une personne […] en développant ses qualités physiques, intellectuelles et morales, de façon à lui permettre d’affronter sa vie personnelle et sociale […]» (Centre national de ressources textuelles et lexicales), l’éducation n’a jamais été dissociée de la vie en société. En effet, les sources d’une éducation sont nombreuses, et une personne se voit formée autant au sein d’une institution éducative qu’en dehors, au travers de ses relations avec sa famille, ses ami·e·s, sa communauté et par ses interactions avec la culture dans laquelle elle est immergée. Entendue comme tel, même la famille de Lucy aurait fait preuve d’une éducation au sens de la transmission de savoir. L’encadrement de l’éducation par une institution, quant à lui, contrairement à ce qui est dit dans la chanson populaire Sacré Charlemagne, existe depuis les premières civilisations. Déjà, en Mésopotamie, on voit l’émergence d’écoles de scribes; puis viendront les académies de l’Antiquité, suivies des premières universités prises en charge par les moines religieux au Moyen-Âge. C’est encore en grande partie à ces derniers que sont confiés les soins de l’éducation lorsqu’est mis sur pied le ministère de l’Éducation en 1964. L’arrivée de l’encadrement de l’éducation par l’État offre de formidables ressources et potentialités à l’éducation.

«L’encadrement de l’éducation par une institution, quant à lui, contrairement à ce qui est dit dans la chanson populaire Sacré Charlemagne, existe depuis les premières civilisations»

Chargés de l’avenir de chacun·e de ses citoyen·ne·s, le système éducatif et le gouvernement qui le dirige doivent toutefois endosser la charge de l’avenir de toute la société, dont le fardeau ne pourrait être réduit à la somme de celui de ses individus. D’un côté, le gouvernement a une main dans la construction personnelle et sociale de l’individu. De l’autre côté, il participe à la variation de la réalité sociale dans laquelle tous deux évoluent. Le programme éducatif doit donc être modifié dans la poursuite d’un certain idéal social, s’inscrivant dans une vision qui souhaite la promotion de certaines valeurs et relations. Dans un même élan, cette éducation doit permettre — si l’on souhaite conserver les valeurs libérales qui auront défini la société actuelle et pour ne pas tomber dans la dystopie — l’épanouissement individuel. L’éducation, et plus particulièrement le système éducatif, a donc un enjeu central : celui de permettre l’accomplissement de l’individu, et de faire en sorte que cette réalisation individuelle participe à l’accomplissement de la société vers l’idéal social recherché.

«L’arrivée de l’encadrement de l’éducation par l’État offre de formidables ressources et potentialités à l’éducation»

Le sujet à l’étude

Dans l’école de mes rêves

Il y a des murs colorés

Et un ballon soleil

Qui joue à chat perché

Au bout d’une ficelle…

Comptine pour enfant

Si l’éducation est comprise comme étant la recherche d’un idéal social, il est possible de considérer ce qui est enseigné dans les écoles comme étant un reflet des aspirations d’une société. En un sens, les matières et les sujets auxquels sont exposés les étudiant·e·s, pendant au moins une décennie, jouent un rôle primordial dans la détermination de ce qu’il·elle·s considéreront comme important une fois sorti·e·s du système scolaire. Sans entrer dans une étude sociologique détaillée, il est possible de tirer quelques exemples de la réflexion des idéaux sociétaux dans divers programmes d’éducation dans le monde. Si l’on regarde le programme du système éducatif d’Israël par exemple, on observe la présence d’écoles publiques religieuses qui incorporent l’enseignement religieux en plus des cours donnés dans les écoles laïques. Il en va de même pour les écoles publiques de l’Arabie Saoudite, dans lesquelles l’Islam est étudié au même titre que l’arabe et les mathématiques. On peut comprendre que la religion détient un rôle considérable dans ces sociétés, du moins beaucoup plus que dans la société québécoise. Au Canada, le contenu du programme de différentes provinces peut nous instruire quant à leurs caractéristiques. Alors que le ministère de l’Éducation du Québec impose des cours d’anglais dans une province majoritairement francophone, l’inverse n’est pas vrai pour toutes nos provinces voisines et certaines d’entre elles n’obligent ni n’encouragent l’apprentissage du français. On peut comprendre l’importance qu’associent chacune des provinces au bilinguisme français/anglais compte tenu du contenu de leurs programmes d’éducation. Ainsi, le programme d’éducation d’un pays, d’une province, ou d’une époque peut être révélateur de certaines valeurs qui sont désirées par la société en question. En examinant le programme du Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES), on peut remarquer les matières et domaines que le gouvernement québécois estime comme importants.

«En ce sens, la société se développe et s’accomplit lorsque les individus, au service de la société, mettent à profit les connaissances scientifiques apprises»

Au secondaire, le MEES quantifie l’importance de chaque matière avec un système d’unités. Ces unités indiquent l’importance relative d’une matière en lien avec l’obtention du diplôme d’études secondaires. La matière ayant le plus grand poids dans le programme d’éducation québécois au secondaire est la Langue d’enseignement, soit le français, avec 12 unités. Il n’est pas difficile de rallier l’importance attribuée à cette matière au but général de l’éducation : la communication joue un rôle essentiel dans l’harmonie de la société, et une communication développée participe à l’accomplissement de l’individu et de sa société. Une certaine importance est également accordée à la Langue seconde, l’anglais, qui se justifie dans le même élan que la première matière. Avec 8 unités, les sciences, dont font partie les mathématiques et la technologie, se voient assigner une importance de la même envergure que l’anglais. Pourtant, on ne peut pas justifier le poids de ces matières de la même façon que pour les matières de langue; les sciences jouent un rôle secondaire quand il est question de communication.

Une somme pas tout à fait ronde

1 bidon d’eau

2 bidons, 3 bidons, 4 bidons d’eau

5 bidons d’eau

6 bidons d’eau

7 bidons, 8 bidons, 9 bidons d’eau

10 bidons d’eau

Chant Scout

L’attention qui est accordée aux sciences s’explique par l’importance qui est reconnue sur le plan du développement de l’individu, comme l’indique le document officiel du MEES qui porte sur l’étude de la mathématique: «[La mathématique] concourt de façon importante au développement intellectuel de l’individu et contribue de ce fait à structurer son identité. Sa maîtrise constitue un atout majeur pour s’intégrer dans une société qui tire profit de ses nombreuses retombées et elle demeure essentielle à la poursuite des études dans certains domaines. » L’apprentissage des sciences a donc pour objectif de soutenir l’accomplissement de l’élève, en ce qu’il lui permet d’accéder à des opportunités d’études et de carrière au travers desquelles il peut éventuellement se voir récompensé. Sur le plan social, comme l’indique le document du MEES, c’est à l’idée de «profit» qu’est associée l’acquisition de compétences en sciences. En ce sens, la société se développe et s’accomplit lorsque les individus, au service de la société, mettent à profit les connaissances scientifiques apprises. C’est par la promotion d’une relation de profit individuelle et sociale que cette matière se voit accorder une si grande importance.

«Pourtant, les relations promues dans la société québécoise ne devraient-elles pas être d’une nature davantage communautaire que profitable ?»

Or, les relations sociales ne pourraient être réduites à un échange de profit ; elles sont davantage de nature humaine et communautaire. C’est pour ces raisons que le ministère offre les cours d’Univers Social et d’Éthique et culture religieuse (remplacées par Culture et Citoyenneté Québécoise à partir de 2023), auxquelles sont assignées quatre et deux unités respectivement. Ces cours font la promotion de relations sociales dans une perspective moins axée sur la notion de «profit», en ce qu’ils permettent notamment le partage d’une culture commune par le biais des cours d’histoire, et une ouverture à la réalité d’autrui par l’introduction à différentes cultures religieuses. Les relations qui se construisent à la suite de ces apprentissages sont fondées davantage sur la compréhension d’autrui et de la société que sur le caractère profitable des compétences acquises. À ces matières sont néanmoins attribuées moins d’unités, et donc une plus faible importance, qu’aux sciences. Pourtant, les relations promues dans la société québécoise ne devraient-elles pas être d’une nature davantage communautaire que profitable?

«L’élève est invité […] à déployer un raisonnement mathématique […] pour clarifier et expliquer différentes problématiques liées à sa vie et à ses préoccupations. Grâce à une diversité de situations d’apprentissage, l’élève aura la possibilité d’établir des liens entre, d’une part, les compétences et les savoirs mathématiques et, d’autre part, certaines questions issues des domaines généraux de formation ou des domaines disciplinaires.»

Comme l’indique l’extrait ci-dessus, tiré du document du MEES, le raisonnement mathématique a une portée vaste et directe dans plusieurs sphères qui ne sont pas nécessairement reliées aux mathématiques. Sans entrer dans une explication détaillée de ce qu’est «un raisonnement mathématique», il est possible pour toute personne étant passée par le système d’éducation québécois ou similaire de comprendre l’importance relative d’un tel raisonnement. Par exemple, l’approche adoptée par une personne tentant de déboucher son évier pourrait s’apparenter à la résolution d’une situation problème en mathématique. Il faut d’abord identifier ce qui est su (l’évier est bouché et un plongeur est à proximité), ce qui est cherché (déboucher l’évier), ce qui doit être fait (utiliser le plongeur), et vérifier le résultat (faire l’écoulement). Par cet exemple, on peut comprendre que ce raisonnement, axé sur la résolution de problèmes, peut s’appliquer dans d’innombrables situations. L’étendue de l’utilité d’un raisonnement mathématique dans des domaines si variés soulève donc la question : ne serait-il pas possible d’acquérir ce raisonnement au travers d’autres matières que les mathématiques? Émergeant de l’idée que ce raisonnement mathématique peut être appliqué dans une étude de l’histoire, de l’éthique, ou de la géographie, ne serait-il pas envisageable de construire ce raisonnement au travers de ces matières plutôt que par les mathématiques ou les sciences naturelles? Ainsi, le raisonnement dont l’utilité est ubique pourrait être formé, en partie, au travers de matières qui sont le fondement de relations sociales de nature communautaire.

