Aller au contenu

Ce que l’on redonne à la société

La pièce Bénévolat au théâtre La Licorne.

Sylvie-Anne Paré

Qu’est-ce que ça signifie, « aider la société » ? Qu’est-ce que ça implique, individuellement et collectivement, « faire sa part » ? Ce sont entre autres ces questions que pose la pièce Bénévolat, de Maud de Palma Duquet, où Amaryllis (Stéphanie Arav), étudiante en sciences, rigide et travaillante, aide Anthony (Mathieu Richard), jeune homme badin détenu pour meurtre, à réussir son français de première secondaire. Amaryllis affirme vouloir redonner à la société, mais révèle plus tard que cette expérience lui permettra d’augmenter ses chances d’être admise en médecine. Anthony veut finir son secondaire pour améliorer son dossier carcéral. Dans une mise en scène de Rose-Anne Déry, se déploient en huis clos les ateliers de français, qui se déroulent au pénitencier sur plusieurs semaines, lors desquels Amaryllis et Anthony apprendront à créer un lien. L’attention est portée sur les acteurs, une table et deux chaises, ainsi qu’une fenêtre derrière laquelle on peut distinguer le temps qu’il fait.

« Si le jeu de Richard semble plus naturel, l’aspect plus saccadé de celui d’Arav montre le côté droit et intransigeant de son personnage »

L’allure des personnages révèle d’emblée leur caractère : le coton ouaté d’Anthony est couvert de divers dessins et griffonnages. Amaryllis porte un tricot par-dessus une chemise, un pantalon propre et des loafers. Anthony pose des questions personnelles, fait des blagues, et remet en question les règles de grammaire. Amaryllis, quant à elle, est carrée, stricte, et veut faire le travail pour lequel elle est venue. On a devant nous deux personnages archétypaux, aux antipodes l’un de l’autre, qui servent à merveille le propos de la pièce et le fil narratif qui se dessine. Amaryllis, qui vient d’une famille privilégiée, souhaite, comme son père, devenir médecin, mais souffre depuis l’enfance d’anxiété de performance, ce qui la pousse à consacrer chaque heure de sa vie à ses études. Lorsqu’Anthony lui demande pourquoi elle veut devenir médecin, Amaryllis ne sait pas quoi lui répondre. Quant à Anthony, il vient d’une famille plus précaire. Élevé seulement par sa mère, résolue à mettre de la nourriture sur la table, Anthony a décroché avant d’avoir fini son secondaire, en proie à un problème de toxicomanie . À 19 ans, pour rembourser une dette de dope, il menace un commis de dépanneur avec un fusil et le tue. Tout sépare ces personnages : leur classe sociale, leurs repères, leur vision du monde. Ils s’apprivoisent malgré tout pendant la pièce, se révèlent graduellement l’un à l’autre, et trouvent bien davantage que ce à quoi ils s’étaient engagés.

Le texte de Maud de Palma Duquet allie moments humoristiques et passages profondément puissants et émotifs, dans un équilibre tout à fait habile. Si la majeure partie de la pièce est construite au fil des échanges entre les personnages, chacun se trouve à révéler son intériorité par des monologues. Amaryllis raconte au public des scènes ayant lieu hors de la prison, tandis qu’Anthony laisse des messages téléphoniques à sa mère. Les premiers échanges sont plutôt rapides et ne laissent pas beaucoup de place à la tension, mais l’actrice et l’acteur livrent tout de même leur texte avec virtuosité ; si le jeu de Richard semble plus naturel, l’aspect plus saccadé de celui d’Arav montre le côté droit et intransigeant de son personnage. La grande force de la pièce se trouve dans l’importante leçon humaine qu’elle porte et dans les questions qu’elle pose sans jugement. Deux personnes se rencontrent et apprennent à se connaître au-delà des apparences, au-delà de ce qui auparavant les séparait, au-delà de leurs origines. Elles apprennent à reconnaître leurs biais, leurs préjugés, leurs angles morts, et arrivent à ressentir de l’empathie l’une pour l’autre. Ce huis clos déjoue les stéréotypes et, avec sensibilité, oriente le regard du spectateur sur des enjeux majeurs, comme la justice et le système carcéral, l’éducation et son élitisme, ainsi que les relations entre hommes et femmes et les dynamiques qu’elles impliquent.


Dans la même édition