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« C’est vraiment pas comme Pitch Perfect »

Portrait des clubs a cappella mcgillois en pandémie.

Alexandre Gontier | Le Délit

Le terme a cappella, ou « à la chapelle » lorsque l’expression est traduite mot à mot, fait originellement référence aux chants religieux chantés sans instruments dans ces édifices religieux. En musique vocale, l’expression réfère maintenant à tout type de chant performé sans accompagnement instrumental. À McGill, la communauté a cappella se divise en quatre groupes : Tonal Ecstasy, Effusion, Soulstice et Chromatones. Même si le R&B et la musique pop demeurent populaires, ces quatre groupes s’inspirent d’un éventail assez varié de genres musicaux et sont surtout distincts en raison de leur date de formation différente. Tonal Ecstasy a d’abord été fondé en 1998, puis Effusion en 1999, Soulstice en 2000 et Chromatones a suivi en 2012. 

Les clubs a cappella sont généralement composés d’un·e directeur·ice musical·e, une personne en charge de guider le groupe a cappella et d’encadrer leurs répétitions et leur technique, ainsi que d’un groupe de chanteur·se·s minimalement composé de sections regroupant les voix basse, tenor (milieu grave), alto (milieu aigu) et soprano. À ces tessitures peuvent aussi s’ajouter des voix baryton et mezzo-soprano et du beatbox afin de couvrir un plus grand registre musical. Même s’il n’est pas utilisé dans toutes les chansons, le beatbox demeure très important en a cappella, car il « aide à donner de l’énergie aux performances et à assurer qu’on respecte le rythme », souligne Mekayla Forrest, présidente de Chromatones. 

« Même s’il n’est pas utilisé dans toutes les chansons, le beatbox demeure très important en a cappella »

Un recrutement virtuel « différent » 

Avant la pandémie, selon la présidente de Tonal Ecstasy, Aliya Frendo, le groupe recevait à lui seul des centaines de personnes en audition à chaque semestre pour seulement quatre ou cinq places disponibles. En effet, même s’il y a quatre groupes, la compétition pour rejoindre un groupe a cappella à McGill demeure très forte. « La première année où j’ai fait les auditions, je n’ai pas été acceptée. Il y a une grande compétition, surtout pour les voix soprano et alto. Malheureusement, à chaque année, on doit refuser plusieurs personnes très talentueuses et, pour augmenter leurs chances, les gens intéressés auditionnent normalement pour les quatre clubs », explique Forrest. Chaque club est normalement composé d’environ 18 chanteur·se·s, et le rôle de chaque voix individuelle est important dans le but d’atteindre un bon blend, c’est-à-dire un son d’ensemble caractérisé par le mélange équilibré des voix, ce qui fait en sorte qu’aucune ne ressort trop du lot et que toutes se fondent ensemble.

Après le début de la pandémie, les quatre groupes de chant a cappella ont d’abord pris une pause, puis recommencé à recruter plus activement lors de la session d’hiver 2021 en organisant des auditions virtuelles collaboratives. Malgré cela, David Cruz, président de Soulstice, explique que ces auditions n’ont reçu qu’une douzaine de candidatures. Lors du semestre d’automne 2021, le retour en présentiel a toutefois aidé les clubs à augmenter le taux de participation aux auditions, toujours virtuelles quant à elles ; Tonal Ecstasy a notamment reçu une soixantaine de candidatures et Chromatones, presque 90. De son côté, Soulstice a comblé toutes les places laissées vacantes par les gens qui ont quitté durant la pandémie avec « des personnes vraiment passionnées, qui voulaient être là. » Pour Effusion, le recrutement à l’automne 2021 a aussi été fructueux : « l’automne dernier, on a réussi à recruter sept ou huit nouveaux membres, à peu près le même nombre de personnes que lors d’une année normale », mentionne Celia Benhocine, présidente d’Effusion. 