«L’étendue de l’utilité d’un raisonnement mathématique dans des domaines si variés soulève donc la question: ne serait-il pas possible d’acquérir ce raisonnement au travers d’autres matières que les mathématiques?»

Cependant, l’actualisation de la plupart des autres compétences apprises en sciences ne se concrétise généralement que lorsqu’elle est utilisée dans la poursuite d’études supérieures. En ce sens, les théorèmes et les outils mathématiques, comme la célèbre fonction quadratique, ne sont que profitables presque uniquement dans leur application dans des études approfondies ou dans des métiers nécessitant un diplôme subséquent au diplôme d’études secondaires (DES). Dans le même ordre d’idées, certaines connaissances introduites au secondaire sont réitérées lorsque l’étudiant·e poursuit des études supérieures dans un certain domaine : un·e étudiant·e en biologie apprendra que la mitochondrie produit l’énergie de la cellule au secondaire, au cégep, et à l’université ; et son actualisation profitable pour la société ne se traduira que lorsque l’étudiant·e sera employé·e. Ainsi, tandis que les sciences, qui font la promotion de relations sociales profitables, trouvent leur utilité centrale à travers des études supérieures, leur enseignement se fait au détriment du temps consacré à l’Univers Social et à l’Éthique et Culture religieuse, qui enseignent aux élèves à fonder des relations de nature communautaire. Il est important de se rappeler que l’éducation encadrée par l’État n’est obligatoire que jusqu’à seize ans, et que le gouvernement doit donc choisir judicieusement quelles matières prioriser dans le but de permettre à l’individu et la société de s’accomplir. En somme, puisque l’étude des sciences naturelles ne trouve son utilité principale que lorsqu’elle atteint les cycles supérieurs, les cours dont le bénéfice est moins dépendant d’études supérieures ne devraient-ils pas occuper une place plus importante dans l’éducation des élèves québécois·es?

Une éducation digne des ambitions québécoises

En comprenant que les liens qui unissent les citoyen·ne·s d’une société sont fondés sur la compréhension d’autrui et le partage d’une culture commune, l’éducation devrait encourager, au meilleur de ses capacités, la formation d’une culture commune et l’ouverture à l’autre. Ces notions sont acquises en classe d’une part au travers de l’apprentissage de l’histoire du Canada pour ce qui est de la culture partagée, et d’une autre au travers des cours d’éthique pour ce qui est de l’ouverture à autrui. Comme mentionné précédemment, le ministère accorde deux fois plus d’unités à la construction de cette culture partagée à travers les cours d’histoire qu’aux cours d’éthique. Cependant, la création d’une histoire partagée est très difficile pour le Canada parce que sa démographie a une part importante d’immigrant·e·s de première ou de deuxième génération. Ainsi, alors qu’il·elle·s apprennent comment la société dont il·elle·s font partie s’est formée, leur identité et leur culture comportent des aspects qui ne sont pas nécessairement très associés à celle de la société québécoise. Or, le problème de création d’une histoire partagée repose aussi sur l’importance que le système éducatif accorde aux histoires et aux cultures des peuples autochtones du Canada. La création de liens et la compréhension d’autrui sur les bases d’une culture partagée se voient donc freinées par la diversité des identités qui composent la société québécoise. À défaut de ne pouvoir éduquer tous·tes et chacun·e par rapport à ce qui forme l’identité et l’individualité de chaque personne, le système éducatif devrait se tourner vers l’enseignement d’une ouverture à autrui et d’une compréhension de l’influence de différents facteurs sur l’identité d’un individu. En préparant l’élève pour qu’il·elle puisse comprendre les réalités vécues par autrui, l’individu formé aura une plus grande capacité de compréhension des identités et des cultures variées qu’il pourrait rencontrer. À l’image du raisonnement mathématique, par l’apprentissage des phénomènes qui peuvent construire l’identité d’une personne, l’individu sera doté d’outils pour apprendre à connaître les autres individus qu’il côtoie dans sa société. Ainsi, les matières qui permettent la compréhension des phénomènes sociaux devraient se voir accorder une plus grande importance.

«L’éducation devrait encourager, au meilleur de ses capacités, la formation d’une culture commune et l’ouverture à l’autre»

Dans le but d’avoir un système éducatif qui permette l’accomplissement double de l’individu et de la société, ce système devrait donc s’inspirer des aspirations d’une société. Le Québec est une province qui souhaite avoir une société unie et liée. Le programme d’éducation du Québec devrait donc accorder une plus grande importance aux matières qui permettent la création de liens significatifs, et une moins grande importance à celles qui la permettent moins. Sans complètement éliminer les sciences du programme d’éducation, il serait avantageux pour le Québec de consacrer plus de temps aux matières comme l’Éthique et l’Univers social. Ces matières, qui favorisent la création de liens communautaires et humains, devraient être au coeur de l’éducation d’une société solidaire.

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La Riposte voit rouge https://www.delitfrancais.com/2022/10/19/la-riposte-voit-rouge-2/ Wed, 19 Oct 2022 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49315 Entrevue avec la Riposte socialiste étudiante de McGill.

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La Riposte socialiste étudiante (Fightback Socialism Club) est un groupe étudiant présent depuis 2012 sur le campus de l’Université McGill qui vise à éduquer la communauté mcgilloise sur la théorie marxiste, ainsi que sur l’histoire des mouvements contestataires de manière plus générale. Le groupe fait partie de la branche canadienne de l’organisation internationale nommée La Tendance marxiste internationale. Le Délit s’est entretenu avec Sebastian, un activiste associé à la Riposte depuis trois ans maintenant afin de discuter des objectifs de l’organisation sur le campus de McGill.

Le Délit (LD): Qu’est-ce que la Riposte socialiste étudiante de McGill? Quels sont ses objectifs?

Sebastian (S): La Riposte est une organisation qui essaie d’apporter des idées socialistes et marxistes aux mouvements étudiants, mais aussi à divers mouvements contre l’oppression sous toutes ses formes. Nous avons donc des divisions dans des universités partout au Canada. En tant que marxistes, nous essayons d’étudier l’histoire des révolutions et des mouvements rebelles en général en essayant d’en tirer des leçons. Quelles stratégies ont marché et lesquelles ont échoué? Il y a beaucoup de leçons qu’il faut apprendre mais qui ont tendance à être oubliées. La première est que la révolution est nécessaire et possible. Mais aussi, pour que ce mouvement révolutionnaire gagne ce pour quoi il manifeste, il doit se battre pour avoir le pouvoir politique. Par exemple, sur le campus, on fait beaucoup de travail pédagogique qui encourage les étudiants à ne pas trop se concentrer sur eux-mêmes mais à se tourner vers l’extérieur, et en particulier vers la classe ouvrière.

LDComment apportes-tu la révolution dans ton quotidien?

S: Un élément important à considérer est que les révolutionnaires ne créent pas les révolutions. Les révolutions se créent d’elles-mêmes en réaction aux contradictions inhérentes des systèmes sociaux dans lesquels elles voient le jour. Par exemple, les personnes opprimées de la classe ouvrière sont amenées à lutter à cause de l’oppression et de l’exploitation qu’elles vivent dans leur quotidien et ce, jusqu’au point où elles cèdent. La vraie question à se poser est donc de savoir quelles idées mèneront le prochain mouvement de révolution. Fightback se concentre beaucoup sur la réponse à cette question, et c’est la raison pour laquelle nous mettons tant d’efforts dans l’éducation. À titre d’exemple, nous avons tenu la semaine dernière un événement sur le campus de McGill à propos du mouvement en Iran. Nous avons invité un orateur qui a raconté l’historique des divers mouvements en Iran. Notre objectif est davantage de sensibiliser la population quant à la réalité de ces événements, parce que les médias publics les abordent bien évidemment selon un angle très spécifique. Donc, plus généralement, nous voulons propager les apprentissages de ces mouvements parce que, fondamentalement, nous croyons qu’ils reviendront.

LDQu’est-ce que le mot rébellion évoque pour vous?

S: Il évoque beaucoup, parce qu’en tant que marxistes nous pensons beaucoup à la révolution. La rébellion est un terme très vaste, et nous pensons davantage en termes d’une révolution. La révolution, à son origine, débute avec les masses populaires. La majorité des gens n’ont pas leur mot à dire en ce qui concerne la politique dans leur vie quotidienne, ils ne choisissent pas comment leur vie est gouvernée. La révolution, c’est lorsque ces personnes décident que c’en est assez, qu’elles se défendent et décident de sortir revendiquer dans les rues pour changer le cours de l’histoire. Un bon exemple de cela est, encore une fois, les manifestations qui se déroulent en Iran.

LDÀ quel point la violence est-elle nécessaire pour une rébellion dans le contexte d’une révolution? La violence peut-elle être une solution pour apporter le changement?

S: La plupart des mouvements ont des origines paisibles. Pourtant, dans le cadre d’une révolution marxiste, je pense qu’il serait naïf de croire que la classe dominante céderait son pouvoir sans combat. Ça ne veut pas pour autant dire que nous encourageons la violence! Mais, si l’on observe tous les mouvements révolutionnaires, ils sont pacifiques jusqu’à ce que la classe dirigeante et l’État qui est sous son contrôle utilisent la violence contre les manifestants. En tant que marxistes, nous défendons fermement le droit des oppressés à se défendre, peu importe la manière.

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De Kim K à OD https://www.delitfrancais.com/2022/10/05/de-kim-k-a-od/ Wed, 05 Oct 2022 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49168 Le charme inédit de la télé-réalité.

