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Blocage du projet de loi 97

La colère des communautés autochtones face au gouvernement Legault.

Stu Doré | Le Délit

Depuis le début de l’été, la forêt boréale du Saguenay–Lac-Saint-Jean, à 600 kilomètres au nord de Montréal, est au cœur d’une lutte politique de taille. En témoignent les nombreux barrages routiers érigés par des membres du collectif Première Nation MAMO (« ensemble », en atikamekw). Ce dernier est mené par les gardiens du territoire et chefs héréditaires de différents groupes autochtones, qui marquent leur opposition au projet de loi 97 poussé par la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina. Le projet, « visant principalement à moderniser le régime forestier » prévoit notamment une répartition stricte du territoire forestier public québécois, aujourd’hui partagé en trois : un tiers de territoires protégés, un tiers demeurant « partagé » entre les différents acteurs (chasseurs, pêcheurs, producteurs de bois), et, surtout, un tiers principalement réservé à l’industrie forestière. Un nouvel épisode dans l’histoire des conflits territoriaux entre le gouvernement québécois et les Premières Nations.

Un manque de considération des peuples autochtones

Selon Martin Papillon, professeur de sciences politiques autochtones à l’Université de Montréal, le désaccord des Premières Nations ne tient pas principalement à l’extraction forestière par l’industrie en tant que telle : « Les revendications sont très variées, mais beaucoup de communautés participent au développement économique forestier, et ne sont pas opposées à l’extraction forestière. L’enjeu principal est que les communautés qui occupent le territoire et y ont des droits ancestraux ne peuvent pas suffisamment participer à la décision quant au lieu et au moment de cette extraction. » À l’heure actuelle, le projet de loi prévoit uniquement une « concertation passive » des communautés autochtones, sans possibilité de participation active ni de contrainte sur l’industrie forestière.

La difficulté du dialogue

Le manque de considération des revendications autochtones par le gouvernement s’explique par un héritage historique, selon le Dr Papillon : « Le gouvernement fédéral a imposé aux communautés, via la Loi sur les Indiens (1876), le mécanisme de gouvernance des conseils de bande pour détruire la gouvernance traditionnelle, dans un but d’assimilation. Dans plusieurs communautés, la gouvernance traditionnelle – gardiens du territoire, gouvernance par clans – a cependant persisté en parallèle. Les gouvernements se retrouvent à ne plus savoir à qui s’adresser. » Encore aujourd’hui, le gouvernement québécois refuse de s’adresser au collectif Première Nation MAMO, préférant s’entretenir avec les conseils de bande. Ces derniers ont eux-mêmes claqué la porte aux discussions fin juillet, faute de résultats.

Ces lacunes dans la communication avec les communautés autochtones ne sont plus envisageables, comme l’explique le professeur : « Depuis 30 ans, il est de moins en moins possible pour le gouvernement d’agir ainsi. Le projet de loi 97 est le dernier exemple d’une longue liste de projets ayant provoqué une forte mobilisation des communautés. » Cette mobilisation coûte à l’industrie forestière, elle-même prête à des concessions. Selon le Dr Papillon, « la demande principale de l’industrie est la stabilité et la certitude sur le long terme, ce qui passe par une bonne entente avec les communautés locales. L’imposition d’une vision dans le conflit n’a pas été historiquement payante ».

Du reste, le projet de loi est pour l’instant bloqué par l’opposition frontale des Premières Nations. Initialement déposé « dans l’urgence, il risque dans les prochaines semaines d’être fortement amendé, ou tout simplement retiré », selon le Dr Papillon.


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