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Quel est ton signe astrologique ?

L’étoile de l’astrologie pâlit-elle ?

Clément Veyset

Gardez l’œil bien ouvert parce que la passion est dans l’air pour les Gémeaux, l’ambiance est torride pour les Taureaux tandis que l’humeur est plutôt morose chez les Béliers. Les phrases que vous avez lues dans votre horoscope au début de la semaine ressurgissent soudain. « C’est vrai que j’ai pas mal de chance sur Tinder en ce moment. » « J’ai l’impression que mon couple ne va pas très bien ces temps-ci. » « C’est la fatigue qui nous ramollit, on doit reprendre les choses en main. » De l’amour à l’argent et à la vie professionnelle, sans oublier la santé, l’horoscope contient l’ensemble des prédictions que l’on tire des représentations et placements célestes à un instant donné. Mais pourquoi lisons-nous notre horoscope ? Nous prétendons ne pas y croire et pourtant, nous ne pouvons pas nous empêcher de le consulter​.La croyance en l’astrologie, soit l’étude des positions et des configurations des astres et leur effet sur le comportement, est en hausse depuis quelques années. Selon un sondage de la firme Reasearch Co. mené en 2020, 36% des Canadien·ne·s croient « probablement » ou « assurément » en l’astrologie, tandis que 55% n’y croient pas. Chez les jeunes de 18 à 24 ans, la proportion de croyant·e·s en l’étude des astres s’élève à 49%. 

Oui, il est vrai qu’elle échappe à tout fondement scientifique… Et pourtant, l’astrologie continue d’interpeller un grand nombre de personnes, certain·e·s plus adeptes que d’autres. Réconfort dans les temps incertains, l’astrologie représente un outil précieux d’introspection ou de connaissance de soi, qui souligne l’intérêt humain pour les caractères et les personnalités et qui, comme d’autres croyances, crée un sentiment d’appartenance.

Je suis Cancer

Au début du 20e siècle, Alan Leo, un astrologue et franc-maçon britannique considéré comme le père de l’astrologie moderne, est accusé de professer des divinations, une activité alors illégale. Acquitté faute de preuves mais résigné à abandonner son métier d’astrologue, Alan Leo décide donc de changer l’optique de sa discipline. L’astrologie passe alors d’une tentative de prédiction de l’avenir à ce qu’Alan Leo décide d’appeler « la science des tendances » (the science of tendencies). « Je déclare avec la plus grande insistance que je ne prédis pas l’avenir. Je dis les tendances à partir de l’horoscope et dans chaque horoscope que j’envoie, je fais cette déclaration », justifie-t-il devant la Cour d’appel britannique en 1917 lorsqu’il est à nouveau accusé de divination. La naissance de l’horoscope sous l’effigie d’une science des tendances transforme l’astrologie en quelque chose de plus personnel, en passant d’une prédiction d’un événement dans le monde à la prédiction d’un changement dans le caractère de l’individu.

« L’astrologie se frayait son propre chemin à l’écart des grandes religions dont elle n’a jamais fait partie intégrante »

À partir de ce moment, l’astrologie a le potentiel de participer à la construction de la personnalité de l’individu. Par la prédiction d’un changement à un niveau comportemental ou émotionnel, l’individu évolue avec cette prédiction sous un biais cognitif nommé « l’effet Barnum ». Ce biais cognitif désigne la tendance d’un individu à se reconnaître dans la vague description d’une personnalité. C’est avec cet effet que les horoscopes peuvent influencer les personnalités de leur lectorat. Prenons l’exemple de Camille, un·e Cancer qui lit son horoscope : « Vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas encore utilisé à votre avantage. Vous serez secoué·e par une grande perte et vous serez débordé·e par vos émotions. Les Cancers sont très sensibles à leurs émotions. » Camille pourrait se reconnaître dans la première phrase de l’horoscope, mais demeurer sceptique lors des lectures de la deuxième et de la troisième. Plus tard, iel se surprend à pleurer en regardant Titanic et se rappelle de son horoscope qui prédisait aux Cancers une sensibilité émotionnelle particulièrement élevée. En se reconnaissant dans ce trait, iel construit son identité en tant que personne « sensible », et les fondements de cette construction résident dans l’horoscope qu’iel a lu plus tôt. Par la suggestion de certains traits dans lesquels le lecteur peut choisir ou non de se reconnaître, l’horoscope et l’astrologie permettent à un individu de s’approprier des traits de personnalité et de former son identité.

