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Pornographie : différentes positions

Entrevue avec Charly Willinsky, un réalisateur et producteur de cinéma pour adulte montréalais, et Sofia, une intervenante sexuelle.

Alexandre Gontier | Le Délit

La plupart d’entre nous regardons du contenu pour adulte, mais peu ont connaissance de ce qui se passe dans les coulisses du cinéma pornographique. Cette semaine, Le Délit s’est entretenu avec deux spécialistes de la pornographie. Dans un premier temps, nous avons rencontré le producteur de contenu gai et acteur montréalais Charly Wilinsky pour en savoir davantage sur ces vidéos créées pour des hommes attirés par des hommes. Le Délit a ensuite discuté des limites de la pornographie avec Sofia Ferguene, une ancienne étudiante de McGill en science politique, qui travaille aujourd’hui comme intervenante et animatrice en vie relationnelle et affective auprès de la jeunesse parisienne.

Le Délit (LD) : Je sais que tu es acteur et producteur, et j’imagine que tu endosses beaucoup de rôles. Que sont-ils ?

Charly ( C ) : C’est ce qui est amusant, comparé aux industries plus grand public : l’industrie du porno nous permet de toucher à plein de choses. Mais mon quotidien ressemble beaucoup plus à un développeur web qu’à un acteur porno. Je vois continuellement du contenu X, mais il y a des journées où on filme du contenu, et d’autres, pas du tout. Ensuite, j’ai souvent la casquette de recruteur d’acteurs, avec des castings qui prennent énormément de temps étant donné que c’est une industrie qui consomme beaucoup de nouveaux visages. On voit justement une ouverture, il y a de plus en plus de gens qui viennent vers nous parce que « la société change » ou « fuck ça, j’ai envie de le faire, go ». Ça devient plus facile. Dernièrement, quasiment tous les jours, je reçois des candidatures, et ça prend 40 % de mon temps. Après ça, je réalise, mais vraiment peu. Je produis, je vois plus comment mettre tous les éléments ensemble pour qu’on ait un bon résultat, et pour rassembler les gens, les contacts et les ressources. Il faut mettre la casquette de réalisateur de temps en temps, mais c’est pour ça que je travaille avec des gars qui sont réalisateurs exclusivement.

LD : Montréal était la capitale du porno pendant assez longtemps​.Je pense qu’elle l’est encore avec l’entreprise Pornhub, qui est établie à Montréal. Dans quelle mesure le scandale Pornhub (accusé d’avoir laissé du contenu illégal sur son site) a‑t-il impacté ce que vous faisiez ?

C : Il y a un documentaire qui est sorti il y a peu de temps sur Netflix qui parle justement de ça, il s’appelle : Money Shot : The Pornhub Story. C’était quand même des choses qui étaient sues à l’intérieur de l’industrie, on connaît bien MindGeek et leurs pratiques, mais en même temps, c’est un collaborateur, c’est une compagnie qui est quand même pas mal au devant de la scène. Finalement, ce qui est intéressant dans ce documentaire, c’est que les gens qui paient pour les frasques des multinationales comme ça, c’est souvent les gens les plus vulnérables, les travailleurs du sexe. En fait, c’est nous aussi qui avons du mal à trouver des façons de se faire payer. On se fait fermer nos comptes en banque dès qu’ils comprennent que la rémunération est en lien avec l’industrie du sexe. Donc, on finit par ne rien dire. À l’ouverture de mon compte, j’ai clairement insisté auprès de la banquière que mes revenus viendraient de l’industrie X, mais heureusement, elle ne l’a même pas écrit. Donc, pour ma banque, je suis « producteur de contenu original » et « opérateur de plateforme de divertissement sur demande ».

« Finalement, ce qui est intéressant dans ce documentaire, c’est que les gens qui paient pour les frasques des multinationales comme ça, c’est souvent les gens les plus vulnérables, les travailleurs du sexe »


Charly Wilinsky

LD : Que penses-tu du porno de demain dans l’émergence de la technologie et du digital ?