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Le malin plaisir que l’on ressent lorsque le·a participant·e le·a plus détesté·e est éliminé·e de notre télé-réalité préférée est sans doute un sentiment dont on est tous·tes coupables. La fascination pour les séries de télé-réalité est flagrante : en 2015, ce sont 750 télé-réalités qui étaient diffusées aux États-Unis. Pourtant, la popularité de la télé-réalité est proprement contradictoire, puisque tous et toutes s’entendent, du moins en principe, sur le fait que la télé-réalité n’est justement pas une représentation fidèle de la réalité. Serions-nous captif·ve·s de notre volonté primaire de se moquer d’autrui? Je ne doute pas que plus d’une personne ressente un certain plaisir à voir des individus épris d’eux-mêmes, et dont les égos sembleraient gonflés par la présence des caméras, souffrir l’humiliation de situations plus ou moins ordinaires. La Schadenfreude, un mot allemand désignant la «joie malsaine que l’on éprouve en observant le malheur d’autrui», serait-elle au cœur de l’intérêt populaire pour la télé-réalité?

«Serions-nous captif·ve·s de notre volonté primaire de se moquer d’autrui?»

Bien que le concept de joie malsaine puisse paraître comme la source du charme de ce genre télévisuel, les téléspectateur·rice·s de télé-réalité et des chercheur·se·s seraient en désaccord avec cette proposition. Selon Katherine Sender, professeure à l’Université de Cornell et autrice du livre The Makeover: Reality Television and Reflexive Audiences, la Schadenfreude ne peut rendre compte de toute l’histoire de ce genre. Au terme de l’observation et du questionnement de plusieurs candidat·e·s qui auraient visionné certaines scènes de télé-réalité, la Pre Sender infère l’idée que les téléspectateur·rice·s seraient plutôt sympathiques envers les participant·e·s des émissions. Selon l’étude de Sender, lorsque des situations gênantes sont télévisées, les téléspectateur·rice·s éprouvent non pas un plaisir malicieux, mais un sentiment de mépris envers ce qu’il·elle·s identifient comme la tendance à l’exploitation abusive de la production. Ainsi s’efface la conception de la Schadenfreude comme force de captivation de la télé-réalité, et l’horizon de la pertinence et de l’intérêt de ce genre s’élargit.

Aperçu de la télé-réalité

Le genre de la télé-réalité est le plus souvent associé à des émissions dont les thèmes centraux sont le drame et l’amour. La recherche de son «âme sœur» ou de «l’amour de sa vie» est l’objectif prédominant de ce type d’émissions. Au Québec, Occupation Double, qui se veut le délice des cégépien·ne·s, incarne le mieux ce stéréotype. En France, on pourrait parler des Anges de la téléréalité, ou bien du Bachelor chez nos voisin·e·s du sud. La télé-réalité n’est pourtant pas limitée aux émissions de ce type, et vous aurez sans doute en tête bon nombre d’exemples de séries qu’on pourrait qualifier de télé-réalités et dont les caractéristiques diffèrent amplement des émissions mentionnées précédemment. SurvivorCopsStar Académie, ou même l’illustre série Keeping up with the Kardashians, lorsqu’on les compare avec les premières émissions mentionnées, sont dans leurs principes des émissions vastement distinctes. Ces émissions n’ont plus comme élément central l’amour, mais plutôt la survie sur une île (Survivor), le quotidien de policier·ère·s (Cops), une compétition de chant (Star Académie) ou la vie de riches Américain·e·s.

«La séparation d’une représentation fidèle de la réalité apparaît davantage à ce moment»

La façon de conceptualiser la télé-réalité est donc un défi avec lequel Dre Misha Kavka de l’Université d’Amsterdam a du mal: «Les émissions qui entrent dans le cadre de la télé-réalité sont si différentes les unes des autres qu’elles rendent toute définition très floue. Cela pose bien sûr des problèmes pour revendiquer son statut de genre télévisuel singulier (tdlr) ». Dans son livre Reality TV, la Dre Kavka propose trois grandes ères qui auraient formé la télé-réalité telle que nous la connaissons.

La première période de la télé-réalité puiserait son inspiration dans le documentaire. En effet, les premières itérations de la télé-réalité ont tendance à brouiller les frontières entre les genres. Leurs sujets étaient la mondanité et les interactions routinières et semblaient mieux se conformer à l’étiquette de télé-réalité. «Ces premières émissions de télé-réalité ont cherché à produire du divertissement à partir des banalités de la réalité», conclut la Dre Kavka. Ces émissions différaient toutefois du documentaire en ce qu’elles consistaient non pas à informer l’auditoire, mais plutôt à divertir les téléspectateur·rice·s en s’appuyant sur des personnalités pittoresques et des conflits interpersonnels. La séparation d’une représentation fidèle de la réalité apparaît davantage à ce moment, sans pour autant que les situations ou les personnes figurantes ne soient considérées comme «artificielles» par les téléspectateur·rice·s. C’est avec l’arrivée des émissions Survivor et Big Brother dans le début des années 2000 que Dre Kavka détermine la transformation de la télé-réalité vers une nouvelle et deuxième ère. L’artifice prend alors un rôle plus important: l’environnement des participant·e·s n’est plus de l’ordre de l’ordinaire ou du banal, mais est plutôt constitué de circonstances fabriquées dans le but de promouvoir le divertissement par les conflits interpersonnels. À titre d’exemple, Survivor est une émission qui largue les participants sur une île tropicale sauvage. Un élément central de l’artificialité de l’environnement est la compétition qui y est introduite. Les tensions y sont exacerbées par l’affrontement des intérêts des participant·e·s. On trouve dans ces émissions un élément dont l’objet sera repris par de nombreuses séries et documentaires, soit l’expérimentation sociale. Shattered, dont la prémisse consiste à rassembler dix concurrent·e·s et de récompenser la personne qui saura rester éveillée le plus longtemps, est l’une de ces émissions qui représente bien la télé-réalité de la deuxième ère. La série Shattered, qui n’a duré qu’un an, se distingue des télé-réalités actuelles, celles de la troisième ère, par le caractère de ses participant·e·s. La Dre Kavka décrit cette ère comme n’étant plus tournée vers des sujets ordinaires, mais plutôt vers «la fabrication de la célébrité à partir du quotidien (tdlr) ». Les participant·e·s sont conscient·e·s que leur présence est télévisée, et également conscient·e·s de la célébrité que peut leur apporter cette opportunité. En conséquence, il·elle·s n’agissent plus comme des personnes «ordinaires», mais cherchent plutôt à plaire aux téléspectateur·rice·s dans l’espoir d’être propulsé·e·s vers la célébrité. «Célèbre parce qu’elle est célèbre», la famille Kardashian serait le porte-étendard de ce phénomène qui sévit au sein de la télé-réalité de troisième génération. Le but de participer à l’émission n’est plus nécessairement de gagner une prime, mais bien de se démarquer pour décrocher un contrat pour une compagnie de shampoing.

«Le but de participer à l’émission n’est plus nécessairement de gagner une prime, mais bien de se démarquer pour décrocher un contrat pour une compagnie de shampoing»

Le changement qui s’opère en cette troisième ère est intéressant parce qu’il n’est pas orchestré par les réalisateur·rice·s des émissions. Alors que le changement de la première à la deuxième ère est issu de l’imposition de nouvelles règles et d’artifices, celui de la troisième ère provient des participant·e·s, et particulièrement d’une culture qui récompense parfois l’extravagance par la célébrité.

Télé-réalité et culture

Un peu à l’image de la pilule placebo, qui produit des effets alors même qu’on sait qu’elle n’est que placebo, notre consommation de la télé-réalité, même si nous savons qu’elle ne représente pas fidèlement la réalité, façonne notre culture. Particulièrement en ce qui concerne la culture personnelle et partagée, on peut remarquer les différents impacts de ce genre. Un premier aspect de l’impact de la télé-réalité sur la culture serait l’image qu’elle peint de certains milieux sociaux. Certaines émissions de la première ère sont encore et toujours diffusées et tendent vers une certaine authenticité. C’est le cas de Cops, une émission qui suit des policier·ère·s aux États-Unis au travers de leurs journées. Le visionnement d’une émission comme celle-ci expose une certaine réalité des policier·ère·s américain·e·s et forme donc la perception des téléspectateur·rice·s par rapport à cette réalité. L’artifice, bien qu’il ne soit pas aussi perceptible que dans d’autres télé-réalités, réside toujours dans ces émissions en considérant la volonté des spectateur·rice·s. En effet, le·a réalisateur·rice n’a aucun intérêt à exposer les moments les plus routiniers de l’occupation policière, comme l’attribution d’une infraction mineure. La connaissance de l’artificialité de l’image transmise n’empêche pas non plus son effet. À défaut de connaître une réalité plus saillante de l’expérience des policier·ère·s américain·e·s, la représentation que l’on a de leur métier puise au sein même des codes de la télé-réalité. Le même argument pourrait être avancé pour des télé-réalités d’autres ères. Ne connaissant Calabasas qu’au travers de l’image projetée de cet arrondissement dans Keeping up with the Kardashians, à quelle autre image un individu doit-il faire appel lorsqu’est évoqué ce lieu?

«Les participant·e·s sont conscient·e·s que leur présence est télévisée, et également conscient·e·s de la célébrité que peut leur apporter cette opportunité»

Un autre impact culturel qu’aura la diffusion de ce genre d’émissions, c’est que la télé-réalité se veut un excellent véhicule pour des stéréotypes populaires. Un exemple donné par Kristen Warner, de l’Université de l’Alabama, est la représentation de la femme noire dans plusieurs télé-réalités du début des années 2000. Ces séries auraient choisi de mettre de l’avant certaines images qui consolident les stéréotypes de la femme noire en la plaçant dans l’une des trois catégories suivantes: «la mère, la “femme noire en colère” et l’épouse ou la petite amie sexualisée (tdlr) ». Par le choix de mise en scène des figurant·e·s dans une série donnée, le·a réalisateur·rice sélectionne certaines images et, dans le cas du début des années 2000, il·elle fait aussi le choix de télédiffuser des stéréotypes néfastes. La télé-réalité, comme la plupart des médias, reste toutefois un outil qui peut servir à affaiblir ces stéréotypes en fonction du type de réalisation choisie. À titre d’exemple, Queer Eye est une série qui tente de s’affranchir de certains préjugés associés à la communauté LGBTQ+. Queer Eye est à son essence une émission de transformation dans laquelle les stylistes s’identifient tous·tes comme «queer». Ce sont les nuances illustrées entre les différent·e·s stylistes qui contribuent à déconstruire les stéréotypes associés aux personnes de cette communauté. Bien que certain·e·s aient toutefois critiqué l’émission pour avoir conservé certains traits stéréotypés, sa présentation de réalités «queer» multiples et différentes est un exemple de l’ouverture que peut amener la télé-réalité.

