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Varsity : passion sous pression

Enquête sur la santé mentale des étudiants-athlètes.

Rose Chedid | Le Délit

*Tous les noms ont été modifiés pour des raisons d’anonymat.

Pour beaucoup d’étudiants, intégrer l’équipe Varsity de leur discipline sportive au sein de McGill est un rêve. Le sport est pour eux une passion, et Varsity peut être un tremplin : les enjeux sont donc grands. L’Université soutient que la priorité doit toujours être la réussite académique de ces étudiants-athlètes, pourtant la réalité est plus complexe, et cette affirmation peut se traduire en un manque de soutien des besoins spécifiques à ces étudiants. Que se passe-t-il quand les désillusions et les déceptions impactent la confiance en soi de ces étudiants-athlètes ? Le soutien de l’Université est déterminant pour leur santé mentale, eux qui jonglent entre de nombreux impératifs, et qui subissent de nombreuses pressions extérieures, en plus de celle qu’ils se mettent.

Les équipes sportives universitaires (Varsity en anglais) font partie intégrante de la culture universitaire en Amérique du Nord et contribuent activement au rayonnement et au prestige des institutions qui les accueillent. Pour les étudiants-athlètes, Varsity est une opportunité de pratiquer leur sport, de manière intensive, à un plus haut niveau. Néanmoins la charge mentale des étudiants-athlètes est significative, puisqu’ils combinent un entraînement sportif exigeant à un programme académique complet.

Il faut également considérer que les budgets alloués aux équipes universitaires canadiennes sont relativement bas comparés aux États-Unis. Le nombre de bourses disponibles est extrêmement limité et elles sont seulement assignées en fonction des performances sportives des étudiants-athlètes, qui doivent obtenir des lettres de recommandation pour pouvoir postuler. En plus de devoir maintenir leur niveau athlétique et académique, les étudiants reçoivent difficilement une compensation financière pour le temps consacré à la pratique sportive. Or, l’ampleur du temps consacré à leur sport les empêche d’exercer un emploi à temps partiel. Une préoccupation économique s’ajoute ainsi à la charge mentale de ces étudiants. Le guide du sport interuniversitaire de McGill précise : « La participation au sport interuniversitaire est un privilège et non un droit. » Pourtant, l’Université ne propose pas réellement les accompagnements nécessaires pour permettre aux étudiants-athlètes de jouir pleinement de ce « privilège ». Plusieurs étudiants-athlètes rencontrés par Le Délit nous ont témoigné des difficultés qu’ils ont pu rencontrer, et de la solitude à laquelle ils ont souvent dû faire face.

« Je séchais [mon cours] la plupart du temps, mais il y a eu quelques fois où j’étais obligé d’aller en cours et on m’a fait comprendre que c’était tant pis pour moi et que ça impacterait mon rôle dans l’équipe »

Jody*, ancien membre de l’équipe de basketball de McGill

Un emploi du temps qui donne le tournis

Dans le guide de Varsity Sports de l’Université McGill, aucune limitation du nombre d’heures de pratique sportive n’est précisé, et le document indique seulement que « les étudiants-athlètes de l’équipe universitaire sont tenus de participer pleinement à tous les entraînements et à toutes les compétitions exigées par l’entraîneur principal, à condition qu’il n’y ait pas de restrictions médicales ou académiques. (tdlr) » L’Université ne propose pas d’aménagement des cours pour les étudiants-athlètes, contrairement aux universités américaines. Les étudiants-athlètes doivent donc se débrouiller seuls pour concilier pratique sportive et études, et les entraîneurs peuvent parfois s’avérer plus ou moins compréhensifs.