« Au cœur de l’un la parole de Dieu, au cœur de l’autre les étoiles »

Ma bonne étoile

L’astrologie et les croyances d’ordre religieux ont toujours été intimement liées. Alors que l’astrologie occidentale puise communément son origine dans les croyances mésopotamiennes, certain·e·s adeptes se réfèrent davantage à l’astrologie dite « védique » qui dérive de l’Hindouisme. Même les trois grandes religions monothéistes ont flirté avec les astres. Dans le Talmud, le Rabbi Yehuda proclame : « Abraham, notre ancêtre, était si compétent en astrologie que tous les rois d’Orient et d’Occident se présentaient tôt à sa porte en raison de sa sagesse. » (Baba Batra 16b:10) Plusieurs érudits musulmans, comme Abu Ma’Shar al-Balkhî, tenteront de concilier l’islam, l’astronomie et l’astrologie en soutenant que toutes font partie de la volonté d’Allah. Il va sans mentionner que l’arrivée du messie dans la tradition chrétienne aura été révélée à Gaspard, Melchior et Balthazar par nuls autres que les astres. Aucune religion n’a toutefois épousé la lecture des astres à part entière : l’astrologie se frayait son propre chemin à l’écart des grandes religions dont elle n’a jamais fait partie intégrante. Moins structurée et plus libre d’interprétation, l’astrologie accueille toutes et tous sur ses sentiers et offre, à ceux·lles qui s’y aventurent, certains fruits de la même variété que ceux trouvés dans les vergers de l’héritage abrahamique. C’est notamment aux questions avec lesquelles la science empirique éprouve de la difficulté que l’astrologie et les religions offrent des réponses. Face à l’incertitude et aux événements irrationnels, un cadre cosmique au sein duquel toute conséquence trouve sa cause primaire, au sein duquel les relations sont déterminées et décryptables, est proposé. Au cœur de l’un la parole de Dieu, au cœur de l’autre les étoiles. 

Clément Veyset

L’attrait de l’astrologie réside dans ce qui la distingue des religions monothéistes, soit une absence de rites et de règles imposés par des écritures. La « souplesse » de l’astrologie permet à tous et à toutes d’y adhérer à leur propre rythme en déléguant une grande partie de l’interprétation divinatoire à l’individu. En ce sens, l’astrologie embrasse bien la société québécoise qui a connu un schisme avec la religion depuis la Révolution tranquille. L’astrologie vient combler un certain vide spirituel laissé vacant par la rupture avec le christianisme, sans toutefois imposer les restrictions qui avaient précédemment détourné les Québécois·es. En plus de cette absence de restrictions, l’astrologie vient chercher l’individualité de chacun·e de ses adeptes, formant leur identité et laissant la place de l’interprète à l’individu. En proposant une place importante pour l’individu et une explication à l’inexplicable, l’astrologie est bien accueillie par les sociétés occidentales. 

« Qu’on y croie ou qu’on n’y croie pas, l’astrologie s’offre comme un phare à celles et ceux qui sont en crise »

Mars est en rétrograde

Stéphanie Roussel, étudiante au doctorat en sémiologie et codirectrice du chantier de recherche Savoirs occultes et alternatifs à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), estime que l’astrologie détient « un aspect de communauté et un sentiment d’appartenance très importants, surtout sur les réseaux sociaux ». En effet, les médias sociaux évoquent fréquemment la fin de Mercure en position rétrograde et le début de la planète rétrograde en Gémeaux. En astrologie, ces périodes de rétrograde indiquent que l’ordre cosmologique est perturbé par un mouvement des astres. « C’est le temps opportun de stimuler votre cerveau en utilisant votre main non dominante », partage un gazouillis. C’est un moment de « recul » et d’introspection : « Est-ce que je veux vraiment ce que je poursuis, ou bien est-ce que j’aime la poursuite en elle-même ? », questionne un article du magazine Elle.

Qu’on y croie ou qu’on n’y croie pas, l’astrologie s’offre comme un phare à celles et ceux qui sont en crise. Comme l’indique l’astrologue certifiée Debbie Stapleton à La Presse, la majorité des personnes qui consultent un·e astrologue le font parce qu’il·elle·s sont à la croisée des chemins. Pour une génération confrontée aux angoisses liées aux changements climatiques et à la pandémie, se tourner vers l’astrologie témoigne d’un désir d’obtenir des réponses : « Ils veulent du contexte. C’est très apaisant de mieux comprendre le contexte de ta vie », affirme l’astrologue Debbie Stapleton.


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