«La consommation de situations et d’attitudes sociales, même si elles ne sont qu’artificielles, n’est pas sans rapport avec la culture de masse»

La nature «sociale» de la télé-réalité influence aussi les comportements sociaux. Les relations entre les individus sont un aspect essentiel de ce genre qui, comme mentionné précédemment, divertit les téléspectateur·rice·s en s’appuyant sur les personnalités et les conflits interpersonnels. La consommation de situations et d’attitudes sociales, même si elles ne sont qu’artificielles, n’est pas sans rapport avec la culture de masse. Les tensions entre les participant·e·s, les manières dont il·elle·s se parlent et dont il·elle·s réagissent et les motifs de leurs gestes – qui sont souvent expliqués à l’auditoire – sont tous des éléments qui influencent la perception des téléspectateur·rice·s quant aux rapports sociaux. Lorsqu’une personne est éliminée de l’émission par le vote des autres participant·e·s, on comprend que la manière dont cette personne a agi n’a pas plu aux autres, ou encore qu’il s’agit d’un vote stratégique pour se débarrasser d’un·e concurrent·e. Que le·a téléspectateur·rice soit en accord ou pas avec l’attitude des figurant·e·s, il·elle est nécessairement influencé·e par la perception et le jugement des autres figurant·e·s sur le plateau.

«La télé-réalité reprend les mêmes archétypes et paraboles déjà présentes dans des mythes et légendes; elle les adapte et les modifie pour les incarner à travers les figurant·e·s dans leurs émissions»

L’arrivée des réseaux sociaux au milieu des années 2000 et leur croissance au cours des 15 dernières années ont permis à la télé-réalité de renforcer son impact sur nos comportements. Les nombreux commentaires et publications sur Twitter en réaction à tel ou tel épisode alimentent non seulement l’engouement pour une série, mais servent également de jugement populaire quant aux attitudes ou aux comportements qui y sont montrés. La médiatisation des interactions au sein des télé-réalités est dorénavant sujette au consensus des réseaux sociaux et le jugement se fait de manière d’autant plus marqué s’il est appuyé par des millions d’autres téléspectateur·rice·s.

La télé-réalité comme stratégie narrative

L’introduction d’un environnement artificiellement compétitif au sein de la télé-réalité amène de nouvelles possibilités. La production va par exemple exploiter les personnalités respectives des participant·e·s afin de construire des schémas narratifs qui vont dans leur sens. Une histoire ou un récit au terme duquel les participant·e·s se verront accompli·e·s est la stratégie narrative qu’adopteront une grande majorité des productions.

«La télé-réalité, par le reflet qu’elle dépeint de la société, exacerbe notre tendance à l’auto-représentation, c’est-à-dire la volonté de vouloir se donner en spectacle»

Le défi est une partie intégrale du genre, qu’il se présente dans le cadre d’une compétition entre figurant·e·s comme dans Survivor, ou même au sein des émissions où le·a participant·e cherche l’amour de sa vie. La progression de l’individu alors qu’il affronte les épreuves le séparant de son objectif, aussi banal qu’il soit, est souvent accompagné d’une voix hors champ rehaussée par une trame sonore épique. La Pre Sender remarque qu’une technique narrative est particulièrement chérie par les réalisateur·rice·s de télé-réalité: le récit de «l’histoire rédemptrice de la honte au salut (tdlr) ». C’est par son mélange d’émotions tant négatives que positives, au travers des hauts et des bas d’un·e participant·e, allant de ses humbles origines à son triomphe, que la télé-réalité inspire son auditoire. Les séries de télé-réalité «musicales» ou de «spectacle de talents» comme La Voix ou America’s Got Talent sont d’excellents exemples d’émissions qui mettent à profit la rédemption des participant·e·s. Ces séries présentent souvent leurs participant·e·s de manière humble et ordinaire, parfois presque honteuse, afin que leur prestation inattendue soit encore plus extraordinaire et magique. C’est le retournement de situation soudain qui fait de la rédemption un récit si touchant.

«La frontière entre réalité et télé-réalité s’amincit à mesure que chacun·e a la possibilité de devenir le·a réalisateur·rice de sa propre réalité»

La rédemption comme outil narratif pour évoquer le pathos du public est pourtant loin d’être l’invention de la télé-réalité. En tombant dans le cliché, on pourrait même dire que c’est un procédé qui «existe depuis la nuit des temps». La télé-réalité reprend les mêmes archétypes et paraboles déjà présentes dans des mythes et légendes; elle les adapte et les modifie pour les incarner à travers les figurant·e·s dans leurs émissions. La particularité de l’efficacité de son utilisation au travers de la télé-réalité réside dans la proximité de cette rédemption. En présentant des figurant·e·s qui nous sont proches pour la plupart, notre affinité avec eux·lles rend leur transformation plus vibrante et inspirante. La consommation d’une grande quantité de télé-réalités narratives, surtout lorsqu’elles mettent en scène des figurant·e·s très semblables au public, pourrait avoir un impact sur la vie personnelle des téléspectateur·rice·s.

La télé-réalité au quotidien

La télé-réalité, par le reflet qu’elle dépeint de la société, exacerbe notre tendance à l’auto-représentation, c’est-à-dire la volonté de se donner en spectacle. Ce phénomène, observable à l’échelle des réseaux sociaux comme BeReal, une application qui incite ses utilisateur·rice·s à prendre en photo un moment de leur quotidien dans une limite de temps précise, devient en quelque sorte une autre forme de télé-réalité. Dans ce contexte, la fonctionnalité de devoir publier une photo dans un certain laps de temps est déviée. Les utilisateur·rice·s ont l’option de prendre leur BeReal au moment désiré. La frontière entre réalité et télé-réalité s’amincit à mesure que chacun·e a la possibilité de devenir le·a réalisateur·rice de sa propre réalité.

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Grève mondiale pour la justice climatique https://www.delitfrancais.com/2022/09/28/greve-mondiale-pour-la-justice-climatique/ Wed, 28 Sep 2022 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49006 Les manifestant·e·s déferlent dans les rues de Montréal.

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Le 23 septembre dernier, en réponse à l’appel lancé par le mouvement Fridays for Future, les manifestant·e·s se sont rassemblé·e·s autour du monument Georges-Étienne Cartier afin d’exprimer l’urgence d’agir contre la crise climatique. Leurs revendications incluent la réduction de la consommation d’énergies fossiles et la taxation des riches pour réinvestir dans les services sociaux afin de soutenir les populations les plus à risque de souffrir des changements climatiques au Québec. Bien que l’événement n’ait pas eu la même ampleur que son itération de l’automne 2019, alors que l’activiste suédoise Greta Thunberg participait à la marche, la passion de la foule pour les enjeux défendus était tout aussi palpable.

Anna Henry | Le Délit

L’événement visait à sensibiliser le public vis-à-vis du concept de la justice climatique, qui réfère au lien étroit qu’entretiennent les problèmes sociaux et les changements climatiques. Un nombre important de groupes tels que la Confédération des syndicats sationaux et La Riposte socialiste, dont la vocation principale n’est pas de lutter contre le dérèglement climatique, mais plutôt d’agir sur des enjeux d’ordre sociétal, étaient présents. Leur but était de souligner que la justice climatique implique non seulement la réconciliation des humains avec la terre, mais également l’entraide entre tous·tes.

Anna Henry | Le Délit

Kevin Ka’nahsohon Deer, professeur dans une école d’immersion Mohawk, a été le premier à prendre la parole. Il a évoqué l’idée d’une union entre les enjeux sociaux et climatiques, affirmant que «la souffrance de la terre est la souffrance de l’humanité (tdlr) ».

« La justice climatique englobe la justice sociale »

Shirley Barnea, porte-parole de Pour le Futur MTL

Alors que la foule descendait tranquillement sur l’avenue du Parc en direction du centre-ville, Le Délit a eu l’occasion de s’entretenir brièvement avec Shirley Barnea, une des organisatrices de la manifestation et oratrice d’un des discours. Elle est également la porte-parole du mouvement Pour le Futur Mtl et souligne que «la justice climatique englobe la justice sociale (tdlr) », évoquant l’idée que les pays développés produisent le plus de gaz à effet de serre, tandis que ce sont les pays moins développés qui en subissent les conséquences.

Anna Henry | Le Délit

«Les mécanismes d’oppression de la terre et des groupes sociaux ont les mêmes conséquences», a renchéri Marianne, une manifestante. Bien qu’elle explique ne pas avoir elle-même subi de séquelles du dérèglement climatique, elle était dans la rue vendredi dernier pour exprimer sa solidarité avec ceux·lles qui en subissent. Comme beaucoup d’autres manifestant·e·s, elle accorde une plus grande importance aux enjeux sociaux engendrés par la crise climatique qu’aux enjeux écologiques.

