Aller au contenu

Rebâtir l’AÉUM, rebâtir la confiance

Quels efforts fait l’Association pour gagner la confiance de la population étudiante ? 

Alexandre Gontier | Le Délit

La controverse entourant l’absence du président de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) Darshan Daryanani et le refus continu de son exécutif d’en révéler le motif mettent en lumière les enjeux liés à la structure de l’AÉUM et sa culture organisationnelle. La structure actuelle de l’AÉUM est basée sur le modèle parlementaire canadien ; les membres de l’exécutif qui dirigent les divers portfolios du gouvernement étudiant participent aux délibérations et votent lors du conseil législatif. 

Ce mode de fonctionnement accorde aux membres de l’exécutif beaucoup de responsabilités et d’influence comparativement aux autres membres du conseil législatif, car il·elle·s doivent à la fois représenter les étudiant·e·s et assurer la direction de leurs portfolios. L’influence dans la prise de décision de l’AÉUM qu’ont les autres représentant·e·s au sein du conseil législatif est moindre. De plus, les décisions de ce corps doivent également être acceptées par le conseil d’administration, dont les membres ne sont pas directement élu·e·s par la population étudiante. 

Le modèle parlementaire de l’AÉUM crée également une asymétrie dans l’information qui alimente les délibérations. Dans le cadre de leurs fonctions, les membres de l’exécutif et du conseil d’administration ont accès à des informations confidentielles dont ne disposent pas les autres membres du conseil législatif. C’est le cas des motifs de l’absence du président. Si certain·e·s considèrent qu’il s’agit d’une caractéristique inhérente à l’AÉUM, d’autres jugent qu’il s’agit d’une contrainte à la démocratie de l’organisation.

Sans assises, la confiance s’écroule

L’absence continue du président de l’AÉUM aux réunions du conseil législatif avait mené Nathaniel Saad et Mary Zhang, repésentant·e·s de la Faculté de gestion, à déposer une motion demandant sa démission. Cette motion dénonçait que le manque de transparence de la part de l’exécutif à ce sujet mettait à risque la confiance de la population étudiante envers ses représentant·e·s. La motion avait été « reportée indéfiniment » par le conseil d’administration le 2 décembre dernier. À cette occasion, le vice-président aux Finances Éric Sader et le vice-président aux Affaires externes Sacha Delouvrier ont pris la parole pour expliquer la décision du conseil d’administration, affirmant que le président n’aurait pas manqué à son mandat.

Le v.-p. aux Finances Éric Sader a expliqué au Délit que « beaucoup de décisions ont besoin d’être faites par un petit nombre de personnes. » Ces décisions impliqueraient souvent des informations dont la confidentialité serait compromise si elles étaient partagées avec le conseil législatif pour une délibération. « La majorité des problèmes dont on discute, on ne peut pas en parler à tout le monde ; ce n’est pas légal », tranche-t-il. « Il y a 35 personnes au conseil [législatif], quelqu’un va parler », explique-t-il.

Nathaniel Saad et Mary Zhang, de leur côté, considèrent que l’AÉUM souffre d’un manque de transparence. « Ce n’est pas nécessairement dû à des personnes en particulier », ont écrit les élu·e·s, « mais plutôt à une combinaison de la culture et de l’environnement que l’AÉUM a perpétués au fil des ans et qui s’ajoute à de potentielles difficultés politiques, juridiques et organisationnelles, rendant difficile l’obtention de véritables réponses pour les étudiant·e·s », ont expliqué les deux représentant·e·s au Délit. « Nous sommes convaincu·e·s que des changements organisationnels et une amélioration de la structure de gouvernance sont nécessaires », ont ajouté Saad et Zhang.

« Nous sommes convaincu·e·s que des changements organisationnels et une amélioration de la structure de gouvernance sont nécessaires »

Nathaniel Saad et Mary Zhang, représentant·e·s de la Faculté de gestion

Les représentant·e·s critiquent également l’ampleur du pouvoir discrétionnaire du conseil d’administration, auquel sont sujettes toutes les décisions du conseil législatif : « Nous ne pouvons prendre aucune décision sans l’approbation [du conseil d’administration] qui n’est pas directement élu par les étudiant·e·s. »

Le rejet de leur motion en décembre rend les chances de réussite d’une seconde tentative plutôt minces. « La motion peut être proposée à nouveau, mais elle ne passera probablement pas puisque tout le monde sait que le conseil [d’administration] ne la ratifiera tout simplement pas. “Reportée indéfiniment” signifie essentiellement qu’il faut oublier la motion », ont expliqué expliquent les deux élu·e·s. À toutes fins utiles, le conseil législatif ne disposerait présentement d’aucun autre moyen pour contraindre le président à démissionner ni pour exiger le dévoilement des motifs de son absence.

