Jeudi dernier, l’Association des étudiant·e·s en langue et littérature françaises inscrit·e·s aux études supérieures de McGill (ADELFIES) a tenu une causerie réunissant le professeur de littérature Alain Farah et le cinéaste Philippe Falardeau autour de Mille secrets, mille dangers, le roman de Farah récemment porté à l’écran par Falardeau en coécriture avec l’auteur. Dans une ambiance conviviale, une vingtaine d’étudiants et de membres du corps professoral de la communauté francophone de McGill se sont rassemblés pour assister à l’échange.
Des pages à l’écran
La réalisation d’un film, c’est d’abord un long processus de sélection, surtout lorsqu’il s’agit de condenser un roman autobiographique de 512 pages, comme celui de Farah en deux heures. Pendant la discussion, Farah affirme que son roman était à l’origine pensé pour son père, Shafik Elias Farah. Au final, il n’a écrit qu’un chapitre sur cette idée, dans lequel il déroule toute l’histoire de Shafik. « Le défi de l’écriture, confie Farah, c’est que je voulais [faire tenir, ndlr] cinquante ans en une minute ». En réponse, Falardeau met le doigt sur les contraintes du cinéma en comparaison avec la liberté offerte par la littérature : « Ce qu’Alain vient juste de dénoncer, c’est exactement ce que le cinéma ne peut pas faire. Très librement, simplement, sans jamais qu’on ait l’impression que ce soit lourd. La littérature peut faire ça : au cinéma, c’est impossible. » Le réalisateur cite notamment le jeu de juxtaposition, par lequel plusieurs réalités temporelles coexistent dans le roman, chose qu’un film peut seulement tenter d’accomplir en ayant recours à d’infinis retours en arrière (flashbacks).
« Très librement, simplement, sans jamais qu’on ait l’impression que ce soit lourd. La littérature peut faire ça : au cinéma, c’est impossible »
Philippe Falardeau, réalisateur
Un autre défi que révèle l’adaptation de Mille secrets, mille dangers a été la distanciation du personnage de la réalité. Comme le protagoniste incarne Alain Farah, avec qui Philippe Falardeau coopère régulièrement depuis le début du projet, le choix du comédien s’est avéré délicat. Il lui a fallu arrêter de « penser à Alain » pour prendre la décision finale sur la distribution. En effet, bien que le film soit une adaptation du roman, le côté artistique du cinéma en fait une œuvre nouvelle. Cette notion de distanciation devient alors cruciale pour se débarrasser de la tentation de coller à la réalité ; et pour chercher plus loin artistiquement. Falardeau compare ainsi l’art d’adapter à un travail de construction : « Quand tu lis un livre, tu viens d’avoir la fondation. La fondation est là, même si la maison est différente, mais la fondation est solide, les personnages sont solides. » Dans ce processus, il choisit certains éléments à mettre de l’avant, et d’autres en retrait. C’est d’ailleurs le cas du rôle de Yolande, la mère d’Alain. Dans le roman, elle est présente, mais doit constamment céder sa parole, céder sa place et est reléguée au second rang. C’est une réalité qui touche de nombreuses mères de sa génération. Or, Falardeau choisit de lui accorder plus d’importance dans le film, notamment en lui laissant porter la fin, en posant le dernier mot, comme pour briser, à travers le film, le cycle patriarcal hérité de cette époque.
« En effet, bien que le film soit une adaptation du roman, le côté artistique du cinéma en fait une œuvre nouvelle »
En concluant cette rencontre, Farah et Falardeau rappellent qu’entre les mots et les images, il ne s’agit pas simplement de transposition, mais d’un dialogue fidèle entre deux formes d’art. Ensemble, ils montrent qu’une œuvre peut changer de forme sans perdre son âme. Après avoir surmonté de nombreux obstacles, Mille secrets, mille dangers poursuit ainsi son chemin, du roman au cinéma.