Anna Henry | Le Délit

« Les mécanismes d’oppression de la terre et des groupes sociaux ont les mêmes conséquences »

Une des revendications importantes qui ont été entendues lors des discours est l’objectif de cesser complètement l’utilisation des énergies fossiles au Québec d’ici 2030. Interrogée quant à l’aspect que pourrait prendre la société québécoise sous cette mesure, Shirley Barnea affirme: «Ce ne sera pas “la même chose, mais en version électrique”. Il faudra une restructuration qui mettra l’accent sur le transport en commun (tdlr) ».

Anna Henry | Le Délit

Plusieurs membres de la Première Nation innue de Matimekush-Lac John étaient présent·e·s pour parler de leur expérience en tant que victimes du dérèglement de l’environnement par l’humain. En effet, selon les représentant·e·s du groupe, l’activité minière à proximité fait fuir les animaux qu’il·elle·s chassaient, emplit l’air de poussière et détruit le paysage qui les entoure. Les représentant·e·s de la communauté soutiennent que le minage détériore non seulement l’environnement naturel, mais également les conditions de vie de leur nation, concrétisant le lien entre justice sociale et climatique.

Anna Henry | Le Délit

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Scruter le mode de scrutin https://www.delitfrancais.com/2022/09/28/scruter-le-mode-de-scrutin/ Wed, 28 Sep 2022 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49023 Enquête sur la réforme du système électoral québécois.

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Le jeudi 22 septembre dernier, à l’occasion du deuxième débat des chef·f·es, avait lieu un rassemblement d’une trentaine de personnes devant la nouvelle Maison de Radio-Canada pour réclamer un système électoral représentatif au Québec. Organisée par le Mouvement Démocratie Nouvelle (MDN) et la Coalition pour la réforme électorale maintenant!, la manifestation visait à exiger des chef·fe·s des partis politiques une réforme du mode de scrutin en place dans un prochain mandat.

En date du 26 septembre dernier, selon le modèle du site de projections électorales Qc125, la Coalition avenir Québec (CAQ) pourrait récolter jusqu’à 98 sièges sur 125 le 3 octobre, soit près de 80% des sièges à l’Assemblée nationale. Or, selon les projections, la CAQ ne récoltera pas plus de 40% du vote populaire. Cet écart entre volonté électorale populaire et représentation parlementaire, appelé distorsion, est engendré par le système électoral actuel au Québec, soit le scrutin majoritaire uninominal à un tour. Selon le MDN et la Coalition pour la réforme électorale maintenant!, les résultats des élections 2022 pourraient être les plus distordus de l’histoire. Pour ces mouvements pro-réforme, le changement du mode de scrutin devrait être une priorité pour les Québécois·es. Le Délit vous présente cette enquête afin d’inviter la réflexion sur les enjeux liés à la réforme du mode de scrutin au Québec.

Le débat d’un siècle

Même si la question de réforme du mode de scrutin est débattue dans les milieux politiques depuis plus de 100 ans, elle a commencé à susciter un plus grand engouement vers la fin des années 1960. «On vient juste de célébrer les 100 ans de René Lévesque, qui a déjà qualifié notre mode de scrutin comme étant “démocratiquement infect”», a déclaré Jean-Pierre Charbonneau, président du MDN lors de la manifestation jeudi dernier.

Au Québec, les résultats des élections provinciales de novembre 1998 avaient ranimé un intérêt pour l’enjeu du mode de scrutin. Le Parti libéral (PLQ) avait à l’époque subi une défaite malgré un pourcentage de voix plus élevé que le Parti québécois (PQ). En effet, le PLQ avait obtenu 43,5% des voix avec 38% des sièges tandis que le PQ avait obtenu 42,9% des voix avec 61% des sièges. C’est ainsi qu’en 1999 est né le Mouvement Démocratie Nouvelle, un organisme citoyen non partisan militant pour la réforme du mode de scrutin. La Coalition pour la réforme électorale maintenant!, formée notamment de groupes environnementaux, féministes, syndicalistes et communautaires, a vu le jour en 2019, à la suite de la victoire de la CAQ aux élections provinciales de 2018.

«Nous n’avons pas l’intention de lâcher le morceau et allons suivre le prochain gouvernement sur cette question», a affirmé Mario Beauchemin, vice-président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) devant le siège de Radio-Canada jeudi dernier. La CSQ, une organisation regroupant travailleur·se·s des secteurs public et parapublic québécois, est l’une des dix organisations impliquées dans le MDN.

Katherine Girard et Anne-Marie Boudreault-Bouchard, des manifestantes présentes au rassemblement, se sont impliquées au MDN dès qu’elles ont «compris comment le système électoral fonctionnait au Québec», ont-elles expliqué au Délit. «Le mouvement m’a beaucoup rejointe au niveau du message véhiculé», a ajouté Anne-Marie Bouchard, ancienne vice-présidente du MDN entre 2015 et 2018.

«Les distorsions créent de l’injustice. Il y a des partis qui sont surreprésentés, il y en a qui sont sous-représentés, il y en a qui ne sont pas représentés»

Jean-Pierre Charbonneau, président du Mouvement Démocratie Nouvelle

Jean-Pierre Charbonneau, ancien député péquiste et ancien président de l’Assemblée nationale, est l’actuel président du MDN. «Le système électoral actuel est un système qui a été conçu par les Britanniques en 1792 et qui favorise l’alternance de pouvoir entre deux partis», remarque-t-il en entrevue avec Le Délit. Selon Raphaël Canet, le coordonnateur du MDN, le scrutin uninominal majoritaire à un tour est inadapté à la réalité d’aujourd’hui, car il favorise un système bipartisan, soit «une réalité sociale bien différente de celle d’aujourd’hui».

En effet, le mode de scrutin en vigueur au Québec et au Canada est un système dit «majoritaire» puisque les candidat·e·s sont élu·e·s à majorité relative. Il est donc possible qu’un·e candidat·e soit élu·e même s’il·elle n’obtient pas plus de la moitié des voix.

Dans chaque circonscription définie, le·a gagnant·e est la personne qui obtient le plus de votes. À l’échelle provinciale, le parti qui fait élire le plus de candidat·e·s forme le gouvernement, tandis que celui qui arrive second devient le parti d’opposition . Selon le MDN, les distorsions sont le principal problème causé par ce système de vote: le mode de scrutin actuel ne tiendrait pas compte du vote populaire des électeur·rice·s.

Prenons par exemple les résultats des élections de 2018: la CAQ avait gagné avec 37,42% du vote populaire, mais avait fait élire 74 des 125 élu·e·s à l’Assemblée nationale, soit 59,2% des sièges. En contrepartie, le PQ avait obtenu 17,06% des voix mais uniquement 10 sièges à l’Assemblée nationale, soit 8% du total.

«Les distorsions créent de l’injustice. Il y a des partis qui sont surreprésentés, il y en a qui sont sous-représentés, il y en a qui ne sont pas représentés», a déploré M. Charbonneau en entretien avec Le Délit. «Le résultat est que la gouvernance de la société ne se fait pas comme elle devrait se faire», a‑t-il ajouté. Une des conséquences de ces distorsions est le manque de représentativité à l’échelle régionale. C’est là une des critiques les plus virulentes du mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour. Par exemple, seulement deux des 27 député·e·s élu·e·s en 2018 sur l’île de Montréal sont caquistes. Il est donc plus difficile pour les élu·e·s de l’île de Montréal, à majorité libérale, d’influencer les politiques gouvernementales en fonction des intérêts des personnes de leur circonscription.

«Le résultat est que la gouvernance de la société ne se fait pas comme elle devrait se faire»

Jean-Pierre Charbonneau, président du Mouvement Démocratie Nouvelle

En entretien avec Le Délit, Éric Bélanger, professeur de science politique à l’Université McGill, a souligné les tensions causées par le manque de proportionnalité et de représentativité du mode de scrutin actuel: «Les maires et mairesses ont commencé à s’opposer de manière plus vocale aux positions de la CAQ dû au fait que le gouvernement à Québec ne fait pas face à une opposition très forte [au sein même de l’Assemblée nationale, ndlr]. Les débats sont devenus verticaux, c’est-à-dire entre le provincial et le municipal, au lieu d’avoir lieu dans l’Assemblée nationale.»

Selon un document publié en 2014 par le Réseau des tables régionales de groupes de femmes du Québec, le mode de scrutin uninominal actuel au Québec «tend à exclure certaines catégories de personnes». La représentation des femmes, des communautés autochtones ainsi que de la communauté LGBTQ+ dépend «du hasard et des volontés politiques changeantes», comme indiqué dans le document. «La parité de représentation pour les femmes est un principe de justice qui doit s’incarner formellement dans l’exercice de notre démocratie et donc dans son mode de scrutin», a scandé Nelly Dennene, présidente du Réseau des tables régionales de groupes de femmes du Québec lors de la manifestation jeudi soir. Même si lors des élections de 2018, on a observé une hausse de la représentation des femmes à l’Assemblée nationale, avec la délégation féminine représentant 42% de l’ensemble des personnes élues selon l’Institut de la statistique au Québec, le Québec n’atteint toujours pas la parité hommes-femmes à l’Assemblée nationale.

Une autre conséquence des distorsions électorales serait qu’elles contribuent au déclin du taux de participation aux élections, selon Pr Bélanger. «C’est certain qu’en voyant que le parti qu’on préfère est condamné à une place très minoritaire sur l’échiquier politique, ça pourrait décourager certains électeurs à se déplacer pour voter», a‑t-il expliqué. Le taux de participation aux élections de 2018 était le deuxième plus bas dans les 49 dernières années, une tendance qui, selon Raphaël Canet, pourrait résulter d’une perte progressive de la confiance en notre système démocratique. Lors d’une entrevue avec Pivot, il utilise les électeur·rice·s du Parti conservateur du Québec comme exemple: «[Le Parti conservateur du Québec a] réussi à rassembler beaucoup de gens qui souvent n’allaient même pas voter. S’ils se retrouvent avec aucun député, que vont-ils dire? Ça va alimenter leur rancœur et faire grandir leur cynisme et, au final, c’est ce qui est le plus dangereux avec le système actuel», illustre le coordonateur du MDN.

