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L’Halloween, cette effrayante frénésie

Esquisse économique d’une tradition vieillissante.

Clément Veysset | Le Délit

Alors que les somptueuses couleurs canadiennes font leur apparition sur les érables, chênes rouges et autres feuillus, les étudiants se réfugient de plus en plus dans les bibliothèques pour échapper aux premières baisses de température. Accompagnés d’un pumpkin spice latte bien réconfortant, ils se plongent dans d’intenses sessions de révisions pour les examens de mi-session. Ces phases de concentration (relative) sont régulièrement marquées par des pauses durant les- quelles les étudiants s’adonnent également à de l’exercice physique. Lequel, me demanderiez-vous ? Il s’agit d’une savante mécanique du pouce, à travers laquelle ces étudiants, en quête de dopamine, balayent frénétiquement leur écran de téléphone, naviguant entre les divers Tik Toks, Reels et Shorts qui défilent sous leurs yeux. Invités dans le monde alternatif du swipe up, ils échappent à la réalité. « Encore 10 minutes et je m’y mets, l’examen de demain peut bien attendre, pas vrai ? »

Parmi ces contenus se faufilent habilement publicités pour la boutique Spirit Halloween locale et classements des costumes tendance à absolument essayer » cette année. Sacrée coïncidence, n’est-ce pas ? L’esthétique automnale, basée sur le réconfort, la sortie des manteaux du placard, et cette citrouille bien trop exploitée, prend tout son sens en ce merveilleux mois d’octobre. Il s’agit d’un phénomène de société fascinant, entretenu par un intéressant mélange de conceptions populaires et de marketing agressif. Plus captivante encore est la fête d’Halloween.

Quand on y pense, bien que cet événement ait de réelles racines historiques celtiques (cependant contestées entre traditions païenne et chrétienne), l’Halloween ne représente pas grand-chose. Ce n’est ni une fête concrète, célébrant un événement ayant eu lieu à une date précise, comme la fête nationale américaine, ni une tradition religieuse incontestée, comme Noël, qui célèbre la naissance de Jésus Christ. Pourtant, l’Halloween s’est trouvée une place confortable dans une grande majorité de foyers, notamment en Amérique du Nord. 

En 2023, il est estimé que les États-Unis dépenseront 12,2 milliards de dollars américains pour l’Halloween, répartis principalement entre costumes, décorations et friandises. Alors si certains ne sont pas effrayés par l’Halloween et ses plaisanteries de mauvais goût, les plus terrifiés à l’approche du 31 octobre sont sans doute les comptes bancaires nord-américains.

« L’esprit d’Halloween pousse à une consommation effrénée et résulte en un gaspillage consternant »


L’Halloween, se retrouvant au cœur d’un mariage plein d’amour avec un capitalisme nord-américain poussé à l’extrême, est très douée pour nous faire craquer. Tentés à la vue du moindre déguisement made in China ou d’un seau de bonbons si appétissant, nous sommes les victimes plus ou moins conscientes d’un marketing assommant qui par- vient à nous faire associer bons moments, tradition et consommation. Les rituels comme l’Halloween donnent du sens à nos vies et sont en quelque sorte un point d’ancrage, dotés d’un soupçon de mélancolie parfaitement dosé, qui offre à nos chers marketeurs une occasion en or d’en exploiter toute la substantifique moelle. 

Je pense que toute la stratégie commerciale des géants d’Halloween pousse à une consommation effrénée injustifiable et in- justifiée, qui propulse au premier plan tous les défauts des sociétés capitalistes. Écrire cet article m’a fait repenser à une mésaventure que j’ai vécue l’année dernière avec mon colocataire, quand nous vivions encore en résidence. Alors que le 31 approchait, nous sommes allés acheter une citrouille afin de lui tailler un visage « terrifiant à souhait ». En pénétrant dans le magasin, nous avons tout d’abord été choqués par la quantité gigantesque de ci- trouilles entreposées, une bonne quinzaine répandues au sol, sûrement bousculées par des consommateurs en quête du légume par- fait étant allés fouiller au fin fond de l’immense bac. Surplombant ces citrouilles trônait fièrement, presque ironiquement, une banderole « Joyeuse Halloween ». Les cucurbitacées abîmées gisant au sol, elles, étaient sans doute un peu moins joyeuses. Dommage, avec quelques oignons, de la crème, et un petit peu de céleri, nos pauvres citrouilles auraient sûrement fait une belle soupe. Mais je m’égare.