Jesse*, membre de l’équipe féminine de hockey de McGill, nous explique que les professeurs ont souvent été très accommodants, mais elle avoue néanmoins devoir rater plusieurs cours par semaine pour sa pratique du hockey, et doit ainsi être très organisée. Bien que la plupart des étudiants-athlètes interrogés réussissent à jongler les cours et le sport à haut niveau, plusieurs nous ont confié s’être sentis tiraillés entre les impératifs scolaires et athlétiques, et insuffisamment soutenus. Jody*, un ancien étudiant-athlète membre de l’équipe de basketball pendant deux ans, nous explique que lors de sa première année, il avait un cours qui avait lieu en même temps que certaines heures d’entraînement. « Je séchais donc la plupart du temps, mais il y a eu quelques fois où j’étais obligé d’aller en cours et on m’a fait comprendre que c’était tant pis pour moi et que ça impacterait mon rôle dans l’équipe ». Cleo*, étudiante-athlète ayant récemment quitté l’équipe de basketball féminine pour plusieurs raisons, raconte à propos des cours : « Pendant ma première année, une assistante coach avait nos emplois du temps [ceux des nouveaux dans l’équipe, ndlr] avec nos examens et nos devoirs aussi, et toutes les semaines nous devions aller la voir pour lui dire où on en était dans notre travail. Ça m’a vraiment beaucoup aidée. La deuxième année, elle est partie et on était complètement livrées à nous-mêmes. La moyenne académique des membres de l’équipe n’était vraiment pas bonne. Une de mes amies a échoué dans une classe et a donc perdu sa bourse. » Malgré le postulat de l’Université, la réussite sportive reste primordiale pour les entraîneurs ainsi que pour les sportifs, et la vie des étudiants-athlètes s’organise autour des entraînements qui ont lieu presque tous les jours, durant toute l’année. La charge mentale de ces étudiants peut s’avérer compliquée à gérer lorsqu’ils ne sont pas suffisamment soutenus par leurs entraîneurs et par l’Université. Charlie*, membre de l’équipe de basketball de McGill, regrette que l’Université n’offre pas suffisamment de ressources pour les étudiants-athlètes. Il ajoute : « Nous sommes encouragés à parler de la santé mentale en général, à dire quand ça va, mais je ne pense pas que nous soyons suffisamment encouragés à tendre la main en cas de problème. » De plus, le calendrier des entraînements ne se limite pas au calendrier scolaire, et s’étend en réalité toute l’année. Les étudiants-athlètes doivent ainsi continuer d’être présents pendant la période de Noël et pendant l’été. Bien que les étudiants locaux interrogés n’aient pas relevé de problème à ce sujet, qu’en est-il des étudiants internationaux ? Cleo, étudiante internationale, nous raconte que durant sa deuxième année dans l’équipe, après avoir passé l’été loin de sa famille, elle a voulu rater quatre jours d’entraînement pendant l’hiver. Les membres de l’équipe n’avaient qu’une semaine de vacances accordés, ce qui n’était pas suffisant pour que Cleo rentre chez elle. « Elle [l’entraineuse] a fait une intervention surprise devant l’équipe pour leur demander comment elle se sentait par rapport au fait qu’une membre de l’équipe rate des entraînements, et quelle devrait être sa punition. Comme j’en avais déjà parlé, tout le monde savait que c’était moi ». Cleo était la seule étudiante internationale à ce moment-là, et cet événement a contribué à son sentiment d’isolement.

Le rôle des entraîneurs

L’ensemble des entrevues a révélé qu’un important esprit d’équipe et une forte entraide règne au sein des différentes équipes Varsity. Paul*, membre de l’équipe de soccer de McGill, explique que l’ambiance dans l’équipe est très agréable, ce qui change de l’atmosphère compétitive qui régnait dans son club en France : « L’esprit de groupe prime sur le reste. Notre ancien capitaine poussait toujours les joueurs à s’améliorer, mais ne critiquait jamais juste pour critiquer. » Jules*, ancien joueur de l’équipe de basketball de McGill, nous raconte qu’un jour, leur entraîneur a fait des réflexions et a eu un comportement qui s’apparentaient, pour lui, à de la moquerie, et un autre joueur a pris sa défense. Il ne s’agit pas d’une action facile, car comme toutes les entrevues l’ont révélé, l’avis des entraîneurs est très important pour les étudiants-athlètes parce que ce sont eux qui déterminent le rôle des athlètes dans l’équipe.

« Nous sommes encouragés à parler de la santé mentale en général, à dire quand ça va, mais je ne pense pas que nous soyons suffisamment encouragés à tendre la main en cas de problème » 

Charlie*, membre de l’équipe de basketball de McGill

Paul a reconnu avoir toujours entretenu une bonne relation avec ses entraîneurs de soccer, ce qui a sûrement contribué à sa réussite. Charlie, de son côté, raconte avoir passé beaucoup de temps à parler à ses entraîneurs pour tenter de comprendre et d’améliorer sa position dans l’équipe de basketball. « Je me suis senti soutenu par l’entraîneur principal. Je me mettais beaucoup de pression lorsque je lui parlais parce que, bien sûr, ces choses ont de l’importance. Comment vous interagissez avec lui contribue à ce qu’il pense de vous, et ce qu’il pense de vous se traduit par ce qu’il vous fait faire pendant les matchs ». Il raconte avoir passé beaucoup de temps à bâtir une relation avec ses entraîneurs, et que cela l’a aidé à se sentir plus à l’aise au sein de l’équipe et à s’améliorer. Jody, au contraire, a beaucoup souffert du manque de communication naturelle avec les entraîneurs. « En cinq mois, j’ai perdu un peu plus de dix kilos et personne ne l’a remarqué. En plus, il [l’entraîneur ndlr] ne restait jamais à la fin des entraînements, il partait tout de suite après et il n’engageait jamais la discussion avec les joueurs. On nous disait que si quelque chose n’allait pas, on pouvait aller voir les entraîneurs, mais quand j’ai tenté de leur en parler, on a nié l’angoisse que je pouvais ressentir ». Jules avoue également avoir eu l’impression que la priorité de l’entraîneur n’était pas suffisamment le bien-être des joueurs.

