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Trump est-il en train de « Make China Great Again » ?

Tianjin : l’Indo-Pacifique en mouvement depuis la réélection du milliardaire à la Maison-Blanche.

Eileen Davidson | Le Délit

C’est dans un contexte où prévaut l’hégémonie politico-économique américaine qu’a eu lieu la réunion de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Tianjin, du 31 août au 1er septembre. Parmi la vingtaine de chefs d’État eurasiatiques conviés figuraient le premier ministre indien Narendra Modi, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et le président russe Vladimir Poutine.

Ces dirigeants partagent tous, à des degrés divers, une hostilité envers l’Occident en général, et les États-Unis en particulier.

Réorientation radicale

Lors de ce sommet, la communauté internationale a constaté un rapprochement étonnant entre Narendra Modi et Xi Jinping, dont les intérêts n’ont pas toujours été alignés. Yann Roche, expert en géopolitique de l’Asie du Sud à l’Université du Québec à Montréal, tient à souligner que « le rapprochement ne date pas d’hier et ne peut être réduit aux seuls agissements de Trump de ces dernières semaines. Il faut rappeler que l’Inde est membre de l’OCS – organisation présentée comme un front anti-occidental – depuis 2017 ».

Selon Roromme Chantal, spécialiste de la politique chinoise à l’Université de Moncton, les multiples tentatives de Donald Trump d’isoler la Russie et de punir l’économie indienne se révèlent contre-productives. Il estime qu’en « imposant des droits de douane de 50% à l’Inde, sous prétexte qu’elle achète du pétrole russe, Trump pousse en réalité New Delhi à se rapprocher de la Chine ». Il ajoute que « la donne vient de changer sur le nouvel échiquier Indo-Pacifique, et New Delhi l’a vite compris. L’autonomie stratégique de l’Inde cède la place à une soumission pragmatique à la Chine. À cet égard, il n’est pas exagéré de dire que Trump est en train de rendre China great again ! »

Ces dirigeants partagent tous, à des degrés divers, une hostilité envers l’Occident en général, et les États-Unis en particulier.

Les frontières politiques, idéologiques et territoriales entre les deux géants ne sont néanmoins pas abolies, mais plutôt suspendues le temps du sommet. Chantal rappelle que la durabilité de leur entente reste incertaine : « La méfiance mutuelle risque de persister, notamment en raison du conflit frontalier non résolu au Ladakh et d’autres lignes de fracture anciennes ou nouvelles. » 

Influencer ou résister à l’influence ?

La réunion de l’OCS revêt un poids symbolique : elle vise à contrebalancer la prédominance persistante des États-Unis. La question est de savoir jusqu’à quel point les intérêts des pays concernés convergent, ou si leur coopération se limite à leur hostilité commune envers Washington. « Ces pays sont réunis presque exclusivement par leur opposition à l’Occident ; il y a peu de substance supplémentaire dans leur relation. L’Inde et la Chine, pour leur part, affirment surtout leur autonomie vis-à-vis des États-Unis en accueillant Poutine (tdlr) », observe Maria Popova, professeure de science politique à l’Université McGill. 

Xi Jinping n’a jamais caché son ambition de positionner durablement la Chine comme acteur central de l’arène internationale. « La place croissante de la Chine est indéniable. Elle se drape d’un discours pacifiste, anticolonialiste et anti-impérialiste, mais quiconque se dresse sur son chemin risque de le regretter », rappelle Yann Roche.

Et maintenant ?

Le sommet de Tianjin aura permis d’afficher une façade de coopération eurasiatique face à l’Occident. Mais au-delà des symboles, la question demeure : le rapprochement stratégique entre ces puissances historiquement divisées durera-t-il ?


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