Aller au contenu

« Femme, vie, liberté ! »

La révolte du peuple iranien se soulève jusqu’à Montréal et à McGill.

Myriam Bourry-Shalabi | Le Délit

Durant l’après-midi ensoleillé du 27 septembre dernier avait lieu une chaîne humaine en solidarité avec les manifestant·e·s en Iran à la suite de la mort de Mahsa Amini et pour rendre hommage aux victimes du régime totalitaire iranien. « Nous voulons commémorer tous ceux qui ont été tués ou assassinés par ce régime brutal », a résumé Banafsheh Cheraghi, une des organisatrices du rassemblement. Formée de centaines de personnes, la chaîne humaine s’étendait le long de la rue Sherbrooke près de l’Université McGill.

Mahsa Amini, originaire de la région du Kurdistan, rendait visite à sa famille à Téhéran lorsqu’elle a été arrêtée le 13 septembre dernier pour « port de vêtements inappropriés » par la soi-disant police des mœurs iranienne. La police alléguait qu’elle ne portait pas son hijab correctement, ce qui constitue une infraction du code vestimentaire strict en place en Iran depuis 1979. La jeune femme de 22 ans est décédée à l’hôpital trois jours après son arrestation. Selon la police, elle a souffert « d’une insuffisance cardiaque soudaine », dite d’être causée par « des problèmes physiques antérieurs ».

Dans une entrevue accordée à la BBC Perse, le père de la victime a partagé que Mahsa Amini n’était pas en mauvaise santé. Des témoins lui avaient également confié l’avoir vue être battue en garde à vue. En effet, selon des militant·e·s, la jeune femme aurait souffert d’une blessure à la tête lorsqu’elle a été mise en détention. Les autorités iraniennes, qui continuent de nier ces accusations, ont toutefois promis d’ouvrir une « enquête ».

En Iran, les manifestations à l’encontre du régime iranien persistent. De Téhéran à Montréal, les manifestant·e·s prennent les rues en solidarité avec Mahsa Amini pour contester la République islamique de l’Iran, le régime dictatorial et théocratique en place depuis plus de 48 ans.

Un contexte de répression

La mort de Mahsa Amini « n’était pas choquante », a partagé Pedram, un manifestant sur place mardi dernier. En effet, cette vague de manifestations a eu lieu presque trois ans après une série d’émeutes anti-régime contestant l’augmentation du prix du carburant annoncée par les autorités iraniennes. La répression orchestrée par la République islamique fut d’une ampleur inédite, engendrant le décès de 1 500 personnes en moins de deux semaines, selon une enquête de l’agence Reuters.

« On veut juste être vus et entendus »

Pedram, un manifestant

Linda, qui a quitté l’Iran pour le Canada depuis plus de huit ans maintenant, a exprimé un sentiment de culpabilité vis-à-vis de ses proches qui résident en Iran : « Je me sens coupable d’être ici quand ils doivent faire face à tout ça », a‑t-elle partagé au Délit. En Iran, selon l’organisation de surveillance de cybersécurité NetBlocks, des interruptions de connexion au réseau Internet sont observées depuis le 19 septembre dernier. « J’ai peur, je n’ai reçu qu’un “je vais bien” de mon oncle depuis la mort de Mahsa », a exprimé Pedram.

Parmi les manifestant·e·s présent·e·s mardi dernier, plusieurs brandissaient des affiches avec des photos de victimes de la répression en Iran. Tout au long de la chaîne humaine sur la rue Sherbrooke, on pouvait entendre de nombreux slogans dont les plus scandés étaient : « Dis son nom : Mahsa Amini » et « Femme, vie, liberté » et leurs variants en anglais et en farsi. Tout autour de la planète, où les contestations anti-régime ont lieu, un geste se répète : les manifestantes coupent leurs cheveux en signe de solidarité avec les femmes iraniennes.

Un gazouillis qui fait du bruit

Dans un gazouillis du 22 septembre dernier, un compte Twitter appartenant à Soroosh Shahriari, un chargé de cours à l’Université McGill et candidat au doctorat affilié au Département des études juives, a fait l’apologie du régime iranien. Dans ce gazouillis, qui a été supprimé depuis sa publication, Soroosh Shahriari partageait : « Comme il va être bon et réconfortant de vivre l’exécution des dirigeants moudjahidines arrêtés dans les récentes émeutes ». Moudjahidine, un terme qui signifie littéralement « faiseur·se de djihad », se rapporte dans ce contexte aux manifestant·e·s qui contestent le régime iranien. Quelques jours après la publication du gazouillis, une pétition a commencé à circuler sur les réseaux sociaux. La pétition exhorte l’Université McGill « d’enquêter immédiatement sur cette affaire et, si l’association du gazouillis avec cet étudiant est confirmée, de prendre les mesures appropriées conformément aux politiques de l’Université », peut-on lire sur le site web change​.org. La pétition, lancée par Kayhan Momeni, un candidat au doctorat à l’Université de Toronto, est adressée aux vice-principaux·les exécutif et aux études par intérim Fabrice Labeau et Angela Campbell, à la doyenne des études supérieures et postdoctorales Joséphine Nalbantologu et à la cheffe du Département des études juives de McGill Yael Halevi-Wise. Accumulant plus de 22 000 signatures à la date de rédaction, la pétition dénonce que « le gazouillis ne peut être compris que comme une menace ou une invitation à commettre des actes de violence », peut-on lire.

« Soyez assurés que nous surveillons la situation de près »

Fabrice Labeau et Angela Campbell

Réponse de McGill

Le 30 septembre dernier, dans un courriel envoyé aux membres de la communauté mcgilloise, les vices-principaux·les Angela Campbell et Fabrice Labeau ont exprimé leur solidarité avec les manifestant·e·s en partageant une liste de ressources disponibles. Le courriel a aussi abordé le gazouillis controversé : « Soyez assurés que nous surveillons la situation de près », ont-il·elle·s assuré. Toutefois, Fabrice Labeau et Angela Campbell ont aussi soulevé « l’importance de l’équité procédurale et les risques d’un jugement trop rapide, surtout à la suite d’une activité dans les médias sociaux non vérifiée ». Il·elle·s ont ajouté que « nous devons également tenir compte de la protection que notre société accorde à la liberté d’expression, même lorsque les idées exprimées sont de mauvais goût ou blessantes ».

Pour Shayan, président de l’Association d’étudiants iraniens de l’Université Concordia (Concordia University’s Iranian Students” Association), McGill « n’a pas su répondre » au commentaire allégué de Soorosh Shahriari. « Ce n’est pas une liberté d’expression de demander la mort. La liberté d’expression doit s’arrêter quelque part », explique-t-il.


Dans la même édition