«Si on valorise une stabilité politique et des gouvernements majoritaires, c’est-à-dire qui ont le contrôle d’une majorité des sièges à l’Assemblée, c’est sûr que le mode de scrutin actuel est préférable», a nuancé le Pr Bélanger. Depuis 1970, seulement deux gouvernements minoritaires ont été formés. Au cours des 50 dernières années, PLQ et le PQ ont alterné au pouvoir durant toutes les élections sauf une. En effet, la simplicité relative du système de scrutin majoritaire uninominal à un tour lui aura permis de survivre à plusieurs tentatives de réformes.

L’échec de 2018

Le 9 mai 2018, quelques mois avant les dernières élections provinciales, la CAQ, le PQ, Québec solidaire et le Parti vert du Québec s’étaient engagés à changer le système électoral en introduisant un mode de scrutin proportionnel mixte s’ils étaient élus. Cette entente transpartisane avait été initiée en 2016 par le MDN mais, à l’approche de sa conclusion, les libéraux de Philippe Couillard s’étaient retirés. Une des grandes promesses électorales de la CAQ était en effet le relancement de la réforme entamée en 2008 par le gouvernement libéral de Jean Charest, plus tard abandonnée.

«Si on valorise une stabilité politique et des gouvernements majoritaires, c’est-à-dire qui ont le contrôle d’une majorité des sièges à l’Assemblée, c’est sûr que le mode de scrutin actuel est préférable»

Éric Bélanger, professeur de sciences politiques à l’Université McGill

L’entente contraignait le parti élu à déposer un projet de loi dans la première année de son mandat. Ce projet de loi aurait reflété «le plus possible le vote populaire de l’ensemble des Québécois et Québécoises», comme l’avait annoncé Jean-Sébastien Dufresne, l’ancien directeur du MDN lors de la signature en 2018. Arrivée au pouvoir il y a quatre ans, la CAQ avait effectivement déposé le projet de loi 39. Or, en décembre 2021, le gouvernement caquiste a annoncé l’abandon du projet de loi, même si celui-ci était rendu à l’avant-dernière étape avant son adoption. «On met ça de côté définitivement», avait confirmé une source du cabinet du premier ministre. Le contexte pandémique avait été évoqué pour justifier l’abandon. «On s’est rendu compte que ce n’est pas du tout une priorité pour la population», avait ajouté la source. Questionné sur la possibilité de ressusciter le projet de loi il y a quelques semaines, François Legault avait déclaré que la réforme du mode de scrutin était un enjeu peu intéressant pour la population, à l’exception de «quelques intellectuels».

Le projet de loi 39, intitulé Loi établissant un nouveau mode de scrutin, aurait modifié la Loi électorale afin de mettre en place un nouveau système de scrutin avec compensation régionale. Ce nouveau système visait à réduire les distorsions, en assurant que le nombre de sièges obtenus par un parti politique corresponde à son pourcentage du vote populaire. La réforme aurait implanté un système dit «mixte», qui aurait produit une Assemblée nationale composée en partie de député·e·s élu·e·s dans les circonscriptions et en partie de député·e·s issu·e·s d’une liste de candidat·e·s présentée par chaque parti.

Pour le Pr Éric Bélanger, le mode de scrutin proportionnel mixte «est une proposition intéressante, car il permettrait d’aller chercher les avantages de la proportionnalité tout en gardant certaines caractéristiques du mode actuel». Pour Françoise David, co-présidente du Mouvement Démocratie Nouvelle et ancienne députée de Québec solidaire, le mode proportionnel mixte «a été choisi, car c’est vraiment ce mode de scrutin-là qui permet à la fois d’avoir des députés de circonscription, ce que les Québécois veulent, et d’avoir ce qu’on appelle des députés régionaux, sur la base de listes qui sont faites par les partis. C’est donc un peu le meilleur des deux mondes», a‑t-elle expliqué au Délit. En effet, cette solution hybride proposée par le MDN, inspirée des systèmes en place en Nouvelle-Zélande et en Écosse, aurait proposé aux électeur·rice·s de s’exprimer deux fois à chaque élection. Le premier bulletin aurait permis d’élire 80 député·e·s de circonscriptions de la même façon qu’actuellement, alors que le deuxième vote aurait permis d’attribuer les 45 sièges restants aux différents partis en fonction des votes exprimés par chaque région, ce qui aurait permis de réduire l’effet de distorsion.

Selon Jean-Pierre Charbonneau, l’abandon du projet de loi 39 par la CAQ représente «un reniement et un non-respect de la parole donnée». Il ajoute que le retrait du projet de loi donne un avantage disproportionné à la CAQ pour les élections qui viennent. «François Legault ne devait pas faire un Justin Trudeau de lui-même, il ne devait pas encourager le cynisme, et il l’a fait», déplore-t-il. En effet, en février 2017, le premier ministre canadien avait renoncé à sa promesse électorale de réformer le mode de scrutin. Pour Raphaël Canet, le coordonnateur de MDN, «leur seule option pour bloquer le projet de loi était de le faire disparaître entre deux sessions parlementaires, ce qu’ils ont fait», a‑t-il affirmé dans une entrevue avec Pivot.

Y a‑t-il de l’espoir pour la réforme?

Le 20 septembre dernier, lors d’une conférence de presse, Dominique Anglade, la cheffe du PLQ, a affirmé qu’elle serait ouverte à l’idée de réformer le mode de scrutin. «Ça fait partie des choses qu’il faudrait regarder», a‑t-elle dit. Pour Françoise David, l’annonce de la cheffe libérale est «une grande nouvelle», mais elle peine à voir une motivation autre que l’opportunisme derrière cette déclaration, a‑t-elle confié au Délit. Quant au PQ et à Québec solidaire, les deux partis ont indiqué au MDN qu’ils mettront en place un nouveau mode de scrutin avant 2026 s’ils sont portés au pouvoir.

«J’ai l’impression que les Québécois vont se réveiller avec une sorte de gueule de bois en se disant: Non, mais attends-là, une fois de plus, le gouvernement majoritaire gouverne avec beaucoup de député·e·s mais il n’a même pas la majorité des voix»

Fracnçoise David, vice-présidente du MDN

Questionné·e·s par Le Délit, Jean-Pierre Charbonneau et Françoise David ont signalé que les résultats des élections «risquent de secouer les citoyens et d’éveiller les consciences». En effet, selon eux·lles, la distorsion électorale risque d’être «tellement scandaleu[se]», déplorent-il·elle·s. «Il va être choquant de voir un parti qui domine outrageusement la scène politique alors qu’il n’a même pas la moitié des votes», ajoutent-il·elle·s. En effet, en 2018, la CAQ a pu obtenir 59% des sièges à l’Assemblée nationale avec 37% du vote populaire mais avec uniquement 25% des électeur·rice·s, selon les données d’Élections Québec. Cette distorsion «va être plus forte cette fois-ci», prévient Raphaël Canet, en ajoutant qu’on s’attend à un taux de participation faible pour ces élections.

« J’ai l’impression que les Québécois vont se réveiller avec une sorte de gueule de bois en se disant: Non, mais attends-là, une fois de plus, le gouvernement majoritaire gouverne avec beaucoup de député·e·s, mais il n’a même pas la majorité des voix», a affirmé Françoise David au Délit. Elle a souligné également que cette conscientisation des citoyen·ne·s pourrait ajouter une pression aux partis politiques, et ces derniers n’auront pas d’autre choix que la réforme du mode de scrutin. «Il faut que les partis et les médias aussi s’emparent de cette question et en fassent un enjeu majeur», a ajouté Jean-Pierre Charbonneau.

Selon le Pr Éric Bélanger, une tendance se construit, puisque ce sont les partis d’opposition, les plus désavantagés par les distorsions, qui demandent activement une réforme. «Une fois au pouvoir et étant avantagés par ce système, ils ne sont plus si favorables à l’idée de réforme», note-t-il. Une autre approche serait de procéder par référendum populaire, mais le Pr Bélanger note que plusieurs provinces canadiennes «ont tenté le coup au cours des 20 dernières années mais sans succès». Par exemple, à l’Île-du-Prince-Édouard, 51.85% des électeur·rice·s ont voté en faveur du changement de mode de scrutin, mais vu que la réforme nécessitait l’appui de 60% des électeur·rice·s, le mode de scrutin est resté inchangé.

«Il va être choquant de voir un parti qui domine outrageusement la scène politique alors qu’il n’a même pas la moitié des votes»

Jean-Pierre Charbonneau, Président et Françoise David, Vice-Présidente du MDN

Le référendum faisait notamment partie de la démarche prévue par le gouvernement Legault en 2019 lors du dépôt du projet de loi 39. Selon le Pr Bélanger, la population serait réceptive à l’idée de réforme, mais un effort de pédagogie significatif reste à faire, car il s’agit d’un enjeu complexe. En effet, un sondage Léger Marketing pour le MDN en mai 2019 avait conclu que près de 70% Québécois·es tenaient à ce que la CAQ respecte son engagement de réformer le mode de scrutin actuel et il·elle·s estimaient qu’il serait important d’aller de l’avant. Selon le même sondage, 84% souhaitaient refléter le plus possible le vote populaire de l’ensemble des Québécois·e·s.

Pour Jean-Pierre Charbonneau, il est aussi important de noter qu’il ne s’agit pas ici uniquement d’une réforme du mode de scrutin mais d’un enjeu plus large. «Que ce soit l’enjeu de l’environnement, de l’inflation, de notre système d’éducation ou celui de la santé, de la langue, de l’identité, de la crise du logement, des droits des femmes, tous ces enjeux passent et s’expriment à travers l’Assemblée nationale».

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Jennifer Maccarone pour le Parti libéral du Québec https://www.delitfrancais.com/2022/09/21/jennifer-maccarone-pour-le-parti-liberal-du-quebec/ Wed, 21 Sep 2022 11:15:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48867 Portrait d’une candidate.