C : La technologie avance vite, la qualité s’améliore beaucoup. Mais en même temps, l’adoption des utilisateurs n’est pas non plus au rendez-vous. C’est comme il y a 20 ans, avec les téléphones portables, on ne pensait pas qu’on l’aurait tout le temps dans les mains, et qu’ Internet serait comme il est aujourd’hui. Donc avoir des rapports sexuels virtuels permettrait d’éviter ces inconvénients. Peut-être qu’on va arriver à un point où il serait plus simple et moins risqué d’avoir seulement des relations virtuelles.

LD : Est-ce que ton site internet proposerait des relations sexuelles avec un avatar à l’aide d’un casque de réalité virtuelle ?

C : Ce qui est fait jusqu’à présent, c’est principalement dû au « POV » (point de vue),où le spectateur est incarné dans la scène. Je crois que ça nous limite quand même beaucoup dans le mouvement. Premièrement, les acteurs n’aiment pas filmer du contenu pour réalité virtuelle, parce que souvent, ils sont restreints dans leur mouvements avec une caméra qui est au niveau du front. Essaie de rester en érection si tu n’es pas vraiment capable de bouger, ce n’est pas évident. En revanche, moi, je crois fermement que tu n’es pas obligé d’être dans la scène. Tu peux être voyeur. La magie du cinéma, c’est d’amener les gens dans des situations qui ne seraient pas communes, pas courantes. On peut simuler n’importe quoi et faire ressentir au spectateur qu’il est présent, sans nécessairement être activement impliqué. Maintenant, le tabou qui persiste, c’est la demande de contenu trash, violent et extrême qui grandit. 

« Peut-être qu’on va arriver à un point où il serait plus simple et moins risqué d’avoir seulement des relations virtuelles »

Charly Wilinsky

LD : Est-ce que selon toi l’industrie du porno est un monde d’opportunités, avec peu de concurrence et où il est facile de se faire connaître ?

C : En fait, il y a énormément de concurrence, mais en même temps, c’est ça. C’est un monde qui a un esprit de famille, qui est tout de même très chaleureux. On a besoin des uns et des autres, on ne peut pas faire du contenu tout seul, sinon il n’y aurait pas de variété. Pour te permettre de rester populaire, il faut que tu réussisses à avoir des gens avec qui tu peux collaborer. Je te dirais que ce qui est difficile, c’est d’aller trouver ce premier contact qui va t’ouvrir la porte de ce monde-là, mais après ça, si tu es quelqu’un qui est facile d’approche, ça roule tout seul.

LD : Sinon, as-tu un compte OnlyFans ? Quels sont les avantages d’OnlyFans à ton avis ? Pourquoi cette plateforme est aussi populaire et glamorisée ?

C : C’est pertinent. En fait, je te dirais, OnlyFans est bien particulier. Le gars qui a lancé OnlyFans, c’est un gars qui avait un site de webcam avant et qui était dans l’industrie pour adultes, mais sa plateforme était censée être pour les influenceurs. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une plateforme où tu peux vendre des cours de fitness, des cours de yoga, à peu près n’importe quel contenu, et le contenu pour adultes est toléré. Donc, ils ont réussi à faire exécuter leurs paiements par des fournisseurs de services qui d’habitude ne travaillent pas pour des sites pour adultes.

LD : Quels sont les salaires de ceux qui travaillent dans l’industrie ?

C : J’ai des amis qui font 55 000 $ US par mois. Ensuite, si on va dans les extrêmes, j’en connais un qui, en un an, a fait 1 200 000 $ US sur OnlyFans. Celui-là, par exemple, c’est une des plus belles histoires d’OnlyFans. C’était un influenceur qui avait des millions d’abonnés sur YouTube, qui s’est ensuite lancé dans le contenu pour adultes et a fait le saut vers OnlyFans par curiosité. C’est sûr que quand tu as déjà des millions de fans, s’il y en a juste 10% qui te suivent sur OnlyFans, ça va vite. Toutefois, ce n’est pas la norme. Ce qui est intéressant avec ces plateformes, c’est que ça met le pouvoir dans les mains des acteurs, comparé à l’industrie du porno habituelle, où ils étaient à la merci des studios, et où ils pouvaient se faire engager deux ou trois fois par an, ce qui est peu. Ils avaient des gros contrats, mais à l’époque, les studios – qui pour la plupart n’étaient pas indépendants – payaient bien. Ce qui est beau, c’est que n’importe qui, tant que c’est quelqu’un qui est dédié, qui aime ce qu’il fait, qui est régulier et assidu, il va se faire de l’argent. Il faut trouver son truc, mais après ça va.