Les entrevues ont ainsi révélé que les interactions avec les entraîneurs peuvent être une source d’angoisse et de frustration, car elle s’avèrent déterminantes de leur rôle au sein de Varsity, et il n’est pas toujours évident d’engager une communication avec eux. Les étudiants-athlètes ne reçoivent pas toujours l’aide nécessaire pour faire face à la pression qu’ils subissent.

Rose Chedid | Le Délit

La loi du plus fort

La principale conséquence négative sur la santé mentale des étudiants-athlètes est liée à la pression constante de performer, afin de rester et d’évoluer dans l’équipe. Cette pression est exacerbée lorsque les étudiants-athlètes savent qu’ils ne sont pas encore indispensables à l’équipe, mais elle est globalement vécue par tous. Jesse nous explique que le hockey est mentalement épuisant. Pendant sa deuxième année dans l’équipe, étant donné que le programme académique qu’elle suit est très intensif, et qu’elle a joué pour de nombreux matchs, elle avoue avoir subi beaucoup de stress. À ceci s’ajoute l’obligation de maintenir un certain GPA pour s’assurer de garder sa bourse.

Aurore*, ancienne coureuse pour l’équipe d’athlétisme de McGill, confie que la pression constante de performer était le principal point négatif qui différencie l’expérience sportive à McGill de celle vécue en France. « Quand tu es dans une équipe universitaire, tu dois maintenir ta place dans l’équipe si tu ne veux pas être viré. Il y avait cette pression de toujours faire plus, de tout donner, de dépasser les limites de ton corps jusqu’à la blessure. C’est ce qui m’est arrivé. Après ça j’ai vécu un enfer. Le semestre qui a suivi, je ne pouvais plus rien faire, ma vie était réduite à aller voir le kiné et à rester chez moi, déprimée. Parce qu’en fait, le sport était tout pour moi. J’ai gardé contact avec certaines de mes anciennes camarades. Il y en a plein que je connais qui se sont blessées par la suite ». Elle ajoute : « Une fois, on avait une compétition un weekend. Normalement, avant les compétitions, les séances d’entraînement sont un peu plus légères pour ne pas trop se fatiguer. Au lieu de ça, l’entraîneur nous a donné une séance énorme avec beaucoup de kilomètres, quelque chose que je n’avais jamais fait. Ça me semblait clairement dangereux au vu de la compétition qui nous attendait ».

Jody nous raconte une expérience arrivée au début de sa deuxième année au sein de l’équipe : « Après un mois d’entraînement intensif et déterminant pendant le mois d’août, je me suis arraché un bout de ligament, donc je ne pouvais plus jouer au basket. Quand j’ai dû arrêter de jouer j’ai senti que le coach était énervé contre moi, et donc, je suis allé lui parler. Il m’a expliqué qu’il ne croyait pas au fait que j’étais réellement blessé, qu’il supposait plutôt que je n’étais pas assez motivé et que je ne voulais pas jouer. Pour lui prouver que j’avais encore envie de jouer et que je n’étais pas juste là pour m’amuser à être assis sur le côté pendant que les autres jouaient, il fallait que pendant tous les entraînements, je sois là et que je fasse des exercices de rééducation. Pendant tout l’entraînement, pendant deux heures, je ne devais pas m’asseoir, parce que si je m’asseyais, il aurait pensé que j’étais fainéant. » Les étudiants-athlètes subissent ainsi une pression indéniable de performer, parfois au détriment de leur santé mentale et physique.

« Il y avait cette pression de toujours faire plus, de tout donner, de dépasser les limites de ton corps jusqu’à la blessure. C’est ce qui m’est arrivé. Après ça, j’ai vécu un enfer » 

Aurore*, ancienne coureuse pour l’équipe d’athlétisme de McGill

Un système d’aide à la santé mentale défectueux

Dans le cadre de Varsity spécifiquement, Jesse explique que lorsqu’elle était très stressée lors de sa deuxième année, elle a pu s’adresser à la coach mentale qui travaille avec les joueuses. Ces dernières peuvent s’adresser à elle de manière anonyme pour obtenir de l’aide. Elle a beaucoup aidé Jesse à s’organiser, et à trouver des astuces pour gérer son stress.