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Élue députée de la circonscription électorale de Westmount–St-Louis en 2018 sous la bannière du Parti libéral du Québec (PLQ), Jennifer Maccarone se présente de nouveau en 2022 avec l’intention de mener un deuxième mandat. Mère monoparentale de deux enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme, elle a fait ses débuts en s’impliquant au conseil de l’école que ses enfants fréquentaient, gravissant les échelons petit à petit, jusqu’à son élection en tant que présidente de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec en 2015.

Le Délit (LD) : Pouvez-vous dresser un bilan de votre mandat au cours des quatre dernières années?

Jennifer Maccarone (JM) : Les quatre dernières années sont passées tellement vite! Je n’ai pas pu accomplir tout ce que je voulais. C’était vraiment un apprentissage pour moi, qui n’ai pas étudié en sciences politiques. Il m’a fallu du temps pour comprendre tout le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Pour résumer en chiffres, j’ai déposé 12 pétitions avec l’appui des citoyens, et sept modules d’initiatives que le gouvernement a refusé chaque fois. J’ai également déposé des projets de loi, dont le projet de loi 70 qui touche la communauté LGBTQ+ et qui interdit les thérapies de conversion. Le gouvernement a repris ce projet de loi et l’a déposé par la suite. C’est une chose dont je suis très fière!

«J’ai également déposé des projets de loi, dont le projet de Loi 70 qui touche la communauté LGBTQ+ et qui interdit les thérapies de conversion»

LD : Quels sont les enjeux qui sont les plus importants à vos yeux et quels seraient vos dossiers prioritaires si vous êtes élue pour un deuxième mandat?

JM : À l’échelle locale, l’enjeu le plus important pour moi serait de mettre fin à la division que crée la loi 96. Westmount–St-Louis est particulièrement fragilisée. La loi affecte non seulement les citoyens mais aussi les petites et moyennes entreprises, et particulièrement les étudiants. Beaucoup de personnes la contestent ou vont la contester. Je souhaite déposer une nouvelle loi pour combler toutes les lacunes de la loi 96. C’est du non-sens de ne donner que six mois aux immigrants ou réfugiés pour apprendre le français, et il y a un important accueil d’immigrants dans la circonscription de Westmount–St-Louis. Le respect du choix des étudiants souhaitant étudier dans un cégep anglophone est aussi un problème posé par la loi 96. Il y a beaucoup de restrictions linguistiques pour la communauté anglophone en ce qui concerne les services sociaux. C’est du non-sens. Par contre, on ne peut pas juste prendre la loi, la jeter à la poubelle, et se dire: «Bon, on recommence». Il faut déposer une nouvelle loi pour combler les lacunes. Il y a quand même des bonnes choses dans la loi 96, comme l’accès à des cours de français gratuits pour tous les Québécois qui souhaitent l’apprendre.

L’accès à l’éducation, surtout dans les quartiers formant la circonscription de Westmount–St-Louis, est un autre projet sur lequel je compte travailler: on n’a aucune école! Il n’y a aucune école pour les familles qui s’installent dans des quartiers comme Peter-McGill ou Milton-Parc. On a réussi à obtenir de l’argent pour financer une école primaire lors de mon dernier mandat, mais il reste encore du travail à fournir pour faire avancer ce projet. En plus de cela, il n’y a aucune école secondaire ou d’école offrant de formation professionnelle. C’est tellement important!

«C’est du non-sens de ne donner que six mois aux immigrants ou réfugiés pour apprendre le français, et il y a un important accueil d’immigrants dans la circonscription de Westmount–St-Louis»

Un autre point que je voudrais améliorer et qui fait aussi partie de la plateforme électorale du Parti libéral, c’est l’accès aux médecins de famille. On reçoit des appels au quotidien de personnes qui ont besoin d’avoir accès à notre réseau de santé mais sans succès. L’accès à des soins à domicile pose aussi un problème. Ce que l’on souhaite avant tout, c’est un accompagnement de nos aînés. C’est une préoccupation personnelle. On a beaucoup de personnes en situations de vulnérabilité, en situations d’itinérance, et on n’a pas accompli le nécessaire pour aller à la prochaine étape: des logements pour eux. Ça fait partie de ce que je souhaite accomplir pour notre circonscription et ça a toujours été sur mon assiette.

LD : Nous sommes actuellement en pleine crise du logement. Cette situation touche en particulier les étudiant·e·s. Qu’est-ce que vous et votre parti comptez faire pour faciliter l’accès au logement, à la propriété et améliorer les conditions des locataires?

JM : C’est un enjeu complexe, d’autant plus qu’il faut ajouter les AirBnB à cette équation. Ce qu’on voit de plus en plus – et c’est inquiétant – ce sont des propriétaires qui louent des logements pour un bail de huit mois à des étudiants pour ensuite l’utiliser sur la plateforme AirBnB les quatre autres mois de l’année. Ils n’ont pas le droit de le faire, c’est illégal! C’est une réalité dans notre circonscription, et il faut y remédier avec des solutions; des solutions libérales. Une des mesures de la plateforme libérale est l’abolition de la taxe de bienvenue qui vient avec l’achat d’une première propriété. Ce serait bien pour les jeunes, puisqu’avec l’inflation actuelle, c’est quasiment impossible pour des jeunes comme mes enfants de s’acheter une maison ou un appartement. Nous planifions également de bonifier le régime d’accès à la propriété par une augmentation du montant admissible afin de faciliter l’achat d’une deuxième propriété, qui pourrait être convertie en logement locatif pour des étudiants. Sur le plan des logements sociaux, on souhaite bonifier l’offre en déployant un plan d’investissement qui aura pour but de créer 50 000 unités sur les dix prochaines années. Pour financer cela, il faut taxer les propriétés qui sont inoccupées et qui appartiennent à des non-résidents afin qu’elles reviennent sur le marché locatif. C’est une mesure très concrète qui va aider nos étudiants, surtout dans Westmount–St-Louis, où les locataires ont souvent des problèmes avec des propriétés qui appartiennent à des non-résidents qui ne s’occupent pas de les rénover.

LD : Avez-vous un message en particulier pour les étudiantes et étudiants?

JM : Bon courage et bonne rentrée! Je suis fière d’avoir été votre députée et je serais ravie d’être réélue pour un deuxième mandat, même si je ne prends rien pour acquis. J’espère que les gens vont participer activement à la démocratie et à la vie politique, et que les jeunes iront s’éduquer en ce qui concerne les plateformes des partis et les candidats qu’ils veulent voir les représenter. C’est très important de ne pas être gêné de nous appeler pour plus d’informations. Il me ferait plaisir de parler aux étudiants de ce qui leur tient à cœur, que ce soit à l’échelle de Westmount–St-Louis ou à l’échelle provinciale.

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Comment fonctionnent les élections ? https://www.delitfrancais.com/2022/09/14/comment-fonctionnent-les-elections/ Wed, 14 Sep 2022 11:15:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48744 Cet article s’inscrit dans le cadre de notre dossier sur les élections provinciales du Québec 2022. Afin de comprendre le fonctionnement de ces élections, il faut d’abord se familiariser avec certains aspects du régime politique québécois qui se trouve être intimement lié à la structure du gouvernement provincial. L’élection L’Assemblée nationale est le principal organe… Lire la suite »Comment fonctionnent les élections ?

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Cet article s’inscrit dans le cadre de notre dossier sur les élections provinciales du Québec 2022. Afin de comprendre le fonctionnement de ces élections, il faut d’abord se familiariser avec certains aspects du régime politique québécois qui se trouve être intimement lié à la structure du gouvernement provincial.

L’élection

L’Assemblée nationale est le principal organe décisionnel au niveau provincial. Elle est constituée de 125 député·e·s à partir desquel·le·s sont choisi·e·s les ministres. Ces député·e·s représentent chacun·e· une région administrative distincte nommée circonscription. Les limites de ces 125 circonscriptions sont établies par la Commission de la représentation électorale, une institution indépendante qui a pour mandat d’établir la carte électorale du Québec. La carte électorale repose sur le principe de représentation effective des électeur·rice·s en assurant l’égalité du vote entre les électeur·rice·s peu importe leur circonscription. Le processus électoral invite les électeur·rice·s à voter pour un·e candidat·e qui sera élu·e comme représentant·e de leur circonscription. Ces candidat·e·s peuvent choisir d’adhérer à un parti politique ou de se présenter en tant qu’indépendant·e. Une fois élu·e·s député·e·s, il·elle·s serviront d’intermédiaire entre les citoyen·ne·s de leur circonscription et l’administration publique. Il·elle·s exerceront ce droit notamment en votant des projets de loi, en questionnant directement d’autres député·e·s et ministres, ou en débattant divers enjeux.

« Le vote est un choix personnel! Personne n’a le droit de vous forcer à voter »

Le système électoral au Québec est représentatif. Il fonctionne selon un mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour. Cela signifie que l’électeur·rice vote pour un·e candidat·e (uninominal), une fois (un tour) et que le·a candidat·e qui remporte le plus de votes est élu·e (majoritaire). À cet égard, il y a eu des projets de loi pour réformer le mode de scrutin. Par exemple, le·a candidat·e élu·e peut avoir reçu un faible pourcentage de votes par rapport à la quantité d’électeur·rice·s totale car la majorité des voix se répartissent chez les autres candidat·e·s.

La formation d’un gouvernement à l’issue des élections

Le gouvernement est formé par le parti ayant le plus de député·e·s élu·e·s à l’Assemblée nationale. Si
ce nombre de député·e·s élu·e·s est plus de la moitié du nombre total de député·e·s (63 député·e·s élu·e·s sur un total de 125), on dira que le gouvernement est majoritaire. Dans le cas inverse, on dira que le gouvernement est minoritaire. L’ensemble des député·e·s n’appartenant pas au gouvernement seront nommé·e·s l’opposition. Le ou la chef·fe du parti à la tête du gouvernement, s’il·elle est élu·e député·e, devient le·a premier·ère ministre. Le ou la chef·fe de chaque parti est habituellement élu·e par les membres de son parti avant les élections. Il·elle aura la responsabilité de nommer les ministres, qui peuvent ou non être des député·es membres de son parti.

