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Un 7e art, deux perspectives culturelles

Regard sur deux longs-métrages du Festival du Nouveau Cinéma.

Melisa Liebenthal

Le Festival du Nouveau Cinéma (FNC) présentait sa 52e édition du 4 au 15 octobre dans une dizaine de cinémas du centre-ville de Montréal. Les films à l’affiche proposaient des regards originaux sur des thématiques propres à chacun des cinq continents. Les réalisatrices, Melisa Liebenthal et Myriam Birara, venues d’Argentine et du Rwanda, ont insufflé au FNC un point de vue féminin par leurs longs-métrages respectifs. Projetés respectivement en espagnol et en kinyarwanda, les deux longs-métrages El Rostro de la Medusa et The Bride parlent des aspects problématiques de leurs sociétés et de la culture qui les régit, en mettant de l’avant deux femmes qui surmontent les défis sociétaux qui leur sont imposés.

Des problématiques culturelles locales

Au Rwanda comme en Argentine, les histoires sont racontées par des femmes, les deux réalisatrices, qui regardent avec discernement les failles de leurs sociétés. Les personnages féminins y sont mis à l’honneur. Dans El Rostro de la Medusa de Melisa Liebenthal, la discussion sur l’apparence physique est centrale. À l’heure où nos visages déverrouillent nos téléphones, où notre passage aux frontières est validé par des dispositifs de reconnaissance faciale, et où nos photothèques sont remplies de selfies, il est intéressant de se pencher sur l’importance de nos traits faciaux pour notre identité. Marina, jeune adulte à Buenos Aires, se réveille un matin avec un nouveau visage. Méconnaissable, elle explore les conséquences d’un tel changement dans sa vie quotidienne, amoureuse et familiale.

C’est également en abordant une situation cauchemardesque que la réalisatrice rwandaise Myriam Birara met en lumière une norme sociale violente pour les femmes de son pays dans son long-métrage The Bride : le mariage forcé en cas de viol. Eva, qui subit un tel sort, avait des ambitions d’études et un petit ami en vue. Mais c’est dans la maison de son agresseur que le spectateur la suit, entre ses tâches ménagères et ses tentatives de guérir les conséquences physiques d’une sexualité non désirée. La réalisatrice critique cette tradition, en y mélangeant l’horreur du récit des plaies béantes du génocide ethnique des Tutsis par les Hutus au Rwanda, en 1994. Les souvenirs sont racontés par des personnages qui ont survécu, mais ont perdu tous leurs proches et leurs rêves. Les larmes de la victime de viol semblent surprendre ceux qui ont vu leurs familles se faire assassiner : l’insoutenable paraît presque banal dans un tel contexte.

De l’audace culturelle et féminine dans les techniques cinématographiques

Les deux productions latine et africaine donnent de la crédibilité à la critique de leur société, tout en brisant les codes du septième art. La situation angoissante, presque kafkaïenne, à laquelle doit faire face chaque héroïne est partagée par le spectateur grâce à des techniques cinématographiques audacieuses.

Par exemple, dans El rostro de la medusa, le ton est léger : Melisa Liebenthal semble s’être amusée à susciter un contraste entre les techniques de réalisation et les sujets de cette histoire oppressante et absurde. La réalisatrice utilise divers moyens audiovisuels pour amplifier le nombre de visages qui nous entourent, par exemple en dessinant les traits du visage d’un animal comme on le ferait pour celui d’un humain. La variété de sons, qui rappellent ceux de nos petits écrans, les effets de filtres de caméra de surveillance et de photos d’archives : tout y est pour nous rappeler que nous sommes constamment surveillés.

La différence culturelle entre les réalisatrices argentine et rwandaise se remarque non seulement par les différentes problématiques abordées, mais aussi dans le rythme des histoires. À travers des dessins et un enchaînement de différents décors, Melisa Liebenthal offre un rythme soutenu. Au Rwanda, Eva est quant à elle enfermée dans une maison, et la lenteur du film en tient compte. La réalisatrice n’hésite pas à laisser tourner la caméra assez longtemps pour rendre l’audience inconfortable face aux pleurs incontrôlés d’Eva lorsqu’elle souffre des agressions sexuelles qu’elle subit à répétition.

« Tout y est pour nous rappeler que nous sommes constamment surveillés »

En somme, les histoires de ces femmes, racontées par Melisa Liebenthal et Myriam Birara, démontrent une fois de plus le pouvoir du cinéma en tant que moyen d’exploration et de réflexion sur notre monde et notre humanité. Les techniques cinématographiques innovatives et les perspectives féministes de chaque film nous rappellent avec justesse que ces fictions s’avèrent en fait des représentations d’enjeux bien réels, ancrés dans le quotidien des femmes, qu’elles soient rwandaises ou argentines.


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