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Inégalités genrées en horreur

Un réel cauchemar pour les femmes.

Clément Veysset | Le Délit

Avec l’Halloween qui arrive à grands pas, j’imagine ne pas être la seule à m’être replongée dans l’univers captivant du cinéma d’horreur. Cependant, en explorant une nouvelle fois les classiques de ce genre, une réalité persiste : pendant de nombreuses années, les femmes ont été reléguées au second plan des scénarios, condamnées à des rôles de victimes désespérées. Toutefois, l’exploration de l’évolution des personnages féminins dans le cinéma d’horreur, allant de rôles traditionnels de femmes opprimées à des héroïnes puissantes, nous offre un aperçu des perceptions de la femme à travers les époques, ainsi que des changements conséquents dans l’industrie cinématographique.

La femme en détresse

Le cinéma d’horreur prend vraiment son envol dans les années 1930, période durant laquelle la femme est présentée à l’écran comme un objet fragile, nécessitant constamment l’aide d’un personnage masculin, reflet du dogme patriarcal typique de cette période. Entre les années 30 et 40, peu d’évolution s’opère au niveau des rôles occupés par des femmes : les personnages féminins se résument bien trop souvent au rôle de la pauvre demoiselle en détresse criant à l’aide.

On peut penser au personnage d’Ann dans King Kong (1933), présentée comme une jeune actrice sans emploi, délicate et fragile. Son personnage est une caricature de la femme vulnérable : elle est kidnappée par King Kong et est sauvée par le héro masculin. Dans Frankenstein (1931), les personnages féminins sont rares. Elizabeth, la fiancée d’Henry Frankenstein, est confinée au second plan et dépeinte comme une femme douce et aimante, correspondant au stéréotype de la femme vertueuse de l’époque. Les normes genrées qui régnaient durant cette période se reflétaient dans les films d’horreur, et perpétuaient l’image de la femme subjuguée, nécessitant l’aide perpétuelle de l’homme. On est loin de passer le test de Bechdel !

Nouveaux sommets pour les personnages féminin

Dans les décennies qui suivent, les personnages féminins vivent un tournant. Durant les années 1950 et 1960, le cinéma d’horreur connaît l’émergence de personnages féminins complexifiés, en comparaison à leurs prédécesseurs. Les films de cette période proposent de plus en plus de personnages principaux féminins, mais encore une fois, ceux-ci ne sont pas égaux à l’archétype masculin moyen de l’époque, généralement illustré comme puissant et en contrôle de sa situation. 

Dans Psycho (1960), le personnage de Marion est une femme en quête d’indépendance, et elle vole de l’argent, action loin d’être typique pour les personnages féminins de cette période. Bien que l’intrigue ne soit centrée autour d’elle que pour la première moitié du film, sa disparition mystérieuse suite à une rencontre malencontreuse avec Norman Bates est le point de départ d’une série d’événements terrifiants, et marque l’importance de son personnage. Rosemary, dans Rosemary’s Baby (1968), représente pour plusieurs un point marquant dans le genre de l’horreur parce qu’elle est parmi les premières protagonistes féminines à occuper une place si importante dans une histoire. Ces deux personnages jouent des rôles centraux dans leurs intrigues respectives et démontrent l’évolution des rôles féminins en horreur à cette époque.

Les final girls

Pendant les années 70 et 80, les fans d’horreur voient la montée en puissance du personnage de la final girl (la dernière survivante). Des films emblématiques comme Halloween (1978), avec Jamie Lee Curtis dans le rôle de Laurie Strode, mettent en scène le prototype de la survivante, alors qu’elle lutte contre le tueur en série Michael Myers. Cette nouvelle représentation de la femme résiliente, déterminée, et qui se bat pour sa vie remet en question les stéréotypes genrés qui prévalaient dans l’horreur au cours des décennies précédentes. On peut aussi penser à A Nightmare on Elm Street (1984) ou encore à The Texas Chainsaw Massacre (1974) comme de bons exemples de la final girl. Malgré tout, il me semble inquiétant qu’on ait à regrouper en une catégorie ces films d’horreur, qui offrent à leurs personnages féminins le minimum : leur survie.