Comment voter?

Les élections ont presque toujours lieu le premier lundi du mois d’octobre, soit le 3 octobre en 2022. Afin de promouvoir la participation électorale, les employeurs sont dans l’obligation d’offrir aux employé·e·s quatre heures de congé payé afin de leur permettre d’exercer leur droit de vote le jour des élections. Avant de pouvoir voter, vous devez être inscrit·e sur la liste électorale. Vous pouvez vérifier et modifier votre inscription sur cette liste en consultant le site internet Élections Québec, en les appelant ou en communiquant avec le ou la directeur·rice de scrutin de votre circonscription.

Pour qui voter?

Le vote est un choix personnel ! Personne n’a le droit de vous forcer à voter. Vous pouvez vous informer quant aux différentes positions au travers de différents médias, dont ici-même dans les pages de votre journal étudiant.

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Uni·e·s sous le chapiteau https://www.delitfrancais.com/2022/09/14/uni%c2%b7e%c2%b7s-sous-le-chapiteau/ Wed, 14 Sep 2022 11:15:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48771 TISS Cabaret : invitation à tisser des liens.

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Sous le chapiteau de cirque se trouve un lieu d’une profonde richesse fantaisiste, un monde libérant la pensée de toutes les contraintes de l’habitude. Dès que les lumières s’éteignent, l’auditoire est plongé dans un univers inconnu. Le samedi 3 septembre, c’était celui de TISS cabaret.

Un charabia hétéroclite s’empare de l’ouïe alors que les artistes amorcent le spectacle. Se fracasse chaotiquement une averse de dialectes épars qui sème l’incompréhension: anglais, français, espagnol et allemand s’entrelacent en guise de bienvenue.

Au sein de cette tempête de mots, un dialogue en français se forme mais se heurte bientôt à la réalisation de la différence. Cette différence se manifeste par un filet qui se balance entre les deux narratrices, et qui découpe la conversation au gré de ses allers-retours, soulignant les frontières qui séparent les individus: les narratrices prononcent toujours les mêmes phrases à l’exception du dernier mot.

Le récit progresse, mais les histoires des narratrices divergent. Le personnage de la petite Julia, la protagoniste de la première des deux histoires contées, se retrouve prisonnière du filet de ces divergences. Alors qu’elle jonglait initialement avec des pelotes de laine, on voit un filet qui se resserre autour d’elle petit à petit. Julia s’enfarge et trébuche en tentant d’échapper au nœud qui l’étreint.

Emprisonnée par le sentiment inconnu d’être pris dans un filet, Julia laisse place au récit de Timmy et c’est par son voyage que l’on cherche à comprendre l’essence même de ce qu’est le filet. Jongleries et acrobaties se confondent alors qu’il tâte aveuglément le nœud central de la toile qui le piège. Son exploration l’entraîne dans une ascension au terme de laquelle il paraît découvrir ce qui l’entrave: son individualité, sa différence, son soi est la barrière qui semble l’isoler. Pour traverser le fossé qui le sépare d’autrui, Timmy s’élance et se confie dans les bras de la narratrice en espérant qu’elle l’accueillera.

S’ensuit une série d’actes au travers desquels les artistes apprennent à se situer au sein d’un groupe. Chaque mouvement est partagé, chaque individu abandonne une partie de lui-même à la recherche d’un mouvement commun, mouvement plus grand que la somme des individus. Entre autres, l’harmonie naissante du rythme autant visuel qu’auditif de la troupe de danse percussive, où l’on voit chaque danseur·se se mouvoir sous une mesure claquée par ses compères, nous rappelle comment les formes les plus belles fleurissent d’un effort collectif.

Le spectacle prend alors une tournure nouvelle. Ce message d’unité et d’abandon de soi au sein de la multitude se transmet de manière participative aux spectateur·rice·s. Les membres du public se passent une pelote de laine, tenant le fil traînant derrière la pelote qu’ils·elles envoient à un·e voisin·e. La timidité de chaque spectateur·rice s’introduisant et s’ouvrant à ses voisin·e·s se transforme bientôt en émerveillement tandis que le chapiteau s’unit sous une toile de laine reliant tout un chacun.

Le public étant rassemblé et ne formant plus qu’un, les circassien·ne·s orchestrent une symphonie que seule la toile qui unit le chapiteau pourrait jouer. Chants aigus et graves, claquements de main et de doigts se confondent et se complimentent alors qu’une section sifflote un air et qu’une autre tambourine. L’espace même semble alors fredonner un air qui vient toucher le cœur du moment.

La symbolique du filet semble alors devenir autre; il n’est plus ce qui entrave les personnages du spectacle, mais bien ce qui les soutient et les élève vers leur épanouissement collectif. Il est l’étoffe cousue par les liens que les artistes individuel·le·s ont tissés entre eux·lles.

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Mythologie: les dystopies https://www.delitfrancais.com/2022/04/06/mythologie-les-dystopies/ Wed, 06 Apr 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48398 Demain n’est pas si loin.

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Près de 70 ans après sa sortie, l’une des œuvres phares du Britannique George Orwell, 1984, se hisse parmi les ouvrages les plus vendus du moment. Cette soudaine ascension peut s’expliquer en partie par l’utilisation d’un terme par une des conseillères du Président des États-Unis de l’époque, Kellyann Conway. Lors d’une rencontre avec la presse, elle justifiait un mensonge émis par un de ses collègues en prétendant qu’elle détenait des «faits alternatifs». Or, ce terme représente un oxymore: le fait, par définition, désigne ce qui est réellement arrivé ; un fait ne peut donc être alternatif que s’il n’est pas réellement arrivé.

L’expression employée par Conway rappelle la novlangue (newspeak, dans le 1984 original d’Orwell) dans laquelle des expressions antithétiques comme «la guerre, c’est la paix» ou «la liberté, c’est l’esclavage» ne sont dissonantes aux oreilles de personne. C’est la reconnaissance de cette dissonance qui aura nourri la résurgence de l’œuvre de George Orwell en 2017. Plus particulièrement, c’est la réalisation de la convergence entre la dystopie de 1984 et la réalité qui aura suscité le désir collectif de redécouvrir le monde de Big Brother. 

La novlangue n’est pas le seul élément de 1984 que nous pouvons raccorder dans un contexte actuel: pensons à la surveillance massive opérée par certaines agences pour observer et juger chacun d’entre nous, que ce soit la NSA (National Security Agency) aux États-Unis ou le Parti communiste chinois. À vrai dire, il est possible de déceler des parcelles de réalité qui ressemblent étrangement à celles que nous trouvons dans les récits dystopiques de toutes sortes.

Ce qui distingue le plus souvent notre monde contemporain des représentations fictives de la dystopie est le fait que ces dernières se situent dans des mondes imaginaires plus technologiquement développés que le nôtre ou que les organisations sociétales de ces mondes sont très éloignées des nôtres. Ces différences créent une distance entre l’univers comme nous le vivons dans notre réalité et celui représenté sur un écran ou dans les pages d’un livre: quoique similaire, ce monde n’est pas le nôtre.

« La délimitation entre ce qui est réel (c’est-à-dire ce que nous croyons possible) et ce qui ne l’est pas repose sur l’expérience ou la connaissance du monde dans lequel nous vivons »

Changeons d’angle un moment et pensons aux autochtones des îles Andaman, une tribu qui n’a aucun contact avec le reste de l’humanité depuis des milliers d’années. Ces personnes ignorent tout de l’existence de l’écureuil jusqu’au téléphone intelligent. Imaginons maintenant que nous montrons à ces personnes deux extraits de film: le premier d’un film qui se veut réaliste (on peut penser à James Bond) et le deuxième d’un film qui se veut dystopique (on peut penser à Black Mirror). Sauraient-elles différencier ce qui se veut réel de ce qui se veut dystopique? Confrontées à deux mondes qui leur sont inconnus, elles rationaliseraient probablement les univers de ces deux films comme étant tous deux issus du rêve. 

Alors que les Andamanais estimeraient les deux univers comme imaginaires, nous nous arrêterions à celui qui nous est dystopique. C’est encore cette distance, soit la connaissance des limites de la technologie actuelle ou de l’organisation sociétale, qui nous invite à faire une distinction entre le film soi-disant «réaliste» et celui «dystopique». Alors que les Andamanais pourraient expliquer les technologies des deux films par de la magie, nous savons que certains éléments du film «réaliste» (une voiture, par exemple) existent dans la réalité tandis que ce qui est affiché dans le film dystopique relève d’effets spéciaux ou numériques. Dans les deux cas, la délimitation entre ce qui est réel (c’est-à-dire ce que nous croyons possible) et ce qui ne l’est pas repose sur l’expérience ou la connaissance du monde dans lequel nous vivons. 

Or, tout comme l’ignorance de la technologie de la part de certaines communautés autochtones n’empêche pas ce que nous savons comme réalité d’exister, nos expériences restreintes ne devraient pas nécessairement nous empêcher d’imaginer une soi-disant «dystopie» comme vraie. En gardant ceci en tête, il est désormais possible de porter un regard nouveau sur ces dystopies que nous voyions comme éloignées par une technologie inexistante ou une organisation sociétale singulière.

La dystopie est souvent perçue comme étant une représentation des réalités potentielles vers lesquelles l’humanité pourrait se diriger. Elles se veulent révélatrices de tendances qui nous entraînent sur une certaine voie, et dont une des escales est cette dystopie. La question se pose donc: cette escale, l’avons-nous déjà atteinte?

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