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Pourquoi calculer son empreinte carbone ?

Un guide pour mieux comprendre son impact sur l’environnement.

Clément Veysset | Le Délit

Il arrive souvent que l’on se sente un peu perdu·e face à la complexité du défi écologique. Après tout, nous pouvons avoir l’impression que l’effondrement de la biodiversité et des écosystèmes, l’épuisement des ressources et le réchauffement climatique sont des menaces lointaines contre lesquelles nous n’avons aucun pouvoir et dont nous ne ressentons pas (de manière significative) les conséquences au quotidien. Pourtant, de plus en plus on entend parler de l’importance de l’action individuelle pour faire face à l’enjeu climatique qui nous concerne tous·tes. De nombreuses questions se posent alors : que puis-je faire pour réduire mon impact sur la planète ? Comment puis-je adopter des habitudes plus écologiques ? Mais avant de répondre à ces questions, il faut avoir une idée plus concrète des répercussions de son mode de vie sur l’environnement. Un bon point de départ pour avoir une idée de cet impact et pour savoir comment agir, c’est de calculer son empreinte carbone. 

Qu’est-ce que l’empreinte carbone ?

Le phénomène naturel d’effet de serre, amplifié par les activités humaines, est la principale cause du réchauffement climatique. Les rayons du soleil qui frappent notre planète fournissent l’énergie nécessaire à la vie et sont par la suite renvoyés vers l’espace. Certains gaz atmosphériques, appelés gaz à effet de serre, captent ces rayonnements pour les renvoyer vers la Terre, un peu à la manière d’un miroir : c’est ce qu’on appelle l’effet de serre, qui permet de maintenir une température stable sur la planète. Toutefois, depuis la révolution industrielle, l’activité humaine a pour effet d’amplifier ce phénomène naturel en produisant ses propres émissions de gaz à effet de serre, notamment lors de la combustion d’énergies fossiles, qui émet d’importantes quantités de dioxyde de carbone (CO2). L’empreinte carbone est un outil qui permet de calculer la somme des gaz à effet de serre produits lors de nos activités ou par la fabrication et l’utilisation des biens que l’on achète. Elle est mesurée en dioxyde de carbone équivalent (pour simplifier on convertit les autres gaz émis comme le méthane ou le protoxyde d’azote en équivalent CO2). Elle peut s’appliquer à un produit en évaluant ses émissions le long de son cycle de vie (de sa fabrication jusqu’à son élimination) à une entreprise, un territoire ou une personne. 

Faire le test

Il existe de nombreux tests en ligne pour calculer son empreinte carbone en fonction de ses actions quotidiennes. Une des plateformes les plus connues est celle de Nos Gestes Climat. Le test, qui dure tout au plus 10 minutes, pose des questions simples telles que : « Combien de kilomètres parcourez-vous en train par an ? Combien de personnes vivent chez vous ? Quelle est votre consommation par semaine de tabac ? », etc. Les catégories d’où proviennent nos émissions, sur lesquelles nous sommes interrogé·e·s, sont celles des transports, de l’alimentation, du logement et des services sociétaux. 

À l’issue du test, l’estimation de son empreinte carbone en tonnes de CO2 par an, permet de se situer par rapport aux objectifs internationaux fixés et ainsi de mieux se les représenter. L’empreinte carbone de la société québécoise comprend les émissions de gaz à effet de serre correspondant à la demande finale intérieure du Québec, que les biens et services aient été produits au Québec, ailleurs au Canada, ou ailleurs sur la planète. Elle exclut donc celles générées par les exportations. Selon les estimations de l’Institut de la statistique du Québec, elle s’élève à au moins 95 millions de tonnes d’équivalent CO2 pour l’année 2018, c’est-à-dire 11,3 tonnes par habitant. Ce sont les dépenses courantes des ménages qui représentent la plus grande part de cette empreinte carbone, notamment liée à l’utilisation de véhicules et d’appareils électroménagers fonctionnant aux énergies et combustibles fossiles. Avec ce chiffre, on est bien loin des objectifs fixés par l’Accord de Paris de 2015, qui préconisent de limiter les émissions par citoyen à deux tonnes au maximum par an pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Le Canada s’est aussi engagé à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Cela signifie que l’économie canadienne devra limiter au maximum les gaz à effet de serre, ou devra compenser ses émissions.