«“Reportée indéfiniment” signifie qu’il faut oublier la motion »

Nathaniel Saad et Mary Zhang, représentant·e·s de la Faculté de gestion

Les 12 travaux de l’AÉUM

Éric Sader considère que son rôle dans l’exécutif et le législatif lui donne beaucoup de responsabilités à concilier : « On travaille souvent 50 heures par semaine même si on n’est payé que pour 35 heures. Et ça, en plus d’être aux études. » Il a rappellé que les membres de l’exécutif dirigent la bureaucratie et la logistique qui rendent possibles plusieurs des services qu’offre l’AÉUM, comme les assurances, le support des clubs, les campagnes politiques, l’allocation de locaux, etc. Selon lui, la pression liée à ces conditions est propice aux erreurs, ce qui expliquerait une part des bévues des membres de l’exécutif. Toutefois, il considère que les exigences qui pèsent sur l’exécutif sont impossibles à atteindre car elles ne laissent pas de marge d’erreur.

« La moitié de mon travail, environ, […] ce sont des choses confidentielles dont je ne peux pas parler publiquement », a expliquée Éric Sader. Selon lui, le silence de la part des membres de l’exécutif s’expliquerait par les contraintes attachées à leurs positions. Celles-ci peuvent notamment être de nature légale ou liées à la confidentialité des informations, potentiellement en matière de vie privée ou de ressources humaines. Il dit toutefois comprendre que le manque d’informations puisse alimenter la suspicion : « Il y a une tendance à voir une partie de l’histoire et voir quelque chose comme une bévue quand, au fond, ce n’en est peut-être pas une : il y a juste une situation beaucoup plus compliquée dont [l’exécutif] ne peut pas parler. » Il a également ajouté qu’il serait présentement en dehors du pouvoir des élu·e·s de contrevenir aux conditions qui les empêchent de partager ces informations.

Il soutient que beaucoup de décisions faites au sein de l’AÉUM par l’exécutif concernent davantage le quotidien des opérations. « La réalité, c’est que beaucoup des décisions ne sont pas nécessairement prises par les exécutant·e·s. » Il a toutefois admis que le conseil d’administration prend plusieurs des décisions de l’AÉUM.

Éric Sader a également souligné que les questions de transparence seraient prises au sérieux par les élu·e·s de l’AÉUM et les membres de l’exécutif : « Est-ce que ça aiderait de faire des présentations afin d’expliquer ce qu’on fait ? […] Mais je fais déjà des présentations au conseil législatif comme ça », expliqua-t-il.

Le v.-p. aux Finances est catégorique : il ne suffit pas de retirer une personne de son poste pour que les problèmes de l’AÉUM soient réglés, mais bien d’entreprendre des « changements systémiques ».

« Aucun d’entre nous n’a comme intention de laisser traîner cela indéfiniment »

Sacha Delouvrier, v.-p. aux Affaires externes

Sacha Delouvrier, v.-p. aux Affaires externes, partage un optimisme prudent à l’égard de la controverse entourant l’absence du président Darshan Daryanani : « On est très optimistes que dans les prochaines semaines, il se passera quelque chose. […] Mais je sais qu’aucun d’entre nous n’a comme intention de laisser traîner cela indéfiniment. » Il a affirmé que ses collègues partagent l’envie de « travailler pour pouvoir résoudre cette situation une bonne fois pour toutes ». Il concède toutefois ne pas avoir d’échéancier clair à offrir à ce sujet : « Ça va dépendre, ça pourrait prendre plusieurs semaines. »

Des solutions envisagées

Le 2 novembre dernier, l’AÉUM avait adopté par référendum une politique de démocratisation. Cette politique documente l’historique des erreurs commises par l’AÉUM dans les dernières années ayant affaibli la confiance de la population étudiante envers l’Association. La politique engage l’AÉUM à adopter des solutions pour contrer le désengagement de sa population étudiante.

La principale solution proposée est la mise en place d’une campagne politique affiliée à l’AÉUM. Cette campagne aurait pour but de travailler à rendre l’Association et ses organes plus démocratiques. La campagne fait partie du portfolio du v.-p. aux Affaires externes, Sacha Delouvrier. Il explique au Délit que, pour l’instant, la campagne œuvre principalement auprès des associations étudiantes départementales et facultaires afin de leur offrir une plus grande autonomie par rapport à l’AÉUM. Sacha Delouvrier cite également des projets parallèles en cours pour rendre la documentation interne de l’AÉUM plus accessible à la population étudiante et pour améliorer la mémoire institutionnelle.

« La décentralisation de l’AÉUM par rapport aux autres associations étudiantes mcgilloises se veut un moyen de rendre moins hiérarchiques les processus de décisions et de représentation »

La décentralisation de l’AÉUM par rapport aux autres associations étudiantes mcgilloises se veut un moyen de rendre moins hiérarchiques les processus de décision et de représentation. Sacha Delouvrier explique que cela permettrait de rendre la population étudiante plus proche de ses instances représentatives et favoriserait l’engagement. Une telle décentralisation permettrait d’enlever une charge de travail et de prise de décision à l’AÉUM et de la transférer aux autres associations facultaires ou départementales.


Dans la même édition