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Aborder les fêtes différemment

Célia Pétrissans | Le Délit

Chaque année, le même manège nous rappelle l’état de notre vie familiale, l’état de notre vie quand le temps ralentit un peu. Les fêtes de fin d’année ancrent le mois de décembre dans ces mêmes traditions que nous répétons chaque année. Pour tous·tes, le monde se calme un peu et nous nous retrouvons dans les lieux de notre enfance, face aux éléments et aux personnes qui constituent ce moment que nous vivons chaque mois de décembre, matérialisant la répétition infinie des années. Le monde qui fête s’accorde sur le calme et la lenteur, nous arrêtons de travailler et retrouvons ceux et celles que nous ne voyons pas forcément pendant le reste de l’année, et qui peuvent aussi attester de notre évolution. Quelle période étrange ! Elle nous oblige souvent à faire face à l’état de notre vie après tous les mois écoulés. Les traditions font du mois de décembre ce chapitre qui se répète et nous met face à notre propre évolution. Est-ce le monde qui nous entoure qui a tant changé ? Ou bien, est-ce nous ? Les fêtes sont souvent associées à un sentiment de mélancolie. Nous savons à quoi elles ressemblent ou à quoi elles devraient ressembler, et pourtant elles semblent intrinsèquement appartenir à une forme de passé.

Est-ce un hasard que les fêtes inscrivent ainsi la fin de l’année dans ce calme frénétique, comme un rite de passage parfois sacré, parfois forcé ? Il s’agit pour nous d’une occasion de faire le point. Pour Le Délit, l’année 2023 a été marquée par le mandat de rédacteur en chef de Léonard Smith, par la section Au Féminin, par une équipe complète et soudée, par une édition spéciale sur la sexualité, qui a remué notre conseil éditorial. Notre équipe a travaillé dur pour faire vivre le journalisme étudiant, et a lutté pour porter les voix de demain avec autant de rigueur que de passion. À la fin de l’année, nous nous sommes aussi arrêté·e·s pour échanger des présents, remercier les membres qui nous ont quittés, et faire le point sur l’année écoulée. Puis chacun·e a retrouvé son univers intime pour fêter, ou non, la fin de l’année. Durant décembre, pendant un mois, nous avons tous·tes été plongé·e·s dans le fantasme de Noël, que nous le fêtions ou non, dans une effusion de bonheur lumineux et coloré. Le sentiment de joie nous est presque imposé par les décorations et musiques traditionnelles. Tout cela résonne comme une grande fête de fin, comme si après tout cela, il était possible de laisser derrière soi l’année merveilleuse ou difficile passée. Comme si, pour tous·tes, les retrouvailles avec le foyer et les proches de notre enfance devaient résonner avec bonheur. Comme si nous devions rentrer dans ce moule, que la société s’obstine à former pendant un mois, pour accéder à la joie. Le mois de décembre devrait avant tout être l’occasion de se questionner sur ce que l’on veut pour nous, ou que l’on ne veut plus. Cette séparation superficielle entre les années peut être un moyen d’éviter de laisser le temps échapper complètement à notre contrôle, un moyen de regarder en arrière, de faire le bilan, pour entamer demain plus consciemment. 

La dernière étape des fêtes de fin d’année est bien sûr la fête du Nouvel An, comme marqueur de commencement. Un commencement noyé dans les rires, la musique forte et l’alcool, selon les conventions. Un commencement qui, peu importe combien il peut être effrayant, se doit d’être joyeux. Un commencement ancré dans le temps ; même si nous ne sommes pas tout à fait prêt·e·s, il n’est minuit le 1er janvier qu’une seule fois, il ne faut pas l’oublier, ni oublier de s’embrasser à ce moment-là. Fêter ce renouveau peut autant créer un soulagement qu’un néant effrayant. Ce marqueur nous donne l’impression qu’il est possible de faire table rase du passé, qu’il est possible d’oublier nos problèmes et nos tares, une impression merveilleuse… et illusoire ? Si on a le droit de refuser toutes les impositions de la nouvelle année, les bonnes résolutions, les pressions sociales, les effusions de bonheur criant, il est possible d’envisager la première journée de l’année avec plus de sérénité. Le mois de janvier a souvent le goût des balbutiements. On peut chercher, en tâtonnant, de nouvelles façons de réclamer sa vie. En tant que nouvelle rédactrice en chef du Délit, j’entreprends moi aussi une nouvelle aventure. Janvier est un nouveau départ pour le journal et pour l’équipe. Nous avançons avec les renouveaux, mais rien ne sert de le faire avec pression. Ce marqueur temporel auquel nous sommes tous·tes confronté·e·s ne doit pas nécessairement nous obliger à nous réinventer, nous forcer à oublier le passé ou à devenir la personne que nous avons toujours rêvé d’être, et ce, en quelques mois. Il peut aussi s’agir, avec plus d’humilité, d’une opportunité de constater que notre existence n’est pas confinée à notre passé, et que nous avons le droit d’espérer et de demander plus du futur. Alors au nom de toute l’équipe, j’aimerais souhaiter à notre lectorat une très belle année 2024, en espérant qu’elle sera l’occasion pour chacun·e de poursuivre son chemin, avec les ajustements qu’il·elle juge nécessaire, tout en n’oubliant pas, que les renouveaux peuvent être réclamés à n’importe quel moment de l’année.


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