« Calculer son empreinte carbone n’a surtout pas pour objectif de se culpabiliser et de sombrer dans l’éco-anxiété tant la tâche de réduction à deux tonnes paraît ardue, voire impossible »

Il est important de garder ces chiffres en tête lors du calcul de son empreinte carbone, mais ce n’est pas pour autant une raison de désespérer. Calculer son empreinte carbone n’a surtout pas pour objectif de se culpabiliser et de sombrer dans l’éco-anxiété tant la tâche de réduction à deux tonnes paraît ardue, voire impossible. En entrevue avec Le Délit, Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal et directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à la Polytechnique Montréal, met en avant la nécessité d’entreprendre des changements structuraux à l’échelle des États, car en tant que citoyen·ne·s, nos options sont limitées. « Si vous construisez une maison, vous n’avez pas de responsabilité directe sur la façon dont la maison est construite. Les normes sont imposées de l’extérieur. Vous n’avez pas non plus beaucoup de responsabilité sur comment vont être installées les infrastructures autour de vous », nous a‑t-il expliqué. « Quand on dit qu’il faut qu’on réduise à deux tonnes par habitant, c’est un enjeu systémique. C’est-à-dire qu’il faut réduire les émissions dans le ciment, il faut réduire les émissions dans la production d’énergie, il faut réduire les émissions dans la production de biens, dans la production alimentaire. Au final, on ne peut pas remettre toutes ces responsabilités là dans les mains du citoyen ou du consommateur. Il faut que ce soit fait par des transformations radicales de l’ensemble de la chaîne de production. Et à ce moment-là, il faut pouvoir mettre les prix, les coûts correctement pour qu’on puisse choisir clairement. » 

« Le test permet d’identifier les catégories de notre quotidien sur lesquelles on peut s’améliorer et pour lesquelles nos choix comptent, proposant des solutions efficaces pour réduire notre empreinte carbone »

Permettre une prise de conscience

Certes, il sera difficile d’atteindre l’objectif des deux tonnes sans des décisions prises au sommet de l’État et sans gouvernance mondiale. Néanmoins, ce n’est pas une raison pour ne rien faire à une plus petite échelle ! Au contraire, le test permet d’identifier les catégories de notre quotidien sur lesquelles on peut s’améliorer et pour lesquelles nos choix comptent, proposant des solutions efficaces pour réduire notre empreinte carbone. Réaliser le test, c’est d’abord favoriser une meilleure prise de conscience. Comme Normand Mousseau le fait remarquer : « Il faut prendre conscience, par exemple, que l’impact principal au quotidien, ce sont les vols d’avion. Si on regarde les émissions, un vol d’avion c’est deux, trois, quatre tonnes ! » Ainsi, renoncer à l’avion peut déjà avoir un impact conséquent pour réduire son empreinte sur le climat. 

« En y allant étape par étape, on finit souvent par se rendre compte que ce n’est finalement pas aussi difficile de changer son comportement que l’on ne pense »

Après que votre résultat se soit affiché, un parcours-action personnalisé vous est conseillé. En fonction des changements concrets listés pour chaque catégorie, vous pouvez les accepter et voir ainsi diminuer votre score, ce qui est très motivant. Il y a plusieurs options qui varient en degré. Par exemple, dans le domaine de l’alimentation, les options proposées sont de manger de la viande une seule fois par jour, devenir végétarien, voire végétalien. En y allant étape par étape, on finit souvent par se rendre compte que ce n’est finalement pas aussi difficile de changer son comportement que l’on ne pense. D’autres actions utiles auxquelles on ne pense pas forcément sont évoquées, comme mettre un autocollant « pas de publicité » sur sa boîte aux lettres, privilégier l’étendoir au sèche-linge, etc. 

