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Vers un accord d’indemnisation pour les enfants des Premières Nations

Le gouvernement fédéral annonce une entente de 40 milliards de dollars afin de compenser les victimes du système discriminatoire de protection des enfants autochtones. 

Alexandre Gontier | Le Délit

La semaine dernière, le mardi 4 janvier, le ministre fédéral des Relations Couronne-Autochtones Marc Miller a annoncé en compagnie de leaders et représentant·e·s autochtones la conclusion de deux accords de principe, à la suite de plus d’une décennie de négociations et de disputes judiciaires entre les Premières Nations et le Gouvernement du Canada.

L’accord prévoit des réformes à long terme pour les services à l’enfance des Premières Nations, l’application du principe de Jordan qui finance l’accès aux services, aux mesures, aux produits essentiels mais surtout une indemnisation pour les personnes autochtones ayant souffert du système discriminatoire des services à l’enfance. L’entente doit encore être approuvée par le Tribunal des droits de la personne et la Cour fédérale. 

Cindy Blackstock est directrice exécutive de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (SSEFPNC), un organisme impliqué dans la procédure judiciaire, et professeure à la Faculté de travail social de l’Université McGill. Elle a saisi l’occasion de spécifier par communiqué qu’il s’agit d’une entente non-contraignante en vue d’une entente finale : « Ce n’est que lorsqu’un accord contraignant aura été rédigé et signé par le gouvernement du Canada et qu’il aura été mis en œuvre avec hâte que les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations auront l’assurance qu’un changement concret se produira. »

« Il n’est pas question de la manière dont sont élevés nos enfants, il est question de pauvreté »

Cindy Woodhouse

Cindy Woodhouse, cheffe régionale du Manitoba de l’Assemblée des Première Nations, a rappelé que cette entente est le résultat de plusieurs années de luttes dénonçant que le programme du Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN), plutôt que de lutter contre la pauvreté, retirait les enfants de leurs familles. « Les Premières Nations à travers le Canada ont eu à se battre très fort pour que ce jour vienne et permette de réparer les torts monumentaux causés aux enfants des Premières Nations, torts alimentés par un système intrinsèquement biaisé. »

Saga judiciaire

Les négociations avaient débuté en février 2007 entre Ottawa et les représentants les Premières Nations après le dépôt d’une plainte par l’Assemblée des Premières Nations (APN) et la SSEFPNC, l’organisation représentant les enfants Premières Nations et leurs familles en terme de bien-être et de sécurité. La plainte alléguait alors que la formule de financement et la prestation des services de bien-être pour les enfants des Premières Nations étaient discriminatoires et racistes.

En 2016, le Tribunal canadien des droits de la personne a jugé qu’Ottawa avait fait preuve de discrimination raciste envers les enfants des Premières Nations vivant sur des réserves ou au Yukon en sous-finançant délibérément le système de soins et protection de la jeunesse. En 2019, le tribunal avait conclu que cette discrimination était délibérée et qu’elle constituait un cas catastrophe en matière de droit de la personne au niveau fédéral.

Des ententes historiques

Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, a affirmé lors d’une entrevue sur les ondes de Radio-Canada que l’accord est « historique […] parce qu’on vient de mettre terme à un processus au sein de nos communautés qui s’étend depuis trois décennies ».

Le montant total du règlement est évalué à 40 milliards de dollars. La moitié sera utilisée afin de compenser les enfants et familles des Premières Nations touchés par le programme discriminatoire des SEFPN. 20 milliards de dollars seront également alloués dans le but de réformer et de mettre fin à la discrimination dans le cadre des SEFPN. Les partis devront continuer à négocier les détails de règlement définitif pour que les indemnités soient versées d’ici la fin de 2022 ou au début de 2023, comme l’exige l’APN. Le gouvernement fédéral vise à indemniser individuellement les enfants retirés de leurs foyers entre le 1er avril 1991 et le 31 mars 2022 ainsi que leurs familles. De plus, cette indemnisation concerne aussi les enfants des Premières Nations ayant été victimes de la définition étroite du principe de Jordan (accès limité aux services ou produits publics essentiels) entre le 1er avril 1991 et le 11 décembre 2007.

« L’accord prévoit de réformer en profondeur le système de service à l’enfance et à la famille des Premières Nations »

Selon le ministre Marc Miller, il s’agit du « plus important accord d’indemnisation dans l’histoire du Canada ».  L’accord prévoit de réformer en profondeur le système de service à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Entre l’ouverture des pensionnats à la fin du 19e siècle et la fermeture du dernier d’entre eux en 1996, ce sont 150 000 enfants arrachés à leur familles et communautés qui y ont été placés de force. Depuis mai 2021, environ 1 000 nouvelles tombes non-identifiées ont été découvertes, témoignant de l’abus et de la négligence délibérée dont ils ont été victimes dans ces 139 pensionnats.


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