Cleo, quant à elle, a également tenté de s’adresser à la coach mental de l’équipe après l’épisode douloureux durant lequel son entraîneuse avait demandé à ses coéquipières d’exprimer publiquement leur ressenti face à sa décision de rater des jours d’entraînement pendant les vacances de Noël. « J’ai essayé de contacter la coach mental. Toutes les équipes en ont une. Je lui ai alors demandé ce qu’elle en pensait et je lui ai expliqué pourquoi cette situation m’avait autant fait souffrir pour le reste de la saison. Je n’ai pas trouvé qu’elle m’ait aidée à me sentir mieux, j’ai même presque eu l’impression qu’elle me disait que c’était moi le problème. »

Jody a décidé de quitter Varsity, car la pédagogie de l’entraîneur et le fonctionnement de l’institution avait des conséquences trop importantes sur sa santé mentale. Il raconte alors « Quand ça n’allait vraiment pas et que j’ai arrêté au milieu de l’année, d’abord provisoirement, on m’a dit qu’on allait mettre à ma disposition toutes les ressources nécessaires pour que j’aille mieux. En fait, ils m’ont simplement référé au Wellness Hub de McGill. C’est assez simple d’avoir un rendez-vous avec le Access Advisor qui va juste évaluer le problème et te rediriger. Après par contre, si tu veux avoir des rendez-vous avec des professionnels de la santé mentale à McGill, tout est surbooké ». Le Pôle bien-être étudiant de McGill [Wellness Hub], principale entité s’occupant des problèmes de santé mentale et autres problèmes médicaux des étudiants, est souvent décrit comme manquant cruellement d’organisation, de flexibilité et de disponibilités. La note de 1,8 étoiles sur 5 avec 129 commentaires sur Google Maps est révélatrice : le Pôle bien-être ne parvient pas à satisfaire le grand nombre de demandes des étudiants. Le principal problème ne semble pas être la qualité du service, avec des infirmiers et médecins compétents dans la plupart des cas, mais bien le manque de disponibilités. Certains élèves sont même allés jusqu’à faire la queue devant le bâtiment à 6h du matin afin de pouvoir être pris en charge. La capacité du pôle à recevoir des rendez-vous est variable et imprévisible. Certains étudiants rapportent avoir appelé à l’heure d’ouverture, soit 8h30 le matin, et ont attendu plusieurs dizaines de minutes avant d’apprendre qu’aucun créneau n’était disponible. Les étudiants qui rencontrent des problèmes de santé mentale impactant profondément leur parcours académique et athlétique ignorent souvent à qui s’adresser, et se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ce problème est clairement exacerbé pour les étudiants internationaux, pour qui trouver des psychologues dans un pays qu’ils ne connaissent pas est bien plus compliqué.

Et finalement ?

Les expériences des étudiants-athlètes au sein de Varsity à McGill divergent grandement, et offrent un portrait nuancé de la question de la santé mentale au sein des équipes sportives. Certains évoquent des situations qui ont eu des conséquences à long-terme sur leur santé mentale, d’autres sont parvenus à naviguer le système et à recevoir de l’aide pour faire face aux pressions multiples, et d’autres encore se sont toujours sentis accompagnés. Une des variables majeures qui semble affecter, positivement ou négativement, la majorité des expériences des étudiants, est leur relation avec les entraîneurs. Leur rôle dans l’équipe est également un facteur important. De plus, nos recherches ont montré que la mise à disposition de ressources pour accompagner la santé mentale des étudiants-athlètes est largement limitée, et qu’elle est placée entre les mains d’une poignée d’individus qui apportent une aide inégale aux étudiants. Charlie a beaucoup insisté sur la stigmatisation qui existe autour de l’aide à la santé mentale parmi les athlètes, et qui les pousse à ne pas toujours s’adresser à des professionnels, mais seulement aux membres de l’administration par exemple. Il regrette que l’Université ne facilite pas suffisamment l’accès à des services d’aide à la santé mentale spécialisés. Ceux qui ne reçoivent pas un accompagnement adapté au sein du programme Varsity se retrouvent alors livrés à eux-mêmes, ce qui peut impacter leur performance académique, leurs relations sociales et leur confiance en soi. Une perte de confiance dans le cadre du sport, qui est une passion centrale à la vie de nombreux étudiants-athlètes, peut avoir des conséquences néfastes et dangereuses à long terme sur leur santé mentale. Si faire partie d’une équipe Varsity est un « privilège et non un droit », alors l’Université se doit de faire en sorte que l’expérience soit vécue ainsi, par tous les athlètes. Bénéficier d’un privilège ne devrait pas les priver de leurs droits.


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