« Ces films sont d’une importance inestimable : bien que cela puisse sembler trivial, la défaillance des stéréotypes genrés dans des milieux tels que celui de l’horreur joue un rôle important dans la déconstruction de ces croyances dans l’imaginaire populaire »

Traitement médiocre des actrices 

Durant cette même période, le tournage de The Shining (1980) de Stanley Kubrick est extrêmement difficile pour Shelley Duvall, qui joue Wendy, et soulève des inquiétudes face au traitement des femmes dans le cinéma. Selon Jack Nicholson, qui jouait son mari, Kubrick agissait complètement différemment quand il dirigeait Duvall. On lui demandait de pleurer sur commande et de reprendre des scènes des dizaines de fois. Le film détient d’ailleurs le record Guinness pour la scène avec dialogue ayant nécessité le plus de reprises, Kubrick étant connu pour être extêmement exigeant. Duvall a été soumise à un stress émotif et psychologique important sur le plateau, sous prétexte que c’était nécessaire pour qu’elle puisse exprimer la terreur vécue par son personnage. Stephen King aurait même admis avoir détesté l’adaptation de Kubrick, spécifiquement parce qu’il jugeait que la représentation cinématographique de Wendy était misogyne, et différait complètement de ce qu’il avait prévu dans le livre.

Isabelle Adjani, qui joue Anna dans le film Possession (1981) d’Andrzej Żuławski, a elle aussi vécu un tournage extrêmement demandant, car le thriller psychologique exigeait d’elle une performance haute en émotion et physiquement drainante. Une scène graphique très connue la présente sur un quai de métro, se contorsionnant de souffrance dû à une fausse couche. Dans une entrevue avec The Playlist en 2016, Adjani mentionne que Żuławski « est le genre de directeur qui t’entraîne avec lui dans son monde de noirceur (tdlr) ». Ceci étant dit, Adjani révèle : « C’était un film assez incroyable à tourner, mais il m’a détruite de l’intérieur. »

Le nouveau cinéma d’horreur féministe

Dans les dernières décennies, on est témoin d’une transformation significative des personnages féminins dans le milieu de l’horreur. Des réalisatrices comme Kathryn Bigelow et Mary Harron nous offrent des films marquants comme Near Dark (1987) et le film culte American Psycho (2000). Ceux-ci apportent une perspective féminine à des genres traditionnellement masculins. Plus récemment, on a aussi eu la chance de voir la naissance de films comme Get Out (2017) ou encore Midsommar (2019), où les personnages féminins sont complexes et nuancés. On pense aussi à The Witch (2015), Hereditary (2018), et A Quiet Place (2018), mettant en avant des femmes protagonistes, fortes et complexes, et explorant même des thèmes féministes.

« En renversant les stéréotypes de genre dans le cinéma d’horreur, ces œuvres contribuent au démantèlement des pré- jugés et attentes liés aux préconceptions dictées par le patriarcat, et ouvrent lentement la voie à une représentation plus diversifiée des femmes dans le cinéma, et dans la vie de tous les jours. »

Importance de l’horreur féministe

Ces films sont d’une importance inestimable : bien que cela puisse sembler trivial, la défaillance des stéréotypes genrés
dans des milieux tels que celui de l’horreur joue un rôle important dans la déconstruction de ces croyances dans l’imaginaire populaire. En renversant les stéréotypes de genre dans le cinéma d’horreur, ces œuvres contribuent au démantèlement des pré- jugés et attentes liés aux préconceptions dictées par le patriarcat, et ouvrent lentement la voie à une représentation plus diversifiée des femmes dans le cinéma, et dans la vie de tous les jours. 

Dans le futur, j’espère voir un milieu de l’horreur plus intersectionnel. Les femmes cisgenres blanches ont effectivement été les premières à briser les barrières préconçues du cinéma d’horreur, mais il est crucial de continuer à produire de la diversité dans nos rôles féminins. Pour une représentation plus complète, il serait pertinent d’adopter une approche intersectionnelle à la création de personnages féminins, afin de mettre de l’avant des voix et des expériences diverses et complexes. Le prochain pas vers un genre cinématographique plus complet sera l’inclusion de ces identités variées, et j’attends avec impatience la poursuite de cette évolution. 


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