En plus de donner des idées réalistes sur quelles actions adopter, calculer son empreinte carbone peut parfois surprendre. Nathan, étudiant à l’Université de Montréal, admet que son calcul lui a donné des idées pour changer ses habitudes et lui a été utile pour mieux réaliser son impact individuel sur le climat : « C’est révélateur, surtout quand tu vois l’impact de certains déplacements en voiture, par exemple. Sinon, aussi au niveau de l’impact de ton alimentation. En plus, ça peut donner des renseignements sur l’empreinte plus globale de ton logement. » Avant d’ajouter : « Mais ça m’a surtout conforté à ne pas utiliser la voiture seul et à ne pas consommer de viande. » Lou, étudiante française à Sciences Po Paris, juge quant à elle qu’avoir calculé son empreinte carbone lui a été utile « pour se rendre compte de la répartition, de la part de chaque élément dans [son] empreinte carbone ». « Je n’avais pas conscience, par exemple, que juste le système français dans lequel je vis contribue directement à une tonne de mon empreinte carbone », nous confie-t-elle. Cela lui a également permis « d’évaluer des axes d’amélioration » et l’a amenée entre autres à « réduire ou en tout cas à ne pas multiplier les objets connectés après [s]’être rendu compte de l’impact du numérique ». 

Non sans imperfections

Néanmoins, cette mesure a des limites. Il ne faut pas oublier que ces tests en ligne restent des outils pédagogiques. Ces simulateurs n’offrent que des estimations assez vagues, calculées à partir de moyennes. La réalité est bien plus complexe, comme le souligne le professeur Normand Mousseau : « Sur ces sites-là, on ne sait pas toujours ce qui est inclus dans le calcul. Il y a plusieurs inconnus. Ce sont des évaluations assez générales et grossières. Par exemple, si je regarde la consommation d’un kilogramme de bœuf, dépendamment de l’endroit où il a été produit et selon quelle approche, on peut avoir un facteur de trois à quatre de différence en termes de gaz à effet de serre émis. » Même si le calcul n’est pas exact, il nous donne quand même une idée approximative de nos émissions et des aspects de notre quotidien qui les causent. On peut même espérer qu’au fil des ans, les algorithmes se précisent et deviennent plus performants. 

Toutefois, l’empreinte carbone, même plus précisément calculée, ne nous fournit pas toujours une vision complète de notre impact sur l’environnement. « Quand tu commences à t’intéresser à la question de ton empreinte, c’est déjà bien parce que ça permet de vraiment comprendre ce qui pèse le plus sur l’environnement. Après, il ne faut pas oublier que calculer l’empreinte carbone c’est bien, mais ça met de côté plein d’autres types de pollution », nous rappelle Nathan. De nombreux angles morts ne sont pas pris en compte avec cet indicateur. Autre que les émissions de gaz à effet de serre, nos activités ont d’autres répercussions sur l’environnement, comme la pollution des déchets plastiques, l’impact sur la biodiversité, l’épuisement des ressources… 

L’empreinte écologique est un autre indicateur plus large qui englobe l’empreinte carbone tout en intégrant d’autres facteurs pour mesurer l’impact sur l’environnement. Elle détermine quelle surface de notre écosystème (terrestre et aquatique) doit être utilisée pour répondre à notre consommation de ressources, nos activités et notre production de déchets. Elle est mesurée en hectare par année. Peut-être en entendrons-nous plus parler à l’avenir, car elle pourrait venir en complément de l’empreinte carbone. 

Si l’on entend de plus en plus parler de compensation carbone, captage et stockage de carbone, il y a de quoi rester sceptique face à une technologie qui peut justifier de continuer d’émettre des gaz à effet de serre. « La solution reste de ne pas émettre », affirme Normand Mousseau. Moins on consomme, moins on émet, cela paraît en effet tout simple. L’action individuelle a des limites, c’est pourquoi il est d’autant plus important en tant que citoyen « de s’assurer qu’on fait pression pour transformer les réglementations. Dans le long terme, ça a plus d’impacts que des choix individuels. Il faut s’assurer que les transformations se fassent à l’échelle de la majorité ». Cela figure également dans les recommandations des tests en ligne de calcul de l’empreinte carbone. Participer aux élections fait partie des actions les plus déterminantes pour faire changer les choses. Faire entendre sa voix est primordial, mais pour cela il faut d’abord être informé. C’est pourquoi je vous invite à écouter les scientifiques et les experts de la situation et à continuer de nous lire avec attention, pour devenir un meilleur citoyen vert et protéger l’avenir de la planète.


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