« Moi [Isabelle Hamon, ndlr], dans une journée, je suis toute seule avec un assistant, je fais de l’éclairage, je filme, je fais un peu de montage »

Charly Wilinsky

LD : J’ai entendu dire que certains profitent d’une gaffe ou d’une connerie pour se lancer dans l’industrie X plutôt que de se faire cancel, qu’en dis-tu ?

C : Tu te souviens de la fille à l’UQAM qui avait montré sa poitrine pour sa photo de graduation ? C’est une vedette maintenant et elle fait beaucoup d’argent sur OnlyFans. Il y a aussi le cas de la fille de Sunwing, l’avion avec des influenceurs qui ne respectaient pas les restrictions sanitaires. Elle s’est lancée sur OnlyFans et dès le premier mois, elle a dévoilé s’être fait 19 000 dollars. Donc Vanessa Cosi, après avoir vapoté dans le vol des influenceurs, s’est dit : « OK, qu’est ce que je fais ? » Et la réponse a été de créer un compte OnlyFans pour publier du contenu pour adultes et bénéficier de sa notoriété.

LD : Est-ce qu’on voit souvent des gens qui étudient le cinéma et qui, finalement, choisissent le cinéma pour adulte ?

C : Alors, c’est plus fréquent qu’on le pense. Par exemple, Isabelle Hamon est la réalisatrice qui fait le plus de tournages de porno gai à Montréal. Elle est lesbienne et elle a étudié en cinéma. Au début, un de ses amis l’a recrutée pour un projet et elle voyait ces tournages comme un travail étudiant. Finalement, elle a fait ça pendant toutes ses études. Puis à la fin, elle s’est dit : « J’aime ce que je fais, je vais arrêter de me mentir, je fais du gros cash, et surtout je touche à tout. » Elle dit : « Moi, dans une journée, je suis toute seule avec un assistant, je fais de l’éclairage, je filme, je fais un peu de montage. » Donc, elle est restée dans ce domaine, et elle excelle. Quand elle a commencé à travailler pour les plus grands studios de porno gai, l’obstacle principal pour elle c’était la misogynie, mais elle a ouvert bien des portes. La preuve ? On en parle aujourd’hui.

« Je te dirais que le domaine est assez inclusif. On essaye quand même de l’être de plus en plus, parce qu’on voit que ça marche sur les plateformes indépendantes. Il y en a pour tous les goûts et pour tout le monde, sachant que les standards de beauté, communs pour un, ne sont pas nécessairement ceux d’un autre »

Charly Wilinsky

LD : Est ce que tu peux me dire un mot sur l’inclusivité dans le milieu du porno ?

C : Je te dirais que le domaine est assez inclusif. On essaye quand même de l’être de plus en plus, parce qu’on voit que ça marche sur les plateformes indépendantes. Il y en a pour tous les goûts et pour tout le monde, sachant que les standards de beauté, communs pour un, ne sont pas nécessairement ceux d’un autre. Mais effectivement, c’est quand même une industrie de l’image. En revanche, pour l’âge, je dirais qu’il n’y a pas vraiment de limites, surtout que chez les gais, la figure du « daddy » fonctionne super bien. Je pense que ce qu’il faut retenir, c’est simplement qu’il s’agit d’être le meilleur dans ce que tu fais.

Rose Chedid | Le Délit

Le Délit a aussi rencontré une intervenante travaillant dans le milieu de l’éducation sexuelle à Paris pour offrir une autre perspective sur le domaine de la pornographie. Le milieu de la pornographie est réputé pour les multiples abus subis par les travailleurs et travailleuses du sexe. En tant qu’intervenante en vie relationnelle et affective, Sofia Ferguene nous son opinion sur l’industrie pornographique.

