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La Nuit des sans-papiers

Solidarité sans frontières réclame un statut pour tous.

Lucy Tymezuk

Du samedi 19 mars au dimanche 20 mars dernier, l’association Solidarité sans frontières a organisé un campement devant les bureaux d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) pour dénoncer la lenteur du processus de régularisation promis par le premier ministre Justin Trudeau en décembre 2021. De nombreuses personnes sans-papiers ont témoigné de leur situation, et ont réclamé la fin de l’attente pour enfin vivre librement et dignement. Les participants se sont réunis derrière le slogan scandé tout au long de l’évènement : « Un statut pour tous et toutes ! »

La nuit des sans-papiers

La Nuit des sans-papiers organisée par Solidarité sans frontières a été menée en parallèle de l’appel pan-canadien à la mobilisation lancé par le Réseau pour les droits des migrants (Migrants Right Network). De nombreuses autres actions ont aussi eu lieu ailleurs au Canada, notamment à Vancouver, Toronto, Victoria…

L’événement organisé devant le complexe Guy Favreau, abritant les bureaux Québécois de l’IRCC, a commencé le samedi à 20h, et s’est terminé le lendemain matin à 9h. À l’occasion de cette action de solidarité, plusieurs intervenants se sont succédés au micro, et Solidarité sans frontière a organisé des projections de films, un concert et une distribution gratuite de repas pour les participants et les sans-abris.

Une première intervenante a commencé son discours par un appel : « Nous [les sans-papiers, ndlr] sommes des citoyens à part entière ! Nous demandons de pouvoir vivre librement, sans peur d’être arrêté ou déporté. » L’intervenante a souligné le flou de la condition des sans-papiers, où tout au long de l’attente de leur régularisation, ils voient leur droits d’accès au système de santé, à la réunion familiale, à la protection légale face aux employeurs et aux logeurs bafoués. Elle a ensuite interpellé le premier ministre Justin Trudeau : « Qu’est-ce que vous attendez pour nous mettre dans la case de vos humains ? » 

« Nous [les sans-papiers, ndlr] sommes des citoyens à part entière ! Nous demandons de pouvoir vivre librement, sans peur d’être arrêté ou déporté »

Plusieurs personnes se sont ensuite succédées pour témoigner de leur situation de sans-papiers. Mamadou, arrivé au Canada en 2001, a perdu son statut de résident temporaire en 2003, et vit depuis dans des conditions qu’il qualifie de « précaires ». Victime d’un accident de travail il y a quelques années où il s’est cassé les deux bras, il a dû attendre 18 jours avant de pouvoir être hospitalisé. La Nuit des sans-papiers a montré que cette situation est loin d’être une exception. Maria, ayant fui le Mexique il y a 14 ans avec son mari, travaille dans une clinique médicale à Montréal. Malgré sa proximité quotidienne avec le système de santé, elle ne peut pas accéder aux soins. Elle nous a résumé sa situation : « L’ironie de la vie : faire le ménage dans une clinique de santé et ne pas pouvoir être soignée. » Maria a aussi dénoncé la vulnérabilité des personnes sans-papiers face aux abus des employeurs et des logeurs : « On ne peut même pas se défendre en dénonçant l’employeur à cause du besoin de survivre et d’aller de l’avant. » Yasser, citoyen marocain arrivé au Canada en 2020 lors de la Covid-19 a vu son permis de travail refusé au poste frontière à cause de l’entreprise d’accueil qui avait annulé son contrat sans le prévenir. Il raconte : « J’avais un rêve qui s’est transformé en cauchemar. »

Lucy Tymezuk

Malgré la précarité de leur situation au Canada, le retour n’est pas une option pour ces intervenants. La plupart ont laissé une famille sur place, dépendante de leurs transferts d’argent et dans l’attente de pouvoir être réunis. Aussi, l’insécurité et le manque d’opportunités de travail dans leur pays d’origine rendent le retour impossible.

Selon IRCC, les estimations de la population de personnes sans-papiers au Canada varient entre 20,000 et 500,000. Ces derniers, contrairement à l’image véhiculée par de nombreux médias et politiciens, qui décrivent une personne sans-papiers comme un individu entré illégalement sur le territoire – image renforcée récemment avec la polémique du chemin Roxham – sont majoritairement des personnes qui ont perdu leur statut après être entré légalement sur le sol canadien. Selon un rapport de Solidarité sans frontières publié en octobre dernier, le nombre de personnes sans-papiers serait bien supérieur à 500,000 – des chiffres qui diffèrent des rapports officiels.

L’action du gouvernement

La première intervenante a souligné dans son discours que cela fait bientôt un an et demi que Trudeau a mandaté Sean Fraser, ministre de l’Immigration, de se pencher sur un programme de régularisation des travailleurs sans-papiers. Le gouvernement Trudeau a aussi annoncé vouloir régulariser plusieurs centaines de milliers de travailleurs sans-papiers en octobre dernier, mais l’absence d’échéances et de détails de ce programme ont été critiqués par l’intervenante. Alors que le Parlement fermera pour l’été dans 10 semaines, et ne reprendra ses travaux qu’à la mi-septembre, l’intervenante souligne que « l’attente est longue, et en attendant nos droits sont confisqués ».

Lucy Tymezuk

L’intervenante a alors directement interpellé le premier ministre : « C’est l’occasion M. Trudeau, de faire ce que votre père avait fait, en réalisant le vœu de milliers de sans-papiers. » En effet, Pierre Eliott Trudeau avait lancé en 1973 l’un des plus important programme de régularisation canadien des sans-papiers. L’association Solidarité sans frontières a appelé lors de l’événement à la mise en place d’un programme similaire, sans restriction ni exclusion, pour offrir la résidence permanente à toute personne migrante.

« Le gouvernement Trudeau a aussi annoncé vouloir régulariser plusieurs centaines de milliers de travailleurs sans-papiers en octobre dernier »

Malgré l’attente d’un tel programme, qui continue depuis près d’un an et demi, une femme sans-papier a demandé le micro pour affirmer son optimisme :« Nous sommes déjà tous des citoyens, n’est-ce pas ? Les papiers, on les aura ! »


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