Aller au contenu

La lutte du Front commun est-elle un combat féministe ?

Rôle des femmes dans le syndicalisme québécois.

Rose Chedid | Le Délit

À l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme, en mars dernier, des militantes du Front commun s’étaient déjà réunies devant le Secrétariat du Conseil du trésor afin d’exprimer leur mécontentement quant à l’offre initiale du gouvernement de François Legault. Celui-ci prévoyait alors une inflation de 16,6% sur cinq ans, mais n’offrait qu’une bonification salariale de 9% sur la même période. Ainsi, le Front commun, qui compte une majorité importante de femmes, a choisi de se battre contre l’appauvrissement inévitable qu’aurait impliqué l’acceptation d’une telle offre. En discutant avec des membres de ma famille durant le temps des Fêtes, qui travaillent eux·elles-mêmes dans le secteur public, j’ai eu cette même réalisation : les femmes non seulement recevaient un traitement moins favorable que les hommes, mais étaient spécifiquement les cibles d’une marginalisation consciente au sein de la fonction publique. Leur lutte m’est apparue comme un combat servant clairement la cause féministe, puisqu’il s’agit de militer contre l’appauvrissement des Québécoises, celles qui portent sur leurs dos la société québécoise. 

Depuis novembre, le Front commun a ébranlé l’écosystème québécois, lorsque quelque 420 000 fonctionnaires du niveau provincial, regroupé·e·s au sein de quatre centrales syndicales majeures, ont décidé de faire la grève pour de meilleures conditions de travail. Si on compte la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), ce sont près de 575 000 travailleuses et travailleurs qui se sont mobilisé·e·s pour démontrer leur insatisfaction vis-à-vis le traitement que leur réserve la fonction publique. 

« Sans enlever à la noblesse du combat et à son aspect universel, il est indéniable que les femmes sont au cœur même de cette lutte, et que le traitement que ces employé·e·s subissent est grandement lié au caractère systémique de la discrimination contre les femmes, encore aujourd’hui »

Parmi les grévistes, on note une majorité indéniable de femmes, représentant entre 80 et 85% des militants. Malgré tout, on continue de voir des commentateurs remettre en question la nature féministe du combat du Front commun. Mais est-ce que le nombre écrasant de femmes portant cette lutte permet en lui-même au Front commun de s’inscrire dans un plus grand mouvement féministe, ou est-ce simplement, comme plusieurs le suggèrent, un combat humain pour une plus grande dignité pour ces travailleur·euse·s ? Sans enlever à la noblesse du combat et à son aspect universel, il est indéniable que les femmes sont au cœur même de cette lutte, et que le traitement que ces employé·e·s subissent est grandement lié au caractère systémique de la discrimination contre les femmes, encore aujourd’hui.

D’une part, l’argumentaire en faveur de l’aspect féministe de la lutte du Front commun est grandement soutenu par la propension des rôles revendicateurs à être occupés par des femmes. On pense notamment aux enseignantes et aux infirmières, deux corps d’emploi largement dominés par les femmes. Ceci étant dit, il y a plusieurs autres titres d’emploi plus méconnus, plus souvent occupés par des femmes, qui sont également en grève : les orthopédagogues, les psychologues, les techniciennes de laboratoire, les éducatrices spécialisées, les orthophonistes, et j’en passe. Ainsi, bien que des hommes occupent également ces rôles au sein de notre société, il est indéniable que ces emplois, au sein de la fonction publique spécifiquement, sont largement occupés par des femmes, et subissent une marginalisation économique cooptée par le gouvernement. En refusant de leur accorder des conditions de travail et de vie – favorables, le gouvernement met ces femmes en situation de précarité, et perpétue leur situation fragile en leur faisant des offres en deçà de l’inflation.

