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Doses de rappel : une solution aveugle

Immoralité et contre-productivité du protectionnisme vaccinal.

Alexandre Gontier | Le Délit

Le 11 mars prochain, deux ans se seront écoulés depuis le moment où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonçait au monde que le nouveau coronavirus avait pris l’ampleur d’une pandémie. Deux ans maintenant que nous attendons, sans doute plus à tort qu’à raison, le retour très anticipé « à la normale » – normale que l’on croyait apercevoir au bout du tunnel, jusqu’à ce que ce dernier soit de nouveau obstrué, cette fois-ci par le variant Omicron. Alors que la vaccination était censée régler tous nos problèmes, voilà qu’on apprend que deux doses de certains vaccins offrent une protection presque nulle contre une infection à ce nouveau variant, réduisant tout de même le risque de tomber gravement malade au point de devoir avoir recours à une hospitalisation. Une dose de rappel permet cependant de retrouver une protection contre les infections à peu près égale à celle qui était conférée aux doublement vaccinés avant l’apparition d’Omicron.

Une fausse solution ?

Or, la troisième dose n’est pas une panacée. Israël est actuellement en pleine campagne de vaccination pour une quatrième dose, et plusieurs pays comme le Chili et l’Allemagne emboîteront le pas. Stéphane Bancel, le PDG de Moderna, croit par ailleurs qu’une troisième dose devrait être suffisante pour passer à travers l’hiver, mais qu’une quatrième dose sera sans doute nécessaire pour maintenir l’immunité collective à l’automne 2022. Même son de cloche chez le PDG de Pfizer, Albert Bourla. Il appert que l’efficacité de la dose de rappel diminue après quelques mois, tout comme celle des deux doses initiales. Le Canada a d’ailleurs déjà commencé à administrer une quatrième dose aux populations à risque.

Si c’est ce que ça prend pour contrer la pandémie et protéger les plus vulnérables, qu’on nous vaccine autant de fois que nécessaire. Toute personne devrait raisonner ainsi en ces temps incertains. Il serait peut-être utile de rappeler à ceux qui s’opposent à la vaccination que leur liberté s’arrête là où commence celle des autres. Si cela ne leur plaît pas, ils peuvent toujours aller vivre en autarcie complète, question d’être conséquents avec leurs idéaux ; on verra alors s’ils pensent toujours de la même manière. Mais ne digressons pas davantage sur ce sujet et revenons-en à la question des doses de rappel.

« Aucun pays ne s’en sortira à coups de doses de rappel »

Tedros Adhanom Ghebreysus, Directeur général de l’OMS

Solidarité nationale, solidarité internationale

Depuis le début de cette pandémie, nos dirigeants nous ensevelissent de messages à saveur de solidarité nationale. On nous dit que c’est « ensemble » que nous passerons à travers cette épreuve, mais qu’en est-il de la solidarité internationale ? « Aucun pays ne s’en sortira à coups de doses de rappel. » Ce sont les mots de Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’OMS. Certes, les pays les plus riches pourraient sans doute tirer leur épingle du jeu à coup de doses de rappel dans les prochaines années, en autant que les vaccins demeurent efficaces contre les nouveaux variants. Mais si l’on part de la prémisse selon laquelle la vaccination doit d’abord et avant tout servir à sauver des vies, alors on ne peut se résoudre à continuer à administrer des doses de rappel indéfiniment. Rappelons que, bien que deux doses soient largement inefficaces à freiner la transmission d’Omicron, elles le sont néanmoins pour empêcher des formes graves de la maladie de se développer. Dans ses dernières conférences de presse, le premier ministre François Legault a mis l’accent sur le fait que les non-vaccinés, représentant 10% de la population québécoise, comptent toutefois pour 50% des hospitalisations. Ce petit échantillon nous permet de voir chez nous ce qui se passe dans les populations non-vaccinées du monde, qui ne le sont pas par choix égocentrique, mais en raison de l’inaccessibilité du vaccin. 

« En décembre dernier, 20% des vaccins administrés quotidiennement dans le monde étaient des doses de rappel, selon l’OMS »

En administrant des doses de rappel, les pays riches accaparent une partie non négligeable des stocks de vaccins : en décembre dernier, 20% des vaccins administrés quotidiennement dans le monde étaient des doses de rappel, selon l’OMS. Pendant ce temps, d’autres pays, particulièrement en Afrique, ont un taux de vaccination de première dose infime. À titre d’exemples, seuls 3,2% de la population camerounaise ont reçu une première dose, alors que ce chiffre est de 0,3% pour la République démocratique du Congo. Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), une personne non-vaccinée est 20 fois plus à risque de mourir de la COVID-19 qu’une personne vaccinée.

D’un point de vue d’équité mondiale, il est donc possible de formuler un argument altruiste contre la quatrième dose ou même la troisième dose en avançant qu’il est plus important de doublement vacciner tout le monde avant de commencer à administrer des doses de rappels. Toutefois, ce type d’argument moral est rarement efficace. Il serait donc utile de rappeler aux pays riches – qui le savent d’ailleurs pertinemment – que les programmes de rappel ont pour conséquence probable de prolonger la pandémie pour tout le monde, sans égard aux frontières. L’immunité collective n’est pas une question nationale : plus la population mondiale est vaccinée, moins le virus se propage et mute. En effet, plus le virus se transmet, plus il a de chance de muter, et c’est ainsi qu’apparaissent de nouveaux variants potentiellement résistants aux vaccins. Il n’y aura pas de fameux retour « à la normale » sans vaccination mondiale, rapide qui plus est : le temps presse lorsqu’il est question de mutations virales.

Repenser notre approche

Les populations des pays riches étant toutes doublement vaccinées, l’heure n’est plus au protectionnisme vaccinal. En 2022, il est non seulement immoral et irrationnel que l’accès à la vaccination soit encore dicté par des considérations d’intérêt national aussi fortes, mais cette manière de voir les choses est aussi contre-productive. En fait, il faut simplement projeter l’intérêt national un peu plus loin dans le futur pour s’apercevoir que céder une partie de nos vaccins aux pays où la couverture vaccinale est pratiquement nulle est la chose logique à faire pour se sortir de la pandémie. Par ce texte, je ne veux pas minimiser l’impact du variant Omicron sur le système de santé québécois et ses travailleurs. La dose de rappel demeure actuellement la meilleure façon de protéger l’intégrité de notre système de santé. Cependant, avant de se lancer dans l’administration d’une quatrième dose, l’Occident doit fonder une réflexion sur l’épisode Omicron et planifier minutieusement sa stratégie vaccinale – une stratégie qui devra inclure le monde entier.


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