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Biden approuve un projet pétrolier en Alaska

Projet Willow : extraire du pétrole pour $8 milliards de bénéfices, mais à quel coût ?

Alexandre Gontier | Le Délit

Lundi 13 mars dernier, l’administration Biden approuvait le lancement du projet Willow – la construction d’un champ de forage pétrolier en Alaska qui rapportera $8 milliards en revenus aux États-Unis. Ce projet, présenté par le géant ConocoPhillips, éveille la colère des défenseurs de l’environnement, qui avaient pourtant critiqué ses conséquences néfastes. Le Délit a rencontré le professeur d’économie et maître de conférence Moshe Lander, ainsi que plusieurs membres de l’organisation du chapitre Greenpeace de McGill.

Pourquoi ce projet pétrolier ?

Le projet de forage pétrolier aura lieu dans la réserve nationale de pétrole située dans le nord-ouest de l’Alaska, sur des terres extrêmement riches en hydrocarbures appartenant à l’État américain. ConocoPhillips – l’une des plus grandes sociétés pétrolières et gazières au monde – découvre et développe les vastes ressources pétrolières du versant nord de l’Alaska depuis 1965, et le projet Willow dans la partie nord-est de la réserve nationale de pétrole de l’Alaska (NPR‑A) est le projet de développement majeur le plus récent de la société.

Le Délit a rencontré le professeur et maître de conférence en économie à l’Université Concordia Moshe Lander pour discuter des avantages d’un tel projet pétrolier pour les États-Unis, et plus particulièrement pour l’état d’Alaska. Le professeur insiste sur la rareté de ce genre de projet. Avoir accès à un aussi grand puits de pétrole aujourd’hui est « surprenant voir inhabituel (tdlr) ». Grâce à des avancées technologiques, ce qui était auparavant soit impossible, soit trop coûteux, est désormais viable. Pour les États-Unis, ce projet permettrait d’accroître leur sécurité et leur indépendance énergétique face à d’autres régimes qui alimentent la pétro-économie.

Avec le projet Willow, ConocoPhillips permettra la production de 180 000 barils de pétrole par jour sur une période d’environ 30 ans. Cette quantité de production correspond à environ 1,5% de la production américaine totale. Au niveau légal, l’administration Biden était dans l’incapacité de refuser ce projet, sachant que ConocoPhillips détient le droit de forer. Une annulation de ses baux entraînerait un procès qui coûterait des millions de dollars au gouvernement et aurait peu de chances de succès pour arrêter le forage pétrolier. L’administration Biden a alors conclu un accord avec la société pétrolière afin de réduire la superficie totale du projet Willow de 60%.

Malgré les idées préconçues, le professeur Lander définit l’Alaska comme l’un des États les plus riches, au vu de sa richesse en hydrocarbures et en ressources naturelles « alors que presque personne n’y vit ». Les partisans de Willow y voient ainsi une source de revenus, d’emplois, ainsi qu’un pas de plus vers l’indépendance énergétique des États-Unis. D’après le professeur, « l’Alaska est l’un de ces endroits où tout le monde aimerait faire une croisière, mais où personne ne voudrait vivre ». Le projet Willow a pour but de protéger l’existence de l’État, même si cela inclut puiser dans ses fonds jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. Il s’agit également d’une question géo-politique de sécurité nationale, alors que la Russie est un voisin proche des terres d’Alaska. Professeur Lander mentionne la sécurité nationale canadienne, qui est aussi en jeu : « Vous avez besoin de gens qui vivent là-bas, sinon n’importe quelle superpuissance peut y entrer avec désinvolture et planter un drapeau. » Les reproches sur la flambée des prix de l’essence survenue après l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont potentiellement influencé la décision d’approbation du projet de la part de l’administration Biden. Néanmoins, ce projet a plus à offrir que de simplement générer 2 700 emplois et des recettes fiscales : il crée une sécurité à long terme.

« Si vous dites aux gens que pour prendre soin de l’environnement, il faut fixer le prix du pétrole en conséquence, vous constaterez rapidement que les gens ne se soucient plus tellement de l’environnement »


Professeur Moshe Lander

Interrogé sur les alternatives de production énergétique accessibles en Alaska, le professeur Lander répond que le pétrole reste la solution la plus simple. La production d’énergie solaire serait trop compliquée à conserver et à transporter à travers l’océan Pacifique et les terres autochtones de la Colombie- Britannique. Quand bien même les États-Unis seraient capables de construire des lignes électriques vers le centre du continent, le coût serait aujourd’hui si prohibitif qu’il annulerait tout avantage de six mois d’ensoleillement continu en été. De plus, ConocoPhillips a déjà accès au Trans-Alaska Pipeline System (TAPS), un oléoduc de pétrole brut de 800 miles du versant nord de l’Alaska à une marine terminale située au port libre de glace de Valdes, en Alaska. Le pétrole coûte ainsi bien moins cher que l’énergie solaire, rien qu’en ce qui concerne le transport. 