Cette dernière ajoute cependant que l’automne dernier, « ça a été vraiment difficile d’avoir nos callbacks, la deuxième ronde des auditions, en ligne. » Selon Benhocine, « lors des callbacks, c’est très important d’évaluer si le son d’une personne s’agence avec le reste du groupe, si on peut voir qu’elle va grandir avec le groupe, si elle va bien s’entendre avec les membres. C’est donc plus difficile d’évaluer tout ça par Zoom, parce qu’on peut à peine interagir avec les gens, on n’a pas vraiment le temps de s’asseoir, puis de socialiser comme on pourrait le faire en personne. » Pour Forrest, cependant, les auditions en ligne ont l’avantage d’être plus « faciles » à organiser que celles en personne : « Normalement, avant la COVID, les candidat·e·s venaient nous voir en personne l’un·e après l’autre. C’est une bonne stratégie, mais c’est aussi très fatigant, alors que sur Zoom, c’est plus confortable. » 

Avant la pandémie, les quatre groupes de chant a cappella comptaient aussi beaucoup sur la Soirée des activités (Activities Night) semestrielle de l’Association étudiante de l’Université McGill pour recruter de nouveaux·elles chanteur·se·s. « Normalement Activities Night, c’est vraiment une belle opportunité pour tous les clubs de montrer aux étudiant·e·s de McGill toutes les différentes choses qu’il·elle·s peuvent faire. Quand c’est en ligne, ce n’est pas la même chose », affirme Cruz, qui se rappelle notamment les problèmes techniques de la Soirée des activités à l’automne 2021 : « Je me suis connecté pendant cinq ou six heures, j’attendais et il n’y avait personne qui venait parce que personne ne pouvait venir, ça ne marchait pas, c’était terrible. » 

« Même s’il y a quatre groupes, la compétition pour rejoindre un groupe a cappella à McGill demeure très forte »

Chanter au rythme de la bande passante

Depuis l’annonce des restrictions sanitaires concernant les activités culturelles parascolaires à la suite de la vague Omicron, les clubs a cappella à McGill ont dû de nouveau effectuer un virage en ligne et reprendre les répétitions sur Zoom ou les enregistrements de voix en différé. Ce retour en ligne a aussi eu un impact négatif sur le recrutement. « Ce semestre-ci, pour le moment on a seulement une quinzaine de candidatures et je crois que ces personnes font les auditions pour les quatre groupes », affirme Forrest. « C’est difficile, car on a besoin de nouveaux·elles membres, mais ça ne peut pas être n’importe qui non plus. »

 «[Pour le moment] on essaye de garder le rythme de deux pratiques par semaine et de garder le moral un petit peu, jusqu’à temps qu’on puisse se retrouver en personne » explique Frendo, en parlant de Tonal Ecstasy. Isabelle Tardif-Sanchez, membre du même club, précise que ce retour en ligne est « vraiment difficile », car « dans un groupe a cappella, c’est super important de tous·tes s’écouter et d’être tous·tes ensemble pour vraiment s’assurer qu’on blend bien puis qu’on harmonise… La seule façon possible de pratiquer ensemble [sur Zoom, ndlr], c’est de se diviser dans des breakout rooms en sections et d’écouter chanter une seule personne à la fois… C’est extrêmement difficile de [blend] sans être physiquement tous·tes ensemble. » 

« Ce retour en ligne est “vraiment difficile”, car “dans un groupe a cappella, c’est super important de tous·tes s’écouter et d’être tous·tes ensemble pour vraiment s’assurer qu’on blend bien puis qu’on harmonise”»

Isabelle Tardif-Sanchez, membre de Tonal Ecstasy

Pour Chromatones, les difficultés de pratiquer le blend sur Zoom ont plutôt encouragé le groupe à utiliser les répétitions en ligne pour se concentrer « sur l’apprentissage des notes, dans l’espoir d’éventuellement retourner en présentiel plus tard dans le semestre afin de pratiquer le blend », dit Forrest. « On enregistre les voix, puis avant la prochaine répétition, je combine tous les enregistrements sur Garage Band et je crée un seul enregistrement que tous·tes les chanteur·se·s peuvent ensuite utiliser pour pratiquer. C’est difficile, mais on fait ce qu’on peut », ajoute-t-elle. De son côté, Benhocine mentionne que la mémorisation des chansons est aussi plus ardue lorsque l’a cappella se pratique en ligne : «[en présentiel], tu groove, tu entends les autres, donc ça te donne des indices sur ce qui s’en vient ; c’est plus facile d’avoir une mémoire physique et musculaire de cette façon. Donc ça a été un ajustement d’apprendre des trucs par cœur à travers Zoom. »