Le Délit (LD) : D’après tes interventions dans des établissements scolaires, quel est le rapport des jeunes avec la pornographie ?

Sofia (S) : C’est indéniable que le porno a une place centrale dans l’éducation et la sexualité des jeunes, puisqu’il représente encore aujourd’hui un tabou. Aborder le thème de la sexualité avec sa famille et ses amis pendant la préadolescence et l’adolescence reste un sujet sensible. Dans les associations féministes ou de santé sexuelle, l’éducation relationnelle et affective passe par la déconstruction des idées reçues qui sont véhiculées par le porno « populaire » (dit mainstream en anglais, ndlr) qui met en scène des rapports stéréotypés.

LD : Peux-tu m’en dire davantage sur les stéréotypes qu’on retrouve dans le porno ?

S : Même si on trouve dans le porno « populaire » des représentations de personnes issues des minorités, handicapées, racisées, grosses ou minces, c’est sous la forme de fétiches et dans des catégories particulières que ces minorités sont représentées. C’est intéressant de voir comment le porno illustre profondément les tensions politiques qu’on a en France, notamment sur les questions de race, parce qu’il y a encore beaucoup d’islamophobie. Ironiquement, la catégorie pornographique la plus visitée en France, c’est « beurette » (verlan pour une femme arabe, c’est un mot péjoratif associé à la vulgarité, (ndlr)). La liste des catégories les plus populaires est souvent le reflet du spectre des désirs des hommes blancs hétéros et de ce qu’ils érotisent. C’est rarement représentatif de ce qui excite vraiment les personnes en général, dans leur diversité. Toutefois, c’est un discours que j’ai et qui est propre au porno dit « populaire ».

LD : Peux-tu m’en dire davantage sur les femmes dans le milieu du X « populaire » ?

S : Oui. Il y a de tout. J’ai l’impression qu’en ce moment, on donne de plus en plus la parole à des femmes qui ont le pouvoir sur leur carrière dans le X. On leur donne un petit peu plus de place pour parler de leur expérience dans les médias, sur les réseaux sociaux. Je regarde des entrevues, je vois des femmes qui s’expriment sur leur carrière et ce qu’elles disent souvent, c’est que la profession a changé avec le capitalisme. Je pense qu’il y a cette compétition entre les actrices qui revient souvent, qui va plus loin qu’au début, quand c’était une plus petite industrie. Au début, elles avaient des contrats clairs, avec des pratiques définies, et maintenant, elles se retrouvent sur un tournage où au dernier moment on leur dit quoi faire. En tout cas, c’est vrai pour le porno « populaire ».

« La pornographie féministe se démarque de la pornographie traditionnelle et agit pour une pluralité normalisée et non plus fétichisée »

LD : Enfin, y a‑t-il des avenues pour produire un contenu hétérosexuel ou lesbien plus éthique ?

S : Oui, l’une des solutions est la production de porno féministe. C’est donc dans la diversité de
ses acteurs, de ses actrices, de ses réalisateurs et de ses réalisatrices que la pornographie féministe se démarque de la pornographie traditionnelle et agit pour une pluralité normalisée et non plus fétichisée. La pornographie féministe jouit d’une diversité nécessaire à l’illustration réaliste de l’éventail des pratiques sexuelles. Pour cela, elle met en scène différentes orientations, morphologies, identités, communautés et scénarios. Mais si elle est difficile à définir par la multiplicité de ses formats, on peut préciser la définition de la pornographie éthique par ce qu’elle n’est pas. Contrairement à ce que l’industrie pornographique et les stéréotypes assignés à la féminité nous laissent parfois penser, la pornographie féministe ou éthique ne capture pas le sexe sous l’angle exclusif des sentiments, de l’affection, de la douceur ou encore du sexe dit « vanille ». Elle aborde la diversité non seulement des portraits qu’elle met en scène, mais aussi des désirs et des orientations sexuelles. Ce qui différencie la violence que l’on peut retrouver dans l’industrie traditionnelle de celle que l’on retrouve dans la pornographie éthique et féministe, c’est le consentement, la sécurité et le désir qui encadrent et motivent les acteurs et actrices dans la réalisation de ce type de scène.


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