Sur la page « Développement durable » du site internet de ConocoPhillips est inscrit un engagement varié pour un « développement écologiquement et socialement responsable » incluant la reconnaissance des organismes de réglementation et des communautés locales afin d’atténuer les impacts potentiels liés aux émissions atmosphériques, aux perturbations de surface, à l’utilisation de l’eau, à la faune et à la vie humaine. Le professeur Moshe Lander parle de la règle générale pour les entreprises pétrolières de restituer la masse terrestre telle qu’elle a été trouvée avant son exploitation – malgré la grande possibilité de créer des catastrophes environnementales. Respecter l’environnement pendant la période de forage n’est pas nécessairement le défi majeur, ce qui pose problème est le sous-produit de ce qui est rejeté dans l’atmosphère – les émissions de CO2. Moshe Lander pense également que ConocoPhillips – en tant que compagnie internationale – a une réputation à tenir, et se montrera ainsi responsable des conséquences de ce projet, sans manquer de respecter ses obligations. Pour l’économiste, le réel problème pour beaucoup de gouvernements – que ce soit avec Biden ou Trudeau – est l’aspect financier : « Quand nous appelons les citoyens et leur demandons « Vous souciez-vous de l’environnement ? », inévitablement la réponse est oui. Cependant si vous dites aux gens que pour prendre soin de l’environnement, nous devons fixer le prix du pétrole et de ses sous-produits en conséquence, vous constaterez rapidement que les gens ne se soucient plus tellement de l’environnement. »

« Ce projet a plus à offrir que de simplement générer 2 700 emplois et des recettes fiscales, il crée une sécurité à long terme »

L’exploitation pétrolière au détriment de l’environnement

En arrivant au pouvoir, le président Joe Biden avait fait la promesse de ne pas autoriser de nouveaux projets de forages pétroliers et gaziers sur les territoires fédéraux, dans le cadre de son grand plan d’énergie verte. Toutefois, le professeur Moshe Lander confirme que les promesses des politiciens doivent être prises à la légère, et que les États-Unis ne peuvent se permettre de refuser un projet qui rapporterait des milliards de dollars simplement pour tenir une promesse. Interrogée par Le Délit, une des représentants de l’organisation Greenpeace McGill nous parle d’une « trahison » de la part du président Biden. Malgré la pression politique subie par l’administration Biden pour approuver ce projet, la réalité environnementale ne change pas. Y a‑t-il de la place dans le budget carbone américain pour ce type de mégaprojets ?

Pour Greenpeace McGill, ces données sont préoccupantes, car cela rendrait la crise climatique encore plus difficile à atténuer. Cela créerait également un dangereux précédent quant à la manière dont le gouvernement américain fera avancer les projets liés au pétrole. Lorsque nous leur avons demandé ce qu’ils ressentaient vis-à-vis du projet Willow, beaucoup de membres de Greenpeace McGill ont exprimé un sentiment général de tristesse et de désespoir face à cette décision : « C’est frustrant de voir non seulement un manque d’action positive de la part du gouvernement, mais une prise de décision directement négative à la place. »

Jade Lê | Le Délit

Concernant les mesures prises et l’impact environnemental du projet, l’administration Biden a également déclaré qu’elle prévoyait envisager des protections supplémentaires pour les 5,3 millions d’hectares de la réserve pétrolière, qui sont désignées comme zones spéciales pour leur valeur faunique. Toutefois, les détails de ces « protections » ne sont pas clairs.

D’après Greenpeace McGill, l’accueil est mitigé quant aux retombées sur les communautés autochtones. Certains disent que cela pourrait créer plus d’opportunités économiques pour les habitants du Nord, tandis que d’autres s’inquiètent de l’impact environnemental. Des groupes environnementaux et des représentants de groupes autochtones ont d’ailleurs annoncé mardi le 15 mars vouloir poursuivre en justice l’administration Biden pour leur autorisation du projet. Le procès, intenté par Trustees for Alaska au nom d’une coalition de groupes environnementaux et autochtones comme Environment America ou encore the Northern Alaska Environmental Center a demandé au tribunal de district américain de l’Alaska d’annuler l’approbation, parce que le gouvernement fédéral n’aurait pas pris en compte les risques climatiques indirects et directs du projet, y compris les dommages à la faune, tels que la chasse des ours polaires et de subsistance. Les groupes ont affirmé que l’approbation de Willow par le Bureau de Gestion des Territoires violait les dispositions de la Naval Petroleum Reserves Production Act, de la Alaska National Interest Lands Conservation Act, du droit procédural ainsi que d’autres lois fédérales.

« Sur environ 30 ans, ce projet émettra un total de 239 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions de 64 centrales au charbon durant une année »

Enfin, questionnés sur le rôle et la capacité d’action de Greenpeace et des étudiants mcgillois, les représentants de l’organisation insistent sur le pouvoir de l’éducation : « Face à des décisions aussi importantes, nous pensons que l’une des choses les plus importantes que nous puissions faire est de nous éduquer, puis d’éduquer le plus de gens possible. Plus les gens connaissent et s’intéressent à cette question, plus nous gagnons en pouvoir en tant qu’organe électif, ce qui est l’un des principaux moyens d’influencer les décisions gouvernementales. » Pour eux, il est nécessaire de rendre public leur mécontentement. Selon une étudiante en deuxième année en environnement à McGill, les zones de forage sont situées dans des territoires très sensibles écologiquement : « Y’a pas photo : c’est un projet qui va polluer. » L’étudiante nous explique que l’impact environnemental de Willow va être d’autant plus dramatique puisqu’il se situe à l’intérieur du cercle arctique et que son écosystème est déjà extrêmement vulnérable. Malheureusement, la majorité des gouvernements comme les États-Unis sont encore très dépendants du pétrole, et les solutions renouvelables sont loin d’être parfaites.


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