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Résolutions et désillusions

Pourquoi les résolutions sont-elles dépassées ?

Clément Veysset | Le Délit

Le temps des fêtes est pour beaucoup un moment de joie, de retrouvailles, de temps passé avec la famille et les amis, qui marque le tournant vers une nouvelle année. Pour nous autres étudiants, qui terminons la période d’examen à cran, avec bien souvent des cauchemars de cette horloge numérique au stade intérieur Tomlinson, la fin d’année est synonyme de relâche, de soirées entre copains, mais aussi de préparation pour le nouveau semestre. Voilà qu’intervient une tradition qui revient chaque janvier : les résolutions de la nouvelle année. De nombreux étudiants voudront ainsi devenir une meilleure version d’eux-mêmes, en se convainquant qu’ils arriveront à décrocher de leur écran de téléphone et de consacrer plus de temps à leurs études, ou d’arrêter d’aller acheter trois cafés lattés par session de révision, finalement utilisant tout leur temps disponible à faire des allers-retours entre le Tim Hortons et la bibliothèque. Pourtant, ils s’apercevront bien souvent que leurs si chers engagements feront rapidement l’objet d’exceptions (parce que les lattés, quand même, c’est délicieux), et seront sitôt oubliés. Enterrées au cimetière des promesses que l’on se fait à soi-même et que l’on ne tient jamais, ces résolutions seront seulement dérangées par celles de l’année suivante. 

Pourquoi les résolutions ? 

Sur le papier, les résolutions sont loin d’être négatives. Qu’y a‑t-il de malsain à vouloir changer nos mauvaises habitudes d’une année à l’autre ? Désirer un plus grand bien-être, que cela soit pour soi ou pour les autres, est parfaitement louable. Cependant je fais preuve d’un grand scepticisme, voire pessimisme, quant aux résolutions de la nouvelle année. Même si elles sont une source de motivation intrinsèque, c’est-à-dire non imposée par les autres, cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas être une source de pression. Ainsi, quand cette motivation imposée par soi-même devient un fardeau à porter, il est plus difficile de s’en détacher, puisque nous sommes la seule cause possible d’un potentiel échec, et nous ne pouvons pas remettre la faute sur les autres. Les résolutions que nous nous imposons peuvent ainsi devenir relativement anxiogènes, et réveiller un paradoxe : alors que ces promesses étaient censées faire de nous des personnes meilleures, elles n’ont finalement fait que nous empoisonner, doucement et calmement, jusqu’au jour de l’abandon.

Pour celles et ceux qui croyaient vraiment en leurs résolutions (ce qui n’est plus mon cas depuis bien longtemps), l’échec peut alors susciter une haine intérieure : on se demande pourquoi c’est si dur, on a l’impression que les autres réussissent, et on finit par se mettre une pression encore plus intense pour l’année suivante. Bien évidemment, ce joli cocktail d’émotions toxiques est agrémenté d’un subtil soupçon de réseaux sociaux, qui nous rappelle constamment notre échec en nous montrant en permanence la réussite d’autrui. Une personne qui désirait perdre du poids – une résolution qui figure, d’ailleurs, parmi les plus populaires à chaque année – et qui n’aurait pas réussi à maintenir le rythme d’exercice hebdomadaire prescrit en début d’année, tombera à un moment ou à un autre sur une vidéo d’un ou une athlète, au corps qui correspond aux standards de beauté, montrant sa routine fitness parfaite, où tout semble si facile.

« Une sorte de discours de radicalité accompagne toujours les nouvelles années, puisque tout le monde fait des résolutions, ces dernières ont tendance à être radicales, et ainsi des plus irréalistes »

Comprendre l’échec : une histoire d’équilibre

Comme je l’ai dit plus haut, les résolutions ne sont pas intrinsèquement mauvaises. Elles sont un symbole d’espoir et de renouveau important. Je pense cependant que ce fameux symbolisme qui les accompagne, toute cette rhétorique du « nouvelle année, nouveau moi », rendent les résolutions peu réalistes à long terme. Une sorte de discours de radicalité accompagne toujours les nouvelles années, puisque tout le monde fait des résolutions, ces dernières ont tendance à être radicales, et ainsi des plus irréalistes. En effet, je pense que les résolutions de nouvelle année, dans leur format actuel, encouragent relativement peu la vraie réussite.

Reprenons l’exemple de la personne qui veut perdre du poids. Lors d’un dîner avec des amis, elle apprend que certains d’entre eux se donnent l’objectif d’aller à la salle de sport cinq fois par semaine. Prise dans l’engouement du moment, elle se dit qu’elle va les suivre, bien qu’elle ne soit jamais allée dans un tel lieu, et ne fasse pas d’exercice physique régulièrement. Aussi motivée qu’elle puisse l’être, un tel défi s’avérera probablement très difficile à réaliser. Même si elle arrive à tenir le rythme quelques semaines, y arriver durant une année complète n’est pas la même chose. Par ailleurs, elle risque même d’être dégoûtée de la salle de sport, puisqu’elle va l’associer à des moments difficiles, tout simplement parce qu’elle n’a pas commencé avec un rythme adapté. Tout est dans l’équilibre : il est important de faire du sport, certes, mais est-ce qu’il est nécessaire d’adopter les habitudes d’un athlète du jour au lendemain ? J’estime que les résolutions de nouvelle année favorisent cette radicalité qui entraîne bien souvent le découragement. Il est important d’aborder de nouveaux défis pas à pas, et d’apprécier sa courbe de progression, voir l’objectif se dessiner peu à peu avec le temps. 

« Notre société est aujourd’hui trop axée vers la performance, l’efficacité et le résultat immédiat. Et si nos envies de changement ne suivaient pas ces schémas anxiogènes, qui misent tout sur la productivité ? »

Notre société est aujourd’hui trop axée vers la performance, l’efficacité et le résultat immédiat. Et si nos envies de changement ne suivaient pas ces schémas anxiogènes, qui misent tout sur la productivité ? Et si, au lieu d’attendre la nouvelle année pour se donner des objectifs concrets, comme arrêter de fumer, ou passer plus de temps à réviser, nous nous concentrions sur les choses simples ? Parfois même, la nouvelle année devient une excuse : si quelqu’un constate qu’il devrait arrêter de fumer en juin, il peut se dire qu’attendre à la nouvelle année pour le faire sera plus symbolique. Cependant, je trouve qu’il est déraisonnable d’attendre le prochain 1er janvier pour entreprendre les changements qui sont réellement nécessaires. Des prises de conscience immédiates doivent être suivies d’actions immédiates – et non radicales, ne vous y méprenez pas. Je pense que la page qui s’ouvre avec la nouvelle année doit être celle qui nous permet de nous concentrer sur des valeurs plus abstraites, que l’on perd bien souvent de vue au cœur d’une société moderne. L’amour vrai, l’appréciation des choses simples, des petites attentions, la reconnexion avec la réalité, le véritable bien-être et non le bien-être induit par la performance : en somme, de quoi se rappeler que la vie est belle.


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