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Allô chéri, j’ai envie de toi (ou pas)

Témoignages d’étudiantes sur leur rapport au sexe à distance.

Marie Prince | Le Délit

À une ère aussi technologique et numérique que la nôtre, les relations ne sont plus arrêtées par la séparation physique. De plus en plus de couples prennent la décision de maintenir leur lien, par le biais de la  technologie. McGill est une université qui accueille de nombreux étudiant·e·s étranger·e·s, qui ont laissé leur dulciné·e dans leur pays d’origine, et utilisent téléphones, ordinateurs et écouteurs pour maintenir l’alchimie le temps de la séparation. Mais pour le sexe, cet élément du couple en son essence purement physique, quelle relation entretiennent-ils avec le désir ? Le Délit a recueilli les témoignages de quatre étudiantes sur leur rapport au sexe à distance dans leur relation.

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Tous les témoignages sont anonymes

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Sara : J’ai pratiqué le sexe à distance pendant le confinement et pendant les vacances avec mon ex petit-copain avec qui j’ai été en relation pendant plus d’un an. Pendant le confinement, on faisait des facetime où chacun se masturbait, tous les soirs pendant un mois et demi. Parfois, on se voyait la journée et on s’envoyait quand même des nudes le soir. Quand on a commencé les facetime sexuels, je n’avais jamais couché avec un garçon avant, et ça m’a permis de découvrir le plaisir masculin sans me mettre trop de pression, parce que je n’avais rien à faire. Cela m’a aussi permis de m’ouvrir plus facilement, de poser pleins de questions et d’aborder ma première fois beaucoup plus sereinement. J’étais plus à l’aise car le sexe à distance a décomplexé le sexe entre nous. Pendant les vacances, cela nous permettait aussi de préserver notre lien physique et sexuel.

Seulement, à un moment, cela a pris une place vraiment importante dans notre relation, et c’était un peu devenu une routine. Je me suis lassée, et j’avais plus de mal à dire non, car les choses s’étaient installées ainsi. Ça m’arrivait de le faire de façon expéditive, de simuler. Je trouve que le consentement est plus difficile à exprimer à distance car il est plus difficile de faire ressentir les choses à la personne lorsqu’on a du mal à les verbaliser. Au final, c’est le plus gros problème avec le sexe à distance : tu ne peux pas autant comprendre les émotions, les sentiments d’une personne en vidéo que dans la vraie vie. 

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Rita : Avec mon ex-copain, on faisait des facetime sexuels et on échangeait des vidéos et des photos. J’ai plutôt une bonne relation avec ça parce que je n’ai jamais eu de mauvaises expériences, alors que je sais que c’est arrivé à beaucoup de personnes. Je trouve que le sexe à distance c’est une grosse étape. Tu dois d’autant plus avoir confiance en l’autre et être à l’aise avec ton corps. Le sexe avec mon ex prenait une grande part de notre relation, et se voir ainsi à distance nous permettait de garder ce lien et ce désir entre nous, malgré la séparation physique. Quand tu es loin l’un de l’autre, je trouve que tu peux facilement tomber dans une routine, avec les appels et les messages ; pour moi, c’était un moyen de préserver la flamme. L’expérience du sexe à distance peut parfois être frustrante car il y a moins d’alchimie. C’est plus automatique, purement sexuel, et l’autre devient un peu « objectifié », lorsqu’il y a moins le côté affectif, avec les caresses et les câlins. À la longue, j’avais peur que cela devienne toxique, que l’autre devienne seulement un objet à travers l’écran, parce qu’il manquerait ce côté organique.

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Paola : Je suis en relation à distance avec mon copain depuis plusieurs mois. Moi, je n’aime pas trop le sexe virtuel ; je trouve qu’il y a moins d’excitation et je trouve ça gênant quand cela se passe derrière un écran. On s’envoie des photos de temps en temps, mais rien de trop osé. Je lui ai dit dès le début que je n’avais pas envie de voir son pénis à l’écran, que ça ne me faisait rien du tout, et que ça me dégoûtait. Les vidéos ou les appels pour se chauffer, ce n’est pas du tout mon truc non plus. Parfois, on se chauffe par écrit, mais avec le décalage horaire, il va dormir, et moi je me retrouve là, en pleine journée ; je ne suis pas forcément à l’aise, je trouve ça « crade ». Le lendemain, je repense à ce que j’ai dit la veille, et je n’aime pas mes mots. Heureusement sur Snapchat, les messages se suppriment au bout de 24h…

Entre nous, le sexe à distance a été une source d’embrouilles. Lui, il veut vraiment qu’on trouve des moy- ens de le faire, alors que moi, pas du tout. Dans la vie réelle, on aime le sexe de façon plutôt égale. Mais nous sommes en relation à distance maintenant, et dans ce contexte, je peux vraiment m’en passer. Le virtuel ça ne m’excite pas. Les photos me rappellent qu’il est beau, mais cela ne va pas plus loin. Pour lui, les photos ont généralement l’effet inverse, alors il veut que l’on continue à se chauffer après. La plupart du temps, je ne veux pas, ça le frustre et il se braque. Il ne se rend parfois pas compte qu’il me met la pression. Si dans la vraie vie, je ne voulais pas coucher avec lui et qu’il me répondait « ah t’es relou », je le larguer- ais dans la minute, et ça, je lui ai expliqué. Quand on se retrouve, le sexe est vraiment bien, parce que la tension a eu le temps de monter. À distance, c’est plus compliqué.

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Maëlle : Mon copain et moi sommes en relation à distance depuis deux ans maintenant. On se voit tous les quatre mois, en décembre et pendant l’été. Ce qui est particulier, c’est qu’on s’est mis ensemble juste avant que je parte au Canada. On n’a donc pas vraiment pu profiter de la période en début de relation où le sexe prend beaucoup de place. Cela a beaucoup influencé notre rapport au sexe, et la place que cela prenait dans notre relation. Le sexe, pour moi, c’est un mode de con- nexion. Alors, nous avons trouvé d’autres moyens d’avoir cette connexion, même à distance. On a commencé à s’envoyer des photos sexy, on s’écrit aussi. Ça peut partir de quelque chose d’anodin, et après on se chauffe. On a essayé une ou deux fois le sexe au téléphone, c’était marrant, mais je n’étais pas 100% à l’aise, donc je ne sais pas si je le ferai à nouveau. Il est vrai que j’ai l’impression d’avoir moins envie qu’au début parce qu’il n’est pas là, alors il y a moins de choses qui déclenchent mon envie.

Dans notre relation, ne pas avoir de relation sexuelle pen- dant de longues périodes de temps n’est pas un problème. Pour nous, le sexe c’est un bonus, et le fait d’être à distance nous a obligé à fonder notre relation sur une connexion intellectuelle et émotionnelle. J’ai pu voir s’il me faisait rire, s’il m’intéressait vraiment, si j’aimais nos discus- sions. À distance, tu n’as pas la possibilité de régler des conflits ou d’exprimer ton amour pour l’autre par le sexe. Nous n’avions pas ce moyen de nous connecter, alors nous avons appris à tout verbaliser. Nous avons développé des racines fortes parce qu’il y a aussi beaucoup d’amitié entre nous. Sur le long terme, cela a renforcé notre relation.


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