« Bien que tous·tes préféreraient croire que le Québec n’est plus sol fertile pour la discrimination genrée, celle-ci est profondément institutionalisée, et le sera probablement pour les années – voire décennies – à venir »

D’autre part, il n’est pas complètement erroné de mettre de l’avant l’idée que le Front commun se bat pour plus d’égalité entre les secteurs publics et privés québécois. Dans une certaine mesure, il est vrai que les hommes travaillant dans les réseaux de l’éducation, de la santé et de l’administration publique sont tout autant marginalisés économiquement que les femmes. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que les femmes et les hommes recevront un traitement similaire dans leur milieu de travail. Bien que tous·tes préféreraient croire que le Québec n’est plus sol fertile pour la discrimination genrée, celle-ci est profondément institutionalisée, et le sera probablement pour les années – voire décennies – à venir. Si on se penche simplement sur la question de l’équité salariale au Canada, en date de 2021, les employées de genre féminin gagnaient encore en moyenne 11,1% de moins que les hommes, selon Statistique Canada. Bien que les salaires soient standardisés au sein de la fonction publique, il existe plusieurs autres formes de discrimination bien plus insidieuse qui peuvent avoir lieu dans de tels milieux de travail : on pense notamment à l’ascension vers les postes de direction ou encore à l’administration des tâches, parmi tant d’autres. On peut donc imaginer qu’il est plus difficile pour une femme de gravir les échelons du milieu professionnel, y compris dans la fonction publique. 

Avancée féministe pour le Front commun

Cette semaine, le Front commun et le gouvernement ont confirmé avoir atteint une entente de principe, signifiant que les différentes instances du Front commun ont décidé de recommander l’adoption de cette entente à l’ensemble de leurs membres. Les membres pourront donc passer au vote afin de confirmer l’adoption de l’entente négociée, qui comprend une augmentation salariale de 17,4%, sur cinq ans, ainsi qu’une provision protégeant le pouvoir d’achat des travailleuses et travailleurs de la fonction publique, pouvant atteindre jusqu’à 1% pour chacune des trois dernières années de la convention collective. Ainsi, l’offre du gouvernement Legault est passée de 9% sur cinq ans à 17,4% sur cette même période, offre finale représentant un compromis de la part du gouvernement qui permettra de freiner l’appauvrissement de ses employé·e·s.

Il est à souligner qu’une telle offre représente une victoire tangible pour les femmes du secteur public. En effet, cette offre est considérée comme l’augmentation la plus importante sur la durée d’une convention collective depuis 1979. Il est donc crucial de reconnaître le rôle vital des femmes, qui s’est manifesté au cours des derniers mois dans les rues montréalaises et à travers tout le Québec, dans la lutte pour de meilleures conditions de travail pour des corps d’emploi, il faut le dire, dominés par les femmes. 

Un pas pour la cause féministe

La mobilisation du Front commun au Québec pour de meilleures conditions de travail dans la fonction publique a dévoilé une dimension féministe au syndicalisme québécois. Face à une offre gouvernementale initialement insuffisante, les fonctionnaires concernées, en majorité des femmes, ont manifesté contre les offres dérisoires du gouvernement Legault. La mobilisation massive, comptant des centaines de milliers de travailleurs, aura su mettre en lumière la prédominance féminine parmi les grévistes. En refusant des conditions de travail justes à ses employé·e·s, le gouvernement Legault a jusqu’ici renforcé la précarité économique des femmes, certaines grevant sans fonds de grève, signifiant que plusieurs étaient sans salaire depuis déjà quelques semaines. 

Toutefois, cette mobilisation a également mis en évidence la nécessité de promouvoir une plus grande égalité entre les secteurs public et privé, afin de freiner l’exode massif vers le privé que plusieurs milieux subissent. L’accord de principe conclu entre le Front commun et le gouvernement représente une victoire majeure pour les travailleuses et travailleurs du secteur public. Cette avancée, fruit d’une mobilisation exceptionnelle des femmes, marque une progression pour le féminisme québécois en reconnaissant et en luttant contre les discriminations structurelles persistantes dans le monde du travail. Cette lutte souligne l’importance de poursuivre les efforts pour l’égalité des genres et la reconnaissance du rôle crucial joué par les femmes dans tous les secteurs de la société québécoise, notamment au sein de la fonction publique.


Dans la même édition