Contrairement aux trois autre clubs qui ont continué les répétitions en ligne lors des semestres à distance, les défis que posent les problèmes de connexion sur Zoom ont plutôt encouragé Soulstice à concentrer leurs efforts sur la création d’un album en ligne composé d’une mise en commun d’enregistrements individuels et asynchrones. Pour la formation des nouveaux·elles membres potentiel·le·s pour le semestre d’hiver 2022, qui devra, pour le moment, se faire en ligne, Cruz affirme que cela représente encore « un défi, parce qu’on ne l’a pas encore fait. » En effet, il explique que « même les trois nouvelles personnes recrutées pendant notre période en ligne au début de la pandémie ont dû être formées comme si elles étaient des nouveaux·elles membres lorsqu’on est retourné en présentiel l’automne dernier. » Pour l’hiver 2022, Cruz ajoute que Soulstice prévoit tout de même tenter l’expérience des répétitions virtuelles : « On va peut-être essayer de faire des pratiques sur Zoom en demandant d’abord au·à la directeur·rice musical·e d’ouvrir son micro pour nous apprendre chaque partie. Après, on demanderait à chaque personne d’ouvrir son micro tour à tour et de chanter… on va voir si ça marche. »

«[En présentiel], tu groove, tu entends les autres, donc ça te donne des indices sur ce qui s’en vient ; c’est plus facile d’avoir une mémoire physique et musculaire de cette façon. Donc ça a été un ajustement d’apprendre des trucs par cœur à travers Zoom »

Celia Benhocine, présidente d’Effusion

Une famille

Malgré les défis du virage en ligne, Benhocine, Cruz, Frendo, Forrest et Tardif-Sanchez soulignent cependant que Zoom et les autres plateformes numériques leur permettent au moins de garder contact avec leur groupe a cappella, qu’il·elle·s qualifient toutes et tous sans hésitation de « famille ». « La meilleure décision que j’ai prise à l’université, c’était de rejoindre Soulstice, parce que je les aime tellement ; le groupe est tellement fantastique, et je ne l’oublierai jamais », confie Cruz. 

« Zoom et les autres plateformes numériques leur permettent au moins de garder contact avec leur groupe a cappella, qu’il·elle·s qualifient toutes et tous sans hésitation de “famille”»


En effet, une bonne chimie de groupe est primordiale en a cappella, et Zoom permet au moins aux membres des groupes de se côtoyer virtuellement : « malgré la situation, les liens qu’on a en tant que groupe, on arrive à les maintenir. Puis on arrive quand même à rire à travers Zoom. Par exemple, si la connexion d’une personne bloque et qu’elle fige, ça fait des sons de robots et ça crée quand même des moments drôles, comme ceux qu’on aurait en personne », ajoute Benhocine. Forrest, de son côté, est membre de Chromatones depuis cinq ans et a aussi beaucoup d’amour pour son groupe. « Chromatones est une grande partie de ma vie à McGill. On fait tout ensemble. On forme aussi une communauté avec les autres groupes ; avant la pandémie, on faisait souvent des activités et des soirées avec Soulstice, Effusion et Tonal Ecstasy. Le chant a cappella est une très bonne communauté. Des personnes qui aiment la musique et qui se mettent ensemble, c’est très magique. » Tardif-Sanchez, le sourire aux lèvres, souligne de manière similaire la richesse de la communauté a cappella : « C’est vraiment pas comme Pitch Perfect », dit-elle, en précisant que l’a cappella à McGill est une expérience beaucoup plus enrichissante et moins superficielle que ce que le film présente.


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