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L’impératif de la rébellion

Anna Henry | Le Délit

Il est de notre devoir, à toutes et à tous, de nous rebeller contre les injustices et les inégalités. Il en ressort de notre responsabilité civique, car la rébellion est l’une des formes de résistance qui favorise le dynamisme démocratique. Comme l’explique Elizabeth Anderson, philosophe politique et morale, la dissidence encourage le perfectionnement des politiques publiques en soulevant des objections. À l’inverse, le silence face aux injustices crée un consensus artificiel perçu comme infaillible, car il donne l’impression que les politiques publiques actuelles répondent à toutes les préoccupations ou ont atteint leur configuration optimale.

Le climat actuel est toutefois propice à la désillusion quant à la responsabilité de dissidence et de rébellion : les modes de participation civique semblent incapables de répondre au sentiment d’urgence qui habite de plus en plus les jeunes de la génération Z. Alors que notre système électoral est criblé de distorsions et que les manifestations mondiales pour la justice climatique entraînent des réponses verbalisées plutôt que concrétisées, le soulèvement collectif contre un statu quo insoutenable peut sembler futile. Le sentiment d’impuissance provoqué par l’inéluctabilité de la situation actuelle nous amène à douter qu’un mouvement populaire puisse rassembler les citoyen·ne·s désabusé·e·s. À quoi bon s’insurger si nos voix ne sont entendues ni dans les rues, ni à l’Assemblée nationale ?

Or, la rébellion n’a pas à être concertée pour être utile. Comme l’écrit le philosophe politique José Medina, « la résistance commence chez soi ». Le fait de s’interroger, de devenir perplexe par rapport à soi-même, est la première étape de toute rébellion, car cet exercice critique rend visibles les processus de construction sociale de notre perspective et les limites de cette dernière. L’étude des discours de groupes marginalisés – la théorie queer, la théorie féministe, la théorie critique de la race, etc. – favorise cette prise de conscience, en rendant « ce qui nous est familier, inconnu, et ce qui nous est évident, bizarre ».

Les personnes privilégiées, dont la perspective est confirmée par les politiques publiques en place, peuvent être moins enclines à prendre part à tout effort de rébellion, tant parce qu’elles bénéficient des structures actuelles que parce qu’elles ne se sentent pas aptes à se prononcer sur des injustices qui ne les affectent pas personnellement. Or, de manière contre-intuitive, elles ont en fait une responsabilité accrue de se rebeller, car elles en souffriront moins. Lorsque la rébellion, ayant franchi l’étape de l’auto-examen, se manifeste dans l’espace public, elle est réprimée par le pouvoir en place. Cette répression prend souvent la forme de sanctions envers les dissident·e·s. Puisque les membres des communautés marginalisées subissent déjà les conséquences des structures d’oppression, il·elle·s sont aussi particulièrement vulnérables aux représailles destinées aux rebelles. Les personnes privilégiées, moins sujettes à ces conséquences néfastes, ont donc la responsabilité de soulager les épaules de leurs concitoyen·ne·s en se joignant à leur rébellion, sans toutefois les invisibiliser.


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