Tout ça pour dire qu’une fois rentrés et fiers de notre travail créatif, nous avons déposé notre citrouille dans le couloir, afin que tous les habitants de l’étage puissent profiter de cette création, que dis-je, de ce chef- d’œuvre. Quelle consternation de découvrir, deux jours plus tard, que notre citrouille s’était complètement ratatinée sur elle-même, asséchée, victime collatérale du système de circulation d’air de la résidence. Les jours suivants, alors que j’essayai de me convaincre que cela lui procurait un style encore plus terrifiant, je ne pouvais m’empêcher de penser que, quand même, c’était un sacré gâchis. 

Ce que j’essaie de transmettre avec ce récit pour le moins farfelu, c’est que l’esprit d’Halloween pousse à une consommation effrénée et résulte en un gaspillage consternant. Dans de nombreux foyers (et j’en ai déjà été témoin), les costumes achetés pour les enfants ne sont même pas conservés après la fête, mais directement jetés. Ce genre de comportement rappelle évidemment la fast fashion et le besoin (pas intrinsèquement humain, mais je crois, bien induit par le capitalisme), de consommer et de renouveler ses possessions de manière régulière et frénétique. 

« Les industriels et les commerciaux ont réussi à créer un lien tellement fort entre tradition et consumérisme que, pour beaucoup, il est compliqué d’imaginer une Halloween sans déguisement à la mode ou décoration extravagante »

Un autre exemple est celui des bonbons et autres friandises, souvent achetés en quantités astronomiques. Nombreux sont ceux qui se retrouvent à crouler sous une montagne de sucreries qui leur tombent dessus dès qu’ils ouvrent leur placard. Lorsque la récolte des enfants est un succès, ils rentrent souvent avec plu- sieurs kilos de cette marchandise. Cependant, à moins qu’ils ne parviennent à manger leur propre poids en sucre, colorant chimiques et sirop de glucose, il faut trouver une solution pour gérer ces pro- visions. Arrive alors ce que préfèrent faire les humains quand ils se retrouvent submergés par leurs propres dérives capitalistes : jeter.

Je dois avouer que je suis un peu pessimiste, je sais que tout le monde ne jette pas les friandises obtenues grâce aux efforts de leurs bambins, grimés en squelettes et fantômes. Cependant, les sucreries d’Halloween sont un problème majeur pour plusieurs raisons. Même s’ils évoquent le partage et le plaisir, des bonbons restent des bonbons, avec toutes leurs merveilleuses qualités nutritionnelles. Et croyez-moi, au vu des quantités achetées pour l’Halloween (environ 300 000 tonnes aux États-Unis en 2016), le petit grignotage du soir, justifié pour bien évidemment écouler les ré- serves, devient vite une habitude. Par ailleurs, les bonbons d’Halloween sont également une catastrophe environnementale, tout simplement parce que les emballages (et c’est encore plus marqué en Amérique du Nord) sont très souvent des petits sachets plastique individuels. Étant donné leur taille et la nature du plastique qui les compose, ces emballages sont évidemment non recyclables. Prioriser les friandises avec le moins d’emballages individuels, c’est bien, mais ne pas acheter de friandises du tout, c’est encore mieux.

Peut-être que nous avons besoin de changer notre manière de fêter l’Halloween et toutes les fêtes qui lui ressemblent, comme la Saint- Valentin, par exemple. Ces célébrations devraient plutôt être une occasion de travailler notre créativité (par exemple tenter de confectionner nos propres costumes avec des vieux bouts de tissus) et de se concentrer sur les moments passés ensemble plutôt que sur les biens matériels festifs. Cependant, les industriels et les commerciaux ont réussi à créer un lien tellement fort entre tradition et consumérisme que, pour beaucoup, il est compliqué d’imaginer une Halloween sans déguisement à la mode ou décorations extravagantes.


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