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PEUR

Récit fictionnel et poétique d’une épouvante.

Clément Veysset | Le Délit

Je claquai la porte. Pour éviter que le froid qui me glace le sang ne pénètre un peu plus mon âme. La nuit était tombée. Je ne l’avais pas vu venir. Je marchais plus lentement que les secondes qui passent et qui éteignent la ville. Plus lentement que les passants qui trottent les rues, en rêvant de rattraper la trotteuse de leur bureau sombre qui leur vole la vie. Ils sont arrivés avant moi c’est sûr, mon salon en était déjà désespérant. Je fis claquer l’interrupteur, pour allumer mes murs de béton blanc. La citrouille que j’avais achetée la veille flétrissait déjà, je voulais au moins fêter Halloween avec moi. Je me regarderais dans le miroir et nous aurions de quoi avoir peur. La folle du coin. Je me regarderais trop longtemps et mes yeux deviendraient vitreux.

Quelques pas vers la cuisine, une odeur abominable de fin de vie vint brûler mes narines et insulter mon cerveau. Le frigo avait dû rendre l’âme, il se vidait de ses pleurs et des cellules dépérissaient au rythme de la décomposition. J’ouvris la porte de plastique, le frigo allait bien. Le lait tomba de la porte pour écraser mon orteil en signe de mépris. Le frigo était jeune, il le resterait, et je n’avais pas intérêt à le remettre en question. Ou bien il aplatirait ma boite crânienne de tout son poids, libérant les lobes de mon cerveau qui macèrent dans la noirceur de mon existence depuis trop d’années. Cette pensée me procura un frisson, et au même moment, je sentais qu’un souffle froid effleurait mon échine. Un souffle que les émotions, même les plus terribles qui matraquent l’estomac, ne savent imiter. Je me figeai.

Une expiration sourde chuchota au creux de mon oreille. La lumière blanche de mon frigo se jetait toujours dans mes yeux qui ne savaient plus cligner. Et j’avais froid, un pôle nord superficiel se tenait face à moi, ouvert à tout ce que je pouvais crier. Mais rien ne bougeait, si ce n’est le temps qui s’écroulait.

« Le silence se conjuguait à l’obscurité pour enserrer mon cœur, qui parvenait à peine à battre dans l’étreinte de l’angoisse »

J’étais paralysée. De peur. Le froid qui avait violemment tendu mon échine, se déplaça comme une caresse rêche pour émettre la plus subtile et la plus terrible des pressions autour de mon cou. Le souffle chaud qui suçait mon oreille pénétra mon conduit auditif. Et c’en fut trop. Je claquai la porte du frigo avec toute la force de mon épouvante. Fis volte face pour contrer mon cauchemar. Pour faire face au plus effrayant, terrifiant, horrible, immonde, inquiétant, redoutable, des rien. Rien. Si ce n’est mon salon qui me riait à la gueule. Mais je n’osais bouger. Je sentais que derrière mon dos aveugle, plus rien n’était sûr. Je sentais qu’un regard, sans corps peut-être, me scrutait de l’autre côté de la pièce. Un regard souriant, narguant tous les membres qui échappaient à ma surveillance. Je me tournai lentement. Une goutte s’écrasa sur mon crâne. Une goutte qui épousait mon cuir chevelu pour peu à peu dégouliner le long de mon front, caresser l’arrête de mon nez pour s’évanouir sur ma lèvre supérieure et atteindre mes premières papilles. Devant mes yeux, il n’y avait rien. Dans ma bouche, un goût de fer. Le silence se conjuguait à l’obscurité pour enserrer mon cœur, qui parvenait à peine à battre dans l’étreinte de l’angoisse. Je pouvais sentir une ombre se déposer sur mon corps, une légère chaleur mouiller ma nuque. Je la saisis en hurlant et crachai par terre. Il n’y avait rien. Rien toujours. Si ce n’est quelques bruits qui animèrent mes sens.

Dans la ville, la cueillette de sucreries s’achevait, et ma nuit se trouvait dans un néant, loin de toutes les temporalités humaines. Au milieu de mon salon de pierre et de bois, ma chair était prête à fondre sous la poigne de ma peur.


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